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Date : 20150327


Dossier : T‑705‑13

Référence : 2015 CF 391

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 mars 2015

En présence du protonotaire Kevin R. Aalto

ENTRE :

MEDIATUBE CORP. ET NORTHVU INC.

demanderesses

et

BELL CANADA ET BELL ALIANT REGIONAL COMMUNICATIONS,

LIMITED PARTNERSHIP

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Dans le cadre de la présente requête inusitée – et d’une affaire que l’on ne peut qualifier que de vigoureusement débattue – Bell sollicite une ordonnance enjoignant aux représentants de MediaTube et de NorthVu de comparaître en personne pour répondre à des questions dites en anglais « under advisement » – une expression rendue en français notamment par « mises en délibéré » et « soumises à réflexion » [ci‑après « mises en délibéré »] – qui ont été posées jusqu’ici lors des interrogatoires préalables. À ce jour, l’interrogatoire préalable de MediaTube et de NorthVu a porté sur quelque 9 000 à 10 000 questions, et environ 1 000 d’entre elles ont été soit refusées, soit « mises en délibéré ». Bell soutient qu’en « mettant en délibéré » un gros bloc de questions, MediaTube tente d’orchestrer ou de scénariser les réponses à ces dernières en faisant en sorte que ses avocats y répondent par écrit. Elle ajoute que cette façon de faire est tout à fait irrégulière, et qu’elle a droit lors de l’interrogatoire préalable à une réponse directe du témoin, sans que les avocats interviennent.

[2]               Bell fait valoir que la tactique des avocats de MediaTube et de NorthVu, qui consiste à empêcher que les témoins répondent à certaines questions en les « mettant en délibéré », est un usage abusif du processus d’interrogatoire préalable.

[3]               Pour leur part, MediaTube et NorthVu ni avoir de telles intentions ou s’être conduit de la sorte. Ils soutiennent qu’une large part des questions restées sans réponse nécessite des recherches et l’obtention de renseignements auprès d’autres sources, et qu’il est tout à fait approprié de faire ces recherches pour le compte du témoin et de fournir des réponses écrites. Pour ce qui est des questions « mises en délibéré », MediaTube et NorthVu soutiennent que cela fait partie du processus de la collecte de renseignements en vue de s’assurer que les réponses sont exactes et qu’il ne sera pas nécessaire de donner davantage de précision ou de les mettre à jour après coup, comme l’exigent les Règles. Les avocats ajoutent qu’il leur est loisible de s’entretenir avec des représentants de leur cliente en vue d’obtenir des réponses à toutes ces questions et d’y mettre la dernière main.

[4]               En vue de résoudre le différend, Bell a produit un projet de règlement dont voici les modalités :

[traduction]

Nous sommes disposés à régler notre requête aux conditions suivantes :

1.         Les parties souscriront à une ordonnance prévoyant ce qui suit :

a.         si, avant la requête relative aux refus, les demanderesses entendent répondre à toute question (i) refusée ou (ii) « mise en délibéré » lors de leurs interrogatoires préalables, elles n’y répondront pas par écrit, et Ross Jeffrey et/ou Doug Lloyd comparaîtront de nouveau aux frais des demanderesses en vue de poursuivre le(s) interrogatoire(s) préalable(s);

b.         jusqu’à ce que Ross Jeffrey ou Doug Lloyd comparaissent de nouveau en vue de la poursuite de leur interrogatoire préalable, ou que la Cour conclue qu’il n’est pas nécessaire de répondre à une question, les avocats des demanderesses ne discuteront pas avec M. Jeffrey ou M. Lloyd de ce qui suit : (i) les questions restées sans réponse qui ont été posées lors des interrogatoires préalables ou (ii) toute réponse proposée ou possible;

c.         pour plus de certitude, rien dans l’ordonnance n’empêchera les avocats des demanderesses de s’entretenir avec M. Jeffrey ou M. Lloyd de l’objet du litige en général ou pour préparer l’interrogatoire préalable du témoin de Bell Canada qui est censé commencer le 8 décembre 2014.

2.         Les demanderesses paieront sans délai les dépens qu’a occasionnés aux défenderesses la préparation dans un court laps de temps de la requête, lesquels sont fixés à 10 000 $.

