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Date : 20150723


Dossier : IMM‑2786‑14

Référence : 2015 CF 900

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

DHARMENDRAKUMAR CHANDRAKANTBHAI PATEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction et contexte

[1]               Le demandeur est citoyen de l’Inde. Le 14 juin 2010, il a présenté une demande de visa de résident permanent à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés fédéraux dans laquelle il disait être un technicien de réseau informatique (groupe 2281 de la Classification nationale des professions 2011) ainsi qu’un gestionnaire des systèmes informatiques (groupe 0213).

[2]               Les notes enregistrées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC] indiquent que le traitement de la demande de visa s’est déroulé sans anicroche jusqu’au 20 août 2013. Ce jour‑là, Rakesh Goel, un adjoint aux programmes du haut‑commissariat du Canada à New Delhi, aurait envoyé un courriel au demandeur lui enjoignant de produire de nombreux documents dans un délai de 45 jours, y compris des formulaires de demande et des certificats de bonne conduite à jour. Le demandeur nie avoir reçu ce courriel et on n’en trouve pas de copie dans le dossier certifié du tribunal [DCT]. M. Goel n’a pas joint de copie de ce courriel à son affidavit.

[3]               Dans une lettre datée du 12 février 2014, un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur. Après avoir signalé que le paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi], oblige les demandeurs à fournir tous les éléments de preuve et les documents pertinents qui sont raisonnablement requis, l’agent a indiqué que le demandeur n’avait produit aucun des documents qui lui auraient été demandés le 20 août 2013. L’agent a donc rejeté la demande en application du paragraphe 11(1) de la Loi et inscrit ce qui suit dans la lettre de refus : [traduction« Je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire et que vous: vous conformez à la Loi ».

[4]               La représentante du demandeur a reçu la lettre de refus le 28 février 2014. Elle a déclaré sous serment dans son affidavit qu’elle avait envoyé un courriel au bureau des visas le 3 mars 2014 pour indiquer qu’elle‑même et son client n’avaient jamais reçu de courriel daté du 20 août 2013. Elle a ajouté que son bureau s’était renseigné sur l’état du traitement de la demande du demandeur en octobre 2013 et qu’aucun problème non réglé n’avait été signalé. Elle a donc demandé au bureau des visas de rouvrir le dossier de la demande et de permettre à son client de produire les renseignements requis. Rien dans le DCT ne donne à penser que le bureau des visas a répondu à cette demande de rouvrir le dossier.

[5]               En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi, le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent de rejeter sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés fédéraux. Il demande à la Cour d’annuler la décision de l’agent et de renvoyer l’affaire à un agent des visas différent pour qu’il rende une nouvelle décision. Il demande aussi que des dépens de 5 000,00 $ lui soient octroyés.

II.                Questions en litige

[6]               La présente demande soulève les questions suivantes, qui seront examinées dans l’ordre où elles figurent ci‑dessous :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  L’agent a‑t‑il omis de respecter un principe de justice naturelle, l’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu par la loi d’observer?

3.                  Les dépens sont‑ils justifiés dans la présente affaire?

III.             Analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[7]               Le demandeur fait valoir que la norme de la décision correcte s’applique étant donné que la seule question en litige consiste à déterminer s’il était inéquitable au plan procédural qu’on attende de lui qu’il fournisse les renseignements qu’on lui aurait demandés dans un courriel qu’il n’a jamais reçu (en invoquant par exemple Trivedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 766 au paragraphe 9, 29 Imm LR (4e) 131 [Trivedi]).

[8]               Le défendeur admet que la norme de la décision correcte serait la norme de contrôle applicable si le demandeur prouve qu’il y a eu manquement au devoir d’équité procédurale.

[9]               Je suis d’accord que la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce parce que la question fondamentale à résoudre consiste à déterminer si le processus ayant mené au rejet de la demande de résidence permanente du demandeur a été inéquitable (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502).

B.                 L’agent a‑t‑il omis de respecter un principe de justice naturelle, l’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu par la loi d’observer?

[10]           Le demandeur fait valoir qu’il était inéquitable au plan procédural de s’attendre à ce qu’il fournisse des renseignements qui lui avaient été demandés dans un courriel qu’il n’a jamais reçu. Le demandeur et sa représentante ont affirmé sous serment dans leurs affidavits respectifs qu’ils n’ont jamais reçu de courriel daté du 20 août 2013. Dans ces circonstances, le demandeur fait valoir qu’il incombe au défendeur de prouver que l’avis a bel et bien été envoyé ou « acheminé » au demandeur (et invoque à l’appui la décision Caglayan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 485, au paragraphe 13, 408 FTR 192 [Caglayan]). Selon le demandeur, ce fait est normalement confirmé par la production d’une copie papier de la boîte des éléments envoyés de l’expéditeur, dans laquelle on peut vérifier que le message en cause a été envoyé à la bonne adresse de courrier électronique et que le courriel n’est pas « revenu » (et il invoque à l’appui la décision Ghaloghlyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1252 au paragraphe 10, 5 Imm LR (4e) 307 [Ghaloghlyan]).

