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Date : 20150624


Dossier : IMM-3641-14

Référence : 2015 CF 793

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MARCELLIN KOUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission) rendue le 8 avril 2014 rejetant la demande d’asile de Marcellin Koua (le demandeur). Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande devrait être accueillie.

I.                   Contexte

[2]               Le demandeur est né en Côte d’Ivoire en 1977. Il allègue que depuis 1998, il est membre du Front Populaire Ivoirien (FPI), un parti politique qui a gouverné le pays de 2000 à 2010 et qui constitue le principal parti d’opposition depuis la crise ivoirienne de 2010-2011.

[3]               Le demandeur allègue qu’entre 2000 et 2002, alors qu’il habitait à Bouaké, il a occupé les fonctions de « fédéral » et de « secrétaire de section » au sein du FPI. Durant cette période, il travaillait de jour comme garçon de maison. La nuit du 19 septembre 2002, soit le jour du début de la guerre civile qui a mené à la partition du pays, le demandeur allègue que des militaires rebelles se sont rendus chez lui dans le but de le tuer, mais qu’il était absent en raison d’une rencontre politique à Abidjan ce jour-là. Les rebelles auraient saccagé sa maison. Il allègue qu’il a été ciblé en raison de ses activités politiques au sein du FPI.

[4]               Suite à ces évènements, le demandeur s’est installé à Abidjan. Il aurait participé à deux rassemblements de jeunes du FPI en 2002, et été actif au sein du comité d’organisation des rencontres et des « sit-in » de la Jeunesse du Front Populaire Ivoirien entre 2003 et 2006.

[5]               Le 14 février 2009, le demandeur aurait été victime d’une attaque par des militaires rebelles alors qu’il quittait une réunion avec des collègues du FPI à la télévision nationale, où ils auraient fait une déclaration appuyant la fin de la partition du pays. Ces militaires rebelles auraient tiré des balles sur son véhicule. Le même jour, il aurait déposé une plainte auprès de la police qui est restée sans suite. Le demandeur allègue que les autorités policières étaient de connivence avec ses agresseurs.

[6]               En 2009, le demandeur a eu une offre d’emploi comme domestique privé pour une diplomate ivoirienne en poste au Canada. Il a donc obtenu un visa d’entrée et est arrivé au Canada le 25 août 2009. Il s’est alors joint à la section du FPI au Canada.

[7]               En août 2012, son employeur a été appelé à retourner en Côte d’Ivoire. Le demandeur a déposé sa demande d’asile le 19 septembre 2012. Le demandeur allègue qu’il a refusé de retourner en Côte d’Ivoire avec son employeur car il craint pour sa vie s’il y retournait, notamment parce que le FPI a depuis perdu le pouvoir et que ses activités sont violemment réprimées par le pouvoir en place. Il allègue que d’autres membres du FPI proches de lui sont emprisonnés, dont son adjoint direct, et qu’il craint de subir le même sort. Il allègue qu’il craint d’être persécuté du fait de ses activités et opinions politiques non seulement à cause des expériences qu’il a vécues en Côte d’Ivoire au cours de la décennie précédant son départ pour travailler au Canada, mais également en raison de son adhésion au FPI au Canada.

[8]               L’audience a eu lieu le 31 mars 2014. À ce moment-là, le demandeur a déposé plusieurs documents, dont une copie de sa carte de membre du FPI au Canada. Le commissaire a demandé s’il détenait une carte de membre du FPI en Côte d’Ivoire. Le demandeur a expliqué qu’il en avait obtenu une en 1998, mais que celle-ci était restée à Bouaké avec toutes ses affaires quand il avait « quitté précipitamment Bouaké ». Il n’en aurait pas redemandé une à Abidjan car, du fait de la guerre, le parti avait d’autres priorités que d’émettre des cartes de membre.