[5]               MediaTube et NorthVu ont jugé les conditions de la proposition inacceptables et la requête a suivi son cours. Au début de l’audition de cette dernière, les avocats de Bell ont passé en revue diverses catégories de questions à partir d’un tableau figurant dans le dossier de requête en réponse de MediaTube. Le nombre exact de questions qui intéressent Bell est nettement inférieur à 1 000 et elles appartiennent, semble‑t‑il, à trois catégories : contrefaçon, validité et communication.

[6]               Comme il est question en l’espèce d’une action en contrefaçon de brevet, les questions posées aux témoins de MediaTube et de NorthVu comportent des aspects techniques. En voici un exemple :

[traduction

974      Q.        Combien de canaux envisagiez-vous offrir?

R.        Nous aurions été en mesure d’offrir des centaines de canaux.

975      Q.        Disons 100 seulement pour les besoins de la discussion. A‑t‑il été configuré pour accueillir la totalité des 100 canaux dans le codeur vidéo MPEG?

R.        Les codeurs.

976      Q.        Les codeurs. Les canaux entrent‑ils tous dans les codeurs?

R.        Oui. Il y avait d’autres pièces d’équipement. Je ne suis pas au courant de tout. Comme je l’ai dit, je ne suis pas ingénieur.

977            Q.        Je ne puis vous interroger que sur ce que vous savez. Était‑il configuré de manière à ce que tous les canaux entrent dans le routeur central?

R.        Là encore, je ne saurais répondre à cette question. Elle relève davantage de l’expertise d’un ingénieur.

[7]               Il ressort clairement de ce qui précède que le témoin ne peut tout simplement pas répondre à la question. Rien n’est fait pour éviter de fournir les renseignements demandés, sauf que l’objection de l’avocat n’a pas pris la forme d’un engagement, mais plutôt d’une « mise en délibéré ». Comme la question semble pertinente à première vue, ce que l’avocat envisageait probablement c’était de fournir une réponse par voie d’engagement après de plus amples recherches et demandes de renseignements, étant donné qu’il s’agissait d’une question technique.

[8]               Le recours à la « mise en délibéré » d’une question lors d’un interrogatoire préalable, pour éviter qu’un témoin réponde à une question, s’est généralisé. Les Règles ne prévoient rien au sujet de l’adoption d’une telle position en ce qui concerne une question appropriée posée lors d’un interrogatoire préalable. Les articles 234 à 248 des Règles établissent la procédure à suivre dans le cas d’un interrogatoire préalable tenu dans le cadre d’une instance devant la Cour fédérale. Nulle part dans ces Règles ne trouve‑t‑on l’expression « mise en délibéré ». L’article 242 des Règles régit les objections soulevées lors d’un interrogatoire préalable. Il en existe quatre catégories :

a)                  la réponse est protégée par un privilège de non‑divulgation;

b)                  la question ne se rapporte pas à un fait allégué;

c)                  la question est déraisonnable ou inutile;

d)                 il serait trop onéreux d’obliger la personne à se renseigner en vue de répondre à la question.

[9]               Une « mise en délibéré » n’est pas une objection. Il peut s’agir d’une intervention utile dans les cas où la question de la pertinence peut être un point à examiner ou à analyser plus en détail avec les avocats de la partie adverse, mais elle ne saurait remplacer une objection dûment soulevée pour les motifs énumérés. Les avocats en font un usage abusif, et il s’agit d’un mécanisme auquel ils recourent avec désinvolture pour éviter qu’un témoin réponde à une question qui, par ailleurs, peut être pertinente. Ils devraient s’abstenir de l’utiliser pour formuler une objection de façon détournée. Il faut soit soulever une objection pour un motif valable, ou laisser le témoin répondre, ou encore, si la question oblige à fournir des renseignements que le témoin ignore, prendre un engagement.