[11]           Le demandeur fait remarquer que le défendeur n’a même pas fourni de copie du supposé courriel, encore moins d’imprimés qui auraient montré ledit courriel dans la boîte des éléments envoyés de M. Goel. Le défendeur s’en est tenu à présenter une simple affirmation de M. Goel, selon laquelle il a envoyé le courriel et il n’a reçu aucun avis que son expédition avait échoué, ce qui n’est pas suffisant, de l’avis du demandeur. Le demandeur invoque la décision Asoyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 206 au paragraphe 24 [Asoyan], dans laquelle le juge Peter Annis a affirmé que le défendeur « est au minimum requis de mettre en œuvre tous les mécanismes raisonnables offerts par les programmes de courriels pour veiller à ce que ses communications importantes soient bien reçues ».

[12]           Le demandeur allègue donc qu’il y a eu manquement au devoir d’équité procédurale. Étant donné qu’il n’a jamais reçu le courriel qui lui aurait été envoyé le 20 août 2013, son omission de fournir les documents demandés n’aurait pas dû être lui être reprochée pour les besoins de l’application du paragraphe 11(1) ou du paragraphe 16(1) de la Loi. Le demandeur ajoute que ses demandes de renseignements sur l’avancement du dossier de sa demande en octobre 2013 auraient dû amener le bureau des visas à constater qu’il n’avait jamais reçu de demande de documents et à lui renvoyer le courriel. De plus, le demandeur se plaint du fait que le bureau des visas aurait dû faire droit à sa demande de rouvrir son dossier après avoir appris qu’il n’avait pas reçu le courriel que l’agent allègue avoir envoyé (et il invoque à l’appui la décision Caglayan, au paragraphe 23).

[13]           Toutefois, selon le défendeur, le demandeur n’a pas prouvé qu’il n’a probablement jamais reçu le courriel du 20 août 2013. Le défendeur fait remarquer que les notes du SMGC indiquent que le courriel dans lequel des documents à jour ont été demandés a été envoyé le 20 août 2013 à « info@entrypointcanada.com », c’est‑à‑dire l’adresse de courriel qui avait été utilisée précédemment pour communiquer avec le demandeur. Le défendeur ajoute qu’il n’a reçu aucun avis indiquant que la livraison du courriel avait échoué. Le défendeur fait remarquer que M. Goel le confirme dans son affidavit, et que le demandeur a choisi de ne pas le contre‑interroger. Le défendeur soutient donc que le demandeur a probablement reçu le courriel et que la demande devrait être rejetée.

[14]           Voici un extrait des notes prises par M. Goel dans le SMGC en date du 20 août 2013 :

[traduction] Dossier électronique passé en revue sans le dossier sur papier. Le dossier paraît prêt pour la lettre de demande de documents médicaux et génériques. Lettre de demande et formulaires médicaux envoyés aujourd’hui par courrier électronique à l’adresse de courriel mise à jour. Les documents suivants ont été demandés : 1. IMM8 à jour; 2. annexe 1 à jour pour le demandeur et tous les membres de sa famille âgés de plus de 18 ans; 3. 5406 à jour pour le demandeur et tous les membres de sa famille âgés de plus de 18 ans; 4. documents sur la scolarité et formulaire sur l’historique des études pour les personnes à charge (si elles sont âgées de plus de 22 ans au moment de la demande); 6. preuve de fonds disponibles à jour; 7. preuves de bonne conduite pour tous les membres de la famille âgés de plus de 18 ans et couvrant la période écoulée depuis les dernières PBC; 8. historique des voyages du demandeur et de tous les membres de sa famille âgés de plus de 18 ans; 9. trois (3) photos de chaque demandeur; 10. adresse postale en Inde et renseignements pour les résidents du Népal; renseignements sur le PCII aussi envoyés à l’adresse postale. Confirmation du courriel est copiée/collée ci‑dessous : De : DELHI (IMMIGRATION); Envoyé le : 20 août 2013 à 9 h 38; À : ‘info@entrypointcanada.com’; Objet : DOSSIER : B057760835 NOM : PATEL, DHAMENDRAKUMAR CHANDRAKANTBHAI.

[15]           Toutefois, quand on consulte le DCT, on ne trouve aucune copie d’un courriel daté du 20 août 2013 et on n’y trouve pas non plus de copie d’une « lettre de demande » datée du même jour. De plus, la lettre de refus datée du 12 février 2014 renvoie à une lettre datée du 20 août 2013. Si on tient pour acquis qu’il s’agit de la lettre mentionnée dans les notes de M. Goel, son absence dans le DCT est de nature à corroborer la preuve du demandeur et de sa représentante voulant que ni l’un ni l’autre n’ont reçu de courriel daté du 20 août 2013. Il est pour le moins problématique qu’aucune copie du courriel qui aurait été envoyé à la représentante du demandeur ne se trouve dans le DCT. Je déduis également qu’aucune copie électronique de ce courriel n’a pu être trouvée dans la boîte des éléments envoyés de M. Goel ni nulle part ailleurs, étant donné qu’aucune copie n’a été jointe à l’affidavit de M. Goel.

