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Date : 20150717


Dossier : T-2125-14

Référence : 2015 CF 881

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

IDRIS BEN-TAHIR

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, en date du 10 septembre 2014, par laquelle le comité d’appel de l’admissibilité (le comité d’appel) du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (le TACRA) a confirmé la décision du comité de révision de l’admissibilité du TACRA, datée du 1er mars 2013, laquelle confirmait la décision du 17 février 2012 d’Anciens combattants Canada (ACC) de rejeter sa demande d’indemnité d’invalidité fondée sur la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2005, c 21 [la LMRI]. Le comité d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas établi que son hypoacousie et son vertige paroxystique positionnel bénin (VPPB ou vertige) avaient été causés ou aggravés par son service militaire.

[2]               M. Ben-Tahir, le demandeur, a produit une quantité appréciable de renseignements sur son rôle au sein des Forces canadiennes et sur les diagnostics médicaux posés à son égard.

[3]               Le présent contrôle judiciaire ne vise pas à déterminer si M. Ben-Tahir souffre d’une hypoacousie et d’un VPPB, puisque la preuve médicale confirme qu’il souffre effectivement de ces handicaps. Il a décrit les effets sérieux qu’ils ont sur sa vie quotidienne.

[4]               Le présent contrôle judiciaire ne porte pas non plus sur la contribution ou l’engagement de M. Ben-Tahir à l’égard des Forces canadiennes en tant que membre de la Force de réserve et de la Réserve supplémentaire, et en tant que fonctionnaire ou civil.

[5]               Le présent contrôle judiciaire porte essentiellement sur la décision rendue par le comité d’appel quant à certaines prétentions formulées par M. Ben-Tahir dans sa demande d’indemnité d’invalidité.

[6]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le comité d’appel a rendu une décision raisonnable et il l’a rendue en suivant une procédure équitable.

Contexte

[7]               Le contexte peut être résumé comme suit.

[8]               M. Ben-Tahir a servi dans la Force de réserve des Forces canadiennes (la Force de réserve) du 5 décembre 1963 au 14 février 1967.

[9]               Il affirme qu’en août 1965, alors qu’il était dans la Force de réserve, il a été soumis à des intimidations, à des formes de bizutage, qui avaient été approuvées par son commandant. Il dit qu’il a été dépouillé de ses vêtements, de ses chaussures et de ses lunettes; ses pieds étaient liés; du Coca-Cola lui a été versé sur la tête; et il a été jeté dans une piscine. Il a déposé un grief, mais on l’a incité à le retirer. Il affirme aussi que l’incident a eu d’autres conséquences négatives qui ont conduit en février 1967 à sa mutation dans la Réserve supplémentaire.

[10]           Il soutient que les intimidations, ainsi que le stress causé par leurs séquelles, sont à l’origine de son VPPB et de son hypoacousie ou y ont contribué.

[11]           Il dit aussi qu’il a travaillé pour les Forces canadiennes en tant que civil à la BFC Trenton à partir de 1967, et à la BFC Cold Lake en 1977, et qu’il a alors souffert d’une importante exposition au bruit qui a également contribué à son hypoacousie. Dans ses observations orales, le demandeur indique que l’exposition au bruit a commencé plus tôt, alors qu’il servait à la BFC Uplands.

[12]           M. Ben-Tahir soutient que son hypoacousie et son vertige n’existaient pas avant l’incident d’intimidation et que ces handicaps se sont exacerbés au fil des ans.

[13]           Il affirme aussi qu’il a posé sa candidature au poste de membre du TACRA en 2010 et que celle‑ci n’a pas été retenue. Il répondait à toutes les exigences en matière d’études et on ne lui a pas expliqué la raison véritable de ce rejet.

La décision contestée

[14]           Comme l’indique le dossier du défendeur, le demandeur a présenté, pour un autre handicap, une demande distincte d’indemnité d’invalidité sur laquelle s’est prononcé, le 18 juin 2014, un autre comité de révision de l’admissibilité. La décision du comité de révision n’a pas encore été portée en appel devant le comité d’appel de l’admissibilité.

[15]           Il existe plusieurs mécanismes de révision et d’appel des décisions du TACRA portant sur l’admissibilité à diverses indemnités et pensions d’invalidité. En l’espèce, M. Ben-Tahir a épuisé tous les mécanismes de révision dont il disposait quant à sa demande d’indemnité fondée sur son VPPB et son hypoacousie, et il voudrait maintenant faire casser la décision du comité d’appel datée du 10 septembre 2014. Seule la décision du comité d’appel est visée par le présent contrôle judiciaire.

[16]           Le comité d’appel a jugé que l’hypoacousie et le VPPB dont le demandeur prétend souffrir n’étaient ni consécutifs ni rattachés directement à son service dans la Force de réserve.

[17]           Le comité d’appel a noté que, pour l’essentiel, les éléments de preuve produits par le demandeur au soutien de sa demande d’indemnité étaient sans rapport avec ses handicaps.

