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Date : 20150611


Dossier : T-996-09

Référence : 2015 CF 739

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

GARY SAUVE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Gary Sauve, a initialement intenté une action en dommages contre la Couronne fédérale, dans laquelle il réclamait des dommages‑intérêts généraux pour perte d’identité; perte de réputation, perte d’intégrité et de dignité; humiliation, dégradation et embarras; perte de revenu et de revenus futurs; perte de jouissance de la vie, perte de mobilité, perte de conseils, de soins et de compagnie de sa famille et ses amis; traumatisme émotionnel, souffrances et douleurs, migraines, perte du sommeil et cauchemars liés aux événements traumatisants; stress, anxiété et inquiétude; harcèlement, intimidation, intrusion dans son intimité ou sa solitude et atteinte à sa vie privée.

[2]               La majeure partie de la déclaration du demandeur a été radiée par une ordonnance datée du 6 octobre 2009 (2009 CF 1011), dans laquelle le juge Mainville a conclu que toutes les questions exposées dans la déclaration qui étaient identiques ou semblables aux questions exposées dans la déclaration présentée par le demandeur dans le dossier T‑1646‑08 devaient être radiées pour cause d’abus de procédure. Cependant, certains paragraphes concernant les allégations du demandeur quant aux questions portant sur la prétendue surveillance illégale ou abusive, l’atteinte à la vie privée et le harcèlement n’ont pas été radiés et la Cour en demeure saisie aujourd’hui.

[3]               Le demandeur est un ancien membre de la GRC qui a déposé de nombreuses actions devant la Cour contre la GRC quant à diverses allégations, notamment de harcèlement, d’actes fautifs et de violations de la Charte canadienne des droits et libertés, la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 (la Charte). Le contexte factuel des incidents ayant entraîné le congédiement du demandeur est exposé dans une décision récente de la Cour : Sauve c Canada, 2015 CF 66, aux paragraphes 3 à 8, et l’ensemble des antécédents du demandeur devant la Cour est résumé dans une ordonnance rendue par le juge en chef Crampton : Sauve c Canada, 2014 CF 119.

[4]               En l’espèce, le demandeur formule trois allégations factuelles principales qui, selon lui, constituent des actes délictuels. D’abord, à de multiples reprises, la GRC lui a signifié à personne ou a tenté de lui signifier à personne des documents à sa résidence et à d’autres endroits. Ensuite, la GRC a essayé de piéger le demandeur en utilisant un de ses informateurs pour essayer de lui vendre une arme. Enfin, la GRC a mené des opérations de surveillance sur le demandeur.

[5]               Pendant la période en cause, le demandeur a résidé à divers endroits, tant avec des amis qu’avec Lorraine Séguin, son ancienne conjointe, qui possède une maison à Navan. Pour les besoins des présents motifs, la maison de Mme Séguin sera désignée par les termes « résidence de Navan ».

LA PREUVE PRÉSENTÉE À LA COUR

[6]               La Cour a examiné tous les éléments de preuve pertinents soumis par les parties, y compris un exposé conjoint des faits, chacun des trois volumes de recueils conjoints de documents et les témoignages du demandeur, de Mme Séguin, du sergent d’état‑major Gagnon et du gendarme Pion.

La première allégation : Signification à personne de documents

[7]               En ce qui concerne la première allégation, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, lequel établit les faits suivants.

[8]               Les 14 octobre 2004 et 29 janvier 2005, dates au cours desquelles il était détenu, le demandeur a reçu la signification de documents à personne.

[9]               Le 19 janvier 2007, la GRC a signifié un document à personne à Me Stephanie Mulcaster, l’avocate du demandeur.

[10]           L’avocat Jean‑Daniel Hacala représentait le commandant divisionnaire durant la procédure d’audience disciplinaire, et il a donné aux agents de la GRC la consigne de signifier à personne au demandeur la documentation qu’il avait assemblée. Le sergent d’état‑major Guy Gagnon et le caporal Yves Mainville ont été désignés pour procéder à cette signification. Ils ont reçu comme instructions de laisser la documentation ni à Mme Séguin ni à la résidence de Navan, et de ne pas l’expédier par la poste.

[11]           Le 27 octobre 2008, le sergent d’état‑major Gagnon a envoyé un courriel à Mme Mulcaster pour l’informer qu’il éprouvait des difficultés à joindre le demandeur pour lui signifier des documents à personne. Mme Mulcaster a répondu qu’elle ne pouvait être d’aucune aide dans la situation, puisqu’elle n’avait pas reçu d’instructions expresses en ce sens.

[12]           En novembre 2008, le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville ont tenté à trois reprises de signifier des documents au demandeur à sa résidence. À la première tentative, personne n’a répondu à la porte, et lors des deux autres tentatives, Mme Séguin a répondu à la porte et a informé les agents que le demandeur n’était pas à la maison.

[13]           Le 3 décembre 2008, les caporaux Mainville et Lee Côté ont rencontré le demandeur dans le stationnement du Pizza Pizza situé sur la promenade Hazeldean et lui ont signifié les documents.

[14]           Entre les mois de mars et septembre 2009, le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville ont signifié à trois occasions les documents au demandeur dans l’entrée de l’édifice de la Cour fédérale situé au 90, rue Sparks. Les 19 mars et 10 septembre 2009, le demandeur a accepté la signification des documents. Cependant, le 25 juin 2009, le demandeur a refusé d’accepter la signification et il a dit aux agents de la GRC qu’ils continuaient de le harceler, de l’intimider et de le menacer.