[16]           Même lorsque l’obligation d’équité procédurale dont doit s’acquitter un décideur administratif est assez minime, comme c’est le cas en l’espèce en ce qui concerne la décision de l’agent, les personnes qui sont directement touchées par une décision administrative ont habituellement le droit de recevoir un avis suffisant afin qu’elles puissent participer valablement à la démarche (Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général), 2013 CF 918 aux paragraphes 58 à 60, 439 FTR 11; Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au paragraphe 45, [2011] 2 RCS 504; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au paragraphe 22, 174 DLR (4e) 193). Le contenu précis de l’avis exigé varie selon le type de décision. Mais au minimum, l’avis devrait habituellement faire en sorte que les personnes touchées [traduction« possèdent suffisamment d’information pour leur permettre de : (1) faire valoir elles-mêmes leurs moyens; (2) comparaître à une audience ou à une enquête (s'il y a lieu); (3) de réellement préparer leur propre cause et de savoir ce qu’elles devront prouver (le cas échéant) » (Donald JM Brown et l’honorable John M Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol 2, Toronto, Thomson Reuters, 2014 (édition sur feuilles mobiles, mise à jour en 2014), chapitre 9, au paragraphe 1, citant l’ouvrage d’Henry Woolf, Jeffrey Jowell et Andrew Le Sueur, De Smith’s Judicial Review, 6e éd., London, Sweet & Maxwell, 2007, au paragraphe 380).

[17]           En l’espèce, il est indubitable que le demandeur avait droit à un avis lui indiquant que sa demande serait rejetée s’il ne la mettait pas à jour, et le bureau des visas se serait acquitté de cette obligation en lui envoyant un courriel. Les principales questions à trancher sont donc celles de savoir ce qui doit être fait pour prouver qu’un courriel a bien été envoyé par un bureau des visas et qui doit supporter le risque d’échec d’une communication par courrier électronique. Le droit général en matière de défaillances dans les communications éclaire ces questions; il est donc utile d’examiner certaines des décisions pertinentes.

[18]           Il est utile de commencer par la décision Anwar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1202, 260 FTR 261 [Anwar]. La décision Anwar ne concerne pas une demande de visa, mais elle constitue un exemple d’un problème de communication semblable dans le contexte d’une audience sur une demande d’asile. Dans la décision Anwar, la Section de la protection des réfugiés a prononcé le désistement de la demande d’asile, parce que le demandeur ne s’était pas présenté à l’audience, et celui‑ci s’est plaint de n’avoir jamais reçu l’avis de l’audience. Même si l’avis avait été envoyé à la dernière adresse connue du demandeur d’asile, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire au motif qu’il « n’y [avait] aucune preuve au dossier du tribunal que le demandeur ou son avocat [avait] réellement reçu l’avis de comparaître malgré l’enquête effectuée par l’ancien avocat du défendeur » (Anwar, au paragraphe 21; le terme souligné se trouve en italiques dans l’original).

[19]           On peut faire une distinction entre la façon de procéder dans la décision Anwar et celle qui a été utilisée en ce qui concerne une demande de visa dans l’affaire Ilahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1399, 58 Imm LR (3e) 52 [Ilahi], dans laquelle un demandeur de visa s’est plaint de ne jamais avoir reçu un avis d’entrevue qui, selon les notes électroniques, lui avait été envoyé par la poste. Dans la décision Ilahi, la Cour a affirmé (au paragraphe 7) qu’il n’incombait pas au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] de prouver que l’avis avait été reçu. Toutefois, le ministre devait prouver que l’avis avait été envoyé, et la Cour (au paragraphe 8) a annulé la décision au motif que le ministre ne pouvait pas produire de copie de la lettre censée avoir été envoyée et qu’il n’avait pas présenté de preuve directe en ce qui concerne l’adresse à laquelle elle avait été expédiée.

[20]           La décision Ilahi a été suivie dans les affaires Sawnani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 206, 60 Imm LR (3e) 154 [Sawnani], et Pravinbhai Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 207 [Shah], mais en aboutissant à un résultat contraire. Dans les affaires Sawnani et Shah, il était question d’avis d’entrevue qui n’avaient supposément pas été reçus, malgré le fait que les bordereaux de confirmation de télécopie indiquaient que les documents avaient été reçus au bon numéro. La Cour a rejeté les demandes dans les affaires Sawnani et Shah, parce qu’elle a conclu que l’échec des communications était imputable aux destinataires.

[21]           Une situation similaire s’est présentée dans l’affaire Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 124, 79 Admin LR (4e) 195 [Yang], dans laquelle la demande de visa du demandeur avait été rejetée parce qu’il n’avait pas fournir les renseignements qu’on lui avait demandés par lettre. Le demandeur dans l’affaire Yang a invoqué la décision Anwar pour faire valoir que le ministre était tenu de prouver qu’il avait réellement reçu la lettre de demande, mais la Cour a établi une distinction entre cette affaire et l’affaire Anwar parce que dans cette dernière il s’agissait d’une demande d’asile. La Cour a conclu (aux paragraphes 13 à 15) qu’un fardeau insurmontable incomberait aux bureaux des visas si on leur imposait les mêmes exigences vu le nombre élevé de demandes qu’ils ont à traiter et compte tenu du fait que les demandeurs de visa déboutés pouvaient immédiatement présenter une nouvelle demande.

