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Date : 20150720


Dossier : T-1598-13

Référence : 2015 CF 875

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2015

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

ICOS CORPORATION

défenderesse titulaire du brevet

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Dans la présente demande, Eli Lilly Canada Inc. [Lilly] sollicite, aux termes de l’article 6 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 [le Règlement sur les MBAC], une ordonnance interdisant au ministre de la Santé [le ministre] de délivrer à la défenderesse, Apotex Inc. [Apotex] un avis de conformité [AC] l’autorisant à vendre sa version générique du tadalafil [APO-Tadalafil] jusqu’à l’expiration du brevet canadien no 2,226,784 [le brevet 784] le 11 juillet 2016.

[2]               Le tadalafil est notamment utilisé pour traiter la dysfonction érectile, une affection qui touche un nombre appréciable d’hommes. Lilly commercialise le tadalafil sous la marque nominative CIALIS. Le brevet 784 est inscrit à l’égard de CIALIS au registre des brevets tenu par le ministre conformément aux articles 3 et 4 du Règlement sur les MBAC.

[3]               Apotex a demandé au ministre de lui délivrer un AC l’autorisant à vendre son produit Apo-Tadalafil; suivant l’article 5 du Règlement sur les MBAC, elle devait prendre position à l’égard du brevet 784, ce qu’elle a fait dans un avis d’allégation [AA] signifié à Lilly le 16 août 2013. Dans cet AA, Apotex a soulevé plusieurs motifs qu’elle n’a pas fait valoir au cours de l’audition de la présente affaire.

[4]               Suivant la réception de l’AA d’Apotex le 27 septembre 2013, Lilly a déposé la présente demande visant à interdire au ministre de délivrer un AC à Apotex relativement au produit Apo‑Tadalafil.

[5]               Apotex ne conteste pas que son produit Apo-Tadalafil contreferait les revendications 1, 2, 4, 9, 12, 14, 15 et 18 du brevet 784. La contrefaçon n’est donc pas en cause en l’espèce : c’est plutôt la validité du brevet 784 qui est en cause.

[6]               Au moment de l’audience, Apotex avait limité à deux les motifs à l’appui de l’allégation d’invalidité. D’abord, elle allègue à cet égard que le brevet 784 est invalide, puisqu’il s’agit d’un double brevet de l’invention revendiquée dans le brevet canadien antérieur 2,181,377 [le brevet 377], invention pour laquelle Lilly est aussi titulaire d’une licence et qui porte également sur le tadalafil. Puis, Apotex affirme que le brevet 784 est invalide pour cause d’insuffisance étant donné qu’il ne fournit pas de directives sur la façon de produire les formes hydratées des composés revendiqués dans le brevet 784. En plus de ces arguments relatifs à l’invalidité, Apotex soutient aussi que, selon le Règlement sur les MBAC, Lilly n’a pas qualité pour introduire la présente demande parce qu’elle n’a pas réussi à démontrer l’existence d’une chaîne de titres valide se rapportant au brevet 784 et la favorisant.

[7]               Il s’agit de la deuxième instance relative aux MBAC visant le brevet 784. Le 7 janvier 2015, mon collègue, le juge Yves de Montigny, a rendu ses motifs dans la décision Eli Lilly Canada c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 17, 249 ACWS (3d) 191 [Mylan Tadalafil] : il a rejeté la demande d’interdiction de Mylan, ayant conclu que les allégations d’invalidité de cette dernière étaient injustifiées. Certains des arguments soulevés par Apotex en l’espèce sont similaires à ceux qu’avait fait valoir Mylan dans l’affaire Mylan Tadalafil, et certains éléments de preuve présentés dans les deux affaires sont équivalents.

[8]               Pour les motifs énoncés ci-après, je suis arrivée à la même conclusion que le juge de Montigny et j’ai décidé que les allégations d’invalidité soulevées par Apotex sont injustifiées. J’ai également conclu que son autre argument voulant qu’Eli Lilly n’ait pas qualité pour agir n’était pas fondé, et j’ai donc décidé qu’il y avait lieu de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex relativement à son produit tadalafil.

I.                   Contexte

[9]               Pour remettre les questions soulevées en l’espèce dans leur contexte, il est nécessaire de revenir brièvement sur l’arrière-plan scientifique du brevet 748.

[10]           La dysfonction érectile se définit comme une incapacité chez l’homme à maintenir une érection suffisante pour lui permettre de pénétrer sa partenaire. L’érection se produit lorsque le sang afflue vers le pénis et y demeure, le rendant ainsi rigide. Le pénis est constitué de deux compartiments situés de chaque côté de l’urètre, appelés corps caverneux, qui sont composés de vaisseaux sanguins et de fibres musculaires lisses. Le muscle lisse est aussi présent ailleurs dans l’organisme, notamment dans les poumons, les tissus entourant les vaisseaux sanguins et dans le tractus gastro-intestinal. Le muscle lisse peut se détendre et se contracter; toutefois, cette faculté est involontaire, car ce muscle est régulé par le système nerveux autonome de l’organisme.

[11]           Dans le pénis flasque, la musculature lisse des corps caverneux se contracte, ce qui permet au sang d’affluer dans ces corps et d’en sortir environ à la même vitesse. Au cours de l’érection, la musculature lisse des corps caverneux se détend, ce qui comprime les veines par lesquelles le sang sort du pénis et fait en sorte que les corps caverneux se gorgent de sang. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est la détente de la musculature lisse des corps caverneux qui permet l’érection.

[12]           La détente de la musculature lisse se produit à la suite d’une série de réactions biochimiques complexes dans des systèmes de communication intercellulaire appelés « voies ». L’une des voies intervenant dans l’érection est la voie NO/GMPc. Le brevet 784 vise cette voie.

[13]           Dans la voie NO/GMPc, deux processus différents ont lieu. Dans le premier processus, de l’oxyde nitrique, ou NO, est principalement libéré par les nerfs non adrénergiques non cholinergiques [NANC] du pénis à la suite d’une stimulation sexuelle. Le NO est un « premier messager » qui pénètre dans les cellules du muscle lisse ou interagit avec des récepteurs situés à la surface de ces dernières, ce qui entraîne une réaction intercellulaire. À l’intérieur des cellules du muscle lisse des corps caverneux, cette réaction aboutit à la production d’un « second messager » appelé guanosine-3′, 5′-monophosphate cyclique (ou GMPc). La présence de GMPc provoque la détente de la musculature lisse des corps caverneux, d’où l’érection.

[14]           Dans le deuxième processus de la voie NO/GMPc, des enzymes appartenant à la classe des phosphodiestérases (PDE) dégradent la GMPc et la transforment en sa forme non cyclique, la guanosine-3′, 5′‑monophosphate ou GMP. Contrairement à la GMPc, la GMP ne provoque pas de détente du muscle lisse. Par conséquent, lorsque la GMPc est convertie en GMP dans les cellules des corps caverneux, l’érection disparaît et le pénis retourne à l’état de repos.

[15]           Il existe plusieurs types de phosphodiestérases dans l’organisme. On sait aujourd’hui que la principale phosphodiestérase qui transforme la GMPc en GMP dans les corps caverneux est la PDE V.

[16]           Le tadalafil fonctionne en empêchant la production de PDE V. Lorsque la production de cette isozyme est inhibée, la GMPc n’est pas convertie en GMP dans les corps caverneux (ou il y a ralentissement de la conversion). En présence d’une stimulation sexuelle et d’une libération de NO par les nerfs NANC du pénis, l’érection sera généralement maintenue si la quantité de GMP est insuffisante dans les corps caverneux pour déclencher une contraction des muscles lisses. Par conséquent, le tadalafil contribue à maintenir l’érection en inhibant la PDE V, enzyme responsable de la production de GMP.

[17]           Le tadalafil a d’abord été mis au point pour traiter l’hypertension et des troubles cardiaques. Il s’agit d’un dérivé de la tétracycline qui a été synthétisé en laboratoire pour la première fois par Laboratoire Glaxo, un prédécesseur de GlaxoSmithKline [GSK France], en France en 1993.

[18]           Le tadalafil a été revendiqué pour la première fois dans le brevet britannique GB no 9401090.7, précurseur international du brevet 377 qui a été déposé le 21 janvier 1994. Le brevet 377 a été déposé au Canada le 19 janvier 1995 et revendique comme date de priorité le 21 janvier 1994, soit la date à laquelle le brevet britannique a été déposé. Le brevet 377 a été publié le 27 juillet 1995. Il revendique plusieurs composés, dont le tadalafil, des compositions pharmaceutiques et l’utilisation de ces composés dans le traitement d’affections pour lesquelles on estime que l’inhibition de la PDE V serait bénéfique. Le brevet 377 ne cite pas la dysfonction érectile comme étant l’une de ces affections ni ne la mentionne d’aucune façon.

II.                Le brevet 784

[19]           Le brevet 784 a été déposé au Canada le 11 juillet 1996, revendique comme date de priorité le 14 juillet 1995 et a été publié le 6 février 1997. Il porte le titre suivant : Use of cGMP‑Phosphodiesterase Inhibitors to Treat Impotence (Utilisation d’inhibiteurs de GMPc-phosphodiestérases pour le traitement de l’impuissance). Ce brevet porte sur l’utilisation de certains composés revendiqués dans le brevet 377 pour traiter la dysfonction érectile. M. Daugan, un employé de GSK France, la société ayant succédé à Laboratoire Glaxo, est l’inventeur du brevet 784 (et était aussi l’inventeur du brevet 377). Le brevet 784 divulgue les mêmes essais in vitro que ceux divulgués dans le brevet 377.

[20]           Le juge Yves de Montigny a pertinemment résumé l’importance du brevet 784 de la manière suivante dans la décision Mylan Tadalafil :

[12]      Selon le mémoire descriptif, de nombreux médicaments différents peuvent induire l’érection du pénis, mais ne sont efficaces que lorsqu’ils sont injectés directement dans le pénis et n’ont pas été approuvés pour le traitement de la DE. […]

[13]      La partie « description » du mémoire descriptif décrit ensuite les composés de l’invention (le tadalafil et le 3‑méthyl tadalafil) et indique que ces composés, de façon « inattendue », se sont révélés utiles pour le traitement de la dysfonction érectile. [traduction] « De plus, les composés peuvent être administrés par voie orale, ce qui élimine les inconvénients liés à l’administration intracaverneuse » (pages 3 et 4 du brevet).

[14]      L’essentiel de l’invention est décrit de la manière suivante :

[traduction

Il a été démontré que les composés de la présente invention sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE spécifique de la GMPc. Il a maintenant été découvert de façon surprenante que les corps caverneux humains contiennent trois enzymes PDE distinctes. La PDE prédominante s’est étonnamment révélée être la PDE spécifique de la GMPc. Vu leur capacité à inhiber sélectivement la PDE V, les composés de la présente invention peuvent élever les taux de GMPc, ce qui peut à son tour permettre le relâchement des tissus des corps caverneux et par conséquent l’érection du pénis.

(brevet 784, à la page 4)

[15]      L’administration par voie orale est dite être la « voie privilégiée » puisqu’elle est la plus pratique et permet d’éviter les inconvénients associés à l’administration intracaverneuse, mais le médicament peut également être administré par voie sublinguale ou buccale. Les doses orales du composé pour le traitement curatif ou prophylactique de la DE sont de 0,5 à 800 mg par jour et le schéma posologique est déterminé par un médecin. Pour l’usage humain, les composés seront administrés en mélange avec un excipient pharmaceutique choisi en fonction de la voie d’administration prévue : [traduction] « Par exemple, le composé peut être administré par voie orale, buccale ou sublinguale, sous forme de comprimés contenant des excipients tels que de l’amidon ou du lactose, ou sous forme de capsules ou d’ovules, seul ou mélangé à des excipients, ou sous forme d’élixirs ou de suspensions contenant des agents aromatisants ou colorants » (brevet 784, p. 5).