[15]           Le 21 novembre 2009, le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville se sont présentés à la résidence de Navan pour signifier des documents au demandeur. Mme Séguin a répondu à la porte et leur a mentionné que le demandeur n’était pas là.

[16]           À 10 h 30, le 2 janvier 2010, le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville se sont présentés à la résidence de Navan pour signifier à personne des documents au demandeur. Mme Séguin les a informés que le demandeur n’était pas là; ils ont alors signalé à Mme Séguin qu’ils avaient tenté à de nombreuses reprises de signifier des documents au demandeur et que ce dernier évitait la signification. Le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville sont retournés à leur véhicule et restèrent garés devant la maison jusqu’à 11 h 30.

[17]           Entre le 7 janvier et le 12 janvier 2010, divers membres de la GRC en uniforme ont tenté, à six reprises, de signifier des documents au demandeur à sa résidence, mais à toutes ces occasions, personne n’est venu répondre à la porte. À quelques‑unes de ces occasions, les membres de la GRC ont également vérifié l’arrière de la résidence, frappant notamment à la porte arrière et formulant des remarques sur la maison et, à une occasion, un membre de la GRC a éclairé les fenêtres à l’étage de la maison à l’aide de sa lampe de poche et a alors aperçu un homme s’esquivant rapidement, mais il n’a pu l’identifier en raison de l’obscurité.

[18]           Le 12 janvier 2010, le demandeur a communiqué avec le sergent d’état‑major Gagnon pour lui dire de cesser les opérations de surveillance à sa résidence et de lui signifier tout document lors de ses comparutions à venir devant la cour.

[19]           Le 15 janvier 2010, le caporal Peleja a informé le gendarme Michael Esslinger qu’il procéderait à la signification à personne des documents au demandeur et lui a mentionné qu’on avait signalé que le demandeur avait une arme d’épaule en sa possession, arme qu’un membre de la GRC qui était voisin du demandeur aurait aperçue par la fenêtre. Cette information n’était pas véridique. Le voisin de la résidence de Navan, le sergent Greg Fedor, n’avait jamais vu d’arme d’épaule à l’intérieur de la résidence de Navan et n’avait pas signalé à la GRC que le demandeur possédait une arme d’épaule.

[20]           Le 15 janvier 2010, les gendarmes Peter Woolley et Esslinger se sont présentés à la résidence de Navan pour signifier des documents à personne au demandeur. Le demandeur a répondu à la porte, mais il a refusé la signification des documents et il a indiqué qu’il serait à la cour le 18 janvier 2010 et que la GRC pourrait alors tenter de lui signifier les documents. Le demandeur a dit aux agents de ne plus se présenter à sa résidence.

[21]           Le 18 janvier 2010, le sergent d’état‑major Gagnon et le caporal Mainville ont tenté de signifier des documents à personne au demandeur au 90, rue Sparks, comme l’avait demandé ce dernier, mais le demandeur a refusé d’accepter la signification.

[22]           Du 25 janvier au 28 janvier 2010, un Comité d’arbitrage constitué conformément à la partie IV de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R‑10 (la Loi sur la GRC) a mené une audience disciplinaire sur des allégations formulées à l’encontre du demandeur et a pris la décision de le congédier. Selon la GRC, la décision a été signifiée à personne au demandeur le 8 avril 2010; le demandeur affirme qu’on ne lui a pas signifié la décision.

La deuxième allégation : Tentative de vente d’arme par un informateur

[23]           En ce qui a trait à la deuxième allégation, le demandeur a relaté les faits suivants dans son témoignage. Le 21 mars 2005, alors qu’il faisait l’objet d’une suspension imposée par la GRC, le demandeur a reçu, sur son téléavertisseur de la GRC, un message d’un informateur, dans lequel ce dernier lui demandait de l’appeler. Selon le demandeur, cette personne était un informateur codé avec la GRC, qui, avant la détention du demandeur en octobre 2004, parlait au demandeur de façon hebdomadaire. Le demandeur a relaté que, lorsqu’il avait parlé à l’informateur, ce dernier lui avait annoncé qu’il avait une arme à vendre pour 300 $. L’informateur, après avoir été amadoué par le demandeur, lui a avoué que l’arme lui avait été donnée par la GRC et qu’il avait reçu l’ordre de la vendre au demandeur. Le demandeur a également fourni quelques pages de notes de son carnet personnel qui se rapportaient à la conversation qu’il avait eue avec l’informateur. Le demandeur affirme que les notes ne constituent pas un compte rendu textuel de la conversation. Le demandeur avait enregistré la conversation, mais il a perdu l’enregistrement.

[24]            Le sergent d’état‑major Gagnon a également livré un témoignage au sujet de ces allégations et il a nié que la GRC avait demandé à un informateur de vendre une arme au demandeur. Selon le sergent d’état‑major Gagnon, l’informateur avait été mis hors service par la GRC à un moment donné en 2004 et il n’était certainement plus un informateur travaillant pour la GRC en mars 2005. En outre, parce qu’il était responsable de l’unité des sources humaines confidentielles, il aurait fallu que le sergent d’état‑major Gagnon lui‑même traite avec l’informateur pour établir son rôle et les attentes. Selon le sergent d’état‑major Gagnon, jamais dans sa carrière une arme n’a été donnée à un informateur par la GRC et la disposition sur l’immunité ne s’appliquerait pas à cela.