[22]           La jurisprudence précitée a été appliquée aux communications par courrier électronique dans la décision Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 935 [Kaur]. À l’image de la présente cause, la demande de visa dans l’affaire Kaur avait été rejetée parce que le demandeur n’avait jamais répondu à une demande de renseignements complémentaires envoyée par courriel. La Cour, qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire, a précisé ce qui suit :

[11]      La croyance de M. Hayer que le haut‑commissariat continuerait de communiquer avec lui par la poste régulière était plutôt hasardeuse, comme en attestent les faits. Il n’était pas raisonnable pour lui de s’attendre à ce que le haut‑commissariat infère, à partir de l’absence de mention d’une adresse de courriel dans sa dernière lettre, que son adresse de courriel ne soit plus en fonction. Mme Kaur et M. Hayer auraient pu éviter ce risque simplement en mentionnant au haut‑commissariat que l’adresse de courriel répertoriée précédemment n’était plus valide, exactement comme l’avait fait M. Hayer pour son adresse postale. Après tout, le courriel est un moyen de communication professionnel courant : il est rapide, efficace et fiable, et il n’était pas déraisonnable ou injuste de la part du haut‑commissariat de s’y être fié. Dans les circonstances, l’envoi avorté du courriel n’était attribuable qu’à la croyance injustifiée de M. Hayer ainsi qu’à son omission de fournir des coordonnées personnelles complètes et précises au haut‑commissariat.

[12]      En résumé, lorsqu’une lettre est envoyée correctement par un agent des visas à une adresse (électronique ou autre) fournie par un demandeur, que cette adresse n’a pas fait l’objet d’une révocation ou d’une révision, et qu’on a reçu aucun indice de la possibilité que la communication ait échoué, le risque de défaut de livraison repose sur les épaules du demandeur, et non du défendeur.

[23]           La décision Kaur a été suivie dans l’affaire Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 75 aux paragraphes 13 et 14, 362 FTR 277, dans laquelle la Cour a conclu que la responsabilité de l’échec de la communication incombait à la demanderesse et à son avocat.

[24]           À ce stade, les autres décisions qui méritent d’être signalées sont les suivantes : Abboud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 876 [Abboud], Yazdani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 885, 324 DLR (4e) 552 [Yazdani], Alavi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 969, 92 Imm LR (3e) 170 [Alavi], et Zare c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1024, [2012] 2 FCR 48 [Zare] [les affaires de Varsovie]. Les faits dans chacune de ces affaires sont similaires : des demandes de visa avaient été transférées d’un bureau des visas à Damas, en Syrie, à un autre situé à Varsovie, en Pologne, et le premier courriel du bureau de Varsovie à chacun des demandeurs contenait une demande de renseignements. Aucun des demandeurs n’a reçu ces courriels et les demandes de ceux‑ci ont été rejetées parce qu’ils n’avaient pas répondu.

[25]           La Cour a conclu, dans la décision Abboud (aux paragraphes 13 et 16) et dans la décision Alavi (aux paragraphes 10 et 11) que les courriels n’avaient pas été correctement envoyés, et elle a accueilli les demandes pour ce motif. On peut dire que la Cour est allée plus loin dans les décisions Yazdani et Zare.

[26]           Dans la décision Yazdani, la Cour a conclu (aux paragraphes 35 et 48) que, bien que les courriels aient été envoyés aux bonnes adresses, ils n’avaient pas été reçus en raison du fait que le réseau de communication par courrier électronique avait fait défaut pour des raisons inconnues. Après avoir passé en revue bon nombre des décisions précitées, la Cour a conclu que la question déterminante dans celles‑ci consistait à savoir qui, de l’expéditeur ou du destinataire, avait été jugé fautif. En accueillant la demande dans la décision Yazdani, la Cour a déterminé que la demanderesse n’avait commis aucune faute et que le ministre défendeur avait choisi d’envoyer des courriels importants pour la toute première fois à partir d’un nouveau bureau sans avoir mis en place des mesures de sauvegarde. Après avoir fait remarquer que l’emploi du courrier électronique est efficace et qu’il ne serait pas opportun de décourager son utilisation par les demandeurs, la Cour a conclu, dans la décision Yazdani, que le ministre devait assumer le risque d’une défaillance de la transmission des courriels.

[27]           Dans la décision Zare, la Cour a suivi la décision Yazdani et a résumé de la façon suivante le droit en la matière :

[48]      Lorsqu’un agent des visas envoie un courriel à un demandeur qui a fourni une adresse électronique, il existe une présomption que le courriel a été acheminé au destinataire prévu. Toutefois, lorsque le demandeur prouve au moyen d’éléments de preuve crédibles que le courriel n’a pas été reçu, la présomption est réfutée et il faut plus d’éléments pour établir que la demande envoyée par courriel a été communiquée ou dûment envoyée.