[9]               Le commissaire a également soulevé la question du formulaire de demande d’asile qu’il a rempli le 3 octobre 2012. À la question « Avez-vous déjà été membre ou partisan d’une organisation? », il déclare qu’il était membre de la Jeunesse du Front Populaire de 2003 à 2006, puis du Front Populaire Ivoirien (FPI-Canada) à partir de mars 2010. Lorsque l’on a demandé pourquoi il n’avait pas déclaré avoir été membre du FPI depuis 1998 dans ce formulaire, le demandeur a expliqué qu’il avait mis l’année 2003 comme date de référence puisque c’est à partir de ce moment qu’il quitte Bouaké et se joint à la section à Abidjan.

[10]           Par rapport aux évènements du 19 septembre 2002, le commissaire demande comment le demandeur a su que des gens cherchaient à le tuer alors qu’il était absent. Le demandeur a expliqué qu’il connaissait d’autres membres du parti qui étaient à Bouaké à ce moment-là, et que deux collègues ont communiqué avec lui par téléphone. Il explique qu’il croit que le but était de le tuer puisque cette nuit-là « il y a eu mort d’hommes, on a eu un ex-président, un ancien chef d’[É]tat tué et puis un ministre de la république tué », et que tous ceux qui n’étaient pas en faveur d’Alassane Ouattara, leader du Rassemblement des républicains de la Côte d’Ivoire (RDR – le parti actuellement au pouvoir en Côte d’Ivoire) fuyaient les zones contrôlées par les rebelles, dont Bouaké. Il réitère qu’il a été ciblé en raison de ses activités politiques au sein du FPI. Il a expliqué que son adjoint, Némié Taloo, a disparu cette nuit-là.

[11]           Concernant ses activités politiques entre 2003 et 2006, le commissaire a demandé s’il a eu des problèmes. Le demandeur a répondu qu’il y a eu trois à quatre menaces d’intimidation de la part des détracteurs du parti lors des marches, qui disaient « Vous là – en tout cas, le jour que ça [s]’est passé mal pour vous. » À la question de savoir s’il interprétait cela comme une menace de mort, le demandeur a répondu que oui, qu’il voyait ça comme une menace contre sa vie. Lorsqu’on l’a confronté au fait qu’il n’avait pas déclaré ces menaces dans son formulaire de renseignements personnels, le demandeur a dit qu’il ne l’a pas indiqué « peut-être par simple omission ».

[12]           Quant aux évènements du 14 février 2009, le demandeur a réitéré que des membres de la rébellion ont tiré des balles sur son véhicule alors qu’il venait de faire une déclaration contre la partition à la télévision nationale. Demandé comment il savait qu’il s’agissait de forces rebelles plutôt que de « bandits de droit commun », le demandeur a dit qu’il était certain qu’il s’agissait de rebelles vu la déclaration qu’il venait de faire concernant la partition du pays, bien qu’il ne connaisse pas personnellement ces agresseurs.

[13]           À l’égard de la plainte qu’il aurait faite à la police concernant cet évènement, le commissaire a demandé plusieurs fois qu’est-ce qu’il attendait de la police vu qu’il ne pouvait pas identifier les tireurs, ce à quoi il répond qu’il s’attendait à ce qu’ils fassent au moins enquête. Il a expliqué qu’il croyait que les policiers étaient de connivence avec ses agresseurs puisqu’à plusieurs reprises, les policiers l’ont « emmené balader » et n’ont pas « mené à bien les investigations ».

[14]           Le demandeur a également fait témoigner Luc Gbogouri, secrétaire général de la section Ottawa-Gatineau du FPI. Il a témoigné qu’il connaît le demandeur depuis 2009, lorsque ce dernier cherchait des organisations du FPI au Canada, et que celui-ci lui avait dit qu’il avait été membre du FPI en Côte d’Ivoire. Il a confirmé que le demandeur est membre du FPI au Canada, qu’il a participé à deux réunions de l’organisation et a travaillé comme bénévole lors des élections ivoiriennes de 2010.

II.                La décision contestée

[15]           Dans sa décision, le commissaire traite principalement de la crédibilité du récit du demandeur quant aux évènements qui se seraient produits en Côte d’Ivoire avant son arrivée au Canada en 2009, et conclut que ces allégations n’étaient pas crédibles.