La troisième allégation : Surveillance du demandeur

[25]           En ce qui concerne la troisième allégation, qui portait sur la surveillance, le demandeur a relaté dans son témoignage qu’entre 2005 et 2010, la GRC a procédé à des activités de surveillance à son égard, et ce, à de nombreuses occasions. Le demandeur a déclaré que son expérience dans la GRC faisait en sorte qu’il connaissait les techniques de surveillance et qu’il pouvait constater qu’on le suivait ou qu’on surveillait sa résidence. Le demandeur a également fourni des extraits de son carnet personnel, dans lequel il avait pris des notes au sujet de divers incidents. Dans leurs témoignages, le gendarme Pion et le sergent d’état‑major Gagnon ont tous deux relaté qu’à leur connaissance, la GRC n’avait pas exercé de surveillance auprès du demandeur. Le gendarme Pion a expressément nié avoir mené des activités de surveillance sur la personne du demandeur.

[26]           Selon le demandeur, il y a eu quelques incidents en novembre 2005, notamment le 17, le 21, le 24, le 25 et le 30. Lors de ces incidents, le demandeur a remarqué que des voitures étaient garées à proximité de la résidence de Navan, en position typique de point d’observation donnant une ligne de mire directe sur la résidence; il a également été suivi par une ou plusieurs voitures lorsqu’il quittait la résidence. Le demandeur a expliqué que la rue où se trouve la résidence ne compte que deux maisons. Selon le témoignage et les notes du demandeur, de multiples incidents similaires se sont produits au cours des années suivantes.

[27]           Dans son témoignage, le demandeur a également donné des détails sur quelques incidents particulièrement importants, dont certains ont été corroborés par Mme Séguin dans son témoignage. Le 6 juin 2006, le demandeur devait se rendre à un rendez‑vous au cabinet médical de la GRC. Le demandeur a senti qu’il était suivi, mais n’en était pas certain. Après avoir quitté le cabinet médical, il est arrêté à la Banque TD située sur le chemin Innes. Dès qu’il est entré dans la banque, le demandeur a remarqué qu’il avait oublié sa carte dans la voiture et a fait demi‑tour pour aller la chercher. Lorsqu’il est sorti de la banque, deux agents de la GRC, que le demandeur a identifiés comme étant Michel Charon et un agent prénommé Dan, entraient dans la banque. Lorsqu’ils ont vu le demandeur, ils se sont arrêtés net et se sont ensuite éloignés de la banque d’un pas rapide. Le demandeur a également consulté ses notes où il avait indiqué qu’il s’était dirigé en direction du véhicule qu’il croyait être le véhicule de surveillance de la GRC où un agent qu’il connaissait prétendait écrire quelque chose dans un livre. Le demandeur lui a fait un signe de la main et a gesticulé pendant plusieurs minutes, et l’agent s’est mis à rire. Le demandeur a repris place dans son véhicule et l’a conduit jusqu’à l’arrière de la banque, où il a constaté que les deux premiers agents s’y trouvaient toujours, puis il est parti. La défenderesse n’a pas fait comparaître ces agents comme témoins.

[28]           Le demandeur croit également que le téléphone filaire de sa résidence de Navan a été mis sur écoute le 14 mars 2007. Il affirme avoir vu un VUS brun non identifié garé devant la boîte de Bell. Ce jour‑là, la sonnerie du téléphone était vraiment basse toute la journée, tout en n’ayant aucun numéro d’appelant d’inscrit ce qui, selon le témoin, est un signe que le téléphone a fait l’objet d’une vérification ou d’un calibrage. Le demandeur a relaté qu’il a appelé Bell et que cette dernière lui a mentionné qu’elle était la seule à avoir accès à cette boîte. Le demandeur a affirmé qu’il avait ensuite établi que le téléphone avait été mis sur écoute en parlant de rencontres à des amis à l’aide de son téléphone filaire, et en effectuant ensuite de la contresurveillance pour confirmer qu’il faisait l’objet d’une surveillance chaque fois qu’il mentionnait une rencontre au téléphone. Dans son témoignage, le sergent d’état‑major Gagnon a expliqué qu’à sa connaissance, aucune écoute électronique n’avait été effectuée sur le téléphone filaire du demandeur. Cela aurait exigé un mandat dont l’émission aurait dû satisfaire à un seuil élevé. Selon lui, la mise sur écoute est effectuée par l’intermédiaire des sociétés de téléphonie et il ne serait pas nécessaire de se rendre à la boîte de Bell. Dans son témoignage, le gendarme Pion a expliqué que c’est la section des enquêtes qui demande la mise sur écoute téléphonique et, avant de pouvoir procéder, elle doit d’abord effectuer de la surveillance traditionnelle assez longtemps pour démontrer que l’écoute électronique par téléphone s’avère nécessaire, parce qu’il est impossible d’effectuer une surveillance de la cible.