[49]      L’article 16 de la LIPR vise la demande d’un agent des visas faite à un demandeur. Une demande envoyée par courriel qui se perd n’est pas une demande faite à un demandeur au sens de l’article 16. Il est possible d’affirmer […] que la demande n’a pas été dûment envoyée.

[28]           La prochaine affaire digne de mention est la décision Ghaloghlyan, qui portait sur une demande fondée sur le paragraphe 25(1) de la Loi qui avait été rejetée parce que le demandeur n’avait jamais répondu à une lettre qui lui avait prétendument été envoyée par la poste. Dans la décision Ghaloghlyan, la Cour a examiné les décisions Kaur et Alavi et a conclu (au paragraphe 8) comme suit : « sur preuve que, selon la prépondérance des probabilités, un document a été envoyé, il existe une présomption réfutable que le demandeur concerné l’a reçu, et l’affirmation du demandeur voulant qu’il n’ait pas reçu le document ne réfute pas, à elle seule, la présomption ». La Cour a ajouté les observations ci‑dessous :

[9]        La question qui se pose est donc la suivante : que faut‑il pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’un document a été envoyé? À mon avis, afin de conclure qu’un document a été « envoyé correctement », au sens où cette expression est employée dans la décision Kaur, il doit avoir été envoyé à une adresse fournie par le demandeur, par un moyen qui permet de vérifier que le document a bel et bien été acheminé au demandeur.

[10]      Par exemple, en ce qui concerne les documents, il est possible de prouver qu’une lettre a été acheminée en l’envoyant par courrier recommandé et en produisant de la documentation attestant la manière dont l’envoi a été fait, ou en produisant un affidavit souscrit par la personne qui a posté la lettre. On peut prouver qu’une télécopie a été acheminée en produisant un relevé des messages envoyés par télécopie confirmant l’envoi. L’envoi d’un courriel peut être prouvé par la production d’une copie papier de la boîte d’envoi de l’expéditeur indiquant que le message en cause a été envoyé à l’adresse de courriel fournie à des fins d’envoi, et qu’il n’y a pas eu d’avis d’échec de livraison, c’est‑à‑dire que le courriel n’est pas « revenu ». D’autres preuves qu’un document a été acheminé pourraient suffire; la décision dans chacun des cas varie selon les éléments de preuve présentés. [Souligné dans l’original]

[29]           La jurisprudence concernant les défaillances dans les communications a également été examinée dans la décision Caglayan, dans laquelle il était question d’une lettre envoyée par la poste qui n’avait pas été reçue par un demandeur qui n’avait rien à se reprocher. Après avoir examiné la jurisprudence, la Cour a conclu (au paragraphe 15) que « le défendeur n’a pas seulement l’obligation d’acheminer la lettre au destinataire, mais aussi celle de choisir un moyen de communication fiable et efficace ». Cependant, après avoir établi ce principe, la Cour a confirmé (au paragraphe 19) que c’était le demandeur qui devait assumer le risque de non‑réception et elle a également écarté toute interprétation contraire de la décision Yazdani. La Cour a donc rejeté la demande dans la décision Caglayan, mais elle a incité le défendeur à la réexaminer.

[30]           Une situation semblable à celle de l’affaire Caglayan s’est produite dans Halder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1346, 14 Imm LR (4e) 289 [Halder], et la Cour a de nouveau confirmé (au paragraphe 48) que « le risque d’un défaut de communication repose sur les épaules du demandeur si le défendeur est en mesure de montrer que, selon la prépondérance des probabilités, la communication a été envoyée et, deuxièmement, si le défendeur n’avait aucune raison de croire que la communication avait échoué ».

[31]           Les faits étaient légèrement plus compliqués dans l’affaire Trivedi que dans la plupart des décisions précitées. Dans l’affaire Trivedi, un agent d’immigration avait envoyé une demande de renseignements supplémentaires à l’ancienne adresse résidentielle de la demanderesse, plutôt qu’à son adresse postale, et la lettre a été retournée sans avoir été livrée. L’agent a donc envoyé un courriel à la demanderesse pour lui demander de mettre à jour ses adresses, mais ses directives sur la façon de procéder étaient ambiguës. La demanderesse a tenté de mettre à jour ses adresses, mais elle n’est pas parvenue à le faire correctement. Quoi qu’il en soit, la Cour a conclu que l’agent avait commis une erreur en envoyant la lettre à l’adresse de la résidence de la demanderesse, plutôt qu’à son adresse postale, et que sa demande de fournir une adresse à jour n’avait pas remédié à son erreur, parce que dans celle‑ci il n’avisait pas la demanderesse qu’elle devait envoyer de nouveaux documents. Avant de formuler cette conclusion, la Cour a fait la mise en garde suivante (au paragraphe 53) : le fait « qu’il n’y aurait pas eu de rejet de la demande de résidente permanente “ n’eût été ” l’omission de la demanderesse de répondre dûment au courriel du 22 août, alors que c’est le défendeur qui avait l’obligation de fournir un avis de l’exigence de fond qui est en cause en l’espèce » n’avait pas d’importance. La Cour a envisagé d’octroyer les dépens à la demanderesse et a critiqué le « choix de porter l’affaire en justice jusqu’à sa conclusion sur le fondement d’un principe (…), plutôt que de reconnaître simplement [l’]erreur » (Trivedi au paragraphe 60) du ministre défendeur. Toutefois, dans la décision Trivedi la Cour a refusé d’accorder les dépens, parce qu’« on ne peut pas dire que le droit est parfaitement établi sur ce point » (Trivedi, au paragraphe 61).

