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Date : 20150714


Dossier : IMM‑6383‑14

Référence : 2015 CF 849

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

PAVITHRAN PAUL JOSEPH SELVARASU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 8 août 2014 par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle il a été établi que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). La SPR a conclu que les questions déterminantes étaient celles de l’identité et de la crédibilité. Le demandeur fait valoir que l’appréciation de la preuve par la SPR en ce qui concerne son identité, ainsi que son appréciation de sa crédibilité et de son profil de risque résiduel étaient toutes deux déraisonnables.

[2]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à la SPR pour qu’un commissaire différent rende une nouvelle décision.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka, d’origine ethnique tamoule. Il est originaire de la ville de Batticaloa, mais il a déménagé à Jaffna pour étudier l’anglais dans une école de langues privée afin de pouvoir passer ses examens d’anglais. Il allègue que le 24 novembre 2012 des militaires se sont présentés dans l’immeuble où il étudiait pour contrôler les pièces d’identité de toutes les personnes présentes. Aucune d’entre elles n’a eu de problème lors du contrôle. Toutefois, le 27 novembre 2012, soit la journée des héros des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET), une émeute a eu lieu à l’Université de Jaffna, et le demandeur a été arrêté parce qu’il était un étudiant de l’extérieur de la province. Il a été placé en détention, il a été sévèrement battu, et il a été remis en liberté le lendemain. Sur les conseils de son père, et comme il n’avait rien fait de mal, il a ensuite repris ses études.

[4]               Le demandeur allègue que le 21 janvier 2013, il a de nouveau été arrêté par les militaires, le soir, à son retour de l’école. Il allègue avoir été torturé pendant quatre jours dans un camp militaire. Il s’est entendu avec ses geôliers pour que ceux‑ci le libèrent le 25 janvier 2013 afin qu’il puisse rencontrer son oncle, à la condition qu’il revienne au lieu de détention le même soir. Il a été détenu de nouveau, cette fois pendant dix mois, et il a été forcé de travailler à la mise au point d’un logiciel pour les militaires dans lequel il a subséquemment reçu l’ordre d’entrer des données au sujet de familles tamoules.

[5]               Le demandeur a été remis en liberté le 12 décembre 2013 afin qu’il puisse voir sa famille. On lui a ordonné de retourner au lieu de détention le 29 décembre 2013, mais son père a plutôt pris des dispositions pour qu’il quitte le Sri Lanka à destination du Canada. Il est parti du Sri Lanka le 26 décembre 2013 et il a fait escale en France pendant quatre jours avant d’arriver aux États‑Unis. Il est demeuré à Vive La Casa, un refuge pour demandeurs d’asile situé à Buffalo, jusqu’à ce qu’il franchisse la frontière pour entrer au Canada, le 25 février 2014, où il a demandé l’asile. 

II.                Décision de la SPR

[6]               La SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Les questions déterminantes étaient celles de l’identité et de la crédibilité.

[7]               Pour commencer, la SPR a traité de l’absence de crédibilité du demandeur en ce qui concerne son identité compte tenu des éléments de preuve présentés. Le demandeur n’a pas produit de passeport sri‑lankais pour établir qu’il est un citoyen de ce pays, et la SPR a conclu que son récit sur l’existence d’un passeport sri‑lankais n’était pas crédible; dans son témoignage, il a déclaré avoir été forcé de le remettre à un agent en France. Le demandeur a fait des déclarations incohérentes au sujet de la délivrance du passeport : au cours de la première séance de l’audience, il a indiqué que son passeport avait été obtenu de façon régulière alors qu’à la deuxième séance de l’audience il a indiqué qu’il avait été obtenu grâce à un pot‑de‑vin. Il a expliqué qu’il n’était pas au courant du pot‑de‑vin avant d’avoir parlé à son père après la première séance. Le tribunal n’a pas cru cette explication, et il a conclu qu’il était invraisemblable qu’il n’ait pas été mis au courant – ni fait de démarches pour s’informer – de la façon dont son passeport avait été obtenu. Le tribunal a également indiqué qu’il n’était pas plausible qu’une lettre que son père lui avait envoyée pour lui donner des explications au sujet de ses pièces d’identité n’ait pas aussi fait mention du fait que des militaires s’étaient récemment présentés à la maison familiale à sa recherche, alors que ces faits étaient pertinents en ce qui concerne la demande du demandeur.