[18]           S’agissant de l’hypoacousie du demandeur, le comité d’appel a fait observer que les documents médicaux n’indiquaient pas que le demandeur avait subi un examen médical ou un audiogramme avant sa libération de la Force de réserve. Il a aussi constaté que le compte rendu de l’examen médical que le demandeur a subi en 1974 en vue d’un enrôlement ne montrait pas qu’il souffrait à l’époque de troubles auditifs.

[19]           Le comité d’appel a noté que le premier audiogramme du demandeur datait de mai 1986 et que les résultats n’indiquaient pas que sa perte auditive était suffisante en termes de décibels pour être considérée comme étant la cause d’une invalidité par hypoacousie entrant dans une catégorie définie par les Lignes directrices sur l’admissibilité au droit à pension pour l’hypoacousie (les Lignes directrices).

[20]           Le comité d’appel a tenu compte de l’opinion du Dr Murphy, otorhinolaryngologiste, datée du 25 août 2013, selon laquelle une exposition au bruit peut produire un effet cumulatif susceptible de ne pas se manifester avant plusieurs années.

[21]           Le comité d’appel a aussi fait observer que la preuve ne permettait pas de savoir à quelles activités le demandeur avait participé pendant qu’il était dans la Force de réserve, ni à quel niveau de bruit il avait été exposé dans la Force de réserve (de 1964 à 1967). Il a ajouté que, selon le témoignage du demandeur, ce dernier avait surtout été exposé au bruit de 1969 à 1974, alors qu’il était à la BFC Trenton. Il a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait été exposé au bruit pendant qu’il était dans la Force de réserve.

[22]           Le comité d’appel a reconnu que le demandeur avait été exposé à un niveau appréciable de bruit alors qu’il travaillait à la BFC Trenton de 1969 à 1974, et plus tard à la BFC Cold Lake, mais il a conclu qu’il travaillait alors comme civil et que, par conséquent, il n’avait pas droit à des prestations d’ACC.

[23]           Le comité d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas droit à une indemnité d’invalidité pour hypoacousie.

[24]           S’agissant du VPPB dont souffrait le demandeur, le Comité d’appel a consulté le site Web de la clinique Mayo pour en savoir plus sur les causes et les facteurs de risque du VPPB. Ce site indique que les médecins ne peuvent déceler de cause précise dans environ la moitié des cas. Lorsqu’une cause peut être déterminée, elle est souvent rattachée à un coup léger ou sévère porté à la tête, ou à d’autres troubles pouvant endommager l’oreille interne. Aucun facteur explicite de risque n’est indiqué hormis l’âge.

[25]           Le comité d’appel a considéré l’opinion du Dr Murphy du 25 août 2013, selon qui le fait d’être jeté à l’eau ne causerait pas la maladie de Ménière, laquelle est un précurseur de vertige. Le Dr Murphy a déclaré que le stress psychologique causé par les intimidations subies par le demandeur a pu aggraver, chez ce dernier, une sensation de vertige qu’il avait peut-être déjà eue avant l’incident.

[26]           Le comité d’appel a noté que les Lignes directrices ne précisent pas que le stress est une cause de vertige ou qu’il peut l’aggraver.

[27]           Le comité d’appel a ajouté que, selon l’opinion du Dr Murphy du 8 octobre 2012, les diagnostics antérieurs d’hydrops du canal cochléaire, de labyrinthite et d’infection virale étaient les causes du vertige du demandeur. D’après le médecin, le diagnostic d’hydrops du canal cochléaire, ou celui de labyrinthite, avait pu être un premier épisode de VPPB.

[28]           Le comité d’appel a aussi fait observer que les intimidations dont le demandeur avait fait le récit au Dr Murphy n’avaient pas été prouvées.

[29]           Le comité d’appel a également tenu compte de l’opinion du Dr Smith, psychiatre, datée du 17 octobre 2002, pour qui l’épisode de vertige que le demandeur a connu en 1969 s’expliquait par une infection virale. Le Dr Smith également dit que [traduction« cela ne diminue en rien le rôle des facteurs psychologiques comme déclencheur important de l’exacerbation de son vertige positionnel bénin ».

[30]           Le comité d’appel a conclu que la preuve médicale ne permettait pas de rattacher le VPPB du demandeur à son service dans la Force de réserve.

Dispositions législatives applicables

[31]           Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, LC 2015, c 21 :

43. Lors de la prise d’une décision au titre de la présente partie ou de l’article 84, le ministre ou quiconque est désigné au titre de l’article 67 :

a) tire des circonstances portées à sa connaissance et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible au demandeur;

b) accepte tout élément de preuve non contredit que le demandeur lui présente et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) tranche en faveur du demandeur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

45. (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée:

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré d’invalidité qui représente l’aggravation due au service donne droit à une indemnité d’invalidité.