[29]           Le 24 août 2008, quatre véhicules ont suivi le demandeur, Mme Séguin et leur fils, de la résidence de Navan à un magasin Canadian Tire; l’un de ces véhicules s’est garé en position de point d’observation dans le stationnement. La personne qui est sortie de cette voiture et est entrée dans le magasin a été reconnue par le demandeur en tant qu’agent de police, tout comme le fut une deuxième personne à l’intérieur du magasin. Alors qu’il quittait le magasin, le demandeur a employé une technique de contresurveillance sur le chemin Trim en se garant au bas d’une colline; la voiture qu’ils avaient vue précédemment est alors apparue derrière eux. Le demandeur a fourni des photos prises par son fils à l’aide du téléphone cellulaire de ce dernier et qui, selon son témoignage, étaient des photos des voitures qui le suivaient. À la suite de cet incident, le demandeur a effectué une vérification des numéros des plaques d’immatriculation auprès du ministère du Transport : il s’agissait de numéros inconnus, ce qui, selon le demandeur, est le résultat s’il s’agit de véhicules de la GRC.

[30]           Le 17 juin 2009, le demandeur est allé chercher son fils à l’école et ils sont allés au magasin Staples, où ils se sont séparés. Le demandeur a affirmé qu’un individu a bondi d’une voiture avec de l’équipement de photographie et une oreillette, et que l’individu s’est approché tellement près de son fils dans le magasin, qu’un commis du magasin est venu l’en informer. À ce moment, le demandeur et son fils ont quitté le magasin et sont partis dans leur voiture, puis, le demandeur est revenu sur le trajet et s’est garé devant le magasin. C’est là qu’il a vu l’individu sortir du magasin et parler dans son micro au milieu de la rue. Cet individu a traversé le stationnement à pied jusqu’à la boutique The Source, où le demandeur l’a suivi. Alors qu’il était dans la boutique, le demandeur a entendu l’individu dire qu’il voulait vendre son appareil‑photo et le commis lui a répondu que c’était un appareil‑photo tout neuf. Plus tard, l’individu s’est mis à marcher le long du chemin Innes, tout en photographiant les structures en métal. Le demandeur l’a suivi avec sa voiture et s’est garé dans un stationnement d’église. L’individu a traversé le stationnement de l’église à pied et a pris le chemin menant à la voie Nesting. Le demandeur a alors conduit sa voiture jusqu’à la voie Nesting, où il a vu l’individu sonner à la porte d’une maison : la porte s’est aussitôt ouverte, et l’individu est entré à l’intérieur de la maison. Le demandeur est alors parti et est revenu plus tard. À son retour, il a vu l’individu sortir et se faire ramasser par un véhicule similaire à celui que le demandeur avait vu dans le stationnement de Staples. Le demandeur a également fourni des photographies de cet individu et de la voiture alors qu’ils se trouvaient dans le stationnement du Staples.

[31]           Le demandeur a également relaté un incident qui s’est produit dans un Superstore et qui impliquait le gendarme Pion. Le demandeur affirme avoir perdu les notes relatives à cet incident, mais que celui‑ci s’est probablement produit au cours des mois d’été de 2009, ce qu’a également corroboré Mme Séguin, quoiqu’elle ne connaissait pas la date exacte elle non plus. Le demandeur a relaté dans son témoignage que, pendant qu’il était au comptoir‑caisse, il a remarqué le gendarme Pion qui le regardait, à quelques comptoirs‑caisses de là. Le demandeur a marché dans sa direction pour l’affronter, mais le gendarme Pion a plongé sous le comptoir‑caisse. Mme Séguin affirme qu’il s’était penché entre deux comptoirs‑caisses. Le demandeur l’a alors touché à l’épaule, ce à quoi le gendarme Pion n’a pas réagi, jusqu’à ce que le demandeur demande au commis d’appeler le gérant du magasin. Le demandeur affirme que lorsque le gérant est arrivé, le gendarme Pion s’est relevé, a dit bonjour et est sorti du magasin. Mme Séguin atteste que le gendarme Pion s’est relevé dès que le demandeur a demandé au commis d’appeler le gérant et que le gérant n’a jamais été appelé. Mme Séguin ne pouvait pas identifier l’individu comme étant le gendarme Pion, car elle ne connait pas ce dernier, mais elle a signalé que le demandeur lui avait dit qu’il s’agissait du gendarme Pion. Dans son témoignage, le gendarme Pion a déclaré qu’il était possible qu’il ait par hasard rencontré le demandeur au Superstore, mais qu’il n’en avait aucun souvenir. Le gendarme Pion a affirmé que s’il avait rencontré le demandeur, cela n’aurait pas été dans le contexte d’activités de surveillance sur ce dernier, puisqu’il n’avait jamais effectué de surveillance sur le demandeur. Le gendarme Pion a ajouté qu’il connaît le demandeur depuis plus de 25 ans et qu’il lui aurait été impossible d’effectuer de la surveillance sur le demandeur, car ce dernier l’aurait reconnu. Le gendarme Pion a également affirmé qu’il n’a pas travaillé au sein de l’unité de surveillance en 2009, mais plutôt au sein de l’unité de contresurveillance.

[32]           Le demandeur a également affirmé que des agents de police l’avaient appréhendé au volant de sa voiture entre 10 et 15 fois et qu’ils lui avaient dit qu’il faisait l’objet d’une enquête menée par la GRC, un agent l’aurait notamment appréhendé au volant à trois reprises et lui aurait dit : [traduction] « En passant, ce n’est pas moi. »

Analyse

[33]           Au cours de ses observations finales, l’avocate du demandeur a expliqué que deux actes délictuels sont allégués en l’espèce, soit l’atteinte à la vie privée par intrusion dans l’intimité et l’entrée sans autorisation. L’avocate a signalé qu’elle savait que le harcèlement ne constituait pas un acte délictuel en soi, mais elle a demandé à la Cour de tenir compte des incidents de harcèlement, y compris l’incident avec l’arme, comme faisant partie d’un comportement d’intrusion de la GRC dans la vie privée du demandeur.