[10]           De toute façon, que veut‑on dire par « mettre en délibéré »? Est‑ce une objection? – non; est‑une acceptation de répondre à la question sans délai, après examen? – non; ou est‑ce une indication qu’une réponse suivra, sous peu ou plus tard? – non. Il ne s’agit de rien d’autre qu’une interruption de l’interrogatoire. S’il y avait une explication quant à la raison pour laquelle une question a été « mise en délibéré », peut‑être que cela voudrait dire quelque chose. Par exemple, peut‑être le fait‑on pour déterminer si la question est claire ou si elle est liée à un point litigieux dans l’affaire ou, encore, pour déterminer si un document est susceptible de contenir des renseignements qui aideraient le témoin à répondre ou s’il est nécessaire de faire d’autres recherches auprès du client en vue d’obtenir ces renseignements. Parmi les diverses définitions de l’expression anglaise « under advisement » figure la suivante : [traduction] « mûre délibération ou examen attentif » [voir Random House Kernerman Webster’s College Dictionary, 2010 K Dictionaries Ltd. Copyright 2005, 1997, 1991, Random House, Inc.]. Cependant, rien dans la transcription ni dans l’examen que la Cour en a fait n’explique pourquoi en l’espèce les questions doivent faire l’objet d’une « mûre délibération ou [d’un] examen attentif ».

[11]           Il est utile de prendre en considération une autre disposition importante : l’article 241 des Règles. Cet article a trait à l’obligation qu’a un témoin d’obtenir des renseignements pertinents avant d’être soumis à un interrogatoire préalable. En voici le texte :

L’obligation de se renseigner

241. Sous réserve de l’alinéa 242(1)d), la personne soumise à un interrogatoire préalable, autre que celle interrogée aux termes de la règle 238, se renseigne, avant celui‑ci, auprès des dirigeants, fonctionnaires, agents ou employés actuels ou antérieurs de la partie, y compris ceux qui se trouvent à l’extérieur du Canada, dont il est raisonnable de croire qu’ils pourraient dé‑ tenir des renseignements au sujet de toute question en litige dans l’action.

Obligation to inform self

241. Subject to paragraph 242(1)(d), a person who is to be examined for discovery, other than a person examined under rule 238, shall, before the examination, become informed by making inquiries of any present or former officer, servant, agent or employee of the party, including any who are outside Canada, who might be expected to have knowledge relating to any matter in question in the action.

[12]           L’article 241 des Règles est une obligation positive que l’on impose à un témoin soumis à un interrogatoire préalable, mais, compte tenu des complexités d’un litige relatif à un brevet ainsi que de la présente affaire en particulier, il serait impossible à un seul témoin de se renseigner en vue d’obtenir toutes les informations susceptibles d’être nécessaires pour être en mesure de répondre aux questions posées à l’interrogatoire préalable. Tant qu’une question n’est pas posée, un témoin n’aura qu’une idée générale des points litigieux. Les questions posées cristallisent les renseignements que les avocats de la partie adverse cherchent à obtenir. Personne ne dispose d’une boule de cristal qui lui permet de savoir avec certitude ce qui sera demandé. C’est pour cette raison que l’engagement à fournir une réponse est l’un des outils essentiels dans le cadre d’un interrogatoire préalable.

[13]           Un interrogatoire préalable n’est pas non plus un concours de mémorisation. Il convient de faire preuve de courtoisie envers les témoins et de leur donner l’occasion de consulter des documents s’il le faut pour pouvoir répondre à une question. Les avocats doivent être en mesure d’aider un témoin à trouver un document ou des renseignements pertinents.

[14]           L’engagement que prend un avocat à demander des renseignements et à en fournir est le processus habituel par lequel il est possible de fournir des renseignements dont n’a pas raisonnablement ou facilement connaissance le témoin. De plus, le paragraphe 245(1) des Règles exige qu’un témoin interrogé au préalable corrige après coup une réponse qu’il a donnée ou complète une réponse jugée incomplète. Cette disposition prévoit également que le témoin peut être soumis à un autre interrogatoire sur ces renseignements additionnels.

[15]           Il ne s’agit pas en l’espèce d’une requête visant à déterminer la pertinence des questions qui ont été refusées ou « mises en délibéré » par les avocats de MediaTube ou de NorthVu. Ces requêtes sont pendantes devant le juge chargé de la gestion de l’instance, encore qu’il convienne de faire remarquer en passant qu’une requête visant à obliger à répondre à 1 000 questions est tout à fait excessive. Une telle requête risque de prendre plus de temps que l’interrogatoire préalable lui‑même, ce qui mène à un résultat absurde. Il s’agit d’un abus du processus judiciaire.