 

43. In making a decision under this Part or under section 84, the Minister and any person designated under section 67 shall

(a) draw from the circumstances of the case, and any evidence presented to the Minister or person, every reasonable inference in favour of an applicant under this Part or under section 84;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to the Minister or the person, by the applicant, that the Minister or person considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant any doubt, in the weighing of the evidence, as to whether the applicant has established a case.

45. (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

(a) a service-related injury or disease; or

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

(2) A disability award may be paid under paragraph (1)(b) only in respect of that fraction of a disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated by service.

[32]           Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18 [la Loi sur le TACRA] :

39. Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

39. In all proceedings under this Act, the Board shall

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

Questions en litige

[33]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions et a versé au dossier une quantité appréciable de renseignements, notamment sur sa carrière au Canada et sur son rôle dans la collectivité. D’après son mémoire et ses observations orales, il fait valoir essentiellement, dans le présent contrôle judiciaire, que le comité d’appel n’a pas bien évalué son droit à pension. Plus précisément, il soutient que les intimidations qu’il a subies en 1965 expliquent à la fois son VPPB et son hypoacousie, et que son exposition au bruit alors qu’il travaillait à la BFC Trenton et à la BFC Cold Lake avait causé ou exacerbé son hypoacousie. Le demandeur a aussi soulevé la question de la partialité dont aurait fait preuve le TACRA à son égard.

[34]           Le demandeur sollicite aussi un redressement qui excède la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Ainsi, la Cour ne peut se prononcer sur des questions qui touchent à la recevabilité ou à l’admission d’éléments de preuves produits dans d’autres instances.

[35]           Les questions qui seront examinées dans le présent contrôle judiciaire sont :

(1)               La décision du comité d’appel est-elle raisonnable?

(2)               La décision du comité d’appel est-elle équitable sur le plan de la procédure, compte tenu des allégations du demandeur pour qui le TACRA a fait naître une crainte raisonnable de partialité?

L’affidavit supplémentaire

[36]           À titre de question préliminaire, le demandeur voudrait que la Cour admette son affidavit supplémentaire, daté du 15 juin 2015, et les pièces qui y sont jointes. Le défendeur s’oppose à l’essentiel de cet affidavit, soutenant qu’il renferme des arguments juridiques, des déclarations sans rapport avec la question soulevée dans le présent contrôle judiciaire, des déclarations qui ne font que reprendre des renseignements figurant au dossier ou dans l’affidavit souscrit par le demandeur le 2 décembre 2014 et, plus généralement, que l’affidavit ne sera d’aucune utilité pour la Cour.

[37]           Je conviens que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la preuve contenue dans l’affidavit supplémentaire servira les intérêts de la justice, qu’elle sera utile pour la Cour et qu’elle ne causera aucun préjudice au défendeur (Mazhero c Canada (Conseil des relations industrielles), 2002 CAF 295, au paragraphe 5, [2002] ACF no 1112). La question du préjudice causé au défendeur n’est pas en litige en l’espèce; toutefois, les deux autres volets du critère ne sont pas respectés.

[38]           Le demandeur n’a pas établi que l’affidavit supplémentaire devrait être admis par la Cour, mais comme il n’est pas représenté par avocat, je lui ai accordé une certaine latitude en ce qui concerne ses observations et les documents joints comme pièces à son affidavit supplémentaire. Certains des renseignements qu’il renferme sont une répétition de ce qui figure au dossier ou dans son exposé du droit. D’autres renseignements font état de sa contribution à la collectivité, une contribution louable, mais qui n’est d’aucun intérêt pour la question dont est saisie la Cour, qui est de savoir si la décision du comité d’appel est ou non raisonnable. L’affidavit fait état d’un nouvel élément, à savoir une lettre du Dr Murphy datée de mai 2015. Cette lettre n’était pas accessible jusque-là et elle n’a pas été soumise au comité d’appel. Elle renferme une explication possible concernant les résultats insolites d’un audiogramme effectué en 1986 (ou 1984, les deux années étant mentionnées à divers endroits du dossier). J’ai examiné cette lettre; toutefois, comme je l’explique ci-après, ce nouvel élément ne change rien à l’examen de la décision du comité d’appel par la Cour.

Norme de contrôle

[39]           La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires et aux conclusions de fait du comité d’appel de l’admissibilité du TACRA est celle de la décision raisonnable (Robertson c Canada (Ministère des Affaires des anciens combattants), 2010 CF 233, au paragraphe 32, [2010] ACF no 263 [Robertson]; Phelan c Canada (Procureur général), 2014 CF 56, au paragraphe 25; Jarvis c Canada (Procureur général), 2011 CF 944, au paragraphe 4 [Jarvis]). La décision rendue par le comité d’appel sur le droit du demandeur à une pension d’invalidité l’obligeait à interpréter et à apprécier des éléments de preuve, et ses conclusions en la matière commandent elles aussi l’application de la norme de la décision raisonnable (Beauchene c Canada (Procureur général), 2010 CF 980, au paragraphe 21, 375 FTR 13).