[16]           Quant à son appartenance au FPI au Canada et au témoignage de Luc Gbogouri, le commissaire note qu’il ne contestait pas que le demandeur ait été ou soit aujourd’hui membre du FPI au Canada, mais note que Luc Gbogouri ne le connaissait pas avant son arrivée au Canada et que son adhésion au FPI au Canada ne démontre pas qu’il ait été membre du FPI en Côte d’Ivoire. Le commissaire note que le demandeur ne s’est inscrit comme membre du FPI au Canada qu’en décembre 2009, soit environ quatre mois après son arrivée au Canada.

[26]      Il s’est inscrit au Canada comme membre du FPI en décembre 2009. Il a participé à des réunions dudit parti en décembre 2009 et en juin 2012.

[27]      Il se serait aussi impliqué en contactant des membres de la diaspora ivoirienne.

[28]      À Ottawa, il n’a participé à aucune manifestation partisane.

[29]      Afin de démontrer son appartenance au FPI ici au Canada, le demandeur a produit en pièce (P-3) une carte dudit parti (Fédération du Canada – Ottawa - Gatineau) ainsi que des procès-verbaux de deux réunions auxquelles il a assisté en décembre 2009 et juin 2012 (Pièce P-3).

[30]      De plus, le demandeur a fait témoigner monsieur Luc Gbogouri, secrétaire général du FPI à Ottawa. Ce dernier a confirmé à l’intérieur de son témoignage avoir connu le demandeur en décembre 2009 ainsi que confirmé son adhésion à ce moment-là au FPI, ici au Canada.

[31]      Il ne l’a jamais connu auparavant et ne peut dire s’il aurait été membre du FPI en Côte d’Ivoire, ne pouvant se fier que sur ce que le demandeur lui a déclaré.

[32]      Donc, ce témoignage de monsieur Gbogouri ne démontre ni ne peut confirmer de toute façon les allégations du demandeur.

[33]      Le tribunal ne conteste pas que le demandeur ait été et soit aujourd’hui membre du FPI au Canada, son adhésion ici ne démontre pas pour autant que ce dernier ait été membre du FPI en Côte d’Ivoire.

[34]      Le tribunal a d’ailleurs remarqué que le demandeur est arrivé au Canada en août 2009 et qu’il ne s’est inscrit comme membre du FPI au Canada qu’en décembre 2009, soit environ quatre mois plus tard.

[17]           Le commissaire a donc rejeté la demande d’asile au motif que le demandeur n’avait pas démontré une possibilité sérieuse de persécution s’il retournait dans son pays d’origine.

III.             Questions en litige

[18]           Le demandeur soulève trois questions en litige :

1.                  La décision du commissaire est-elle déraisonnable en raison de l’insuffisance des motifs quant à la question du risque auquel le demandeur ferait face du fait qu’il est maintenant membre du FPI au Canada (« réfugié sur place »)?

2.                  La décision du commissaire quant à la crédibilité du demandeur est-elle déraisonnable?

3.                  Le comportement du commissaire donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

[19]           Le demandeur argumente que la décision est entachée d’erreurs relativement aux trois questions en litige. Je suis d’accord avec ses critiques quant à la première question, laquelle exige que je renvoie la décision pour reconsidération pour les motifs suivants.

IV.             Analyse

[20]           À l’égard de la question de l’insuffisance des motifs sur la demande de « réfugié sur place », qui s’avère être la question déterminante en l’espèce, la jurisprudence établit que le défaut d’examiner un motif de persécution pertinent est une erreur de droit révisable selon la norme de la décision correcte (Nadarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 752 au para 15, [2012] ACF no 904 [Nadarasa]; Hannoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 448 au para 42, [2012] ACF no 480 [Hannoon]; Mohajery c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 185 au para 26, [2007] ACF no 252 [Mohajery]; Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519 au para 49, [2013] 1 RCF 261).

[21]           Tout d’abord, il est utile de rappeler les principes généraux relatifs aux « réfugiés sur place ». Le « réfugié sur place » fait référence à une personne qui, n’ayant pas nécessairement été victime de persécution par le passé dans son pays d’origine, fait néanmoins face à une possibilité sérieuse de persécution à son retour. Cela peut se produire notamment en raison de ses activités alors qu’elle était à l’étranger ou même dans le pays de refuge. Par exemple, dans Mohajery, la Cour a infirmé une décision où la Commission, ayant trouvé non crédibles les allégations selon lesquelles le demandeur pratiquait le christianisme en Iran et avait ainsi été persécuté, a fait défaut de considérer si la conversion du demandeur au christianisme alors qu’il vivait au Canada le mettait à risque advenant son retour en Iran.