[16]      Le brevet 784 comprend des données provenant de deux essais in vitro sur le tadalafil et le 3‑méthyl tadalafil. Le premier essai montre que, à proximité de l’enzyme PDE V, les composés inhibent son activité. Le deuxième essai montre que les composés peuvent pénétrer dans les cellules musculaires lisses de l’aorte du rat et y prolonger la réponse de la GMPc. Ensemble, ces données indiquent que les composés sont de puissants inhibiteurs de la PDE V in vitro. Le brevet indique également que les composés se sont révélés être des inhibiteurs très sélectifs de la PDE V par rapport à d’autres PDE, mais ne fournit pas ces données. Le brevet 784 ne contient aucune donnée provenant d’essais in vivo ou d’études cliniques sur l’un de ses composés.

[21]           Le brevet 784 contient 28 revendications; celles qui sont en cause sont reproduites en annexe des présents motifs. L’interprétation de ces revendications ne fait pas l’objet d’un litige entre Apotex et Lilly.

[22]           La revendication 1 porte sur les composés visés par le brevet et établit leur formule chimique. Elle englobe les sels ou solvates physiologiquement acceptables des composés revendiqués. Elle revendique une composition pharmaceutique comprenant ces composés pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

[23]           La revendication 2 porte sur une composition pharmaceutique comprenant deux des composés visés par la revendication 1, soit le tadalafil et le 3-méthyl tadalafil ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable des deux composés, destinée au traitement de la dysfonction érectile chez un animal mâle. Les revendications 3 et 13 visent les composés dans lesquels les solvates sont des hydrates. Les parties conviennent que le terme « solvates » tel qu’il est utilisé dans la revendication 2 (et les revendications subséquentes) comprend les hydrates. Un solvate est la forme sous laquelle se trouve un composé chimique, en l’occurrence un solide cristallin, qui a intégré un solvant dans sa structure cristalline. Un hydrate est un solvate dans lequel le solvant intégré est l’eau.

[24]           La revendication 4 porte sur les compositions de la revendication 2 à utiliser chez l’homme.

[25]           La revendication 9 vise l’utilisation du tadalafil à des fins de fabrication d’un médicament destiné au traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

[26]           La revendication 12 porte sur l’utilisation du tadalafil, du 3-méthyl tadalafil ou d’un sel ou solvate physiologiquement acceptable des deux composés pour traiter la dysfonction érectile chez un animal mâle. Contrairement aux revendications 2, 4, 9 et 15, la revendication 12 ne vise pas uniquement une composition pharmaceutique, mais revendique de manière générale l’utilisation des composés ou de leurs sels ou solvates physiologiquement acceptables dans le traitement prophylactique ou curatif de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

[27]           La revendication 14 ajoute le fait que l’animal mâle est l’humain aux revendications 9 à 13.

[28]           La revendication 15 porte sur l’utilisation des compositions des revendications 1, 2 et 4 dans le traitement de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

[29]           La revendication 18 dépend des revendications 9 à 17 et vise les composés, les médicaments, les compositions et les combinaisons de préparations utilisés par voie orale ou adaptés pour une telle utilisation. Lorsqu’on combine la revendication 18 aux revendications 12 et 14, on obtient une revendication concernant l’utilisation du tadalafil, du 3‑méthyl tadalafil ou d’un sel ou solvate physiologiquement acceptable des deux composés dans le traitement par voie orale de la dysfonction érectile chez l’homme. Il s’agit de la revendication la plus restreinte des revendications en litige en l’espèce.

III.             Les questions en litige

[30]           Comme je l’ai souligné, la présente demande soulève les trois questions suivantes :

1.                  Le brevet 784 est-il invalide pour cause de double brevet au regard du brevet 377?

2.                  Le brevet 784 est-il invalide pour cause d’insuffisance?

3.                  Lilly a-t-elle qualité pour introduire la présente demande en raison d’un vice dans la chaîne des titres?

IV.             Les témoins

[31]           Lilly a déposé les affidavits de six témoins factuels et de cinq témoins experts. Pour sa part, Apotex a déposé la preuve de deux témoins factuels et de quatre témoins experts.

[32]           Plus précisément, Lilly a déposé les affidavits d’un parajuriste (pour produire des documents pertinents) et de M. Daugan, de M. Grondin, de M. Martins et de Mme Kral, ainsi que de Me Jennifer Smith et de M. Patrick Desbiens, à titre de témoins factuels, et ceux de Me Laëtitia Bénard et du Dr Goldstein, de M. Kennedy, de M. Wuest et du Dr Brock, à titre de témoins experts. La preuve de M. Kennedy n’est plus pertinente puisqu’elle n’intéresse que la question de la prédiction valable, qu’Apotex a soulevée dans son AA mais qu’elle a abandonnée dans son mémoire et qui n’est plus en cause.

[33]           Comme il a été mentionné, M. Daugan, l’inventeur des brevets 377 et 784, est un chercheur français en sciences pharmaceutiques employé par GSK France. Dans son affidavit, il décrit sa participation à la mise au point du tadalafil, dans le cadre d’un projet de recherche visant à rechercher des inhibiteurs de la PDE V pour traiter l’hypertension et l’insuffisance cardiaque congestive. Il relate qu’un brevet a été déposé lorsque le tadalafil a été mis au point pour la première fois (brevet GB no 9401090.7, la version internationale du brevet 377). Après que ce brevet a été déposé et après avoir discuté avec des collègues de Laboratoire Glaxo à la lumière des publications scientifiques sur l’utilisation d’inhibiteurs de la PDE V dans le traitement de la dysfonction érectile et des premiers essais cliniques sur le tadalafil, il a commencé à envisager le tadalafil comme un traitement possible de la dysfonction érectile. Il soutient que, à cette époque, le deuxième brevet – la version internationale du brevet 784 – avait été déposé.

[34]           M. Grondin est employé comme chercheur par GSK France. Son affidavit décrit son rôle dans la supervision des premières expériences menées in vitro sur le tadalafil. Tout comme M. Daugan, il décrit la décision de déposer la version internationale du brevet 784 après que les chercheurs ont prédit que le tadalafil – mis au point à l’origine pour traiter l’hypertension et l’insuffisance cardiaque congestive – pourrait aussi être utilisé pour traiter la dysfonction érectile. Il mentionne que sa décision était notamment fondée sur l’examen de la demande de brevet concernant le sildénafil, mieux connu sous la marque VIAGRA.

[35]           Pfizer a déposé une demande de brevet concernant le sildénafil qui a été publiée avant la date de priorité du brevet 784. Plus précisément, la demande PCT no WO 94/28902 [la demande 902] a été publiée le 22 décembre 1994. La version canadienne de ce brevet, le brevet CA no 2,163,446, a été déposée le 13 mai 1994. Bien qu’il soit chimiquement distinct du tadalafil, le sildénafil, tout comme le tadalafil, est un inhibiteur puissant et sélectif de la PDE V et est utilisé pour traiter la dysfonction érectile. Comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, dans la décision Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc, 2012 CSC 60, [2012] 3 RCS 625 [Sildénafil CSC], la Cour suprême du Canada a statué qu’un avis de conformité devrait être délivré pour une version générique du sildénafil, car les allégations d’insuffisance à l’égard de la version canadienne de la demande 902 étaient justifiées, puisque le brevet ne divulguait pas que le sildénafil était le composé efficace pour traiter la dysfonction érectile revendiqué dans le brevet.

[36]           Le prochain témoin de Lilly, M. Martins, est un pharmacologiste et un spécialiste de la GMPc et des enzymes PDE. Son affidavit décrit l’expérience qu’il a acquise dans la préparation des enzymes PDE V recombinantes dans le cadre des recherches ayant mené au brevet 784. Son témoignage n’est pas crucial relativement aux questions qu’il reste à trancher en l’espèce

[37]           Me Jennifer Smith est avocate chez Eli Lilly et joint en annexe à son affidavit la modification de 1997 de l’entente de collaboration entre Glaxo Group Limited, Glaxo Wellcome Inc. [Glaxo U.S.] et ICOS Corporation [la modification de 1997], document en vertu duquel, selon Lilly, les droits du brevet 784 passaient de Glaxo Group Limited et ses sociétés affiliées à ICOS.

[38]           M. Patrick Desbiens, le président de GSK France, affirme dans son affidavit qu’en 1997, Laboratoire Glaxo était une société affiliée de Glaxo Group Limited au sens de l’entente de collaboration conclue en 1991 entre Glaxo Group Limited, Glaxo U.S. et ICOS [l’entente de collaboration de 1991], qui a été révisée par la modification de 1997.

[39]           Mme Kral est la co-inventrice d’un autre brevet se rapportant au tadalafil, soit le brevet canadien no 2,379,948 [le brevet 948], qui est un brevet de formulation. Dans son affidavit, elle décrit sa participation aux activités de recherche et présente deux rapports de recherche préliminaires qu’elle a examinés dans le cadre de ses travaux ayant mené au brevet 948.

[40]           Quant aux experts de Lilly, Me Laëtitia Bénard est une avocate française d’après laquelle, en vertu du droit français, les droits d’une invention réalisée [traduction« dans le cours d’un mandat » de l’employé engagé à cette fin en vertu d’un contrat d’emploi appartiennent à l’employeur. Il s’ensuit que les droits des brevets concernant le tadalafil, dont M. Daugan est l’inventeur désigné, sont automatiquement transférés à son employeur, Laboratoire Glaxo.

[41]           Le Dr Brock est un urologue spécialisé dans la dysfonction érectile. Il enseigne à l’Université Western Ontario et y est le directeur de programme du programme de résidence en urologie. Il est actuellement secrétaire de la Sexual Medicine Society of North America, vice‑président de l’Association des urologues du Canada et président du comité scientifique de la Society for the Study of the Aging Male. Il a rédigé plus de 150 publications, 25 chapitres de livres et de nombreux résumés, et il a reçu plus de 20 prix décernés par des organisations de recherche nationales et internationales. Il a donné de nombreuses conférences et, en raison de la notoriété de ses travaux dans le domaine de l’urologie et de la dysfonction érectile, il est devenu responsable de section du Journal de l’Association des urologues du Canada et membre du comité de rédaction de nombreuses autres revues scientifiques. Le Dr Brock a été admis comme expert relativement aux questions en litige en l’espèce de nature semblable à celles qui sont soulevées dans l’affaire Mylan Tadalafil et dans deux affaires concernant le sildénafil, soit Pfizer Canada c Novopharm, 2009 CF 638, 76 CPR (4th) 83 (juge Kelen), infirmée pour d’autres motifs dans l’arrêt Sildénafil CSC, et Pfizer Canada c Apotex, 2007 CF 971, 61 CPR (4th) 305 (juge Mosley), conf. par 2009 CAF 8, 72 CPR (4th) 141 [Sildénafil AC].

[42]           Le Dr Brock agit comme consultant auprès de nombreuses sociétés pharmaceutiques, dont Lilly. Il a collaboré aux essais cliniques menés sur le sildénafil et était aussi l’investigateur principal dans plusieurs études cliniques de phase II réalisées en parallèle par Lilly sur le tadalafil. Il fait partie du conseil consultatif de Lilly. Il a aussi participé aux points de presse tenus par Lilly lors de la présentation du tadalafil et, au cours de ces points de presse, était assis à côté des cadres supérieurs de Lilly à titre de membre de l’équipe de direction de la société.

[43]           Dans son affidavit, le Dr Brock s’exprime sur les questions du double brevet, de la prédiction valable et de l’insuffisance. En ce qui concerne le double brevet, il estime que le brevet 784 n’est pas invalide pour cause de double brevet au regard du brevet 377. Pour ce qui est de l’existence d’un double brevet relativement à la même invention, il estime que les deux brevets en question ne revendiquent pas la même invention. Quant à la question du double brevet relatif à une évidence, il estime que la personne versée dans l’art ne jugerait pas évidente l’idée originale du brevet 784. Les autres questions évoquées dans son affidavit ne sont plus en cause, puisqu’Apotex a abandonné ses allégations touchant la prédiction valable et l’argument particulier concernant l’insuffisance évoqué par le Dr Brock dans son affidavit.

