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Date : 20150716


Dossier : IMM-7396-14

Référence : 2015 CF 873

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ILEANA LENGYEL

ZSOLT LENGYEL

TEFIK SECIRI

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs, une famille rom de la Croatie, sollicitent l’annulation de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a refusé leurs demandes d’asile. La décision de la SPR reposait sur la conclusion selon laquelle les demandeurs n’étaient pas crédibles et n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État, ainsi que la conclusion selon laquelle ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[2]               Malgré la solide argumentation de leur avocat, je ne suis pas convaincu que la décision de la SPR était déraisonnable.

[3]               Les demandeurs sont une femme et son époux, Ileana Lengyel et Tefik Seciri, ainsi que le fils d’Ileana, Zsolt Lengyel. Ileana est citoyenne de la Croatie, de la Roumanie et du Kosovo. Tefik est citoyen de la Croatie, de la Serbie et du Kosovo. Zsolt est citoyen de la Croatie et de la Roumanie. Par souci de commodité, je désignerai chacun des demandeurs par leur prénom.

[4]               Les demandeurs soutiennent que leurs problèmes ont commencé vers 2006, lorsque Zsolt a remarqué qu’il était suivi dans ses déplacements par des voitures noires. Entre 2007 et 2009, leurs véhicules et leur maison ont été vandalisés à maintes reprises, des messages anti-Roms ont été peints sur certains de leurs biens, et des cocktails Molotov ont été lancés, sans toutefois exploser.

[5]               Zsolt a séjourné et travaillé au R.-U. entre juillet 2007 et mars 2008 muni d’un visa de touriste.

[6]               Ils soutiennent que, le 2 octobre 2009, le gang Gusani a volé leur camionnette, mais que le véhicule a été retrouvé plus tard.

[7]               Le 3 octobre  2009, les demandeurs se sont rendus en Belgique et y ont demandé l’asile. Ils se sont plus tard désistés de leur demande d’asile et sont rentrés en Croatie en mars 2010.

[8]               Après leur retour en Croatie, les demandeurs soutiennent qu’ils ont reçu des appels téléphoniques de menaces du gang Gusani, exigeant que Tefik leur verse 16 000 EUR. Le gang a passé Tefik à tabac et lui a donné 7 jours pour payer, faute de quoi le montant doublerait.

[9]               Les demandeurs sont arrivés au Canada le 25 mai 2011 et ont demandé l’asile.

[10]           Dans une décision exhaustive, la SPR a tiré un certain nombre de conclusions, les plus importantes étant les suivantes :

         Zsolt n’a pas de crainte subjective parce qu’il n’a pas demandé l’asile au R.-U. et s’est à nouveau réclamé de la protection de la Croatie après son séjour au R.-U. Il a aussi indiqué sur son formulaire au port d’entrée qu’il est venu au Canada pour accompagner sa mère et son beau-père.

         Les demandeurs ont à l’origine fourni des Formulaires de renseignements personnels (FRP) incomplets. Ils ont attendu environ trois ans avant de produire des FRP modifiés et plus exhaustifs.

         Les demandeurs ont fait reporter deux fois l’audience devant la SPR et ont tenté de la retarder davantage.

         Les demandeurs se sont à nouveau réclamés de la protection de la Croatie après avoir demandé l’asile en Belgique.

         Les demandeurs ont tardé à quitter la Croatie après les incidents allégués.

         Tefik a fourni un témoignage contradictoire concernant sa citoyenneté serbe et l’accès à la citoyenneté roumaine.

         Les témoignages des demandeurs concernant les actes de vandalisme commis à l’égard de certains de leurs biens sont contradictoires.

         Les demandeurs n’ont pas fourni de témoignages clairs concernant les gens ou l’organisation qui leur ont extorqué de l’argent entre 2009 et 2011, et ils n’ont pas fourni d’éléments de preuve corroborants concernant l’existence du gang Gusani.

         Les demandeurs n’ont pas mentionné dans leurs FRP qu’Ibrahim Gusani du gang Gusani a été reconnu coupable d’extorsions et de menaces à leur endroit comme ils l’ont affirmé à l’audience.

         Les éléments de preuve fournis par les demandeurs au sujet du vol de leur camionnette sont contradictoires. 

         Les demandeurs ont fourni des documents selon lesquels Tefik a reçu des traitements médicaux pour des blessures découlant de voies de fait le 20 mai 2010, mais l’incident n’est pas mentionné dans leurs FRP.

         Les demandeurs ont reconnu que la police leur est venue en aide la plupart des fois où ils ont fait appel à elle.

         Les demandeurs avaient une PRI viable dans les villes de Zagreb, Split et Medimurje.