[40]           La norme de la décision raisonnable ne s’entend pas nécessairement de ce qui, selon ce que peut penser ou affirmer une personne, est raisonnable d’après l’idée qu’elle se fait des répercussions de la décision rendue. La norme de la décision raisonnable, qui est appliquée en matière de contrôle des décisions, repose plutôt sur des principes juridiques bien établis. Je reconnais que cette notion pourra ne pas être comprise d’emblée, surtout si le résultat n’est pas celui qui est escompté. Cependant, la Cour est tenue d’appliquer les principes juridiques pertinents.

[41]           Le rôle de la Cour dans un contrôle judiciaire qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable, comme c’est le cas en l’espèce, consiste à déterminer si la décision du tribunal administratif appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). « Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable ». (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]).

[42]           La Cour n’a pas pour rôle d’apprécier à nouveau la preuve, ni de faire prévaloir sa propre décision.

[43]           Une décision raisonnable peut aussi être décrite comme une décision capable de résister à un examen assez poussé (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 63, [1999] ACS no 39).

[44]           Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Khosa, au paragraphe 43; Jarvis, au paragraphe 5). Un manquement à l’équité procédurale commande le réexamen de la décision; la cour de révision n’est pas tenue à la déférence à l’égard du décideur qui a commis un tel manquement. Les allégations de partialité formulées par le demandeur sont assujetties à cette norme.

Documents non soumis au comité d’appel

[45]           Comme il a été expliqué à l’audience, la Cour ne peut, dans un contrôle judiciaire, considérer que les éléments qui ont été soumis à l’office fédéral dont la décision est contestée, sous réserve de certaines exceptions limitées, dont aucune n’est présente en l’espèce (Via Rail Canada Inc c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1998] 1 CF 376, aux paragraphes 14 à 24, 135 FTR 214; Robertson, aux paragraphes 29 à 31). La question de savoir si la décision du comité d’appel est ou non raisonnable dépend donc des éléments dont disposait le comité d’appel, lesquels, a reconnu ce dernier, étaient très nombreux, mais n’étaient pas tous pertinents.

La décision du comité d’appel était-elle raisonnable?

Observations du demandeur

[46]           Le demandeur affirme avoir été soumis à des intimidations en 1965, quand il servait dans la Force de réserve, intimidations qu’avait ordonnées ou approuvées le commandant et qui ont entraîné plusieurs pathologies chez le demandeur, en particulier le vertige et l’hypoacousie.

[47]           Le demandeur affirme aussi que la plupart des renseignements pertinents témoignant des intimidations subies en 1965 ont été détruits.

[48]           Il explique qu’il souffrait d’un vertige sévère alors qu’il était à la BFC Trenton de 1969 à 1974 et que son hypoacousie s’est aggravée en raison d’une exposition au bruit.

[49]           Il explique aussi que, même s’il était sans doute un civil quand il travaillait à la BFC Trenton, il était appelé à participer à diverses missions, ce qui l’obligeait à porter son uniforme. Il soutient que ces missions ou affectations équivalaient pour lui à servir pour la Réserve supplémentaire.

[50]           Le demandeur soutient maintenant avoir été exposé au bruit beaucoup plus tôt, quand il était à la BFC Uplands en 1963-1967 et qu’il faisait encore partie de la Force de réserve.

[51]           Il soutient que la lettre de mai 2015 du Dr Murphy explique les résultats insolites d’un audiogramme effectué en 1984 ou 1986, selon lequel son ouïe ne s’était pas dégradée depuis le test précédent. Selon le demandeur, le Dr Murphy dit maintenant qu’il y a eu défaillance de l’équipement ou cafouillage dans les résultats du test.

[52]           Le demandeur soutient aussi que le comité d’appel n’a pas tenu compte du témoignage du Dr Smith, qui l’avait traité durant de nombreuses années avant 2006. Il affirme que le témoignage du Dr Smith montre que le stress est une cause de vertige. Le Dr Smith a déclaré ce qui suit :

[traduction] Suivant la prépondérance des probabilités, et compte tenu des événements stressants que M. Ben-Tahir vivait à l’époque, je dirais qu’il y a un lien à établir entre les symptômes de vertige et les niveaux accrus d’anxiété qu’il ressentait. Selon la prépondérance des probabilités médicales, le trouble émotionnel qu’il a subi a contribué notablement aux symptômes qu’il présentait, et qui étaient rattachés au vertige positionnel bénin.

Observations du défendeur

[53]           Le défendeur fait observer que c’est au demandeur qu’il appartient de prouver que son handicap est une conséquence suffisamment directe de son service militaire (Acreman c Canada (Procureur général), 2010 CF 1331, au paragraphe 26, 381 FTR 139), et cela en produisant des éléments suffisamment crédibles et raisonnables (Weare c Canada (Procureur général) (1998), 153 FTR 75, au paragraphe 19, [1998] ACF no 1145 (CF 1re inst)). Selon lui, le comité d’appel a eu raison de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté de ce fardeau.