[34]           La notion de délit d’intrusion dans l’intimité a été reconnue par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Jones c Tsige, 2012 ONCA 32 (Jones), où la Cour a adopté la formulation d’intrusion dans l’intimité que l’on retrouve dans le Restatement (Second) of Torts (2010) des États‑Unis :

[traduction]

Celui qui, physiquement ou autrement, fait intentionnellement intrusion dans l’intimité d’une autre personne ou dans ses affaires ou préoccupations personnelles, engage sa responsabilité envers cette autre personne pour atteinte à la vie privée si cette conduite était considérée comme étant hautement répréhensible par une personne raisonnable.

[35]           Les trois éléments constitutifs de l’intrusion dans l’intimité sont : (1) que la conduite de la défenderesse doit être intentionnelle ou inconsidérée; (2) que la défenderesse doit s’être ingérée, sans justification légitime, dans les affaires privées du demandeur; et (3) qu’une personne raisonnable considérerait l’invasion comme étant hautement répréhensible et causant de la détresse, de l’humiliation ou de l’angoisse (Jones, précité, au paragraphe 71).

[36]           En Ontario, l’infraction d’entrée sans autorisation est définie dans la Loi sur l’entrée sans autorisation, LRO 1990, c T.21 :

2. (1) Est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, d’une amende d’au plus 2 000 $ quiconque n’agit pas en vertu d’un droit ou d’un pouvoir conféré par la loi et,

 

a) sans la permission expresse de l’occupant, permission dont la preuve incombe au défendeur,

 

(i) ou bien entre dans des lieux lorsque l’entrée en est interdite aux termes de la présente loi,

 

(ii) ou bien s’adonne à une activité dans des lieux lorsque cette activité est interdite aux termes de la présente loi;

 

b) ne quitte pas immédiatement les lieux après que l’occupant des lieux ou la personne que celui‑ci a autorisée à cette fin le lui a ordonné.

 

[37]           Les éléments constitutifs du délit d’entrée sans autorisation en Ontario sont exposés au paragraphe 86 de la décision Grace c Fort Erie (Town), [2003] OJ No 3475, 2003 CanLII 48456 (ONSC) où la Cour supérieure de l’Ontario a indiqué que ces éléments sont :

[traduction]

*    Toute intrusion directe et physique sur les terres qui sont en la possession de la demanderesse (les atteintes indirectes ou qui découlent de cette intrusion ne constituent pas une entrée sans autorisation).

*    L’acte de la défenderesse n’a pas à être intentionnel, mais il doit être volontaire.

*    L’entrée sans autorisation peut donner lieu à une action en justice sans preuve de dommage.

*    Bien qu’une forme d’entrée ou de contact physique avec les terres de la demanderesse soit essentielle pour constituer une entrée sans autorisation, le fait de placer ou de propulser un objet, ou de déverser une substance, sur les terres de la demanderesse peuvent aussi constituer une entrée sans autorisation.

[38]           Essentiellement, [traduction] « [t]oute intrusion sur la terre d’une autre personne constitue une entrée sans autorisation si elle n’est pas justifiée par loi » (Halsbury’s Laws of Canada [en ligne], Torts, à HTO‑19 « Categories of Trepass »).

[39]           Selon le demandeur, les incidents concernant la signification des documents constituent une intrusion dans l’intimité et une entrée sans autorisation. Le demandeur soutient que les agents de la GRC ont physiquement envahi sa propriété et qu’ils se sont ingérés dans ses affaires personnelles, et que le fait qu’ils se soient présentés à sa résidence à maintes reprises n’est pas autorisé par loi. Selon le demandeur, la Loi sur la GRC et le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, (1988), DORS/88‑361 (le Règlement de la GRC de 1988) ne prévoient pas la possibilité de tenter, à plusieurs reprises, de lui signifier des documents à personne. Le paragraphe 47.2 (1) de la version de la Loi sur la GRC qui était en vigueur au moment où sont survenus les incidents relatifs à la signification prévoyait que :

47.2 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la signification à personne s’impose à l’égard de tout avis, décision ou autre document qu’une personne ou une commission doit signifier en vertu de la présente loi.

47.2 (1) Subject to subsection (2), any notice, decision or other document required by this Act to be served by a person or a board shall be served by or on behalf of that person or board personally on the person to whom the notice, decision or document is directed.

[40]           L’article 27 du Règlement de la GRC de 1988 contient des dispositions tant pour la signification à personne que pour d’autres moyens de signification dans certaines circonstances :

27. (1) La signification à personne s’impose à l’égard de tout avis, décision ou autre document dont le présent règlement exige la signification. Toutefois, dans le cas d’un avis, d’une décision ou d’un autre document qu’une personne, un conseil de renvoi par mesure administrative ou un conseil médical est tenu de signifier, aux termes du présent règlement, au Commissaire ou à l’officier compétent, est valable la signification par courrier affranchi au tarif de première classe et adressé au Commissaire ou à l’officier compétent, selon le cas.

 

27. (1) Any notice, decision or other document required by these Regulations to be served on a person shall be served personally on the person, except that any notice, decision or other document required by these Regulations to be served by a person, an administrative discharge board or a medical board on the Commissioner or an appropriate officer is sufficiently served if it is sent by or on behalf of the person, administrative discharge board or medical board by prepaid first class mail addressed to the Commissioner or appropriate officer, as the case may be.