[44]           Le Dr Goldstein est lui aussi un urologue spécialisé dans la dysfonction sexuelle. Il était codirecteur du Laboratory for Sexual Medicine Research à l’École de médecine de l’Université de Boston de 1981 à 2005 et rédacteur en chef de l’International Journal of Impotence Research de 2001 à 2004. De 2004 à 2014, il était rédacteur en chef du Journal of Sexual Medicine et il est actuellement le rédacteur en chef du Journal of Sexual Medicine Reviews. Il travaille maintenant comme consultant et est aussi directeur du programme de médecine sexuelle et professeur clinicien en chirurgie à l’Alvarado Hospital et à l’Université de la Californie à San Diego. À l’instar du Dr Brock, il a été membre de nombreuses organisations professionnelles et a rédigé de nombreuses publications sur des sujets liés à la dysfonction sexuelle, notamment près de 300 articles évalués par un comité de lecture et de nombreux chapitres de livres, en plus d’avoir reçu des prix en recherche décernés par des organisations nationales ou internationales. Tout comme le Dr Brock, il a été reconnu comme expert par la Cour pour ce qui est de questions en l’espèce semblables à celles qui ont été soulevées dans l’affaire Mylan Tadalafil.

[45]           Dans son affidavit, le Dr Goldstein aborde les questions du double brevet, de la prédiction valable et de l’insuffisance. En ce qui concerne le double brevet, il estime que le brevet 784 n’est pas invalide pour cause de double brevet au regard du brevet 377, puisque les revendications du brevet 784 lui paraissent nouvelles et inventives par rapport à celles du brevet 377. Les autres questions évoquées dans son affidavit ne sont plus en cause puisqu’Apotex y a renoncé.

[46]           M. Wuest est professeur de chimie à l’Université de Montréal et il est titulaire d’un doctorat en chimie de l’Université Harvard. Ses travaux de recherche sont axés sur la conception, la synthèse, la structure et les propriétés de matériaux moléculaires. Il est membre de plusieurs comités consultatifs et comités de sélection décernant des prix en chimie, il a publié une multitude d’articles évalués par un comité de lecture et il a reçu plusieurs subventions de recherche.

[47]           Dans son affidavit, M. Wuest donne un avis sur l’allégation d’insuffisance et estime qu’une fois que la personne versée dans l’art a mis au point les composés visés par le brevet 784, cette personne peut les solubiliser, tenter de les cristalliser en présence d’eau dans diverses conditions et réaliser des variations courantes de ces conditions pour former des hydrates. Il croit donc que le brevet 784 n’est pas invalide pour cause d’insuffisance en raison d’un manque de directives sur la production des hydrates du tadalafil et du 3-méthyl tadalafil.

[48]           Quant aux témoins d’Apotex, les témoins factuels comprenaient une assistante judiciaire qui joint simplement des documents en annexe à son affidavit, et M. Duane Terrill, directeur associé, Affaires réglementaires, chez Apotex, qui explique dans son affidavit les voies sinueuses qui ont abouti à la présente demande. Sa preuve n’est pas pertinente au regard des questions qu’il reste à trancher en l’espèce.

[49]           Les témoins experts d’Apotex sont M. Corbin, le Dr Burnett et M. Warrington, qui se sont exprimés sur la question du double brevet, M. Mark Eisen, un agent de brevets qui s’est prononcé au sujet de la chaîne des titres et enfin M. Trout, qui a donné son avis sur la question de l’insuffisance.

[50]           M. Corbin est biochimiste et actuellement professeur émérite au Département de biophysique et de physiologie moléculaire de l’École de médecine de l’Université Vanderbilt à Nashville, au Tennessee. Auparavant, il a été professeur et professeur adjoint à la même université. Au cours de sa carrière, M. Corbin a siégé à plusieurs comités de rédaction et comités consultatifs de rédaction, notamment celui du Journal of Biological Chemistry, a reçu de nombreuses subventions de recherche, a publié de nombreux articles dans des revues scientifiques avec comité de lecture et a présenté de nombreux articles lors de colloques. Il a découvert l’existence de la PDE V et a étudié les effets du sildénafil, du vardénafil et du tadalafil sur la PDE V.

[51]           Les parties pertinentes de son affidavit au regard de la présente demande concernent la question du double brevet. Il estime que le brevet 784 est invalide pour cause de double brevet relatif à une évidence, et que la personne versée dans l’art ayant des connaissances générales courantes (en date du 11 juillet 1996 ou du 14 juillet 1995) n’aurait pas eu à faire preuve d’ingéniosité inventive pour combler le fossé entre l’objet divulgué et revendiqué et les revendications des brevets 784 et 377.

[52]           Le Dr Burnett est un urologue spécialisé en médecine sexuelle. Il est actuellement professeur distingué Patrick C. Walsh au Département d’urologie de l’École de médecine de l’Université Johns Hopkins à Baltimore, au Maryland. Il est aussi le directeur du Laboratoire de sciences fondamentales en neurologie, du programme de bourses de recherche en médecine sexuelle et de la division de médecine sexuelle du Département d’urologie de l’hôpital John Hopkins. Il a publié près de 200 articles évalués par un comité de lecture, plusieurs articles et éditoriaux non scientifiques, deux livres et 42 chapitres de livres et il a été membre de comités de rédaction de nombreuses revues. Il fait partie de plusieurs organisations professionnelles, comités consultatifs et groupes d’examen.

[53]           Dans son affidavit, le Dr Burnett s’exprime sur la question du double brevet et estime qu’une personne versée dans l’art ayant des connaissances générales courantes à la date (aux dates) qu’elle a été priée de considérer (le 14 juillet 1995 et le 11 juillet 1996) n’aurait pas eu besoin d’ingéniosité inventive pour parvenir à l’objet divulgué et revendiqué dans les revendications du brevet 784, compte tenu de l’objet revendiqué dans le brevet 377.

[54]           M. Warrington est chimiste médicinal et est titulaire d’un doctorat en chimie pharmaceutique de l’Université de Londres. De 1965 à 2005, il a travaillé pour Smith Kline & French Laboratories Ltd. et pour les sociétés qui lui ont succédé, soit SmithKline Beecham Pharmaceuticals et GlaxoSmithKline R&D Ltd. [collectivement appelées SmithKline]. De 1986 à 1992, il a dirigé le programme de recherche de SmithKline sur les inhibiteurs des enzymes PDE. Après sa retraite de SmithKline, M. Warrington a été professeur invité au Département de chimie de l’Université de Durham et membre du Biological Sciences Institute de la même université. Il siège également au comité consultatif et au comité consultatif sur la commercialisation de l’Université de Strathclyde et il a dirigé des comités spéciaux examinant les micro- et les nanotechnologies, la protéomique et les technologies à haut débit. En outre, il a agi à titre de consultant auprès de diverses sociétés pharmaceutiques et a été coauteur d’environ 40 publications scientifiques portant principalement sur la chimie médicinale.

[55]           Dans ses affidavits, M. Warrington s’est exprimé sur l’interprétation des brevets 377 et 784 et la question du double brevet, ainsi que sur l’utilité et la prédiction valable. En ce qui concerne le double brevet, M. Warrington estime que la personne versée dans l’art n’aurait pas eu besoin d’ingéniosité inventive pour parvenir à l’objet des revendications 1, 2, 4, 9 à 12, 14, 15 et 18 du brevet 784, compte tenu de l’objet des revendications 10, 13 et 19 du brevet 377 et des connaissances générales courantes telles qu’elles ont été appréciées aux dates qui lui ont été fournies (le 14 juillet 1995 et le 11 juillet 1996). Son avis quant à l’utilité et la prédiction valable n’est pas pertinent au regard de la présente demande puisqu’Apotex a abandonné ces allégations.

[56]           M. Trout est professeur de génie chimique au Massachusetts Institute of Technology et est titulaire d’un doctorat en génie chimique de l’Université de la Californie à Berkeley. Il a présenté de nombreux exposés sur les composés et les procédés pharmaceutiques et donne régulièrement un cours sur la cristallisation pharmaceutique destiné à l’industrie. Il a publié plus de 135 articles dans des revues scientifiques avec comité de lecture et a été lecteur critique pour plusieurs revues scientifiques. Ses travaux de recherche sont liés à la mise au point et à la fabrication de médicaments, plus particulièrement à la cristallisation et à la nucléation (première étape de la cristallisation) d’agents pharmaceutiques.

[57]           Dans son affidavit, M. Trout est d’avis que le brevet 784 n’indique pas comment préparer les hydrates du tadalafil ou du 3-méthyl tadalafil, et qu’une personne versée dans l’art serait incapable de préparer les hydrates de ces substances compte tenu des connaissances générales courantes. Il estime donc que le brevet 784 est invalide pour cause d’insuffisance.

[58]           Enfin, Mark Eisen est un agent de brevets ayant fourni une preuve au sujet de la question de la chaîne des titres. Il affirme que M. Daugan a signé un accord de cession de ses droits à l’égard du brevet 784 en faveur d’ICOS Corporation, prenant effet le 19 janvier 1998, et cette cession a été enregistrée par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada [l’OPIC] le 6 avril 1998. Il déclare également qu’aucune autre cession des droits se rapportant au brevet 784 n’a été déposée auprès de l’OPIC.

V.                Le brevet 784 est-il invalide pour cause de double brevet au regard du brevet 377?

[59]           J’évaluerai à présent le premier motif d’invalidité avancé par Apotex, à savoir que le brevet 784 est invalide pour cause de double brevet au regard du brevet 377.

A.                Principes généraux concernant le double brevet

[60]           La doctrine du double brevet, telle qu’elle a été élaborée par les tribunaux canadiens, empêche le détenteur d’un brevet de « renouvel[er] à perpétuité » son brevet en obtenant un second brevet relativement à la même invention à l’égard de laquelle un brevet a déjà été accordé. Le double brevet est habituellement invoqué comme motif d’invalidité lorsque, comme en l’espèce, le premier brevet n’est pas encore publié à la date de priorité du second brevet et qu’il ne peut donc pas se prêter à une analyse concernant l’évidence. Aux termes de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, cette analyse se limite temporellement à la date de la revendication, c’est-à-dire la date de priorité du brevet en cause – lorsqu’il y a eu dépôt international au titre du Traité de coopération en matière de brevets, ou à l’année précédant la date de dépôt au Canada, lorsque le brevet ne revendique aucune priorité. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit à cet égard :

Objet non évident

Invention must not be obvious

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

[61]           Dans l’arrêt de principe en matière de double brevet, Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067 [Whirlpool], le juge Binnie décrit ainsi la politique qui sous‑tend cette doctrine, au paragraphe 63 :

L’interdiction du double brevet est rattachée au problème du « renouvellement à perpétuité » […] L’inventeur n’a droit qu’à « un » brevet pour chaque invention : Loi sur les brevets, par. 36(1). Si un brevet comportant des revendications identiques est délivré ultérieurement, il y a prolongement irrégulier du monopole.

[62]           Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême a statué que la doctrine du double brevet oblige à comparer les revendications des deux brevets du détenteur, et qu’il existe deux types de double brevet : celui qui se rapporte à la même invention et celui qui a trait au caractère évident.

[63]           Dans le double brevet relatif à une même invention, il y a identité des revendications du brevet ultérieur et de celles du brevet précédent. Comme l’a noté le juge Roger Hughes dans la décision Merck & Co c Pharmascience, 2010 CF 510, aux paragraphes 117 à 124, 85 CPR (4th) 179 [Finastéride], et dans la décision Bristol-Myers Squibb Canada Co c Apotex, 2009 CF 137, aux paragraphes 173 à 175, 74 CPR (4th) 85, l’analyse concernant ce type de double brevet ressemble à celle qui a trait à l’anticipation, et consiste à se demander si le détenteur du brevet revendique la même invention que celle visée par le brevet précédent.

[64]           Le double brevet relatif à une évidence a une portée plus large et consiste à se demander si les revendications du brevet ultérieur constituent un élément brevetable distinct de celles qui figurent dans le premier brevet ou, en d’autres termes, si elles concernent une invention non évidente qui se distingue de celle revendiquée dans le premier brevet. Comme l’a souligné le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, le double brevet relatif à une évidence constitue « un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un “élément brevetable distinct” de celui visé par les revendications du brevet antérieur » (au paragraphe 66).

[65]           L’arrêt Commissioner of Patents c Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] RCS 49, 41 CPR 9 [Farbwerke] se rapportait à un cas classique de ce type de double brevet : le brevet ultérieur revendiquait une forme diluée du médicament visé par le brevet précédent. Le juge Judson a conclu, à la page 53, que les revendications du deuxième brevet ne visaient pas un élément brevetable distinct de celles du brevet précédent, car l’ajout d’un excipient courant pour augmenter le volume [traduction] « ne crée pas une nouvelle invention ».