[54]           Selon le défendeur, le comité d’appel explique clairement dans sa décision pourquoi il n’a pas conclu que le demandeur avait établi un lien de causalité entre ses handicaps et son service militaire.

[55]           Le défendeur fait observer que l’absence de lien causal avec le service militaire du demandeur avait été un facteur déterminant pour le comité d’appel. Il ajoute que, même si le comité d’appel a reconnu que le demandeur avait été exposé au bruit quand il travaillait comme civil dans des bases militaires après avoir été libéré de la Force de réserve, son appartenance à la Réserve supplémentaire ou son statut de civil travaillant dans une base militaire ne donne pas droit à une indemnité d’invalidité, ni ne relève de la LMRI, puisque le préjudice subi n’est pas « une blessure ou maladie liée au service » (LMRI, article 45).

[56]           Le défendeur fait observer qu’une « blessure ou maladie liée au service » est une blessure ou maladie qui est attribuable au « service spécial » ou qui est « consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes » (LMRI, article 2).

[57]           Selon le défendeur, la preuve ne permet pas de conclure que le demandeur participait à un « service spécial ».

[58]           S’agissant du VPPB du demandeur, le défendeur affirme que le comité d’appel a eu raison de conclure que la preuve produite ne permettait pas de rattacher ce handicap à son service au sein de la Force de réserve. Cette conclusion était raisonnablement fondée sur la preuve selon laquelle le stress n’est pas une cause reconnue de VPPB et que ce handicap pouvait avoir, en ce qui concerne le demandeur, trois autres causes possibles, qui toutes étaient sans rapport avec son service militaire.

[59]           En réponse à l’argument du demandeur qui estimait qu’il était déraisonnable pour le comité d’appel de ne pas croire qu’il avait été victime d’intimidations, le défendeur fait observer que le comité d’appel a seulement dit que les intimidations n’avaient pas été prouvées. En outre, elles n’étaient pas à l’origine du handicap du demandeur. Si le comité d’appel avait conclu à la véracité des intimidations, il aurait quand même estimé que leur effet avait été le stress, et le stress n’est pas considéré par les Lignes directrices comme une cause de VPPB.

[60]           Le défendeur ajoute que, compte tenu des trois autres diagnostics possibles pouvant expliquer le VPPB du demandeur, le comité d’appel a eu raison de conclure que le demandeur n’avait pas établi le lien de causalité entre son invalidité et son service au sein des Forces armées.

La décision du comité d’appel est raisonnable

[61]           Comme le fait observer le défendeur, la jurisprudence a établi que les articles 43 et 45 de la LMRI et les articles 3 et 39 de la Loi sur le TACRA signifient que « le demandeur doit présenter des éléments de preuve crédibles qui sont suffisants pour établir un lien de causalité entre sa blessure ou sa maladie et ses années de service militaire » (Grant c Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel)), 2006 CF 1456, au paragraphe 29).

[62]           La blessure doit être suffisamment liée au service militaire pour justifier l’octroi de prestations d’invalidité. Cela signifie qu’elle doit être consécutive au service dans les Forces canadiennes ou être rattachée directement au service dans les Forces canadiennes (Hall c Canada (Procureur général), 2011 CF 1431, au paragraphe 35, [2011] ACF no 1806).

[63]           Il n’est pas nécessaire de décider si l’appartenance à la Réserve supplémentaire constitue une appartenance à la Force de réserve, laquelle constituerait alors une appartenance aux Forces canadiennes et pourrait donner droit à une indemnité d’invalidité pour des blessures liées au service. En l’espèce, le comité d’appel a eu raison de conclure que la preuve médicale ne suffisait pas à établir que le VPPB du demandeur avait pour origine son service dans la Force de réserve, et il a aussi eu raison de conclure que, dans la mesure où l’exposition au bruit avait causé ou aggravé son hypoacousie, cette exposition au bruit avait eu lieu à une époque où il était un employé civil.

[64]           Comme je l’ai mentionné plus haut, la norme de la décision raisonnable impose à la Cour de se demander si la décision contestée est justifiée, transparente et intelligible. La décision du comité d’appel répond à cette norme; le comité d’appel a considéré l’ensemble de la preuve, il ne l’a ni mal comprise ni mal interprétée, il a expliqué pourquoi il s’est fondé sur le témoignage du Dr Murphy et les Lignes directrices plutôt que sur l’opinion quelque peu divergente du Dr Smith, psychiatre, et, s’agissant des deux prétentions du demandeur, il est arrivé à une décision qui entre dans la gamme des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[65]           S’agissant de l’hypoacousie, le Comité d’appel a eu raison de conclure que le demandeur travaillait comme civil à la BFC Trenton et à la BFC Cold Lake (c’est-à-dire qu’il n’y travaillait pas en sa qualité de membre de la Réserve supplémentaire). Les blessures subies par le demandeur alors qu’il travaillait comme civil ne relèvent pas de l’article 45 de la LMRI parce qu’il ne travaillait pas en tant que membre des Forces canadiennes. Comme le défendeur l’a utilement fait remarquer, d’autres voies de recours s’offrent sans doute au demandeur en sa qualité d’employé civil.