 

(2) La signification à personne consiste à remettre au destinataire en mains propres une copie de l’avis, de la décision ou du document.

 

(2) Personal service constitutes leaving a copy of the notice, decision or other document with the person.

 

(3) Lorsque plus d’une tentative de signification à personne a échoué, la signification de l’avis, de la décision ou du document peut être effectuée par la remise d’une copie de celui-ci, insérée dans une enveloppe cachetée et adressée au destinataire, à toute personne à la résidence du destinataire qui semble être adulte et y résider, ou par l’envoi d’une copie par la poste à la même adresse.

 

(3) Where more than one unsuccessful attempt has been made to personally serve a notice, decision or other document on a member, the notice, decision or other document may be served by enclosing a copy thereof in a sealed envelope addressed to that member and leaving it with any person who appears to be an adult and an occupant of the dwelling in which the member is residing, or by mailing a copy thereof to the person at that address.

 

(4) Lorsqu’une personne refuse de recevoir un avis, une décision ou un autre document qui doit être signifié à personne, la signification à personne est réputée avoir été faite au moment du refus si la personne chargée de la signification :

 

(4) Where a person refuses to accept a notice, decision or other document required to be served personally, personal service is considered to have been effected at the time of the refusal, if the person attempting service

 

a) d’une part, inscrit le refus sur l’avis, la décision ou le document;

 

(a) records the refusal on the notice, decision or other document; and

 

b) d’autre part, laisse une copie de l’avis, de la décision ou du document au destinataire par tout moyen raisonnable.

 

(b) leaves a copy of the notice, decision or other document with the person, by any reasonable means.

 

[…]

[…]

 

[41]           Selon le demandeur, après la première tentative de signification des documents à personne, les agents auraient dû expédier ces documents par la poste ou les remettre à Mme Séguin à la résidence de Navan. Le demandeur affirme qu’il ne pouvait pas avoir été dans l’intention du législateur que des personnes puissent se présenter à plusieurs reprises à la résidence d’un individu, mais en l’espèce, les agents de la GRC ont expressément reçu l’ordre de remettre les documents au demandeur en personne, plutôt que de suivre les autres moyens de signification prévus par le paragraphe 27(3) du Règlement de la GRC de 1988. Selon le demandeur, la conduite de la GRC constitue à la fois une entrée sans autorisation et une intrusion dans l’intimité. En ce qui concerne l’intrusion dans l’intimité, la conduite était intentionnelle et constituait une ingérence dans les affaires personnelles du demandeur sans justification légitime, et une personne raisonnable considérerait cette conduite comme étant hautement répréhensible. En ce qui concerne la violation du droit de propriété, les agents de la GRC ont envahi la résidence de Navan sans justification légitime. Pendant le plaidoyer final, l’avocate du demandeur a signalé qu’aucun acte délictuel n’était allégué quant aux incidents relatifs à la signification à l’édifice de la Cour fédérale.

[42]           Selon la défenderesse, ni l’acte délictuel d’entrée sans autorisation ni celui d’intrusion dans l’intimité n’ont été prouvés par le demandeur. En premier lieu, toutes les mesures de la GRC ont été prises en vue de se conformer au paragraphe 47.2(1) de la Loi sur la GRC. Deuxièmement, le demandeur a des antécédents d’évitement de significations et ne possède aucune adresse fixe, étant donné qu’il alterne entre quatre résidences. Dans ce contexte, la GRC ne pouvait pas laisser les documents à Mme Séguin ou les expédier par la poste à la résidence de Navan ou à une autre adresse. En outre, bien que l’avocate du demandeur ait signalé que cela ne créerait aucun problème quant à la preuve si la signification n’était pas faite à personne, il existe déjà un incident documenté où l’inspecteur Côté a déclaré dans un affidavit qu’il avait signifié un document au demandeur, alors que le demandeur déclarait dans un affidavit que le document ne lui avait pas été signifié, ce qui prouve que la GRC devait procéder à la signification à personne. Quant à l’intrusion dans l’intimité, la défenderesse reconnaît que la conduite de la GRC était intentionnelle, mais soutient que cette conduite était légalement justifiée et n’est pas considérée comme hautement répréhensible par une personne raisonnable. Quant à l’entrée sans autorisation, la défenderesse affirme que le demandeur n’a pas qualité pour intenter une action pour entrée sans autorisation, puisqu’il n’est pas une personne en possession de la propriété, du fait qu’il réside à quatre endroits différents et qu’il n’est ni propriétaire ni locataire de la résidence de Navan.

[43]           Je souscris à la thèse de la défenderesse. La signification des documents effectuée par la GRC ne constituait pas un acte délictuel. Quant à l’intrusion dans l’intimité, ni le deuxième critère ni le troisième critère ne sont satisfaits. La conduite de la GRC était généralement légitime et adoptée pour se conformer au paragraphe 47.1(1) de la Loi sur la GRC. Le paragraphe 27 (3) du Règlement de la GRC de 1988 prévoit effectivement d’autres moyens de signification, mais l’utilisation de ces moyens n’est pas obligatoire (« la signification de l’avis, de la décision ou du document peut être effectuée ») et les antécédents du demandeur en manière d’évitement de signification et son absence d’adresse fixe justifiaient la décision de la GRC de lui effectuer la signification à personne uniquement. Cependant, lors de quelques incidents en janvier 2010, les agents de la GRC ont outrepassé les actions légalement justifiées en tentant de signifier à personne les documents au demandeur, tant en vérifiant l’arrière de la résidence qu’en regardant à l’intérieur de la maison, y compris en éclairant les fenêtres avec une lampe de poche. Néanmoins, aucun de ces incidents ni les autres incidents de significations ne seraient considérés comme étant hautement répréhensibles par une personne raisonnable, puisqu’ils constituent un comportement approprié lorsqu’on tente de signifier des documents à personne.