[66]           Inversement, l’arrêt Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, aux paragraphes 112 à 115, [2008] 3 RCS 265, a établi que la sélection de l’un des composés qui s’était révélé particulièrement efficace parmi les centaines de milliers d’autres relevant d’un brevet de genre antérieur ne constituait pas un double brevet relatif à une évidence, car le deuxième composé constituait un élément brevetable distinct du genre plus vaste revendiqué dans le brevet initial, puisqu’il présentait des avantages non revendiqués dans celui-ci.

[67]           Dans l’arrêt Whirlpool, en plus de définir la doctrine du double brevet, la Cour suprême a souligné que l’interprétation des revendications des brevets nécessite une approche téléologique suivant laquelle la Cour doit déterminer, avec l’aide de la preuve d’expert, les éléments essentiels des revendications tels qu’ils seraient compris par la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet. Ainsi, les mots employés dans les revendications ne doivent pas simplement être lus dans leur sens grammatical, mais interprétés de façon avertie du point de vue du lecteur versé dans l’art et au regard de l’ensemble du mémoire descriptif, de manière à parvenir à une interprétation qui, comme l’explique la Cour suprême, ne soit ni trop indulgente ni trop sévère, et qui soit donc équitable à l’égard du breveté et du public. Par conséquent, quoiqu’il ne permette pas d’étendre ou de restreindre la portée des revendications, le mémoire descriptif peut, au besoin, servir à interpréter les revendications d’un brevet (Whirlpool, précité, au paragraphe 49; Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 520, 122 DLR (3d) 203 [Consolboard]).

[68]           En résumé, pour évaluer une allégation de double brevet, la Cour doit effectuer l’analyse suivante en trois volets :

                     premièrement, elle doit définir ce que chaque brevet revendique et interpréter si nécessaire les revendications;

                     deuxièmement, la Cour doit établir si les revendications des deux brevets sont identiques. Si elles le sont et que la même invention est revendiquée, le deuxième brevet sera nul pour cause de double brevet au regard d’une même invention ou pour cause de double brevet identique;

                     enfin, si les inventions revendiquées dans les deux brevets ne sont pas identiques, la Cour doit alors décider si celle revendiquée dans le brevet ultérieur est inventive ou si elle constitue un élément brevetable distinct par rapport à l’invention revendiquée dans le brevet précédent. Autrement, le second brevet sera nul pour cause de double brevet relatif à une évidence.

B.                 Points de litige entre Lilly et Apotex relativement au double brevet

[69]           En l’espèce, l’application du cadre analytique susmentionné soulève trois points de litige entre Apotex et Lilly.

[70]           Premièrement, les parties sont en désaccord quant à l’interprétation à donner aux revendications du brevet 377 : Lilly soutient qu’elles doivent recevoir une interprétation restreinte et Apotex préconise une interprétation plus large.

[71]           Deuxièmement, les parties ne s’entendent pas sur la date à laquelle l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence doit se rapporter. Pour Lilly, il s’agit du 21 janvier 1994, la date de priorité du brevet 377, le premier des deux brevets pertinents en l’espèce. Apotex soutient pour sa part que l’analyse doit se rapporter au 6 février 1997, soit la date de publication du brevet 784, le deuxième des deux brevets pertinents en l’espèce. Les parties s’entendent toutefois quant à l’issue de l’analyse se rapportant à chacune de ces dates.

[72]           Plus précisément, si la date pertinente aux fins de l’analyse est la première, c’est-à-dire le 21 janvier 1994, soit la date de priorité du brevet 377, Apotex a reconnu au cours des plaidoiries que les revendications du brevet 784 ne seraient pas évidentes par rapport à celles du brevet 377, car les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art – du point de vue de laquelle les brevets doivent être interprétés – n’étaient pas suffisamment avancées pour rendre évidentes les revendications du brevet 784 à cette date.

[73]           Par contre, si la date pertinente aux fins de l’évaluation du double brevet relatif à une évidence est la plus récente, c’est-à-dire le 6 février 1997, soit la date de publication du brevet 784, Lilly ne conteste pas que les revendications de ce brevet seraient nulles pour cause de double brevet relatif à une évidence; elle n’a d’ailleurs présenté aucune preuve contredisant la preuve de l’expert d’Apotex selon laquelle les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui le brevet 784 s’adressait étaient suffisamment avancées en février 1997 pour rendre évidentes les revendications du brevet 784.

[74]           Ainsi, le si double brevet relatif à une évidence devait être évalué en date du 21 janvier 1994, les parties conviennent que le brevet 784 ne serait pas nul pour ce motif. Inversement, si l’analyse se rapporte à la date du 6 février 1997, elles conviennent qu’il serait nul pour cause de double brevet relatif à une évidence.

[75]           Les parties divergent toutefois quant à l’issue de l’analyse concernant le double brevet relatif à une évidence si la date pertinente en l’espèce se situe entre le 21 janvier 1994 et le 6 février 1997. C’est là leur troisième point de désaccord.

[76]           Lilly affirme que, si la date pertinente aux fins de l’évaluation du double brevet relatif à une évidence se situe entre le 21 janvier 1994 et le 6 février 1997 – et plus précisément si la date de priorité du brevet 784 était retenue, soit le 14 juillet 1995 –, celui-ci ne serait pas invalide pour cause de double brevet relatif à une évidence, puisque les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art n’étaient pas suffisamment avancées à cette date pour étayer une telle conclusion. Lilly soutient à cet égard que la seule antériorité pertinente rendue publique entre le 21 janvier 1994 (date à laquelle Apotex admet que son allégation de double brevet relatif à une évidence serait rejetée) et le 14 juillet 1995 est la demande 902 de Pfizer relative au sildénafil. Lilly soutient que, même si la demande 902 relève des connaissances générales courantes du travailleur versé dans l’art (ce qu’elle ne reconnaît pas), les revendications du brevet 784 ne seraient toujours pas évidentes, pour les raisons que ses experts ont expliquées dans leurs dépositions.

[77]           Apotex et ses experts ont un point de vue opposé et affirment que la demande 902 et d’autres antériorités rendent les revendications du brevet 784 évidentes ou non inventives et que, par conséquent, si la date pertinente pour évaluer le double brevet relatif à une évidence est le 14 juillet 1995 (ou une date ultérieure), alors le brevet 784 est invalide pour cause de double brevet relatif à une évidence. Apotex et ses experts poursuivent en déclarant que, si une date ultérieure est choisie pour l’évaluation des allégations de double brevet relatif à une évidence – soit le 11 juillet 1996, qui est la date de dépôt au Canada du brevet 784 –, alors ses arguments sont encore plus solides, puisqu’une autre antériorité clé a été publiée en juin 1996, soit l’article intitulé « Sildenafil : an orally active type 5 cyclic GMP-specific phosphodiesterase inhibitor for the treatment of penile erectile dysfunction » (Sildénafil : un inhibiteur de la phosphodiestérase de type 5 spécifique de la GMP cyclique actif par voie orale pour le traitement de la dysfonction érectile du pénis) par Boolell et al., dans l’International Journal of Impotence Research 8(2): 47 [l’article de Boolell]. Dans cet article, Pfizer divulgue de nouveaux éléments d’information sur le sildénafil, notamment, elle identifie le composé ayant été mis à l’essai et jugé efficace dans le traitement de la dysfonction érectile lorsqu’il est administré par voie orale, fournit des données sur les essais cliniques qu’elle a menés et explique le mécanisme d’action présumé du sildénafil. L’article est axé sur le fait que Pfizer a déterminé que la principale PDE responsable des érections est la PDE V, que le sildénafil cible directement la voie NO/GMPc et qu’il est un inhibiteur puissant et sélectif de la PDE V. Apotex et ses experts soutiennent que ces éléments rendraient les revendications du brevet 784 évidentes, puisque le tadalafil était un composé connu et réputé être un inhibiteur puissant et sélectif de la PDE V. Ils font donc valoir qu’il allait de soi, après la publication de l’article de Boolell, que le tadalafil fonctionnerait comme le sildénafil et serait utile pour traiter la dysfonction érectile.

[78]           Pour garder à l’esprit les diverses dates qui peuvent être retenues, il est utile de les illustrer de cette manière :

 

 

 

 

 

14 juillet 1995

Date de priorité du brevet 784

 

 

 

 

11 juillet 1996

Date de dépôt au Canada du brevet 784

 

6 février 1997

Date de publication du brevet 784

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

21 janvier 1994

Date de priorité du brevet 377

 

19 janvier 1995

Date de dépôt au Canada du brevet 377

 

27 juillet 1995

Date de publication du brevet 377

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

22 décembre 1994

Date de publication de la demande 902

 

 

 

 

 

 

Juin 1996

Article Boolell

 

 

 

 

C.                 Évaluation du double brevet dans la décision Mylan Tadalafil

[79]           Dans la décision Mylan Tadalafil, le juge de Montigny a examiné des questions identiques aux trois mêmes questions qui opposent Apotex et Lilly à l’égard du double brevet en l’espèce. Le juge a conclu que les allégations de Mylan de double brevet portant sur une même invention et de double brevet relatif à une évidence n’étaient pas justifiées.

[80]           Pour ce qui est de l’interprétation, le juge de Montigny a interprété les revendications pertinentes des brevets 377 et 784.

[81]           En ce qui concerne le brevet 377, il appert que les parties estimaient que seule la revendication 10 de ce brevet était pertinente, et l’analyse du juge de Montigny ne renvoyait donc qu’à cette revendication spécifique. Il a décrit la revendication 10 du brevet 377 comme une « revendication relative à un composé, le tadalafil, comme inhibiteur de PDE V » (paragraphe 130). Plus loin dans son jugement, toutefois, il s’est exprimé en termes plus généraux et a déclaré que « [l]e brevet 377 n’envisage pas l’usage du tadalafil pour traiter la DE; or, c’est là précisément l’objet du monopole revendiqué dans le brevet 784 ». (paragraphe 131).

[82]           En ce qui a trait au brevet 784, les parties dans l’affaire Mylan Tadalafil ont invoqué les mêmes revendications que celles qui sont en cause en l’espèce. Le juge de Montigny estime que, dans son sens le plus strict, la revendication 18 du brevet 784 vise l’utilisation du tadalafil ou du 3-méthyl tadalafil administré par voie orale dans le traitement de la dysfonction érectile chez les hommes, et s’est servi de cette interprétation pour analyser l’allégation de double brevet.

[83]           À propos du double brevet relatif à la même invention, le juge de Montigny a fait valoir que les inventions des deux brevets n’étaient pas les mêmes. Il a déterminé que le brevet 377 portait sur le composé tadalafil en tant qu’inhibiteur de la PDE V utilisé à diverses fins, à l’exclusion de la dysfonction érectile, alors que le brevet 784 revendiquait l’utilisation du tadalafil pour traiter la dysfonction érectile. Comme les brevets ne visaient pas les mêmes utilisations du tadalafil, il a estimé que les deux brevets ne portaient pas sur la même invention et, que, par conséquent, les revendications ne coïncidaient pas.

[84]           En ce qui concerne le double brevet relatif à une évidence, le juge de Montigny a conclu que le brevet 784 n’était pas évident par rapport au brevet 377. Dans la décision Mylan Tadalafil, comme en l’espèce, les parties n’étaient pas d’accord sur la date à laquelle l’évaluation du double brevet relatif à une évidence devait se rapporter. Le juge de Montigny a opté pour la date de priorité du brevet 377, et, subsidiairement, pour celle du brevet 784. En l’absence de jurisprudence claire, il s’est référé à l’objet de la doctrine du double brevet et a décidé que la date appropriée était la date de priorité du premier brevet; il déclarait :

[133]    Il y a eu un long débat sur la question de la date à retenir dans le cadre de l’analyse relative au double brevet. Il y a très peu de jurisprudence sur le sujet, et la Cour suprême ne l’aborde même pas dans l’arrêt Whirlpool, précité. C’est compréhensible, étant donné que l’analyse est confinée à une comparaison entre les revendications dans deux brevets, et elle n’implique aucune enquête relative à l’antériorité comme ce serait le cas si l’invalidité alléguée reposait sur un argument relatif à une évidence. Compte tenu de ce qui précède, l’évolution de la science entre les deux brevets ne devrait avoir aucune incidence dans le cadre d’une analyse relative à un double brevet relatif à une évidence : contrairement à la position prise par la défenderesse, la question n’est pas de savoir si l’usage du tadalafil pour traiter la DE était évident à la lumière du brevet 377, auquel cas des antériorités admissibles seraient pertinentes, mais bien si les revendications du brevet 784 divulguent de la nouveauté ou de l’ingéniosité par rapport au brevet 377. Pour trancher cette question, la Cour (avec l’aide des personnes versées dans l’art) doit examiner le premier brevet dans le contexte de ce qui était connu à l’époque, en vue de déterminer si les revendications dans le second brevet visent des éléments brevetables distincts de ceux du brevet antérieur. Puisque la raison d’être de ce motif d’invalidité est d’interdire le prolongement indu du monopole conféré par le premier brevet, la Cour doit déterminer si l’invention revendiquée dans le second brevet aurait pu ou aurait dû être incluse dans le premier brevet.