[66]           L’élément nouveau, à savoir la lettre du Dr Murphy datée du 15 mai 2015, qui, selon le demandeur, explique les résultats insolites d’un audiogramme effectué en 1984 ou 1986 qui montrait une amélioration par rapport à un audiogramme antérieur, ne jette pas une lumière suffisante selon moi sur les résultats de l’audiogramme. Le Dr Murphy dit plutôt que l’audiogramme antérieur n’a pas été effectué dans son cabinet, mais ailleurs, et qu’il lui est difficile de donner une raison précise expliquant les résultats. Il indique que l’une des explications possibles pourrait être un équipement défaillant ou une confusion de dossiers médicaux. Il ne dit pas que c’est ce qui s’est produit, puisque, comme il le fait observer, ce n’est pas lui qui a effectué l’audiogramme.

[67]           Le demandeur semble aussi s’appuyer sur cette lettre pour soutenir que son hypoacousie s’est aggravée au fil des ans et que, comme l’explique le Dr Murphy dans son opinion du 24 août 2013, l’effet cumulatif d’une exposition au bruit peut se manifester plus tard. Cependant, ce n’est pas l’hypoacousie du demandeur qui est en litige, mais uniquement sa cause. L’opinion du Dr Murphy, considérée globalement, fait état d’une hypoacousie à l’oreille gauche, et d’une maladie de Ménière à l’oreille droite, indépendamment des résultats différents constatés en 1984 ou 1986.

[68]           Dans son opinion du 8 octobre 2012, le Dr Murphy indique que le premier audiogramme disponible porte la date du 2 avril 1981, et que des tests de suivi ont été effectués le 22 avril ainsi qu’en juillet 1981, et il décrit les résultats. Le Dr Murphy fait aussi état des résultats d’un test auditif effectué en septembre 1984.

[69]           Le Dr Murphy indique que l’hypoacousie de l’oreille gauche observée dans les tests de 1981 est compatible avec une exposition au bruit, mais que [traduction« pour l’oreille droite, une étiologie concernant l’hypoacousie ne peut être déterminée par le seul examen du test auditif lui-même » (je prends note que le mot « étiologie » s’entend de la cause ou de l’origine d’une maladie).

[70]           Le Dr Murphy écrit aussi que [traduction] « le vertige en tant que tel ne cause pas d’hypoacousie, mais peut constituer une manifestation additionnelle d’une perturbation ou d’un dérangement de l’appareil vestibulaire de l’oreille interne ».

[71]           S’agissant de l’argument du demandeur selon lequel, même s’il travaillait en qualité d’employé civil à la BFC Trenton, et plus tard à la BFC Cold Lake, il avait participé à plusieurs missions où dans les faits il était affecté à des tâches spéciales analogues au service dans la Force de réserve, les éléments de preuve sur lesquels il s’appuie n’étayent pas cet argument.

[72]           La lettre du major-général (retraité) RG Husch évoque les affinités et les rapports de travail entre le major-général et le demandeur, qui remontent à 1969, et certains des postes que le demandeur et le major-général occupaient durant les périodes considérées.

[73]           Le major-général Husch fait observer que la devise du Groupe transport aérien était « polyvalent et prêt » et que M. Ben-Tahir [traduction] « a appuyé les efforts de l’organisation avec enthousiasme et servi dans de nombreuses missions bien qu’il fût fonctionnaire à l’époque ». Il cite, comme exemples, une tournée de trois semaines entreprise pour le ravitaillement de troupes au Vietnam et au Cachemire, ainsi que d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies.

[74]           Le comité d’appel n’a pas mal interprété ni écarté un élément qui aurait pu étayer l’argument du demandeur selon lequel il avait été exposé à un bruit qui était l’une des causes de son hypoacousie quand il était dans les Forces canadiennes. Le major-général Husch dit expressément que le demandeur était fonctionnaire à l’époque.

[75]           S’agissant des observations orales du demandeur qui évoquait la possibilité que son exposition au bruit ait commencé plus tôt, quand il se trouvait à la BFC Uplands, la preuve qu’il invoque n’établit pas qu’il avait été ainsi exposé au bruit ni ne décrit la nature de ses tâches à la BFC Uplands à l’époque. La copie d’une note de service d’un ancien collègue, M. Barker, laquelle, d’après le demandeur, montre qu’il était stationné à la BFC Uplands durant la période 1963-1967, mentionne simplement que M. Barker reconnaît que le demandeur avait communiqué avec lui pour lui signaler son désir de suivre certains cours. La note de service ne confirme pas la période de temps en question ni les tâches accomplies par le demandeur, et elle ne mentionne pas non plus qu’il était exposé à du bruit à la BFC Uplands durant la période 1963-1967.