[16]           Les requêtes relatives à un refus de répondre à des questions sont devenues un fléau pour la Cour, surtout dans les litiges en matière de PI, et les requêtes portant sur des centaines de questions sont aujourd’hui la norme, et non l’exception. Les requêtes relatives à un refus de répondre, qui s’éternisent parce que les avocats contestent chaque refus de répondre, même aux questions les plus banales, sans considérer si elles sont vraiment essentielles, accaparent un temps excessif de la Cour, et ce, au détriment d’autres justiciables. Une très large part de ces centaines de questions sont, dans le meilleur des cas, d’une importance minime et fort peu d’entre elles mènent à l’obtention de renseignements utiles au procès. Elles sont simplement devenues un élément de la stratégie de litige. Les requêtes relatives à un refus de répondre, à moins de circonstances exceptionnelles, ne devraient porter que sur une cinquantaine de questions tout au plus.

[17]           Les avocats de Bell peuvent certainement donner des exemples où il semble que l’objet du processus d’interrogatoire préalable a été détourné. En voici un, à la page 67 de la transcription de l’interrogatoire du témoin de MediaTube :

[traduction

M. REDDON :           La demanderesse a‑t‑elle une connaissance, une information ou une croyance quelconque quant à la moindre information confidentielle qui a été sollicitée ou donnée dans ces réunions et qu’il est possible de mentionner ici et maintenant, aujourd’hui?

M/D M. SPICER :      Nous allons mettre cette question « en délibéré ».

M. REDDON :           Voire aucune?

M/D M. SPICER :      Même position.

[18]           Bien qu’il s’agisse là d’un exemple où le témoin à fait défaut de répondre, il y en a un autre, donné par les avocats de Bell, où le refus de répondre était parfaitement légitime dans les circonstances :

[traduction

M. LEGERE :

Q :       Pourriez‑vous jeter un coup d’œil à la réponse donnée à la demande de précisions, à la page 5, sous le point b). Il est question dans ce point de l’entente du 12 décembre 2005, que nous venons tout juste d’examiner. Quand MediaTube affirme que les parties à l’entente ont convenu de ne pas se faire concurrence pour la mise au point ou la présentation d’un produit semblable, seriez‑vous d’accord avec moi pour dire que Bell Canada n’a pas convenu de s’abstenir de faire concurrence pour la mise au point ou la présentation d’un produit semblable?

(REF.) M. SPICER :   Nous n’allons pas admettre cela, M. Legere.

M. LEGERE :             Allez‑vous laisser le témoin répondre à la question?

M. SPICER :               Non. C’est un aveu que vous recherchez. Vous sollicitez un aveu.

[19]           Il faut se souvenir qu’un interrogatoire préalable n’est pas un contre‑interrogatoire, même s’il est permis de contre‑interroger le témoin dans une certaine mesure. Dans un contre‑interrogatoire, la règle générale veut que la partie contre‑interrogée ne puisse pas communiquer avec son avocat pour obtenir de l’aide. Cependant, dans un contre‑interrogatoire, les témoins ne sont pas là pour prendre des engagements ou faire d’autres recherches; ils sont là pour répondre à des questions dont ils ont une connaissance personnelle. L’interrogatoire préalable est en grande partie un exercice de recherche de faits. L’un de ses principaux objectifs est de permettre à la partie adverse d’approfondir et de comprendre la preuve qui pèse contre elle. Il s’agit là de l’objet principal d’un interrogatoire préalable, mais il y en a d’autres, dont l’obtention d’aveux qui éviteront d’avoir à fournir une preuve formelle au procès, ou encore d’aveux qui pourront démolir la thèse de l’autre partie.

[20]           La Cour n’est pas en faveur d’une surabondance d’interruptions dans le cadre d’un interrogatoire préalable par le recours à une quasi‑objection telle qu’une « mise en délibéré ». Il faudrait permettre à un témoin de répondre aux questions appropriées. Si le témoin ne connaît pas la réponse, c’est donc cela sa réponse, et c’est là qu’un engagement est utile pour permettre que d’autres recherches soient effectuées et des réponses fournies dans le cadre d’un interrogatoire complémentaire ou par voie écrite si dans les circonstances la partie qui procède à l’interrogatoire juge qu’une réponse écrite est acceptable. Les parties à un litige sont censées se conformer de manière générale aux Règles en gardant à l’esprit qu’il convient de faire preuve en tout temps de souplesse et de courtoisie, et de veiller à respecter le principe de la proportionnalité.