[8]               La SPR a également constaté que le demandeur n’a pas produit l’original de sa carte d’identité nationale (CIN) et a estimé que l’existence de cette carte n’avait pas été établie faute d’éléments de preuve crédibles suffisants. Le demandeur a produit une copie certifiée conforme de sa CIN, mais la SPR n’a pas jugé qu’il s’agissait d’un document fiable. Le demandeur a déclaré sous serment au cours de la première séance de l’audience qu’un avocat au Sri Lanka avait certifié la copie après que le demandeur eut quitté le Sri Lanka avec l’original. Il a ensuite changé son témoignage pendant la deuxième séance de l’audience après avoir consulté son père et il a confirmé que la copie avait été certifiée à l’aide de l’original de la CIN avant que le demandeur quitte le Sri Lanka. La SPR n’a pas accepté cette explication.

[9]               La SPR a également jugé sujet à caution un certificat du registre des naissances produit par le demandeur parce qu’il avait été délivré en 2012 et que le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le certificat avait été délivré à cette date.

[10]           Dans l’ensemble, la SPR a jugé que le demandeur avait adapté son histoire selon les besoins au cours de l’audience.

[11]           La SPR a en outre jugé que les conclusions tirées par les autorités américaines et au point d’entrée au Canada n’aidaient pas à établir l’identité du demandeur, et que la capacité du demandeur de parler tamoul et anglais n’était pas suffisante pour prouver son identité.

[12]           La SPR a ensuite traité du fait que l’explication fournie par le demandeur quant à ses craintes d’être persécuté n’était pas crédible. Elle a d’abord jugé qu’il n’était pas possible d’établir un lien entre l’identité et la crainte de persécution. La SPR a ensuite conclu que des questions importantes concernant la crédibilité du récit du demandeur quant à sa crainte de persécution n’avaient pas été réglées.

[13]           La SPR a fait remarquer qu’une lettre fournie par le demandeur rédigée par son évêque contredisait son témoignage en ce qui concerne la période pendant laquelle il avait été détenu. La SPR a estimé que l’explication fournie par le demandeur ne permettait pas de dissiper cette contradiction. Il y avait aussi des omissions importantes dans l’histoire que le demandeur a racontée aux fonctionnaires américains au cours de l’entrevue visant à établir si sa crainte était crédible, car le demandeur ne leur a pas dit qu’il avait été détenu pendant dix mois en 2013. Le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas dévoilé ce renseignement sur les conseils de son avocat, mais il n’a fourni aucun élément de preuve émanant de celui‑ci pour justifier cette explication, ce que la SPR n’a pas jugé acceptable. La SPR a également estimé non crédible le récit du demandeur concernant le fait que les militaires lui auraient implanté une micropuce pour surveiller ses déplacements qui aurait été subséquemment retirée. Le demandeur a affirmé qu’on la lui avait retirée dans une certaine ville, mais la lettre de la clinique faisait mention d’une ville différente (quoique limitrophe). Là encore, la SPR n’a pas retenu l’explication qu’il a donnée au sujet de cette incohérence.

[14]           La SPR a en outre accordé peu de poids aux rapports médicaux que le demandeur a produits. Le premier rapport ne contient aucun avis indiquant que les cicatrices du demandeur étaient compatibles avec les traumatismes qu’il a décrits. La SPR a par ailleurs estimé que le deuxième rapport, celui du psychiatre du demandeur, ne dissipait pas ses préoccupations quant à la crédibilité du demandeur et que ce dernier donnait un avis sur la question juridique que la SPR était chargée de trancher.

[15]           Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il existait une possibilité raisonnable qu’il soit persécuté s’il retournait au Sri Lanka ou qu’il soit personnellement exposé au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être torturé ou que sa vie soit menacée ou qu’il subisse des traitements ou peines cruels et inusités. La SPR s’en est remise à la documentation sur les conditions nationales et a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir une identité correspondant à l’un des profils de risque dont il est question dans celle‑ci. En dernier lieu, la SPR a jugé qu’il n’y avait pas de profil de risque résiduel applicable de la nature que décrivait le demandeur correspondant à celui d’un jeune homme d’origine tamoule de la province de l’Est qui a déjà travaillé pour une ONG et qui deviendrait un demandeur d’asile débouté et refoulé du Canada.