[22]           Le défaut de considérer un motif de persécution, dont une demande de « réfugié sur place », constitue une erreur de droit qui peut justifier l’intervention de la Cour (Urur c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988] FCJ No 20, 91 NR 146; Manzila c Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1264 au para 4, 165 FTR 313; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 635 au para 15, [2008] ACF no 808; Mohajery, aux para 31, 37-38; Nadarasa, au para 26).

[23]           La Commission est tenue de considérer la possibilité qu’un demandeur soit réfugié sur place même si ce motif n’est pas explicitement invoqué, pourvu qu’il y ait « une preuve perceptible que des activités susceptibles d’engendrer des conséquences négatives dans l’éventualité d’un retour ont eu lieu au Canada » (Mohajery, au para 31; voir également Hannoon, au para 47). Cette analyse doit être faite même si la Commission juge le demandeur autrement non crédible, du moment où la preuve de telles activités au Canada est digne de foi (Mohajery, au para 32; Hannoon, au para 47).

[24]           À l’audience, le défendeur a concédé que la question de savoir si le demandeur était réfugié sur place est soulevée eu égard aux faits de ce dossier. Cependant, il soumet que le commissaire a adéquatement considéré cet enjeu dans sa décision eu égard à l’ensemble de la preuve au dossier et aux principes qui découlent de l’arrêt de la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses’].

[25]           J’estime que le commissaire n’a pas effectivement considéré la demande de réfugié sur place, et ce, pour trois raisons.

[26]           Premièrement, il appert des motifs de la décision que le commissaire a uniquement considéré la preuve sur les activités du demandeur au Canada afin de déterminer si ceux-ci appuyaient ses allégations quant aux évènements qui auraient eu lieu en Côte d’Ivoire. En effet, après un bref résumé des allégations quant aux activités du demandeur au FPI au Canada et au témoignage de Luc Gbogouri, le commissaire conclut que :

[31]      Il [Luc Gbogouri] ne l’a jamais connu auparavant et ne peut dire s’il aurait été membre du FPI en Côte d’Ivoire, ne pouvant se fier que sur ce que le demandeur lui a déclaré.

[32]      Donc, ce témoignage de monsieur Gbogouri ne démontre ni ne peut confirmer de toute façon les allégations du demandeur.

[33]      Le tribunal ne conteste pas que le demandeur ait été ou soit aujourd’hui membre du FPI au Canada, son adhésion ici ne démontre pas pour autant que ce dernier ait été membre du FPI en Côte d’Ivoire.

[27]           Comme il a été mentionné précédemment, une analyse d’une demande de réfugié sur place doit être faite même si le commissaire juge le demandeur non crédible sur d’autres éléments, dans la mesure où la preuve des activités au Canada est digne de foi (Mohajery, au para 32; Hannoon, au para 47). Ainsi, si le commissaire estime que la preuve concernant les activités politiques du demandeur au Canada est crédible – ce qui est le cas en l’espèce puisque le commissaire « ne conteste pas que le demandeur ait été ou soit aujourd’hui membre du FPI au Canada » (paragraphe 33 de la décision) – il devrait évaluer si ces activités donnaient lieu à une crainte bien fondée de persécution indépendamment des allégations concernant les évènements en Côte d’Ivoire. En limitant son analyse des activités au Canada à la question de savoir si elles appuyaient les allégations sur les évènements en Côte d’Ivoire, le commissaire a commis une erreur de principe.