[21]           Un certain nombre de tribunaux ont examiné la question de la conduite des interrogatoires préalables. Dans la décision Andersen Consulting c Canada (1re inst.), [1997] 2 CF 893, le juge Fred Gibson a écrit ce qui suit au nom de notre Cour, au paragraphe 15 :

À ce sujet encore, j’estime qu’il en est de même des interrogatoires préalables dans les causes soumises à la Cour. Le contre‑interrogatoire au cours de l’interrogatoire préalable est clairement, encore qu’indirectement, prévu par les Règles de la Cour fédérale, aux termes desquelles nul ne peut s’opposer à une question posée dans le cadre d’un interrogatoire préalable pour la seule raison qu’elle constitue un contre‑interrogatoire. Cela ne veut cependant pas dire que le contre‑interrogatoire dans le cadre de l’interrogatoire préalable est régi par tous les principes applicables au contre‑interrogatoire lors du procès proprement dit. En particulier, le principe généralement reconnu qui interdit les consultations entre l’avocat et le témoin au cours du contre‑interrogatoire, ne peut s’étendre sans réserves à l’interrogatoire préalable. Interdire les consultations entre la personne interrogée, en particulier dans le cas où elle n’est que la représentante et non pas la partie soumise à l’interrogatoire elle‑même et où les points à élucider sont variés et détaillés, irait à l’encontre des principes applicables en la matière, tels que les a dégagés la décision Crestbrook Forest Industries Ltd., supra.

[22]           Il convient de souligner que le juge Gibson fait remarquer que les témoins devraient avoir accès à leur avocat lors de l’interrogatoire. Vu la nature des questions et la complexité des sujets qui sont en litige dans la présente affaire, il serait difficile pour un seul témoin de disposer de tous les éléments d’information nécessaires pour répondre aux questions. Comme il a été signalé, un interrogatoire préalable n’est pas un concours de mémorisation. Ainsi que l’a ordonné le juge Gibson dans l’affaire Andersen Consulting, le témoin, en l’espèce, devrait avoir accès à un avocat et consulter ce dernier lors des pauses et des ajournements en vue d’obtenir de l’aide et des conseils pour réunir des preuves en vue de l’interrogatoire et rectifier des inexactitudes ou des lacunes relevées dans toute réponse déjà donnée. La « mise en délibéré » ne devrait pas être une arme dont on se sert pour contrecarrer le déroulement et la conduite d’un interrogatoire.

[23]           On trouve un résumé utile des principes régissant les interrogatoires préalables dans la décision Iroquois Falls Power Corp. c Jacobs Canada Inc., 2006 CarswellOnt 6532, une décision du protonotaire Calum MacLeod de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, où les principes directeurs suivants ont été énoncés au paragraphe 43 :

[traduction

Principes directeurs

[43]      Les principes qui suivent ressortent de la jurisprudence et de l’analyse qui précède :

1)         Il est loisible à l’avocat qui représente une partie interrogée d’interrompre la partie interrogatrice pour s’opposer à une question irrégulière, faire consigner l’objection au dossier et dire au témoin d’y répondre « sous réserve » ou de s’abstenir d’y répondre. Voir la règle 34.12 et la décision Kay c Posluns, à la p. 246.

2)         L’avocat peut également interrompre l’interrogateur s’il le faut pour s’assurer que le témoin et lui comprennent tous deux la question. Voir la décision Kay c Posluns, à la p. 246.

3)         D’un point de vue pratique, l’avocat peut parfois vouloir répondre à une question ou en corriger une, mais si l’avocat interrogateur s’y oppose, ni l’une ni l’autre de ces interventions ne sont dans ce cas autorisées. Voir les règles 31.08 et 31.09. Voir également la décision Kay c Posluns, aux p. 246 et 247.