III.             Arguments du demandeur

[16]           Le demandeur fait d’abord valoir que la SPR a commis une erreur en ce qui concerne la détermination de son identité en ignorant ou en rejetant de façon arbitraire tous les éléments de preuve qui auraient permis d’établir son identité. Certes, l’article 106 de la LIPR et l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (les règles de la SPR), obligeaient la SPR à s’interroger sur l’identité du demandeur, mais il y avait amplement d’éléments de preuve établissant son identité en l’espèce. De plus, les autorités américaines et canadiennes avaient conclu qu’il avait établi son identité.

[17]           Le demandeur fait ensuite valoir que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a apprécié la crédibilité du demandeur en permettant que ses conclusions concernant l’identité colorent son appréciation de sa crédibilité, en se livrant à un examen exagérément microscopique, en invoquant des incohérences qui n’étaient pas importantes, et en refusant de tenir compte d’explications raisonnables et d’éléments de preuve qui remédiaient aux incohérences. La SPR a expressément conclu que l’absence de passeport était un facteur négatif au plan de la crédibilité – une inférence qui, fait valoir le demandeur, a été jugée déraisonnable par notre Cour (Nishanthan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1673 au paragraphe 28) –, et qu’il n’était pas plausible que l’agent ait confisqué son passeport. La SPR a également tiré une inférence négative de l’explication donnée par le demandeur au sujet de la manière dont son passeport avait été obtenu. Le demandeur a affirmé clairement au cours de la première séance qu’il n’avait aucun renseignement à ce sujet et que la seule information dont il disposait lui venait de son père. Il a ensuite fourni les bons renseignements obtenus de son père au cours de la deuxième séance. Le demandeur plaide également que la SPR a rejeté son explication en concluant à tort que son histoire était invraisemblable.

[18]           Le demandeur affirme en outre que les conclusions de la SPR concernant la CIN étaient déraisonnables. Le demandeur a produit une copie certifiée conforme et il a expliqué pourquoi il n’avait pas l’original de sa CIN ni de document établissant que les autorités américaines l’avaient confisquée. La SPR n’était pas autorisée à tirer des inférences négatives du fait qu’il n’avait pas l’original.

[19]           Le demandeur est d’avis que la conclusion de la SPR au sujet du certificat de naissance était déraisonnable étant donné que le demandeur a fourni des explications concernant la date de la délivrance en 2012, et que l’année de sa délivrance n’est pas un élément pertinent.

[20]           Le demandeur allègue que la SPR a commis une autre erreur en rejetant le rapport médical de la clinique où on lui a retiré la micropuce, simplement parce qu’il s’était trompé de nom de ville et qu’il avait fait mention de la ville limitrophe. Il était également déraisonnable de la part de la SPR de rejeter la lettre de son père en raison de renseignements qu’elle ne contenait pas, au lieu de s’attarder aux renseignements qui s’y trouvaient. La SPR n’a pas adéquatement tenu compte des conclusions à laquelle sont arrivées les autorités canadiennes et américaines en ce qui concerne son identité, elle a omis de prendre en considération l’ensemble de la preuve pertinente concernant son identité, et elle a commis des erreurs fatales dans ses conclusions sur la crédibilité et l’identité, lesquelles ont influé sur le reste de sa décision en ce qui concerne le risque auquel le demandeur serait exposé au Sri Lanka.

[21]           En dernier lieu, le demandeur affirme que la SPR a commis une erreur dans l’évaluation de son profil de risque résiduel, et qu’elle aurait dû tenir compte de la preuve qui démontrait qu’une personne possédant le profil du demandeur (un demandeur d’asile débouté ou une personne qui avait déjà travaillé pour une ONG) était exposée à un risque au Sri Lanka.

IV.             Arguments du défendeur

[22]           Le défendeur fait valoir en premier lieu que le demandeur n’a pas prouvé son identité, comme l’exigent l’article 106 et le paragraphe 100(4) de la LIPR ainsi que l’article  7 des Règles de la SPR. Le demandeur doit établir son identité par prépondérance des probabilités, ce que le demandeur n’a pas réussi à faire en l’espèce. Le défendeur affirme que la SPR a tenu compte de l’ensemble de la preuve et a justifié le rejet de la demande.