[28]           Deuxièmement, le commissaire a entièrement omis d’évaluer le risque auquel le demandeur pourrait faire face simplement du fait qu’il était membre du FPI au Canada. Certes, il a noté certains faits qui pourraient être pertinents à l’analyse du risque, comme le fait que le demandeur n’avait pas participé à des manifestations (paragraphe 28 de la décision). Cependant, il ne tire aucune conclusion sur l’effet de ces activités advenant que le demandeur soit renvoyé en Côte d’Ivoire. Pourtant, Luc Gbogouri avait décrit les activités du demandeur au sein du FPI au Canada et a témoigné que les sympathisants du FPI sont traqués en Côte d’Ivoire, que lui-même est officiellement répertorié en raison de ses activités politiques au FPI au Canada et serait arrêté s’il retournait en Côte d’Ivoire, et que le demandeur serait en danger également. Le commissaire avait donc la responsabilité d’évaluer cette preuve et de déterminer si la participation du demandeur au FPI au Canada le mettait à risque advenant un retour en Côte d’Ivoire.

[29]           Troisièmement, j’estime que les principes de l’arrêt Newfoundland Nurses’ ne sont pas applicables en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour suprême a considéré la suffisance des motifs d’une brève décision d’un arbitre de griefs et a énoncé les principes suivants aux paragraphes 15 et 16 :

[15]      La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[Je souligne.]

[30]           Le défendeur m’invite à considérer les passages du procès-verbal de l’audience où le commissaire pose des questions à Luc Gbogouri concernant ses activités politiques et celles du demandeur au sein du FPI au Canada et le risque auquel ils feraient face en Côte d’Ivoire, et soutient qu’en considérant le dossier dans son ensemble, le commissaire a bel et bien considéré la demande de réfugié sur place et implicitement conclu que le risque était insuffisant pour fonder la demande d’asile.

[31]           D’abord, j’estime que le présent contexte est tout autre que celui qui prévalait dans Newfoundland Nurses’, où, suivant une procédure contradictoire, les deux parties ont présenté des positions bien étayées sur la question du calcul des congés dans une convention collective et l’arbitre a rédigé une analyse brève choisissant l’une des positions. Dans ce contexte, l’examen du dossier permettait de comprendre le fondement de la décision. En l’espèce, le demandeur a présenté sa preuve dans le contexte d’une procédure inquisitoire qui d’ailleurs, allait avoir un impact sérieux sur sa vie puisqu’il ferait éventuellement face à un renvoi en Côte d’Ivoire advenant le refus de sa demande. Devant la Commission, il n’y a aucune partie adverse qui présente des arguments détaillés qui pourraient soutenir un refus. Les motifs écrits de la décision de la Commission sont donc essentiels pour comprendre les motifs de la décision qui, d’ailleurs, était très détaillée quant aux autres éléments du dossier. Ainsi, ce n’est pas une situation où le décideur a rendu une décision peu détaillée dans un contexte où les parties connaissaient déjà l’essentiel des arguments au soutien du résultat.

[32]           De plus, je suis d’avis qu’une analyse du dossier dans son ensemble ne permet pas de comprendre pourquoi la demande de réfugié sur place a été refusée. Le fait que le commissaire avait posé des questions à l’audience concernant le risque auquel Luc Gbogouri et le demandeur feraient face en Côte d’Ivoire indique peut-être que le commissaire s’intéressait à la question lors de l’audience, mais ne remédie pas au défaut du commissaire de tirer des conclusions sur la valeur de cette preuve et d’expliquer pourquoi elle serait insuffisante. Comme j’ai souligné ci-dessus, le commissaire n’a tiré aucune conclusion sur le risque auquel le demandeur ferait face en Côte d’Ivoire, alors qu’il s’agissait d’une question essentielle. Ce n’est pas le rôle de cette Cour d’évaluer elle-même cette preuve et de deviner quels motifs pourraient soutenir un refus. Comme l’a exprimé mon collègue le juge Rennie dans Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11, [2013] ACF no 449 :

[11]      L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[33]           Je conclus donc que le défaut de traiter de la demande de réfugié sur place justifie l’intervention de cette Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné à un autre décideur de la Section de la protection des réfugiés pour examen et nouvelle décision;

2.                  Les parties ont convenu qu’aucune question ne mérite certification et je partage leur avis;

3.                  Le tout sans frais.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

 IMM-3641-14

 

INTITULÉ :

MARCELLIN KOUA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Alexandre Martel

 

Pour le demandeur

 

Me Claudine Patry

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martel Law Office

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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