4)         L’avocat peut décider de réinterroger son propre client en vue de corriger une réponse ou de clarifier ou d’expliquer une contradiction ou un aveu apparents. Subsidiairement, il peut fournir la correction ou l’éclaircissement par la suite, par écrit. Dans l’un ou l’autre cas, la partie interrogatrice est en droit d’obtenir le témoignage du témoin et non celui de l’avocat. Il incombe au témoin et non à l’avocat de corriger la preuve. Voir les règles 31.09 et 34.11; la décision Kay c Posluns, à la p. 247.

5)         L’avocat doit respecter le fait que l’interrogatoire préalable présente des caractéristiques du contre‑interrogatoire, et il ne doit pas discuter de la preuve avec le témoin lors d’une pause. Voir la règle 4.04, Code de déontologie; chapitre IX, code de l’ABC.

6)         Lors d’un long interrogatoire préalable ou d’une série d’interrogatoires préalables, l’avocat peut juger nécessaire de discuter d’un élément de preuve avec le témoin. En général, l’intention de le faire doit être communiquée à l’avocat adverse et, en cas d’objection, il peut être nécessaire de demander l’autorisation de la Cour. Voir le commentaire, règle 4.04, Code de déontologie.

7)         S’il y a une pause entre deux séances d’un interrogatoire préalable, il est loisible à l’avocat de rencontrer le client pour se préparer à la séance suivante. Il peut être nécessaire aussi de discuter d’éléments de preuve déjà fournis en vue d’obtenir des directives sur des requêtes à déposer lors de l’interrogatoire préalable, d’aviser le client de l’obligation de corriger des réponses et de répondre à des engagements. Il est prudent de faire part de cette intention à l’avocat de la partie adverse. [Page 459]

8)         L’avocat ne doit pas s’opposer inutilement à un entretien raisonnable entre un avocat et son client à la condition qu’on lui en fasse part. Il est légitime, à la reprise de la séance, de demander au témoin sous serment si on lui a indiqué de quelque manière quelles réponses donner.

9)         Les accusations d’inconduite professionnelle doivent être réservées aux cas les plus flagrants, sur la foi de preuves convaincantes, et lorsqu’une telle constatation est une conclusion nécessaire et inévitable.

10)       Les requêtes en vue d’obtenir des directives ne sont nécessaires que dans les cas où l’avocat de la partie interrogée a rejeté toutes les demandes visant à ce qu’il se comporte d’une manière conforme aux règles, et que ses interventions sont devenues à ce point exagérées qu’elles rendent l’interrogatoire préalable futile.

11)       De façon générale, la Cour évite de conclure qu’un avocat a enfreint le Code de déontologie, mais elle prend connaissance d’office de ce dernier au moment de déterminer quelle est la norme de conduite attendue des avocats devant les tribunaux. La Cour peut avoir à tirer des conclusions de fait susceptibles de constituer une preuve d’inconduite professionnelle. Dans de tels cas, il faut accorder à l’avocat des protections procédurales raisonnables.

[24]           Le protonotaire MacLeod a ensuite conclu comme suit sa décision à propos de ce qui devrait nécessairement être qualifié d’interrogatoire préalable hésitant vu le nombre d’interventions que l’avocat a faites au nom du témoin :

[traduction

[44]      En conclusion, dans les circonstances de l’espèce la Cour ne donnera pas de directives officielles en vertu de la règle 34.14. Le fait de continuer d’intervenir pour répondre à des questions à la place du témoin ou de corriger des réponses alors que l’avocat interrogateur demande de ne pas le faire est un manquement aux Règles de procédure civile. En discutant d’éléments de preuve avec la partie interrogée lors d’une pause, sans faire part au préalable de cette intention à l’avocat interrogateur, l’avocat de la partie interrogée a commis une erreur de jugement. La façon dont il convient d’appliquer la règle 4.04 du Code de déontologie lors d’un interrogatoire préalable varie selon les circonstances, notamment la durée de l’interrogatoire préalable, le temps écoulé entre les séances, et le besoin qu’a l’avocat de conseiller le client ou d’obtenir des directives. En général, toutefois, il convient de traiter l’interrogatoire préalable de la même façon qu’un contre‑interrogatoire au procès. La voie la plus prudente est de faire part à l’avocat interrogateur du besoin de discuter d’éléments de preuve, et ce dernier ne devrait pas s’y opposer déraisonnablement. Dans certains cas, si l’avocat ne donne pas son accord, il peut être nécessaire d’obtenir à cette fin l’autorisation de la Cour, mais celle‑ci ne devrait intervenir ou exercer une supervision que dans de rares cas. [Page 460]