[134]    Si, comme Mylan le voudrait, la date pertinente devait être la date de priorité du second brevet (en l’espèce, le 14 juillet 1995), l’analyse du double brevet relatif à une évidence se métamorphoserait en une pure analyse de l’évidence, avec l’avantage additionnel que les exigences de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets relatives au temps seraient contournées. Il est passablement révélateur que l’argumentation écrite et la plaidoirie de Mylan se soient fortement appuyées sur le cadre relatif à l’évidence exposé par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi‑Synthelabo, précité. En toute équité, les parties de part et d’autre ont confondu la question par moments, et les quatre experts ont tous reçu comme instruction d’examiner la question du double brevet en date du 14 juillet 1995. Pour les motifs exposés précédemment, cette date de priorité pour le brevet 784 ne peut pas être la date pertinente. On ne peut pas lire dans les revendications du premier brevet plus que ce que la personne versée dans l’art aurait compris à la date de revendication au moment de comparer les revendications du second brevet à celles du premier brevet. Si l’attention doit être centrée sur les revendications, comme la Cour suprême l’enseigne dans l’arrêt Whirlpool, les renseignements publiés après la date de revendication du premier brevet ne sont d’aucune utilité pour établir si les revendications du second brevet visent des éléments brevetables distincts des objets des revendications du premier brevet. C’est d’ailleurs ce que mon collègue le juge Hughes a conclu dans la décision Finastéride, précitée, dans laquelle il a statué que certains documents publiés immédiatement avant la date de revendication du second brevet rendaient l’invention non évidente, mais il a néanmoins statué que ces documents étaient non existants pour ce qui concernait l’enquête sur le double brevet relatif à une évidence.

[85]           Le juge de Montigny a conclu qu’en date du 21 janvier 1994, soit la date de priorité du brevet 377, l’utilisation de tadalafil dans le traitement de la dysfonction érectile [la DE] n’était pas évidente et n’aurait pas pu être comprise dans le brevet 377. Par conséquent, il a estimé que l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE constituait un élément nouveau par rapport au brevet 377, et il a conclu que le brevet 784 ne constituait pas un « renouvellement à perpétuité » du brevet 377.

[86]           À titre subsidiaire, le juge de Montigny a évalué le double brevet à la date de priorité du brevet 784, soit le 14 juillet 1995, et il a conclu que l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE n’était pas évidente par rapport au brevet 377, même à cette date. À cet égard, il a estimé que la publication de la demande 902, soit le brevet de Pfizer relatif au sildénafil, constituait l’avancée majeure survenue entre 1994 et 1995. Pour le juge de Montigny, la demande 902 ne rendait pas évidente l’utilisation de tadalafil dans le traitement de la DE, et ce pour deux raisons. Premièrement, il a noté que la Cour suprême du Canada avait décidé que l’équivalent canadien de la demande 902 était invalide parce qu’il était délibérément obscur vu qu’il ne divulguait pas quel composé était efficace, et que la demande 902 était encore plus obscure parce qu’elle énumérait neuf composés possiblement efficaces, mais indiquait qu’un seul s’était révélé utile dans le traitement de la DE. Le juge de Montigny a donc conclu que la demande 902 ne contenait pas suffisamment de renseignements pour rendre évidente l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE. Deuxièmement, il a déterminé que l’enseignement contenu dans la demande 902 – le fait qu’un inhibiteur de la PDE V pouvait être administré oralement dans le traitement de la DE – était contre-intuitif au regard des connaissances générales courantes de l’époque quant inhibiteurs de la PDE V. Par conséquent, le juge de Montigny a conclu que la demande 902 ne rendait pas évidente l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE même en date du 14 juillet 1995. Comme il s’agissait de la seule antériorité rendue publique entre janvier 1994 et juillet 1995, le juge de Montigny a conclu que, même à la date subsidiaire du 14 juillet 1995, le brevet 784 n’était pas nul pour cause de double brevet relatif à une évidence.

D.                Courtoisie judiciaire

[87]           Lilly soutient que je devrais suivre les décisions du juge de Montigny quant à la date pertinente pour l’évaluation du double brevet et son analyse relative au double brevet relatif à une évidence, mais adopter une interprétation plus restreinte des revendications du brevet 377. Apotex fait valoir de son côté que je ne devrais pas suivre les décisions du juge de Montigny, et qu’il a commis plusieurs erreurs dans la décision Mylan Tadalafil.

[88]           La doctrine de la courtoisie judiciaire s’applique aux conclusions juridiques, et non factuelles, tirées par le juge de Montigny dans la décision Mylan Tadalafil. Suivant cette doctrine, le juge d’un tribunal de même juridiction doit suivre les décisions juridiques antérieures à moins qu’il n’estime devoir y déroger et qu’il n’existe des motifs convaincants de le faire. En règle générale, cela implique davantage qu’une simple divergence d’opinions quant à la conclusion juridique du juge précédent : le juge ultérieur doit plutôt conclure que son collègue n’a pas suffisamment tenu compte d’un précédent contraignant, que de nouvelles décisions contraires ont été rendues depuis celle du premier juge, que celle-ci n’était pas fondée, ou encore qu’une injustice importante résulterait de son application.

[89]           Dans l’arrêt Apotex c Allergan, 2012 CAF 308, au paragraphe 48, 105 CPR (4th) 371 [Brimonidine], le juge Marc Noël (tel était alors son titre) a précisé la portée de la doctrine de la courtoisie judiciaire dans le contexte des instances relatives aux AC :

[48]      Il appartient aux juges de la Cour fédérale de déterminer le mode d’application de cette doctrine à leurs décisions. Je relève à cet égard que différents facteurs peuvent jouer selon la compétence exercée. Je pense, par exemple, aux affaires d’immigration, où les décisions de la Cour fédérale sont définitives lorsqu’aucune question n’est certifiée (voir Ziyadah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 152, paragraphes 9 et 12 (C.F. 1re inst.)). Cependant, en général, un juge ne doit pas écarter les conclusions de droit tirées par un autre juge de la Cour fédérale, à moins d’être convaincu qu’il est nécessaire de le faire et de pouvoir faire état de motifs convaincants à l’appui. Si ce critère est appliqué, les divergences entre les décisions devraient être rares.

[90]           Dans le même ordre d’idées, le juge James O’Reilly a souligné ce qui suit dans la décision Apotex c Pfizer Canada, 2013 CF 493, au paragraphe 14, 114 CPR (4th) 270, conf. par 2014 CAF 54, 117 CPR (4th) 401 [Azithromycine] :

[14]      En partant de l’idée que le droit doit être cohérent et certain, cette règle impose de suivre les décisions des collègues juges [traduction] « en l’absence de raisons convaincantes à l’effet contraire » (R c Northern Electric Co Ltd, et al, [1955] 3 DLR 449 (HCJ Ont), au paragraphe 41). Cette expression ne renvoie pas seulement à de meilleurs arguments. Le juge Michael Phelan en a précisé le sens véritable :

a)         des décisions ultérieures ont remis en question la validité du jugement contesté;

b)         il est considéré qu’un élément jurisprudentiel ayant force obligatoire ou une loi pertinente n’ont pas été pris en considération;

c)         le jugement a été rendu sans délibéré, un jugement nisi prius rendu dans des circonstances que connaissent tous les juges de première instance, là où les exigences du procès sont telles que le juge doit rendre sa décision sur-le-champ sans avoir l’occasion de consulter en détail la jurisprudence. (Altana Pharma Inc c Canada (Santé), 2007 CF 1095, au paragraphe 36).

[91]           De même, dans la décision Glaxo Group Ltd c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 64 CPR (3d) 65, 103 FTR 1 (CF 1re inst.) [Glaxo Group], le juge John Richard (tel était alors son titre) a cité en l’approuvant cet extrait d’une décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique pour définir la portée de l’application de la doctrine de la courtoisie judiciaire (aux paragraphes 67 et 68) :

Le principe de la courtoisie judiciaire a été énoncé de la manière suivante :

[traduction] Il est généralement admis que la présente cour doit se conformer à ses décisions antérieures à moins qu’il ne soit possible de démontrer que ces décisions antérieures étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être appliquées lorsque, par exemple, (1) la cour n’a pas tenu compte dans ses décisions de dispositions législatives ou de décisions antérieures qui auraient entraîné un résultat différent ou (2), si elles sont suivies, la décision entraînerait une injustice grave. La raison qui est invoquée en règle générale pour justifier cette attitude est la courtoisie judiciaire. Bien qu’il s’agisse sans aucun doute d’une raison fondamentale justifiant une telle approche, je pense qu’il existe un motif tout aussi fondamental sinon plus impérieux et il s’agit de la nécessité d’une certaine certitude quant au sens de la loi, dans la mesure où celle-ci peut être établie. La position des avocats serait intenable lorsqu’ils conseillent leurs clients si une section de la cour était libre de rendre sa décision sur un appel sans tenir compte d’une décision antérieure ou du principe qui y était en cause.

(Bell c. Cessna Aircraft Co. (1983), 149 D.L.R. (3d) 509, à la p. 511, 36 C.P.R. 115, [1983] 6 W.W.R. 178 (C.A. C.-B.).)

[92]           La doctrine de la courtoisie judiciaire repose sur le principe suivant lequel il ne peut y avoir qu’une réponse correcte à une question juridique. Elle réalise également l’objectif politique important qui est de garantir la cohérence jurisprudentielle (Brimonidine, précité, aux paragraphes 43 à 46; Azithromycine, précitée, aux paragraphes 11 à 14; Glaxo Group, précitée, aux paragraphes 67 et 68).

[93]           Comme je l’ai déjà noté, la doctrine ne s’applique qu’aux conclusions juridiques, et non factuelles, tirées dans une précédente affaire, puisqu’il existe invariablement des distinctions factuelles entre les affaires, même lorsqu’elles sont très similaires et qu’elles se rapportent au même contrat ou brevet. Ainsi, les conclusions juridiques tirées dans la décision Mylan Tadalafil font intervenir la doctrine de la courtoisie judiciaire, mais pas les conclusions de fait ou les conclusions de fait et de droit. Il est donc nécessaire de déterminer quelles conclusions pertinentes du juge de Montigny sont de nature juridique.

[94]           Apotex et Lilly conviennent que l’interprétation des brevets 377 et 784 par le juge de Montigny est une conclusion juridique, comme l’est celle qui concerne la date à laquelle devait se rapporter l’analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence. Elles reconnaissent aussi que son évaluation des antériorités et ses conclusions quant à l’absence d’évidence en date du 21 janvier 1994 ou du 14 juillet 1995 sont des constatations factuelles ou des conclusions de fait et de droit auxquelles la doctrine de la courtoisie ne s’applique pas.

[95]           Je suis d’accord avec elles. Il est bien établi que l’interprétation des brevets est une question de droit (Whirlpool, précité, aux paragraphes 61 et 76; Brimonidine, précité, au paragraphe 50; Western Electric Co c Baldwin International Radio of Canada, [1934] RCS 570, à la page 572, 4 DLR 129; Weatherford Canada Ltd c Corlac, 2011 CAF 228, au paragraphe 24, 95 CPR (4th) 101 [Corlac]). De même, la détermination de la date pertinente pour l’analyse du double brevet relatif à une évidence est une pure question juridique, tandis que la conclusion du juge de Montigny concernant l’absence d’évidence est d’ordre factuel (voir Brimonidine, précité, au paragraphe 50 : la détermination du caractère évident est une conclusion factuelle).