[76]           S’agissant du VPPB du demandeur, le comité d’appel a examiné l’ensemble de la preuve; il ne l’a pas du tout mal interprétée et il a eu raison de conclure qu’elle ne suffisait pas à établir que le VPPB du demandeur avait pour origine une blessure subie ou une maladie contractée alors qu’il était dans la Force de réserve.

[77]           L’opinion du Dr Murphy du 8 octobre 2012 répond également aux questions concernant le vertige du demandeur.

[78]           Quant à savoir s’il existe un lien entre vertige et stress, le Dr Murphy écrit qu’[traduction« un vertige sévère peut être une source d’anxiété pour celui ou celle qui en est atteint. L’anxiété est habituellement de courte durée et elle disparaît à mesure que s’estompe l’accès de vertige. Le stress toutefois ne cause pas le vertige ».

[79]           Le Dr Murphy exprime aussi l’avis que les symptômes du demandeur sont compatibles avec la maladie de Ménière à l’oreille droite. Il ajoute qu’un diagnostic de labyrinthite durant les années 1960 aurait pu être le premier épisode de la maladie de Ménière, car il est impossible de distinguer l’une de l’autre.

[80]           Le Dr Smith a fourni une opinion datée du 17 octobre 2012, après avoir examiné les documents qui lui avaient été remis. Il y écrivait qu’il n’avait pas réexaminé M. Ben-Tahir depuis 1996 étant donné qu’il exerçait sa profession en Australie depuis cette année-là.

[81]           Le Dr Smith a écrit ce qui suit :

[traduction] Je m’en remettrais évidemment, pour ce qui concerne l’importance du vertige positionnel bénin, à un otorhinolaryngologiste. Je puis cependant affirmer que, du point de vue psychiatrique, le vertige positionnel bénin peut être aggravé par un certain nombre de modificateurs, notamment des situations génératrices de stress. L’anxiété, la dépression et autres facteurs émotionnels susceptibles d’entraîner des insomnies peuvent aussi exacerber et notablement favoriser les symptômes de vertige positionnel bénin.

[82]           Il a ajouté ce qui suit :

[traduction] Suivant la prépondérance des probabilités, et compte tenu des événements stressants que M. Ben-Tahir vivait à l’époque, je dirais qu’il y a un lien à établir entre les symptômes de vertige et les niveaux accrus d’anxiété qu’il ressentait. Selon la prépondérance des probabilités médicales, le trouble émotionnel qu’il a subi a contribué aux symptômes qu’il présentait, et qui étaient rattachés au vertige positionnel bénin.

[83]           Je note que le Dr Smith s’en remet clairement à l’expertise d’un otorhinolaryngologiste. Son opinion est celle d’un psychiatre, et il n’en ressort pas que le stress est une cause de vertige, mais plutôt qu’il existe une relation entre les symptômes du vertige et l’anxiété. Le Dr Smith ne dit pas non plus si le vertige aggrave l’anxiété ou inversement. Quoi qu’il en soit, le Dr Smith parle de symptômes, et non de causes.

[84]           Le comité d’appel a tenu compte de cette opinion, mais il s’en est remis, avec raison, à l’opinion du Dr Murphy, l’otorhinolaryngologiste, qui indique que le stress n’est pas une cause de vertige.

[85]           Je prends note aussi du témoignage du demandeur qui affirme ne pas avoir connu de vertige avant les intimidations subies en 1965. Il faut donc considérer dans ce contexte l’opinion du Dr Murphy, datée du 25 août 2013, où l’on peut lire que [traduction] « le stress psychologique qu’il a peut-être vécu avant, durant et après les intimidations a pu aggraver, chez le patient, une sensation de vertige qu’il a peut-être déjà eue avant cet incident ». Si le demandeur n’a pas connu de vertige avant l’incident, alors le stress résultant n’a pu aggraver sa sensation de vertige à l’époque, puisqu’il dit qu’il n’avait aucun vertige à l’époque.

[86]           Le comité d’appel, se fondant sur la preuve médicale et sur les Lignes directrices, a eu raison de conclure que le stress n’était pas une cause de vertige.

Y avait-il crainte raisonnable de partialité?

[87]           Le demandeur affirme que le comité d’appel s’est montré partial envers lui, et il fait valoir trois facteurs à l’appui : sa candidature au poste de membre du TACRA a été refusée sans explication satisfaisante; les membres du comité de révision de l’admissibilité ont réagi avec ironie et d’une manière moqueuse à son récit des intimidations qu’il disait avoir subies; enfin, le même membre du comité avait, pour deux de ses demandes d’indemnité, siégé au comité de révision de l’admissibilité, bien que, selon l’information sur le TACRA qui est accessible au public, certains membres siègent à Charlottetown et d’autres à des audiences tenues dans tout le pays.