[44]           En ce qui concerne l’acte délictuel d’entrée sans autorisation, je conviens avec la défenderesse que le demandeur n’a pas qualité pour intenter une action pour entrée sans autorisation relativement à la résidence de Navan. Le fait que cette résidence constitue l’un des quatre endroits où réside le demandeur n’est pas suffisant pour constituer l’attribut de possession. Selon la preuve fournie, le demandeur était simplement un invité à la résidence de Navan et il n’en avait aucun des attributs de la possession. Il n’exerçait certainement pas l’occupation exclusive de la terre en qualité de propriétaire ou de locataire. Sa situation était similaire à celle d’un invité dans une chambre d’hôtel ou d’une bonne d’enfants résidante (Philip Osborne, The Law of Torts, 3e éd. (Toronto : Irwin Law, 2007) à la page 280). En conséquence, le demandeur ne peut pas intenter de poursuite pour entrée sans autorisation à l’égard de la résidence de Navan, et ce, même s’il y a résidé.

[45]           Selon le demandeur, le reste des incidents, autant l’incident avec l’arme que les incidents relatifs à la surveillance, démontrent un comportement d’intrusion dans la vie privée du demandeur par la GRC et constituent de l’intrusion dans l’intimité. Le demandeur soutient que la surveillance sur sa personne était une intrusion intentionnelle par la GRC, qu’il n’y a aucune preuve que cela était autorisé par la loi et qu’une personne raisonnable la considérerait comme hautement répréhensible. Quant à l’incident concernant l’arme, cela constitue un acte de harcèlement, et quoique le harcèlement ne soit pas passible d’une poursuite en soi, il peut être considéré comme faisant partie du comportement de la GRC qui constituait une intrusion dans l’intimité.

[46]           La défenderesse soutient que la GRC n’a pas effectué de surveillance sur le demandeur. La surveillance est effectuée dans les affaires en matière criminelle aucune surveillance sur le demandeur n’a été autorisée par le sergent d’état‑major Gagnon. De plus, les agents de la GRC, y compris le gendarme Pion, n’auraient pas pu effectuer une surveillance sur quelqu’un qu’ils connaissaient. En outre, il n’aurait pas été possible pour la GRC d’obtenir une mise sur écoute de la ligne téléphonique du demandeur, puisqu’une question criminelle est nécessaire pour ce faire; de plus, la façon de procéder à la mise sur écoute ne correspond pas au récit des faits livré par le demandeur. Quant à l’incident concernant l’arme, la défenderesse soutient que la GRC n’a pas essayé de vendre une arme au demandeur. La défenderesse fait remarquer que le sergent d’état‑major Gagnon aurait lui-même eu connaissance de cette situation, puisqu’il était responsable des sources humaines confidentielles et qu’une telle entente aurait été illégale.

[47]           Bien que la défenderesse affirme que le témoignage et les notes du demandeur n’étaient pas fiables, je conviens avec le demandeur que sa crédibilité n’a pas été contestée de manière considérable en ce qui concerne les incidents relatifs à la surveillance. Le demandeur était un témoin crédible et les incidents relatifs à la surveillance, y compris l’incident impliquant le gendarme Pion, ont été corroborés par Mme Séguin. De plus, nous tenons à souligner que le gendarme Pion n’a pas nié l’incident survenu au Superstore; il a simplement déclaré qu’il n’en avait aucun souvenir. En outre, la défenderesse n’a pas fait comparaître les agents de la GRC que le demandeur avait identifiés comme ayant joué un rôle dans l’incident du 6 juin 2006. Enfin, la défenderesse n’a fourni aucune preuve portant que le demandeur inventait certains faits ou qu’il souffre de paranoïa. Cependant, le fait que le demandeur était crédible ne signifie pas que j’accepte l’ensemble de la preuve qu’il a produite.

[48]           D’abord, j’accorde très peu de valeur aux éléments de preuve par ouï-dire, y compris la preuve produite par le demandeur quant à ce que l’informateur lui aurait dit, de même que sa preuve quant à ce que plusieurs agents policiers lui signalant de garer sa voiture sur la chaussée lui auraient dit. Ni l’informateur ni les agents policiers en question n’ont été entendus devant la Cour. L’enregistrement de la conversation avec l’informateur n’a pas été produit et les notes prises par le demandeur ne constituaient pas un compte rendu textuel. D’ailleurs, le sergent d’état‑major Gagnon a nié sous serment que la GRC ait eu recours aux services d’un informateur pour piéger le demandeur en le faisant acheter une arme. Ensuite, je rejette l’allégation non corroborée et niée que la GRC ait mis sur écoute le téléphone de la résidence de Navan, au motif qu’elle est purement conjecturale ou non vraisemblable.