[96]           Ainsi, la doctrine de la courtoisie s’applique à l’interprétation des brevets 377 et 784 retenue par le juge de Montigny ainsi qu’à sa conclusion voulant que l’analyse du double brevet relatif à une évidence doive se rapporter à la date de priorité du brevet 377. Elle ne s’applique pas à sa conclusion concernant l’absence d’évidence. Par conséquent, en ce qui concerne les deux premières questions, je dois tirer la même conclusion que le juge de Montigny, à moins que je n’estime qu’il existe des motifs convaincants de parvenir à une autre conclusion.

E.                 Interprétation des brevets 784 et 377

[97]           Concernant la première des questions en litige pour lesquelles le principe de courtoisie s’applique, soit l’interprétation des revendications pertinentes des brevets, dans la présente affaire et dans l’affaire Mylan Tadalafil, l’interprétation du brevet 784 ne pose aucune difficulté. Comme dans l’affaire Mylan Tadalafil, la présente affaire pourrait être tranchée sur le fondement de la revendication la plus restreinte en litige, soit la revendication 18, car cette dernière dépend des revendications 12 et 14. Comme il a été mentionné, parce qu’elle est dépendante des revendications 12 et 14, la revendication 18 vise l’utilisation du tadalafil, du 3-méthyl tadalafil ou des sels ou solvates physiologiquement acceptables des deux composés administrés par voie orale dans le traitement de la dysfonction érectile chez les hommes. Apotex et Lilly ont toutes deux utilisé cette interprétation, explicitement ou implicitement, dans leurs arguments.

[98]           Le litige qui les sépare repose sur l’interprétation du brevet 377. D’un côté, Lilly affirme que les revendications du brevet doivent être interprétées sans tenir compte de la capacité du tadalafil à inhiber la PDE V, tandis qu’Apotex décèle dans les revendications (et en particulier dans la revendication 13) une utilisation du tadalafil pour traiter la dysfonction érectile. Toutes deux soutiennent donc que le juge de Montigny a commis une erreur dans son interprétation.

[99]           Les revendications pertinentes du brevet 377 sur lesquelles s’appuient les parties en l’espèce sont les revendications 10 et 13, qui sont libellées en ces termes :

[traduction]

10. (6R,12aR)-2, 3,6,7,12,12a-Hexahydro-2-méthyl-6-(3,4-méthylènedioxy-phényl)-pyrazino[2’,1’:6,1]pyrido[3,4-b]indole -1,4-dione [tadalafil]; et les sels et solvates physiologiquement acceptables dudit composé.

[…]

13. (6R,12aR)-2,3,6,7,12,12a-Hexahydro-2-méthyl-6-(3,4-méthylènedioxy-phényl)-pyrazino[2’,l’:6,1]pyrido[3,4-b]indole-1,4-dione [tadalafil], ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé, utilisé dans le traitement de l’angine stable, instable et variante, de l’hypertension, de l’hypertension pulmonaire, de la maladie pulmonaire obstructive chronique, de l’insuffisance cardiaque congestive, de l’insuffisance rénale, de l’athérosclérose, des affections liées à une diminution de la perméabilité des vaisseaux sanguins, de la maladie vasculaire périphérique, d’affections vasculaires, de maladies inflammatoires, de l’accident vasculaire cérébral, de la bronchite, de l’asthme chronique, de l’asthme allergique, de la rhinite allergique, du glaucome ou des maladies caractérisées par des troubles de la motilité intestinale.

[100]       Lilly a raison de souligner que ces revendications ne mentionnent pas le fait que le tadalafil et le 3‑méthyl tadalafil sont des inhibiteurs de la PDE V. (Ce fait n’est pas non plus mentionné dans les autres revendications du brevet 377.)

[101]       Toutefois, le mémoire descriptif décrit abondamment la capacité du tadalafil à inhiber la PDE V. De fait, le paragraphe d’introduction du mémoire précise que l’invention :

[traduction]

porte sur des dérivés tétracycliques qui sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la phosphodiestérase spécifique de la guanosine 3′, 5′‑monophosphate cyclique (PDE spécifique de la GMPc) ayant une utilité dans divers domaines thérapeutiques dans lesquels cette inhibition est jugée bénéfique, notamment dans le traitement de troubles cardiovasculaires.

(Les parties conviennent que la « phosphodiestérase spécifique de la guanosine 3′, 5′-monophosphate (PDE spécifique de la GMPc) » est la PDE V.)

[102]       Suivant la description des composés de l’invention, le mémoire descriptif précise que  [traduction] « les composés de la présente invention sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE spécifique de la GMPc » qui, par conséquent, [traduction] « présentent un intérêt » dans le traitement d’affections pour lesquelles [traduction]  « l’inhibition de la PDE spécifique de la GMP est jugée bénéfique » (brevet 377, à la page 6). Le mémoire descriptif précise aussi que [traduction] « la concentration de GMPc augmente à la suite de l’inhibition sélective de la PDE V induite par les composés de la présente invention », ce qui donne lieu à un certain nombre d’utilisations potentielles, qui sont les suivantes :

[traduction]

traitement d’un certain nombre d’affections, notamment l’angine stable, instable et variante […] , l’hypertension, l’hypertension pulmonaire, l’insuffisance cardiaque congestive, l’insuffisance rénale, l’athérosclérose, les affections liées à une diminution de la perméabilité des vaisseaux sanguins (p. ex. post-angioplastie coronarienne transluminale percutanée), la maladie vasculaire périphérique, les troubles vasculaires comme la maladie de Raynaud, les maladies inflammatoires, l’accident vasculaire cérébral, la bronchite, l’asthme chronique, l’asthme allergique, la rhinite allergique, le glaucome et les maladies caractérisées par des troubles de la motilité intestinale (p. ex., le syndrome du côlon irritable).

(brevet 377, aux pages 6 et 7.)

[103]       En outre, le mémoire présente les résultats d’essai qui démontrent que plusieurs des composés revendiqués, dont le tadalafil, sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE V (voir en particulier les exemples 121 et 122, aux pages 74 à 77 du brevet).

[104]       Compte tenu de ce qui précède, le juge de Montigny a établi que l’idée originale du brevet 377 consistait en la capacité des composés revendiqués d’agir comme inhibiteurs de la PDE V, et a donc estimé que la revendication 10 se rapportait au tadalafil en tant qu’inhibiteur de la PDE V, sur la base d’une interprétation téléologique de la revendication.

[105]       Je ne vois aucune erreur dans cette conclusion. Quoique les revendications d’un brevet soient le point de départ de l’interprétation, la jurisprudence nous enseigne que, pour en établir l’importance, il faut les lire au besoin dans le contexte du mémoire descriptif complet, comme l’a d’ailleurs statué la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool, dont il était question au paragraphe 67 des présents motifs (voir aussi Consolboard, précité, à la page 520; Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au paragraphe 31, [2000] 2 RCS 1024 [Free World Trust]).

[106]       Si nous lisons la revendication 10 du brevet 377 à la lumière du mémoire descriptif, l’importance de la capacité du tadalafil à inhiber la PDE V est apparente; il s’agit en fait de l’essence de l’invention revendiquée dans le brevet 377. Je ne vois donc aucune erreur dans le fait d’interpréter la revendication 10 comme englobant le tadalafil à titre d’inhibiteur de la PDE V. Cette interprétation s’applique également à la revendication 13, dans laquelle le tadalafil est revendiqué pour de nombreux usages. Par conséquent, les revendications 10 et 13 du brevet 377 doivent être interprétées en intégrant la notion que le tadalafil est un inhibiteur de la PDE V. Je rejette donc l’interprétation proposée par Lilly pour les mêmes motifs que ceux qu’a fournis le juge de Montigny.

[107]       Cependant, Apotex soutient que ce n’est pas aller assez loin, et que je devrais inclure en plus dans la revendication 13 le traitement de la DE comme l’une des utilisations visées par le brevet 377. Elle avance deux arguments à l’appui de cette affirmation.

[108]       Elle prétend tout d’abord que cette question n’a pas été examinée dans la décision Mylan Tadalafil, le juge de Montigny s’étant concentré dans son analyse sur la seule revendication 10 du brevet 377. Apotex fait donc valoir que la doctrine de la courtoisie judiciaire ne m’empêche pas d’adopter cette interprétation de la revendication 13 du brevet 377, puisque ce point n’a pas été abordé par le juge de Montigny.

[109]       Deuxièmement, et à titre subsidiaire, Apotex avance que, même si le juge de Montigny a tranché la question, son interprétation était erronée parce qu’il a interprété le brevet 377 à sa date de priorité plutôt qu’à sa date de publication, alors que la Cour suprême du Canada et les Cours fédérales ont fermement établi que c’est en fonction de cette date-là que les brevets doivent être interprétés; elle cite à cet égard l’arrêt Whirlpool, précité, aux paragraphes 55 et 56, et l’arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 54.

[110]       Apotex affirme qu’à la date de publication du brevet 377, soit le 27 juillet 1995, les connaissances générales courantes du travailleur versé dans l’art à qui le brevet 377 s’adressait avaient avancé au point qu’il était su et admis que les inhibiteurs de la PDE V étaient efficaces dans le traitement de la DE et que celle-ci était une maladie vasculaire. Elle s’appuie ici principalement sur la demande 902 relative au sildénafil ainsi que sur une autre demande de brevet (Demande PCT no WO 94-29277) présentée par SmithKline Beecham PLC le 14 juin 1993 et publiée le 22 décembre 1994 [le brevet 277], lesquelles doivent être lues selon elle dans le contexte de plusieurs articles antérieurs concernant la DE. Pour Apotex, un lecteur versé dans l’art estimerait, compte tenu de ces antériorités, que la revendication 13 du brevet 377 comprenait la DE comme l’un des troubles que le tadalafil permettait de traiter.

[111]       J’estime que les affirmations d’Apotex sont infondées pour plusieurs raisons.

[112]       À cet égard, contrairement à ce qu’elle fait valoir, je ne pense pas que le juge de Montigny ait interprété le brevet 377 en se rapportant à sa date de priorité. Il n’est mentionné nulle part dans le jugement que c’est la date en fonction de laquelle l’exercice d’interprétation a été effectué. Il s’est plutôt servi de la date de priorité pour évaluer le double brevet relatif à une évidence. Ceci n’est pas incompatible avec l’interprétation du brevet fondée sur une date ultérieure. De plus, son interprétation ne repose pas tant sur l’état des connaissances générales courantes à une date donnée que sur les mots utilisés par l’inventeur dans le brevet, lequel ne revendique pas la DE, mais un groupe d’autres troubles pour lesquels le tadalafil peut être employé. Ainsi, contrairement à ce qu’avance Apotex, je ne pense pas que le juge de Montigny a interprété le brevet 377 en se rapportant à sa date de priorité.

[113]       Quant à l’affirmation voulant que le juge de Montigny ait interprété la revendication 10 plutôt que la revendication 13 du brevet 377, je ne pense pas que ses motifs puissent être lus de façon aussi étroite, même s’il est vrai qu’il ne mentionne spécifiquement que la revendication 10 dans sa décision. Je pense plutôt qu’il a déterminé plus largement que le brevet 377 n’allait pas jusqu’à revendiquer l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE. Il a écrit ce qui suit au paragraphe 131 : « [l]e brevet 377 n’envisage pas l’usage du tadalafil pour traiter la DE ».

[114]       Ainsi, contrairement à ce qu’affirme Apotex, j’estime que le juge de Montigny a établi dans la décision Mylan Tadalafil que les revendications 10 et 13 du brevet 377 devaient être interprétées comme ne s’étendant pas au traitement de la DE. La doctrine de la courtoisie judiciaire s’applique donc à son interprétation et m’oblige à suivre sa décision à moins que je ne sois persuadée qu’il existe des motifs convaincants de parvenir à une autre conclusion.