[32]           Dans l’affaire Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 856 [Patel], la Cour était saisie de deux refus de demandes de visas parce que des demandes de renseignements envoyées par courriel n’avaient jamais été reçues. La Cour a rejeté ces demandes de contrôle judiciaire, étant donné que le ministre avait prouvé que les courriels avaient été envoyés conformément aux lignes directrices énoncées dans la décision Ghaloghlyan (aux paragraphes 8 à 10) et que les faits en cause dans les affaires de Varsovie pouvaient être distingués des faits en l’espèce, car le défendeur n’était responsable d’aucune défaillance dans les communications.

[33]           Outre les décisions Asoyan, Caglayan et Ghaloghlyan, le demandeur invoque la décision non publiée de la Cour dans l’affaire Grenville c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1er décembre 2014), Ottawa, IMM‑1642‑14 (CF) [Grenville]. Le jugement Grenville, qui suit entre autres les décisions Zare et Ghaloghlyan, énonce un critère à deux volets qui permet de déterminer si une défaillance dans les communications constitue un manquement à l’équité procédurale :

[traduction] [P]remièrement, le défendeur doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la communication a été envoyée correctement au demandeur ou qu’elle « a été acheminée », ce qui fait naître la présomption que le demandeur a reçu la communication; et deuxièmement, le demandeur peut réfuter cette présomption s’il établit qu’il n’a pas reçu la communication.

Dans ce jugement, on peut également lire qu’une simple déclaration selon laquelle un courriel n’a pas été reçu ne suffit pas à réfuter la présomption, mais que le demandeur peut y parvenir « s’il présente en outre une preuve à partir de son ordinateur, soit une capture d’écran de la boîte de réception et de la boîte d’éléments supprimés pour montrer que le courriel n’a pas été reçu ». Le demandeur dans l’affaire Grenville l’avait fait et le défendeur n’avait produit aucune preuve que le courriel avait été envoyé. La demande de contrôle judiciaire a donc été accueillie dans cette affaire, mais aucuns dépens n’ont été octroyés au demandeur pour les mêmes motifs que dans la décision Trivedi.

[34]           Dans l’affaire Asoyan, la Cour a remis en question une partie du droit sur la question des défaillances dans les communications par courriel. Dans cette affaire, le bureau des visas avait envoyé deux courriels à la demanderesse à environ un mois d’intervalle, le premier accusant réception de sa demande et le deuxième lui demandant des documents supplémentaires. La demanderesse n’a jamais reçu ni l’un ni l’autre des courriels. Toutefois, dans le délai qui lui était imparti pour répondre au deuxième courriel, elle a demandé au bureau des visas d’accuser réception de sa demande, ce qu’il a fait en lui renvoyant le premier courriel. En fin de compte, sa demande a été refusée par l’agent des visas en raison du fait que la demanderesse avait omis de donner suite au deuxième courriel, mais sa demande de contrôle judiciaire a été accueillie. La Cour a conclu (aux paragraphes 17 à 19) que le fait que la demanderesse ait demandé un accusé de réception après qu’un tel document lui eut déjà été envoyé aurait dû indiquer au bureau des visas que ses courriels n’avaient pas été reçus et que la responsabilité des défaillances dans les communications incombait donc au défendeur, conformément à la décision Kaur. Toutefois, la Cour est allée plus loin dans la décision Asoyan (aux paragraphes 20 à 26) dans laquelle elle a remis en question l’idée que le destinataire d’un courriel devrait supporter le risque d’une défaillance dans les communications. Comme dans les décisions Yazdani et Zare, la Cour a conclu que la règle était indûment stricte quand le demandeur n’avait commis aucune faute, et elle a formulé deux autres observations. Premièrement, selon la règle générale en common law, il incombe à l’expéditeur de prouver qu’une lettre s’est bien rendue au destinataire, et ce n’est qu’avec l’arrivée des télécopieurs que la règle a été modifiée parce que la réception pouvait être confirmée par le télécopieur du destinataire. Il n’existe aucune garantie de cette nature dans les communications par courrier électronique. Deuxièmement, la Cour a fait remarquer que des programmes de courrier électronique comme Microsoft Outlook sont dotés de mécanismes permettant de demander aux destinataires d’accuser réception d’un courriel, et la Cour s’est dite d’avis que les bureaux des visas devraient s’en servir.