[23]           Premièrement, le récit de la façon dont le demandeur aurait obtenu son passeport n’était pas crédible. Son témoignage a changé entre la première et la deuxième séance de l’audience. De plus, il n’était pas plausible que le demandeur ne se soit pas renseigné sur la façon dont son passeport avait été obtenu avant de quitter le pays ou quand il est arrivé aux États‑Unis ou au Canada. L’explication selon laquelle le demandeur était un jeune homme qui dépendait toujours grandement de son père, en particulier du fait de la culture dans laquelle il a grandi, n’est pas une explication valable, et aucun élément de preuve n’a été produit à ce sujet. De plus, la SPR n’est pas liée par les motifs qui ont incité les autorités américaines et canadiennes à accepter l’identité du demandeur.

[24]           Deuxièmement, la SPR a rejeté à juste titre la copie certifiée de la CIN du demandeur au motif qu’il ne s’agissait pas d’une preuve fiable de son identité. Le demandeur n’a pas pu prouver que les autorités américaines avaient sa CIN en leur possession, et il a rendu des témoignages contradictoires sur la façon dont la copie qu’il a produite aurait été certifiée.

[25]           Troisièmement, le certificat de naissance n’était pas une preuve satisfaisante de l’identité, étant donné qu’il avait été délivré en 2012 et que le demandeur n’a pas pu expliquer de façon satisfaisante pourquoi il avait été délivré à cette date.

[26]           Le défendeur fait également valoir que les conclusions générales de la SPR quant à la crédibilité sont raisonnables. Il est vrai que le demandeur a donné des explications, mais celles‑ci ont été examinées minutieusement par la SPR qui les a rejetées. Le fait que le demandeur a fourni d’autres éléments de preuve lors de la deuxième séance montre qu’il adaptait son récit à mesure que l’audience avançait. La SPR a tenu compte de son explication au sujet des incohérences par rapport aux documents américains et, agissant raisonnablement, la SPR ne l’a pas acceptée. La SPR a expliqué pourquoi elle avait rejeté la lettre du père en raison de l’absence de renseignements cruciaux, et elle a conclu que le demandeur adaptait son histoire en fonction des questions soulevées par la SPR. La SPR a raisonnablement rejeté le premier rapport médical, à cause des incohérences que comportaient le témoignage du demandeur et les éléments de preuve produits. Elle n’a pas commis d’erreur en tenant compte du fait que les dates mentionnées lors du témoignage du demandeur et dans la lettre de l’évêque ne concordaient pas, et en rejetant l’explication qu’a donnée le demandeur à ce sujet. Enfin, la SPR avait le droit de rejeter les deux autres rapports médicaux, estimant qu’ils n’étayaient pas de manière satisfaisante les allégations du demandeur.

[27]           En terminant, le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucune erreur révisable dans l’appréciation du profil du demandeur ni dans la conclusion qui a été tirée à ce sujet. La conclusion de la SPR était compatible avec ses conclusions concernant la crédibilité et l’identité du demandeur. Le tribunal a raisonnablement conclu que rien ne permettait de conclure que l’on pouvait associer le demandeur à l’un des profils de risque établis par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), et que le simple fait qu’il était un homme d’origine tamoule du Nord ou de l’Est du Sri Lanka n’était pas suffisant.

V.                Questions en litige

[28]           Le demandeur affirme que la présente affaire soulève les questions suivantes :

1.                       Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                       La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’identité du demandeur?

3.                       La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

4.                       La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation du profil de risque résiduel du demandeur?

VI.             Analyse

A.                             Quelle est la norme de contrôle applicable?

[29]           Les questions en litige en l’espèce sont des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit; c’est donc la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 50). Les questions concernant les conclusions en matière d’identité sont contrôlables selon la norme de la décision raisonnable (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877 au paragraphe 13, Bagire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 816 au paragraphe 18), à l’instar des questions de crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) au paragraphe 4, Lumaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 763 au paragraphe 25), ainsi que des conclusions concernant le profil de risque résiduel du demandeur (J.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 598 aux paragraphes 63 et 67).