[115]       Ce n’est pas le cas, puisque je souscris à l’interprétation du juge de Montigny. Je pense d’ailleurs que l’omission de la DE comme l’une des utilisations potentielles du tadalafil dans le mémoire descriptif du brevet 377 est révélatrice, puisque le brevet énumère un ensemble d’autres utilisations potentielles du médicament dans le mémoire descriptif et les revendications. En pareilles circonstances, l’omission de la DE doit nécessairement amener à conclure que le brevet 377 ne doit pas être interprété comme englobant l’utilisation du tadalafil dans le traitement de la DE.

[116]       J’estime également que cette interprétation est étayée par la preuve d’expert présentée dans la présente affaire. Je note à cet égard que le Dr Burnett, seul clinicien expert d’Apotex, était d’avis que le brevet 377 prévoit le traitement d’une vaste gamme d’affections, mais que la [traduction] « [d]ysfonction érectile ne figure pas parmi les affections décrites dans le brevet 377 » (affidavit du Dr Burnett, au paragraphe 182, dossier de la demanderesse [DD], à la page 2861). Dans le même ordre d’idées, le Dr Brock, l’expert de Lilly, est du même avis et mentionne dans son affidavit que [traduction] « [a]ucune des revendications du brevet 377 ne porte sur le traitement de la dysfonction érectile » (affidavit du Dr Brock, paragraphe 34, DD, à la page 214). En revanche, le Dr Warrington, l’expert d’Apotex, postule – de façon plutôt vague – que la dysfonction érectile aurait été considérée comme un [traduction] « trouble vasculaire », soit l’une des affections énumérées dans le brevet 377, et que, par conséquent, la dysfonction érectile fait partie de la liste des utilisations de la revendication 13 du brevet 377 (voir l’affidavit du Dr Warrington, paragraphe 174, DD, à la page 2928). Cependant, je n’accorde que peu de poids à cette opinion si je la compare à celle des Drs Brock et Burnett, puisqu’il s’agit d’un avis sur des utilisations cliniques du tadalafil, un domaine qui relève de l’expertise des Drs Brock et Burnett, et non de l’expertise de M. Warrington, qui est chimiste médicinal.

[117]       Je conclus donc que je me dois d’adopter la même interprétation que celle du juge de Montigny dans l’affaire Mylan Tadalafil et je statue conséquemment que les revendications 10 et 13 du brevet 377 doivent être interprétées de manière à inclure le tadalafil parmi les inhibiteurs de la PDE V, mais pas la dysfonction érectile comme l’une des utilisations potentielles du tadalafil.

F.                  Double brevet relatif à la même invention

[118]       L’interprétation qui précède porte à conclure que le brevet 784 ne constitue pas un double brevet de la même invention que celle du brevet 377, car les revendications pertinentes du brevet 784 portent sur l’utilisation du tadalafil et du 3-méthyl tadalafil ou de leurs sels ou solvates dans le traitement de la dysfonction érectile, mais pas les revendications du brevet 377.

[119]       Apotex laisse entendre que Lilly ne peut pas arguer qu’il n’y a pas en l’espèce de double brevet relatif à la même invention parce qu’elle n’a produit aucun élément de preuve concernant cette question, si bien que celle-ci n’est pas en jeu. Je rejette cette observation étant donné qu’il s’agit d’une question d’interprétation, soit une question qu’il appartient donc à la Cour de trancher et à l’égard de laquelle la présentation d’éléments de preuve n’est pas requise. De plus, contrairement à ce qu’affirme Apotex, Lilly a bel et bien produit des éléments de preuve concernant cette question, puisque le Dr Brock traite de l’absence de double brevet relatif à la même invention aux paragraphes 33 et 34 de son affidavit.

[120]       Je conclus donc, pour ces motifs, que l’allégation suivant laquelle le brevet 784 est invalide pour cause de double brevet relatif à la même invention au regard du brevet 377 est infondée.

G.                Date pertinente pour l’évaluation du double brevet relatif à une évidence

[121]       Je me pencherai à présent sur la question suivante à laquelle s’applique la doctrine de la courtoisie judiciaire, à savoir le choix de la date à laquelle l’évaluation du double brevet relatif à une évidence doit se rapporter. Apotex affirme que le juge de Montigny a commis une erreur en négligeant de reconnaître et de suivre l’arrêt Whirlpool par lequel je suis liée. Elle fait valoir que la Cour suprême du Canada a déclaré dans cette affaire que la date pertinente était celle de la publication du brevet ultérieur, et donc que le juge de Montigny s’est trompé en estimant qu’il n’y avait aucun précédent sur la question et en choisissant la date de priorité du brevet 377 pour effectuer l’évaluation relative au double brevet relatif à une évidence.

[122]       J’estime respectueusement que la Cour suprême du Canada n’a pas formulé une telle conclusion dans l’arrêt Whirlpool; en fait, elle ne s’est prononcée que sur la date pertinente pour l’interprétation du brevet, et elle n’a pas déterminé la date à laquelle l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence devait se rapporter.

[123]       Plus spécifiquement, pour ce qui est de l’interprétation, le juge Binnie a statué dans l’arrêt Whirlpool, au paragraphe 55, que les revendications d’un brevet devaient être interprétées en fonction de la date de publication du brevet. Dans le cas des brevets contestés dans cet arrêt, il s’agissait de la date de leur délivrance puisqu’ils avaient tous été délivrés au titre de l’ancienne Loi sur les brevets, LRC 1970, c P‑4. Dans l’arrêt Whirlpool, le juge Binnie a en outre confirmé que la date de publication est aussi celle au regard de laquelle les brevets délivrés en vertu de l’actuelle Loi sur les brevets devaient être interprétés.

[124]       En ce qui concerne le double brevet relatif à une évidence, l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Whirlpool reposait sur une question de preuve. Le juge Binnie a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur en acceptant la preuve de l’expert de l’inventeur, qui connaissait trop bien les détails de l’invention pour représenter la personne versée dans l’art à qui les brevets contestés s’adressaient (aux paragraphes 70 et 71). La Cour suprême a ajouté que le juge de première instance avait eu raison de rejeter la preuve de l’expert du contrefacteur prétendu, car cet expert n’avait aucune connaissance de la technologie en cause dans cette affaire durant toute la période visée (aux paragraphes 70 et 71). La Cour suprême a donc confirmé la décision du juge de première instance en vertu de la présomption de validité enchâssée à l’article 47 de l’ancienne Loi sur les brevets parce qu’il n’y avait simplement aucun élément de preuve digne de foi se rapportant à l’évidence.

[125]       Le juge Binnie en a décidé ainsi et il a souligné au paragraphe 55 que Whirlpool avait argué que la date pertinente aux fins de l’évaluation du double brevet était celle de la publication du brevet le plus récent. En outre, il semble avoir évalué la suffisance de la preuve en fonction de cette date, mais, à mon avis, ses observations concernant la date dans l’arrêt Whirlpool ne tranchent pas la question de savoir à quelle date l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence doit se rapporter. Ces observations sont des remarques incidentes non contraignantes puisque l’issue de l’affaire reposait sur la question de preuve. De plus, dans la mesure où il est question de dates dans l’analyse que la Cour suprême a effectuée concernant le double brevet relatif à une évidence dans l’arrêt Whirlpool, il n’en est question que brièvement. Par conséquent, je ne pense pas que le juge de Montigny a commis une erreur lorsqu’il a déclaré que « la Cour suprême ne l’aborde même pas dans l’arrêt Whirlpool ».

[126]       Par ailleurs, je souscris au motif politique que le juge de Montigny a invoqué dans la décision Mylan Tadalafil pour rejeter les dates de dépôt au Canada ou de publication du brevet 784 (le 11 juillet 1996 et le 6 février 1997, respectivement) en ce qui concerne l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence, puisque le choix de l’une ou l’autre de ces dates aurait pour effet de contourner les limites temporelles prévues à l’article 28.3 de la Loi sur les brevets et d’exposer le breveté à des antériorités suivant la date de revendication du brevet ultérieur. Cela placerait effectivement l’inventeur dont le brevet antérieur n’a pas été publié dans une position très désavantageuse pour ce qui est de la date d’évaluation des antériorités par rapport à toute autre personne qui aurait pu mettre au point la même invention. Je conviens avec Lilly qu’une telle issue ne devrait pas être autorisée parce qu’elle découragerait les inventeurs de publier leurs inventions après la date de revendication alors que les demandes sont encore pendantes.

[127]       Le professeur Norman Siebrasse, dans son blogue (« Date for Assessing Obviousness‑Type Double Patenting Is Priority Date of Earlier Patent » (L’évaluation du double brevet relatif à une évidence effectuée à la date de priorité du brevet antérieur) (23 janvier 2015), Sufficient Description (blogue), en ligne : <http ://www.sufficientdescription.com/2015/01/date-for-assessing-obviousness-type.html>), a souscrit au raisonnement du juge de Montigny concernant le contournement des exigences temporelles de l’article 28.3 de la Loi sur les brevets, notant que [traduction« [l]e double brevet relatif à une évidence créé par les tribunaux ne peut pas servir à contourner une disposition législative limpide ».

[128]       Par conséquent, je conclus que le juge de Montigny n’a pas commis d’erreur en rejetant les dates de dépôt au Canada ou de publication du brevet 784, soit le 11 juillet 1996 et le 6 février 1997, aux fins de l’analyse du double brevet relatif à une évidence. Ces deux dates ayant été éliminées, seules deux autres restent en lice, à savoir la date de priorité du brevet 377 ou celle du brevet 784.

[129]       J’estime que le choix de la date de priorité du brevet 784, le 14 juillet 1995, peut être validement défendu en l’espèce aux fins de l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence en raison des dates respectives de l’invention revendiquée dans le brevet 784 et des avancées prétendues dans les connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui le brevet 784 s’adresse.

[130]       À cet égard, comme l’a reconnu l’avocat de Lilly durant les plaidoiries, il existe deux manières par lesquelles un brevet subséquent peut être annulé pour cause de double brevet relatif à une évidence, et donc deux manières par lesquelles il peut être considéré comme un renouvellement à perpétuité inadmissible.

[131]       D’une part, le breveté pourrait restreindre la portée des revendications de son brevet initial, diviser l’invention et chercher à prolonger la période de monopole en déposant un brevet subséquent avant que le premier ne soit publié. Dans ce cas, l’analyse pertinente implique la détermination de ce qui était connu à l’époque afin d’évaluer l’évidence relativement au premier brevet. Selon la défenderesse, c’est ce qui s’est produit dans l’affaire Whirlpool; elle a prétendu que l’invention du dernier brevet était évidente à la date où les brevets antérieurs avaient été déposés (ce qui, en vertu du régime alors en vigueur, correspondait à la date à laquelle l’analyse concernant l’évidence devait se rapporter).

[132]       D’autre part, un deuxième type inadmissible de renouvellement à perpétuité concerne l’ajout de modifications évidentes, ce qui renvoie au raisonnement sur les [traduction« caractéristiques secondaires non inventives » exemplifiées dans l’arrêt Farbwerke, précité. Dans le cas particulier des brevets pharmaceutiques intéressant une nouvelle utilisation d’un composé ou d’une classe de composés existants, les connaissances générales courantes peuvent progresser après la date de revendication du premier brevet de manière à rendre évidente la nouvelle utilisation visée par le second brevet à la date de sa revendication, celui-ci constituant un renouvellement à perpétuité inadmissible par voie de prolongation basée sur des modifications évidentes au brevet initial. Dans de telles circonstances, j’estime qu’on peut validement défendre le choix de la date de priorité du second brevet comme celle à laquelle l’analyse portant sur le double brevet relatif à une évidence devrait se rapporter.

[133]       La présente affaire relève du deuxième des deux scénarios exposés plus haut et j’estime donc que l’on peut validement faire valoir que la date de priorité du brevet 784, soit le 14 juillet 1995, devrait être choisie comme celle à laquelle devrait se rapporter l’analyse du double brevet relatif à une évidence.

[134]       Cependant, quand bien même cette date serait choisie, le brevet 784 ne serait pas annulé pour cause de double brevet relatif à une évidence au regard du brevet 377, car, comme dans la décision Mylan Tadalafil et pour les motifs exposés ci-après, la preuve en l’espèce démontre que, même si l’évaluation en question se rapportait au 14 juillet 1995, l’allégation de double brevet n’est pas justifiée.