[35]           L’affaire digne de mention la plus récente est la décision Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 503 [Khan]. Dans celle‑ci aussi, la demanderesse n’avait jamais reçu la lettre lui demandant des documents supplémentaires; la Cour a essentiellement suivi les décisions Kaur et Yang et a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Ce qui compliquait les choses dans l’affaire Khan, c’était le fait que la demanderesse avait été avisée par téléphone au sujet d’un des documents requis et que, dans la lettre d’accompagnement qu’elle a jointe à celui‑ci quand elle l’a fourni, elle a demandé ce qui suit au bureau des visas : [traduction« Veuillez me faire savoir s’il y a d’autres documents qu’il me faudrait produire » (Khan, au paragraphe 6). La Cour a jugé que cette demande de la part de la demanderesse n’était pas suffisante pour signaler que la première lettre n’avait pas été reçue et elle a conclu que la demanderesse n’avait pas « réfuté la présomption voulant qu’elle ait reçu les documents en question » (Khan, au paragraphe 19).

[36]           Même si certaines des décisions précitées ont tenté de concilier les conclusions tirées dans la jurisprudence, il reste que celle‑ci n’est pas en tout point cohérente. Le premier courant jurisprudentiel énonce essentiellement qu’il incombe au ministre de prouver deux choses : (1) que la communication contestée a été envoyée à une adresse de courrier électronique fournie par le demandeur; (2) que rien n’indique que la communication a échoué ou est revenue. Si ces deux choses ont été prouvées, il n’importe pas que le demandeur ait reçu ou non la communication, étant donné que le défendeur s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale (voir par exemple Kaur, au paragraphe 12; Yang, aux paragraphes 8 et 9; Alavi, au paragraphe 5; Halder, au paragraphe 48; Patel, au paragraphe 16; Khan, au paragraphe 13).

[37]           Toutefois, dans les décisions Yazdani et Zare, la Cour était convaincue que le ministre défendeur avait envoyé les courriels aux bonnes adresses, mais elle a quand même accueilli les demandes de contrôle judiciaire. Dans la décision Yazdani, la conclusion de la Cour se fondait en partie sur une analyse de la faute, mais la Cour est allée plus loin dans l’affaire Zare, dans la mesure où elle a déterminé qu’une demande envoyée par courriel par un agent des visas qui s’est perdue « n’a pas été dûment envoyée » (Zare, au paragraphe 49). C’est aussi ce qu’on constate dans la décision Ghaloghlyan, dans laquelle la Cour a affirmé ce qui suit (au paragraphe 8) : « sur preuve que, selon la prépondérance des probabilités, un document a été envoyé, il existe une présomption réfutable que le demandeur concerné l’a reçu, et l’affirmation du demandeur voulant qu’il n’ait pas reçu le document ne réfute pas, à elle seule, la présomption » (non souligné dans l’original). Vu que la réception est une présomption réfutable, il importe réellement de savoir si le demandeur a reçu le message et c’est ce raisonnement qui a été suivi dans la décision Grenville.

[38]           La décision Caglayan tente de concilier ces deux courants jurisprudentiels en énonçant que le ministre assume le risque « lorsqu’une preuve objective que la correspondance n’a pas été reçue en raison d’un problème de transmission qui a été démontré » (Caglayan, au paragraphe 15), mais, en fin de compte, la Cour saisie de l’affaire Caglayan a conclu (au paragraphe 19) que le demandeur doit assumer le risque de la non‑livraison dans tous les cas où la preuve n’établit pas une faute de la part d’une partie quelle qu’elle soit. Cette approche pourrait peut‑être se concilier avec celle axée sur la faute retenue dans la décision Yazdani, mais elle demeure contraire à au moins certaines des observations formulées dans la décision Zare.

[39]           En dernier lieu, il convient de faire remarquer que, bien que dans la décision Asoyan la Cour ait appliqué la première approche, les observations incidentes qu’on y trouve s’accordent manifestement avec la deuxième approche.

[40]           Compte tenu de ce qui précède, il semble suivant l’opinion majoritaire de la Cour, le risque de défaillance incombe au destinataire quand il s’agit de communications par courrier électronique; cependant, les arguments de principe énoncés dans les décisions Yazdani et Asoyan qui suggèrent une démarche inverse paraissent aussi convaincants. La principale raison invoquée pour faire assumer le risque par le destinataire a été énoncée comme suit dans la décision Yang :

[14]      […] il existe de bonnes raisons d’accorder préférence au point de vue du juge O’Reilly [dans la décision Ihali] compte tenu des faits de l’affaire dont je suis saisie. Une des raisons porte sur le nombre seul de demandes traitées chaque jour par de multiples bureaux de CIC. S’assurer que chaque avis a été reçu imposerait un fardeau insurmontable à CIC et aurait, sans aucun doute, une incidence négative sur l’aptitude de CIC de traiter rapidement les demandes.

[41]           Toutefois, étant donné que l’affaire Yang concerne le courrier ordinaire et non le courrier électronique, la solution de rechange coûteuse envisagée était le courrier recommandé. Les coûts que nécessitent la preuve de la réception d’un courriel sont beaucoup moindres que ceux de la poste traditionnelle, et la solution suggérée par la Cour dans la décision Asoyan, quand elle a invité les bureaux des visas à se servir des mécanismes intégrés aux programmes de courrier électronique pour exiger que les destinataires accusent réception d’un courriel, pourrait être mise en application pratiquement à coût nul et pourrait être programmée automatiquement.