[88]           Le défendeur affirme que le simple fait pour le même membre d’avoir instruit deux demandes d’indemnité concernant le demandeur ne donne pas naissance à une crainte raisonnable de partialité (Khodeir c Canada (Gouverneur en conseil), 2010 CAF 308, au paragraphe 2). Le défendeur précise que le membre en question a siégé au sein d’un comité de révision de l’admissibilité composé de deux personnes pour statuer sur une demande distincte, et au sein d’un comité d’appel du TACRA composé de trois personnes, celui qui a rendu la décision visée par le contrôle.

[89]           Le défendeur affirme aussi que la seule restriction prévue par la loi quant à la capacité d’un membre du TACRA d’instruire un appel en matière d’admissibilité est lorsque ce membre a aussi été membre du comité de révision de l’admissibilité ayant rendu la décision dont il est fait appel (Loi sur le TACRA, paragraphe 27(2)). Autrement dit, un membre du TACRA ne peut statuer sur l’appel d’une décision à laquelle il a pris part. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[90]           S’agissant de l’argument selon lequel la décision rendue par le comité de révision de l’admissibilité n’était pas équitable parce que ses membres avaient agi de façon inappropriée, le défendeur ne reconnaît pas que cela s’est produit, mais il fait remarquer que cet argument ne concerne pas la conduite du comité d’appel, mais celle des membres du comité de révision. Rien ne prouve que cette prétendue conduite des membres du comité de révision a influé sur leur décision. D’ailleurs, c’est la décision du comité d’appel de l’admissibilité qui est visée par le présent contrôle judiciaire, et la composition du comité d’appel est différente.

[91]           Le défendeur affirme aussi que rien ne prouve que le comité d’appel savait que le demandeur avait posé sa candidature pour devenir membre du TACRA, ni qu’il avait fait des démarches pour se renseigner davantage à propos du TACRA après le rejet de sa candidature.

Il n’y a aucune crainte raisonnable de partialité

[92]           Le critère de la crainte raisonnable de partialité consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, à la page 394, 68 DLR (3d) 716).

[93]           Aucun des arguments du demandeur ne satisfait à cette norme de la crainte raisonnable de partialité.

[94]           Il vaudrait mieux qu’un membre du TACRA s’abstienne d’intervenir dans plusieurs demandes d’indemnité présentées par la même personne, mais cela ne sera sans doute pas toujours possible, vu le volume des décisions qui sont l’objet d’une révision ou d’un appel dans tout le pays, sans oublier la composition du TACRA et autres facteurs.

[95]           En l’espèce, le membre en question avait examiné, en tant que l’un des membres du comité de révision de l’admissibilité, une demande d’indemnité entièrement différente présentée par le demandeur. Cette situation ne soulève aucune crainte raisonnable de partialité.

[96]           Il n’est allégué aucun comportement inapproprié de la part des membres du comité d’appel de l’admissibilité, et c’est la décision de ce comité d’appel qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[97]           Enfin, le rejet de la candidature du demandeur au poste de membre du TACRA n’autorise nullement ce dernier à prétendre que le comité d’appel n’était pas en mesure de statuer équitablement sur sa demande d’indemnité. Pour être nommé membre du TACRA, il faut satisfaire à de nombreux critères autres que le niveau d’instruction, comme l’indique le formulaire de sélection préliminaire qui figure au dossier. Le dossier indique aussi que l’on avait donné au demandeur des détails sur le rejet de sa candidature, lequel n’était pas fondé sur un manque d’instruction. D’ailleurs, le comité d’appel qui a statué sur la demande d’indemnité présentée par le demandeur n’aurait pas pu savoir qu’il avait posé sa candidature au poste de membre.

[98]           Le demandeur a soulevé d’autres points, notamment concernant la conduite du procureur désigné pour le représenter, et le fait qu’il aurait dû être en mesure d’obtenir des renseignements concernant sa candidature au poste de membre du TACRA.

[99]           Même si l’avocat désigné pour représenter le demandeur s’est conduit comme le prétend le demandeur, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que, n’eût été sa manière d’agir ou son inertie, le résultat de l’audience initiale aurait été différent.

[100]       L’impossibilité pour le demandeur d’obtenir des renseignements au sujet de sa candidature au poste de membre du TACRA ne relève pas du présent contrôle judiciaire, hormis les considérations susmentionnées, lesquelles, comme je l’ai conclu, ne soulèvent aucune crainte de partialité.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2125-14

 

INTITULÉ :

IDRIS BEN-TAHIR c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUILLET 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 17 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Idris Ben-Tahir

 

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Mathew Johnson

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

s.o.

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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