B.                             La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’identité du demandeur?

[30]           La Cour est d’avis que les conclusions tirées par la SPR en ce qui concerne le passeport du demandeur sont déraisonnables. Il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence négative en ce qui concerne la crédibilité en raison des incohérences dans le témoignage du demandeur, étant donné qu’il est manifeste à la lecture de la transcription de l’audience que le demandeur ne savait pas, au moment de la première séance, comment son passeport avait été obtenu et qu’il a expliqué que c’est son père qui se l’était procuré pour lui. À cette étape de l’audience, il donnait les renseignements dont il avait connaissance. Le demandeur a affirmé sous serment que son père lui avait dit qu’il s’agissait d’un passeport authentique qui avait été obtenu par les voies officielles; lorsque le commissaire de la SPR lui a demandé si son père ou une autre personne avait versé un pot‑de‑vin pour obtenir le passeport, le demandeur a répondu par la négative. Au cours de la deuxième séance, le demandeur a précisé qu’il avait parlé à son père dans l’intervalle et que le passeport avait en fait été obtenu grâce à un pot‑de‑vin. Cela n’est pas incompatible avec le témoignage du demandeur au cours de la première séance de l’audience étant donné qu’il avait clairement indiqué qu’il ne savait pas comment le passeport avait été obtenu et qu’il s’en remettait à ce que son père lui avait dit.

[31]           La Cour juge également déraisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas expliqué de manière crédible le changement dans son témoignage à ce sujet entre la première et la deuxième séance. La SPR a conclu qu’il n’était pas plausible que le demandeur n’ait pas su auparavant que son passeport avait été obtenu grâce à un pot‑de‑vin et, étant donné qu’il était essentiel que le demandeur puisse établir son identité, qu’il n’ait fait aucune démarche pour se renseigner, une fois en sécurité au Canada, à propos des circonstances de l’obtention de son passeport.

[32]           Je suis d’accord avec le demandeur lorsqu’il qualifie ces affirmations de conclusions d’invraisemblance. Pour arriver à ces conclusions, la SPR s’est lancée dans des conjectures à propos de ce que le demandeur aurait dû faire ou de ce qui aurait été la ligne de conduite raisonnable. On ne devrait conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire si les faits présentés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le demandeur le prétend (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au paragraphe 7). En l’espèce, rien dans la preuve ne démontre que l’explication du demandeur n’était pas véridique, et on ne peut pas prétendre qu’une explication de la nature de celle qui a été donnée déborde le cadre de ce à quoi on peut raisonnablement s’attendre. Par conséquent, en toute déférence, la conclusion de la SPR à ce sujet était elle‑même déraisonnable.

[33]           L’autre volet de la décision de la SPR portant sur l’identité que j’estime déraisonnable est la conclusion qu’elle a tirée du témoignage du demandeur concernant le certificat provenant du registre des naissances. Il ne comporte pas d’incohérences de la nature de celles qui ont suscité chez la SPR des préoccupations en ce qui concerne son passeport et sa CIN. Il était déraisonnable pour la SPR de rejeter ce certificat pour la simple raison que la date de la délivrance de la copie qu’il a produite était 2012 et que son explication sur le motif pour lequel une copie a été demandée en 2012 était quelque peu approximative. Je souscris à l’argument du demandeur selon lequel son incapacité de se rappeler avec certitude des raisons pour lesquelles une copie d’un document officiel avait été obtenue ne signifie pas que la SPR peut ignorer celui‑ci.

[34]           Comme l’a fait remarquer la SPR, je conviens que le certificat ne contient pas de photographie du demandeur comme ce serait le cas d’un passeport et d’une carte d’identité nationale. Cependant, compte tenu de ma conclusion concernant les preuves relatives au passeport du demandeur, je conclus que la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi est une conclusion déraisonnable.

[35]           Toutefois, le défendeur a fait valoir que même si la Cour devait tirer une telle conclusion en ce qui concerne la question de l’identité, il ne s’agirait pas d’un motif suffisant pour renvoyer l’affaire à la SPR, parce que la question de l’identité n’a rien à voir avec les autres questions en litige que sont la crédibilité et le profil de risque. Je traite de cet argument ci‑dessous.

C.                             La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[36]           Le demandeur affirme que la conclusion de la SPR sur son identité a faussé ses conclusions en matière de crédibilité. Le défendeur quant à lui est d’avis que les conclusions de la SPR sur la crédibilité sont très circonscrites et que, peu importe ses conclusions quant à l’identité, elles montrent sans aucun doute que la SPR n’a pas cru le récit du demandeur concernant sa crainte de persécution.

[37]           Compte tenu des conclusions auxquelles j’arrive ci‑dessous à l’égard du profil de risque du demandeur et du fait que la décision de la SPR doit faire l’objet d’un renvoi pour nouvelle décision, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les questions de crédibilité qui ont été plaidées par les parties.

D.                            La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation du profil de risque résiduel du demandeur?