[45]      Il ressort de ce qui précède que l’avocat de la demanderesse a fait erreur. Par contre, le dépôt d’une accusation d’inconduite professionnelle et d’une requête en vue d’obtenir des directives était une réaction excessive. Toutefois, d’importantes questions de pratique étaient en cause. […]

[25]           Dans l’ensemble, les observations du protonotaire MacLeod s’appliquent en l’espèce, et il serait bon que les avocats s’inspirent de ces principes dans la mesure où ils s’appliquent. Dans les circonstances de l’espèce, bien qu’il y ait eu un nombre inusité de refus sous la forme de « mises en délibéré », il est habituellement dans l’ordre des choses qu’une telle situation se produise dans une faible mesure dans le cadre d’un interrogatoire préalable. Bell devrait obtenir le plus de réponses possible directement du témoin, dans les limites décrites ci‑dessus. Bien que des conditions soient fixées dans la présente ordonnance, elle ne vise nullement à entraver le pouvoir discrétionnaire du juge chargé de la gestion de l’instance de rendre une ordonnance ou de donner des directives concernant la poursuite des interrogatoires préalables.

[26]           Bell souhaite obtenir la somme globale de 10 000 $ au titre des dépens. À mon avis, bien que cette dernière ait eu en partie gain de cause dans la présente escarmouche interlocutoire, elle a droit à des dépens, mais ceux‑ci devraient concorder avec ceux pouvant habituellement être recouvrés conformément au tarif. Je fixe les dépens à 3 000 $, payables immédiatement.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  Les réponses aux questions pertinentes qui ont été « mises en délibéré » lors de l’interrogatoire préalable oral de Ross Jeffrey ou de Doug Lloyd, les témoins de MediaTube et de NorthVu, et auxquelles MediaTube et NorthVu conviennent de répondre, sous réserve de toute ordonnance ou directive du juge chargé de la gestion de l’instance, seront données lors d’une nouvelle comparution et non par écrit.

2.                  Dans le cadre de la poursuite de l’interrogatoire préalable des témoins de MediaTube et de NorthVu et de l’interrogatoire du témoin de Bell, les témoins peuvent consulter leurs avocats lors de pauses et d’ajournements en vue d’obtenir l’aide et les conseils nécessaires pour réunir des éléments de preuve en vue de l’interrogatoire, ainsi que pour corriger toute inexactitude ou lacune que pourraient comporter les réponses données lors de l’interrogatoire.

3.                  Les témoins peuvent également consulter leurs avocats au sujet des questions visées au paragraphe 2 des présentes lors des discussions « en confidence » qu’ils tiendront avec leurs avocats, et ce, avec le consentement des avocats interrogateurs, lequel consentement ne doit pas être refusé déraisonnablement.

4.                  Conformément au paragraphe 246(1) des Règles, les avocats d’un témoin peuvent répondre à une question ou étoffer une réponse donnée par ce témoin lors de l’interrogatoire, sauf si la partie interrogatrice s’y oppose.

5.                  Les avocats doivent permettre au témoin de répondre aux questions appropriées et s’abstenir d’intervenir sauf pour soulever une objection au sujet d’une question conformément au paragraphe 242(1) des Règles.

6.                  Les dépens de la requête sont adjugés à Bell et fixés à 3 000 $, payables immédiatement.

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑705‑13

INTITULÉ :

MEDIATUBE CORP. ET NORTHVU INC.

c BELL CANADA ET BELL ALIANT REGIONAL COMMUNICATIONS, LIMITED PARTNERSHIP

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 décembre 2014

ordonnance ET MOTIFS :

LE protonotaire AALTO

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mars 2015

COMPARUTIONS :

Bruce Stratton

Joshua Spicer

 

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Reddon

Fiona Legere

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERESKIN & PARR S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

MEDIATUBE CORP.

DIMOCK STRATTON LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA demanderesse

NORTHVU INC.

MCCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES défenderesseS

 

 

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