[11]           Les demandeurs contestent certaines des conclusions de la SPR. Ils soutiennent que, plutôt que de s’intéresser à la question principale consistant à savoir si les Roms sont exposés à des risques en Croatie, la SPR a concentré son attention sur des questions microscopiques et indirectes. Le défendeur affirme que le poids cumulatif des conclusions quant à la crédibilité, même si la Cour jugeait que certaines sont déraisonnables, suffit pour que soit maintenue la décision. C’est aussi mon avis.

[12]           La SPR doit apprécier le risque en fonction de l’expérience personnelle d’un demandeur ou de personnes se trouvant dans la même situation. Les demandeurs ont essayé de fonder leur demande d’asile sur leurs expériences personnelles. La SPR ne les a pas trouvés crédibles. Le mémoire des arguments du défendeur contient un tableau, aux pages 12 et 13, faisant état des diverses contradictions relevées dans les éléments de preuve fournis par les demandeurs. Après avoir lu la transcription et pris connaissance des nombreux aspects sur lesquels les demandeurs ont fourni des éléments de preuve contradictoires ou incohérents, l’opinion que s’est formée la SPR à l’égard des éléments de preuve, tel que l’a résumée le défendeur, était raisonnable.

[13]           Les éléments de preuve fournis par Zsolt, plus particulièrement, justifient la conclusion selon laquelle il n’était pas crédible et il n’avait pas de crainte subjective. À l’audience, il a affirmé que s’il devait rentrer en Croatie, son existence serait un cauchemar et il mettrait probablement fin à ses jours. Toutefois, qu’a-t-il affirmé quand il est arrivé au Canada et quand il avait 21 ans? Les notes au Port d’entrée révèlent une toute autre histoire. Lorsqu’on lui a demandé dans quel pays il craignait d’être persécuté, il a répondu [traduction« Nulle part ». Lorsqu’on lui demandé qui il craignait, il a répondu [traduction« Personne. J’ai la peau claire, et personne ne m’embête ». Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il demandait l’asile au Canada s’il ne craignait pas de retourner où que ce soit, il a répondu [traduction« Parce que je suis avec mes parents. Je ne peux pas les quitter. »

[14]            Comme la SPR, je rejette l’explication qu’il a donnée quant à la contradiction parce qu’elle est invraisemblable. Il a affirmé qu’il y avait contradiction parce qu’il parlait à un interprète par téléphone et que l’agent n’avait pas compris ce qu’avait dit l’interprète. Cela contredit le formulaire qu’il a signé et qui indique, contrairement à sa mère et à son beau-père, que les éléments de preuve avaient été fournis sans l’aide d’un interprète.

[15]           De plus, les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable que la SPR tire des inférences défavorables du fait qu’il leur avait fallu trois ans pour fournir des FRP modifiés et complets. J’estime que, lorsqu’un demandeur (pour le compte de sa famille) produit un FRP indiquant qu’il fournira [traduction] « un exposé plus étoffé […] sous peu » et qu’il ne le fait pas, et que les membres de sa famille produisent l’exposé circonstancié de leur FRP trois ans plus tard et une semaine avant la date de l’audience (qui a été repoussée maintes fois), il est loisible à la SPR de se montrer sceptique envers eux.

[16]           J’estime que le fait que les demandeurs ont demandé l’asile en Belgique, puis se sont désistés de leur demande d’asile et sont rentrés en Croatie, pour ensuite venir au Canada 14 mois plus tard, porte un coup fatal à leurs demandes d’asile. Il était raisonnable que la SPR conclue que, s’ils avaient une crainte subjective, ils ne se seraient pas désistés de leurs demandes d’asile, ils seraient restés en Belgique et ils ne se seraient pas à nouveau réclamés de la protection de la Croatie.

[17]           Je rejette leur affirmation selon laquelle la SPR n’a pas pris en compte le fondement principal de leur demande d’asile en tant que Rom en Croatie.  Faute d’éléments de preuve crédibles selon lesquels ils ont été persécutés en Croatie à cause de leur origine rom, il était loisible à la SPR d’examiner la situation de personnes dans les mêmes circonstances. Les éléments de preuve relatifs aux conditions qui prévalent dans le pays n’établissent tout simplement pas que tous les Roms en Croatie sont persécutés, bien que certains puissent l’être. De plus, les demandeurs ont reconnu que chaque fois qu’ils avaient demandé la protection de l’État, ils l’avaient obtenue. Pour ce seul motif, leurs demandes d’asile ne peuvent être accueillies.

[18]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et les faits n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7396-14

 

INTITULÉ :

ILEANA LENGYEL ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUILLET 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Maria Green

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice, région des Prairies

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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