[38]           La SPR a fait mention dans sa décision du profil de risque individualisé qui a été invoqué par la conseil du demandeur, c’est‑à‑dire du fait que le demandeur était exposé à un risque en raison de ses expériences personnelles aux mains du gouvernement du Sri Lanka, mais aussi en raison de son profil de jeune homme tamoul originaire de la province de l’Est qui a déjà travaillé pour une ONG et qui retournerait au pays en tant que demandeur d’asile débouté au Canada. La SPR a conclu qu’étant donné que le demandeur n’avait pas établi son identité au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, il n’existait aucune identité correspondant à un des profils de risque mentionnés dans la documentation pertinente relative à la situation régnant au Sri Lanka ni à un profil de risque qui lui serait propre. La SPR a également conclu qu’étant donné que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait été détenu et torturé et qu’il avait travaillé dans le domaine de l’informatique pour l’armée au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi, aucun profil de risque ne pouvait justifier une décision favorable.

[39]           Étant donné que la conclusion de la SPR sur cette question était au moins en partie fondée sur sa conclusion voulant que le demandeur n’ait pas établi son identité, j’estime que l’issue de l’analyse du profil de risque aurait pu être différente n’eût été l’erreur commise par la SPR dans son traitement de la question de l’identité.

[40]           J’ai étudié les arguments et la jurisprudence invoqués par le défendeur pour affirmer que le simple fait d’être un homme originaire du Nord ou de l’Est du Sri Lanka ne justifie pas à lui seul d’accorder l’asile. À titre d’exemple, dans la plus récente de ces décisions, Kulanayagam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101 aux paragraphes 41 à 43, le juge Locke a fait mention de cette jurisprudence et il a conclu – étant donné que les documents sur la situation dans les pays sont insuffisants à eux seuls pour établir un risque personnalisé – qu’il était raisonnable que l’agent d’immigration chargé de l’évaluation des risques avant renvoi dans cette affaire arrive à la conclusion que le demandeur n’appartenait pas au groupe des demandeurs d’asile déboutés qui attireraient l’attention des autorités à son retour, parce que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait entretenu des liens avec le TLET. L’agent avait adéquatement évalué le risque pour le demandeur en tant que demandeur d’asile refoulé du Canada. 

[41]           Il est difficile pour le défendeur en l’espèce de s’appuyer sur ce précédent en raison du lien qu’a expressément fait la SPR entre sa conclusion au sujet de l’identité et sa conclusion sur le profil de risque. Bien que la SPR ait fait remarquer qu’elle avait tenu compte du profil de risque invoqué par la conseil du demandeur (y compris le fait qu’il serait un demandeur d’asile débouté et refoulé du Canada), elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi une identité qui se rattachait à l’un ou l’autre des profils de risque déterminés par l’UNHCR ou à tout profil de risque qui serait propre au demandeur. À ce titre, à cause de l’erreur commise par la SPR dans son traitement de la question de l’identité, le profil de risque résiduel invoqué par le demandeur n’a pas fait l’objet de l’analyse requise, ce qui constitue une erreur révisable (voir Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244 au paragraphe 11).

[42]           Je constate également que la Cour a récemment déterminé que le profil de risque d’un demandeur d’asile débouté et refoulé au Sri Lanka devait être évalué, peu importe l’appréciation de la crédibilité du demandeur. Dans l’affaire Suntharalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 987, la SPR avait conclu qu’il n’était pas nécessaire de se demander si le demandeur était exposé à un risque selon la preuve documentaire objective, étant donné qu’elle ne croyait pas que le demandeur était ciblé par les autorités en raison de son association présumée avec les TLET. Toutefois, le juge Brown s’est exprimé comme suit au paragraphe 49 :

En toute déférence, les préoccupations de la SPR liées à la crédibilité ne permettent pas de trancher la question de savoir s’il y a un risque grave que le demandeur soit persécuté en sa qualité de demandeur d’asile débouté et rapatrié. Le statut du demandeur à cet égard est établi de façon objective comme demandeur d’asile débouté – sa demande d’asile a été rejetée par la SPR. Cela n’a rien à voir avec la crédibilité.

[43]           En conclusion, la Cour est d’avis que la décision de la SPR doit être annulée et que l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

[44]           Aucune question n’a été soumise à la Cour pour qu’elle la certifie en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6383‑14

INTITULÉ :

PAVITHRAN PAUL JOSEPH SELVARASU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Sarah L. Boyd

POUr Le demandeur

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Nazami and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

pour Le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pOuR LE DÉFENDEUR

 

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