[49]           Troisièmement, bien que le témoignage du demandeur démontre qu’il a fait l’objet d’une surveillance visuelle, le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que la GRC était responsable d’avoir effectué une telle surveillance. Elle pourrait avoir été effectuée par n’importe quelle organisation s’intéressant à lui. La seule preuve directe que le demandeur a produit quant à cette question était le fait qu’il avait reconnu des agents de la GRC à deux occasions (le 6 juin 2006 dans le stationnement de la Banque TD et à l’été 2009 au Superstore). Sa croyance selon laquelle la surveillance avait été exercée par la GRC repose surtout sur son expérience en matière de techniques de surveillance et de contresurveillance. Cependant, le sergent d’état‑major Gagnon, qui était responsable d’approuver chaque plan opérationnel dans lequel la surveillance était demandée, a relaté dans son témoignage qu’il n’était au courant d’aucun plan concernant le demandeur, et le gendarme Pion a directement témoigné qu’il n’avait jamais effectué de surveillance sur le demandeur. Il n’existe aucun élément de preuve, documentaire ou autre, provenant de quelque autre source que le demandeur, portant que la GRC ait effectué de la surveillance sur ce dernier. En outre, le demandeur n’a pas établi pourquoi la GRC aurait exercé une surveillance sur lui pendant une période de cinq ans, hormis son hypothèse selon laquelle la surveillance était liée à l’enquête disciplinaire qui le visait. Ainsi, même si je suis disposé à reconnaître que le demandeur était sous surveillance, la preuve n’établit pas d’une manière concluante que c’était la GRC, ou un autre corps policier agissant au nom de la GRC, qui le surveillait lors de la période pertinente. En conséquence, le demandeur n’a pas établi que la GRC avait exercé une surveillance sur sa personne.

[50]           Même si j’avais conclu que le demandeur avait prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que la GRC avait exercé une surveillance sur le demandeur, je n’en serais pas venu à la conclusion que cette mesure constituait un acte délictuel. La surveillance sur le demandeur n’était jamais exercée à l’intérieur de lieux privés et se déroulait toujours dans la rue, dans des stationnements ou dans des magasins. Le demandeur ne m’a signalé aucun cas où un tribunal avait conclu que des mesures semblables constituaient un acte délictuel passible de poursuites. Le demandeur a soutenu que l’atteinte à la vie privée peut exister sans contact et que le droit applicable en matière de vie privée protège ses activités quotidiennes. Le demandeur m’a renvoyé à la décision MacKay c Buelow, [1995] OJ No 867 [MacKay], par laquelle une femme s’est vue attribuer des dommages-intérêts à l’encontre de son ancien conjoint, car celui-ci l’avait traquée de manière furtive.

[51]           Cependant, la décision MacKay n’est pas applicable en l’espèce, car dans cette affaire, il était question d’un contact répété et intentionnel entre les parties, puisque M. Buelow (au paragraphe 8) :

[traduction]
[…] a harcelé et intimidé la demanderesse à de nombreuses occasions en l’appelant de manière continue jour et nuit, en lui laissant des lettres et des notes à sa maison, en la menaçant de kidnapper sa fille Angela de l’amener à l’extérieur du pays, en proférant des menaces de porter atteinte à sa sécurité et à son bien‑être physique ainsi qu’à celui d’Angela, en lui lançant directement une porte d’armoire qui la manqua de peu, en suspendant au mur de la maison de la demanderesse un condom utilisé, en la traquant, au moyen d’une voiture ou à pied, à diverses occasions, en la menaçant directement ou indirectement de mort, en filmant la demanderesse par la fenêtre de la salle de bains à partir d’un arbre, en informant des tiers sur l’existence de films la montrant nue et en harcelant continuellement ses amis et ses conseillers professionnels.

[52]           La présente affaire n’est pas similaire. Selon la preuve présentée par le demandeur, les agents exerçant la surveillance et le demandeur ne communiquaient pas, et tout contact entre eux était accidentel. En outre, le demandeur n’a pas allégué avoir été filmé ou photographié, que ce soit dans un lieu privé ou un lieu public (exception faite de l’incident où l’homme avec une caméra est entré dans le magasin The Source après avoir vraisemblablement suivi le demandeur et son fils chez Staples), ni qu’il ait été observé dans un lieu privé. Bien que je convienne avec le demandeur qu’il a droit au respect de la vie privée dans l’exercice de ses activités quotidiennes et que la surveillance exercée seulement dans des lieux publics peut constituer une intrusion des affaires privées d’une personne, la surveillance dans ce cas‑ci ne répond pas aux critères de l’intrusion dans l’intimité. En outre, étant donné que le demandeur avait été reconnu coupable de harcèlement criminel et qu’il faisait l’objet d’une enquête disciplinaire, une personne raisonnable ne considérerait pas la surveillance en l’espèce comme étant hautement répréhensible. Il s’ensuit que le demandeur n’a pas établi que la GRC avait commis le délit d’intrusion dans l’intimité.

[53]           À tous les autres égards, j’accepte les arguments à l’appui du rejet de l’action qui ont été formulés par l’avocate de la défenderesse dans ses plaidoyers finaux.

[54]           Pour les motifs ci-dessus, la présente demande sera rejetée par la Cour. Compte tenu de l’issue de la cause, la défenderesse a droit aux dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’action est rejetée. Les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-996-09

 

INTITULÉ :

GARY SAUVE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

1er JUIN 2015,

2 JUIN 2015 ET

4 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE :

11 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Cheryl Letourneau

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Agnieszka Zagorska

Jyll Hansen

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertschi Orth
Solicitors and Barristers LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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