[42]           Mais en l’espèce, il n’est pas nécessaire de choisir entre les deux courants jurisprudentiels décrits ci‑dessus. Le défendeur n’a même pas produit de copie du présumé courriel, et l’affidavit de M. Goel n’est pas accompagné d’un imprimé de sa boîte d’éléments envoyés qui aurait pu confirmer que l’un ou l’autre des courriels avait été envoyé à la bonne adresse (Ghaloghlyan, aux paragraphes 10 et 11). Dans son affidavit, M. Goel explique les notes qu’il a prises dans le SMGC, mais même dans la décision Ilahi (au paragraphe 8), la Cour a confirmé que le défendeur ne pouvait pas simplement s’en remettre à des notes électroniques pour prouver qu’un document avait été envoyé à la bonne adresse. Le fait que le défendeur n’a pas prouvé que le courriel a été envoyé constitue un manquement au devoir d’équité procédurale selon les deux courants jurisprudentiels.

C.                 Les dépens sont‑ils justifiés dans la présente affaire?

[43]           Le demandeur soutient qu’il a droit aux dépens dans les circonstances de l’espèce. À mon avis, l’erreur de procédure est devenue évidente après ses demandes de renseignements sur l’état du dossier, et le bureau des visas aurait dû simplement rouvrir l’affaire, au lieu de forcer le demandeur à présenter une demande de contrôle judiciaire coûteuse (et il invoque à l’appui la décision Trivedi, aux paragraphes 59 et 60).

[44]           Le défendeur affirme quant à lui que l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, milite en faveur d’une décision de ne pas octroyer les dépens, et qu’il n’existe aucune raison spéciale qui justifierait que j’écarte cette règle (et il invoque notamment à l’appui la décision Ndungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 208 au paragraphe 7, 423 NR 228).

[45]           Toutefois, en l’espèce, il est clair que le demandeur a appris le 28 février 2014 que sa demande avait été rejetée, que sa représentante a avisé sans délai l’agent trois jours plus tard qu’elle‑même et le demandeur n’avaient reçu ni lettre ni courriel datés du 20 août 2013, et qu’elle a demandé que le dossier de la demande soit rouvert pour que les renseignements exigés puissent être fournis.

[46]           Selon la preuve en l’espèce, la lettre ou le courriel en cause n’a jamais été envoyé au demandeur ni à sa représentante. Même s’il est raisonnable d’imaginer que les agents d’immigration peuvent commettre des erreurs lorsqu’ils traitent des milliers de demandes de visa provenant de partout dans le monde, si la preuve montre sans équivoque qu’il y a eu une erreur, celle‑ci devrait être corrigée. En l’espèce, le défendeur aurait dû le faire en rouvrant le dossier de la demande pour recevoir les documents exigés.

[47]           Le défendeur n’aurait pas dû s’opposer à la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Le demandeur a présenté une preuve claire du fait qu’il n’a pas reçu le courriel ou la lettre lui demandant des documents supplémentaires. Étant donné qu’aucune copie de ce courriel n’a pu être trouvée, le défendeur aurait dû admettre que ce courriel ou cette lettre n’avait pas été envoyé de la bonne façon dès que la représentante du demandeur a avisé le bureau des visas qu’aucun courriel ni lettre n’avait été reçu. Si le dossier de la demande avait été rouvert comme l’a demandé le demandeur et comme la Cour a exhorté le défendeur à le faire à plusieurs reprises (Caglayan, aux paragraphes 22 et 23; Patel, au paragraphe 23; Trivedi, au paragraphe 59), l’audience tenue devant la Cour n’aurait pas été nécessaire. Pour ce motif, il existe des raisons spéciales d’octroyer les dépens au demandeur (voir Dhoot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1295 au paragraphe 19, 57 Imm LR (3e) 153). En outre, la présente espèce n’est pas identique aux affaires Trivedi ou Grenville; la première portait sur une question de causalité relativement nouvelle et, dans la deuxième, aucune jurisprudence claire n’a influé sur l’issue. Par contre, l’issue de la présente affaire s’appuie sur les décisions Ilahi et Ghaloghlyan. Par conséquent, les dépens sont accordés au demandeur sous forme d’une somme forfaitaire fixée à 3 000 $, débours et taxes compris.

IV.             Conclusion

[48]           En fin de compte, la demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent afin qu’il rende une nouvelle décision. Ni l’une ni l’autre des parties n’ayant proposé de question à certifier, la Cour n’en certifie aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent afin qu’il rende une nouvelle décision; aucune question grave de portée générale n’est certifiée et le demandeur a droit aux dépens liés à la présente demande sous forme d’une somme forfaitaire fixée à 3 000 $, débours et taxes compris.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2786‑14

 

INTITULÉ :

DHARMENDRAKUMAR CHANDRAKANTBHAI PATEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

lE 23 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Karen Kwan Anderson

 

POUR LE demandeur

 

Christopher Crighton

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pace Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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