[135]       La question de savoir quelle est la date pertinente aux fins de l’analyse concernant le double brevet est donc théorique, puisque le résultat est le même que l’analyse se rapporte à la date de priorité du brevet 377 ou à celle du brevet 784. Compte tenu du principe de courtoisie judiciaire et de l’absence de jurisprudence en la matière, je préfère ne pas me prononcer fermement sur ce point, puisque l’issue est la même que l’une ou l’autre date soit retenue.

H.                Double brevet relatif à une évidence

[136]       Je me pencherai à présent sur l’évaluation du double brevet relatif à une évidence. Comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt Whirlpool enseigne que cette évaluation implique la comparaison des revendications de deux brevets et la question de savoir si celles du plus récent constituent des éléments brevetables distincts au regard de celles du brevet précédent. Il s’agira alors de définir l’état des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui les brevets s’adressent, tel que l’arrêt Whirlpool l’enseigne également. Enfin, c’est ici qu’il convient d’évaluer la preuve et d’établir quels éléments des antériorités auraient fait partie des connaissances générales de la personne versée dans l’art à la date pertinente, et si ces antériorités rendent les nouvelles revendications contenues dans le second brevet non inventives par rapport à celles du premier.

[137]       Ici, la différence entre les revendications pertinentes du brevet 377 et celles du brevet 784, selon mon interprétation, tient à l’utilisation du tadalafil, du 3-méthyl tadalafil ou de leurs sels ou solvates pharmacologiquement acceptables pour traiter la dysfonction érectile, utilisation revendiquée dans le brevet 784 mais pas dans le brevet 377. Les deux brevets revendiquent toutefois le tadalafil et le 3-méthyl tadalafil en tant qu’inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE V. La question en litige est donc de savoir s’il était évident que ces composés – en tant qu’inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE V – pouvaient être utilisés pour traiter la dysfonction érectile.

(1)               En date du 21 janvier 1994

[138]       Apotex reconnaît qu’en date du 21 janvier 1994, cette utilisation n’était pas évidente. Cet aveu est important, car une grande partie de la preuve des experts des deux parties en l’espèce se rapporte aux antériorités publiées avant le 21 janvier 1994.

[139]       Même en l’absence de cette concession, j’aurais conclu, comme le juge de Montigny dans la décision Mylan Tadalafil, que l’utilisation du tadalafil ou du 3‑méthyl tadalafil pour traiter la DE n’était pas évidente en date du 21 janvier 1994, et je privilégie donc la preuve des experts de Lilly sur ce point, car j’estime qu’elle donne une image plus juste des antériorités pertinentes invoquées par les experts des deux parties en l’espèce.

[140]       À cet égard, je partage l’avis des experts de Lilly qu’en date du 21 janvier 1994, on ignorait quelle isozyme de la PDE jouait principalement un rôle dans l’érection, et on croyait généralement qu’il n’était pas recommandé d’administrer un vasodilatateur par voie orale pour traiter la dysfonction érectile, car cela entraînerait un risque d’hypotension dangereuse.

[141]       Comme les Drs Brock et Goldstein l’on fait remarquer, au début des années 1990, les connaissances sur le rôle du système NANC dans les corps caverneux découlent de travaux de recherche menés in vitro, mais, sur la base de ces travaux, il n’allait pas de soi d’utiliser un inhibiteur de la PDE V pour traiter la dysfonction érectile. Une expérience in vitro dans laquelle du zaprinast (un autre inhibiteur de la PDE V) a été appliqué sur du tissu pénien a révélé que le système NANC médiait la détente du tissu musculaire lisse dans les corps caverneux. Cependant, cette expérience, en elle-même, n’a pas fourni les fondements permettant d’établir que l’administration d’un inhibiteur de la PDE V serait utile dans le traitement de la dysfonction érectile (voir l’affidavit du Dr Brock, aux paragraphes 116 à 133; l’affidavit du Dr Goldstein, aux paragraphes 107 à 119; commentant l’article de Rajfer et al, intitulé « Nitric oxide as a mediator of relaxation of the corpus cavernosum in response to nonadrenergic, noncholinergic neurotransmission » (Oxyde nitrique en tant que médiateur de la détente des corps caverneux en réponse à une neurotransmission non adrénergique non cholinergique) (1992) 326:2 New England Journal of Medicine 90, pièce C jointe à l’affidavit de Potter, document no 21). Les juges de Montigny et Mosley ont aussi conclu que les expériences décrites dans l’article de Rajfer n’amenaient pas à utiliser un inhibiteur de la PDE V pour traiter la dysfonction érectile (voir Mylan Tadalafil, aux paragraphes 140 et 141; Sildénafil AC, aux paragraphes 89 à 98).

[142]       De même, d’autres travaux de recherche fondamentale avaient permis d’établir le rôle de trois isozymes de la PDE dans les corps caverneux, et leurs conclusions laissaient croire que les inhibiteurs de la PDE pourraient être utiles pour traiter la dysfonction érectile, mais ils n’ont pas permis de clarifier le rôle précis de la PDE V ni d’établir de façon définitive qu’un inhibiteur de la PDE V serait efficace pour traiter la dysfonction érectile (voir l’affidavit du Dr Brock, aux paragraphes 141 à 146; l’affidavit du Dr Goldstein, aux paragraphes 98 à 100; commentant l’article de Taher et al, « Cyclic nucleotide phosphodiesterase activity in human cavernous smooth muscle and the effect of various selective inhibitors » (Activité des phosphodiestérases des nucléotides cycliques dans le muscle lisse des corps caverneux humains et effet de divers inhibiteurs sélectifs) (résumé) (1992) 4 (Suppl 2) International Journal of Impotence Research 19, pièce C jointe à l’affidavit de Potter, document no 24).

[143]       J’ai aussi noté que, dans l’une des principales antériorités sur lesquelles s’appuie Apotex, soit la thèse de doctorat de 1993 de M. Bush (« The role of the L-arginine-nitric oxide-cyclic GMP pathway in relaxation of corpus cavernosum smooth muscle » (Rôle de la voie L‑arginine‑oxyde nitrique-GMP cyclique dans le relâchement du muscle lisse des corps caverneux), Université de la Californie à Los Angeles, pièce C jointe à l’affidavit de Potter, document n48) l’auteur conclut, d’après des expériences in vitro semblables sur des tissus de corps caverneux, que l’élucidation du mécanisme de détente dans les corps caverneux jette les bases des études à venir sur le mécanisme de l’érection, lesquelles pourraient aboutir à des utilisations cliniques dans le traitement de la dysfonction érectile. M. Bush évoque toutefois cette possibilité comme une orientation de travaux de recherche futurs; je suis donc d’accord avec le Dr Brock pour dire que la personne versée dans l’art ne conclurait pas de cet article qu’un inhibiteur de la PDE spécifique de la GMP cyclique pourrait servir à traiter efficacement la dysfonction érectile (affidavit du Dr Brock, au paragraphe 187). La preuve du Dr Goldstein étaye aussi ce point de vue : selon lui, la thèse de M. Bush laisse entendre que le traitement pharmacologique de la dysfonction érectile est encore « à venir » (affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 136, DD, à la page 172) et ne donne pas à penser que l’administration par voie orale d’un composé, quel qu’il soit, pourrait traiter la dysfonction érectile (au paragraphe 140).

[144]       En outre, en 1994, la plupart des experts croyaient que l’administration par voie orale d’un inhibiteur de la PDE V pour traiter la dysfonction érectile était impossible en raison des craintes d’hypotension. Selon le Dr Goldstein, [traduction] « [e]n 1994, un urologue compétent aurait compris qu’un médicament ne pouvait pas être administré par voie générale pour traiter la dysfonction érectile, puisqu’il serait impossible de délivrer une concentration assez élevée du médicament dans le pénis pour détendre de façon efficace et fiable le muscle lisse vasculaire sans entraîner des effets sur les autres muscles lisses de l’organisme (p. ex., une hypotension) » (affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 49, DD, à la page 147). De fait, comme on s’attendait à ce qu’un médicament provoquant la détente des muscles lisses relâche tous les muscles lisses de l’organisme, dont le système vasculaire, on croyait qu’un tel médicament abaisserait la pression artérielle et entraînerait donc une dysfonction érectile plutôt que de la traiter (affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 72, DD, à la page 153). Dans un article de synthèse de 1993, Kenneth J. Murray a résumé les derniers travaux de recherche de l’époque sur les utilisations possibles des inhibiteurs de la PDE V pour traiter des maladies chez l’humain (« Phosphodiesterase VA Inhibitors » (Inhibiteurs de la phosphodiestérase VA) (1993) 6:3 Drug News and Perspectives 150, pièce C jointe à l’affidavit de Potter, document no 40). Un seul inhibiteur de la PDE V (le zaprinast) avait été mis à l’essai chez l’humain, mais non à des fins de traitement de la dysfonction érectile. Les essais du zaprinast chez des rats et des chiens indiquaient que cette substance abaissait la pression artérielle. De même, dans la déclaration consensuelle sur l’impuissance des National Institutes of Health de 1992, on concluait que le recours à des traitements par voie orale pour traiter la dysfonction érectile [traduction] « ne devrait pas être encouragé » tant qu’on ne disposerait pas d’autres données (à la page 9, DD, à la page 2291).

[145]       Par conséquent, la preuve en l’espèce établit, exactement comme dans la décision Mylan Tadalafil, qu’en date du 21 janvier 1994, les revendications du brevet 784 constituaient des éléments brevetables distincts de celles du brevet 377. Je souligne que le juge Mosley a évalué semblablement une preuve analogue dans la décision Sildénafil AC.

(2)               En date du 14 juillet 1995

[146]       En ce qui concerne la seconde date qui, à mon avis, pouvait être pertinente, à savoir le 14 juillet 1995, il existe trois documents qu’Apotex estime dignes d’intérêt et qui faisaient partie selon elle des antériorités pertinentes relevant des connaissances de la personne versée dans l’art à qui les brevets étaient adressés. Il s’agit des brevets 902 et 277 ainsi que d’un document intitulé « Pfizer’s Public Affairs Briefing : Press Reports on Clinical Trials of UK-92,480 » (Document d’information du service des relations publiques de Pfizer : Communiqués de presse concernant les essais cliniques sur UK-92,480) (pièce C de Potter, document no 66, DD, à la page 1052) [le document d’information].

[147]       Je peux me prononcer rapidement sur le document d’information puisque rien ne montre qu’il ait jamais été rendu public, comme l’a d’ailleurs concédé M. Corbin durant son contre‑interrogatoire (contre-interrogatoire de M. Corbin, DD, à la page 5657). De plus, le document donne à penser à première vue qu’il était destiné à un usage interne chez Pfizer. Par conséquent, je conclus que le document d’information ne faisait pas partie des antériorités relevant des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui le brevet 784 était adressé, et donc qu’il n’intéresse pas l’analyse se rapportant au double brevet relatif à une évidence.

[148]       De même, quels qu’aient pu être les propos tenus sur le sildénafil au cours des rencontres d’information s’étant déroulées chez Pfizer avant le 14 juillet 1995, ces renseignements ne peuvent pas faire partie des connaissances générales courantes, puisque le Dr Goldstein a déclaré pendant son contre-interrogatoire que les personnes présentes à de telles réunions devaient signer des ententes de confidentialité, ce qui confirme la nature privée et non publique des renseignements échangés à ces occasions (contre-interrogatoire du Dr Goldstein, DD, à la page 4496). Les réunions ont eu lieu à l’American Urological Association au printemps de 1994. Les Drs Burnett et Goldstein y ont assisté (voir l’affidavit du Dr Burnet, au paragraphe 131; le contre-interrogatoire du Dr Burnet, DD, aux pages 5793 à 5798; le contre-interrogatoire du Dr Goldstein, DD, aux pages 4496 à 4498). Même si Pfizer a divulgué au cours de ces rencontres qu’elle effectuait des essais à l’égard d’un composé administré par voie orale en vue du traitement de la DE, Apotex n’a pas établi que Pfizer avait révélé aux personnes présentes l’identité du composé qu’elle mettait à l’essai, le Dr Burnett ayant déclaré qu’il ne pouvait se souvenir spécifiquement de l’identité ou de la formule du composé divulgué (contre‑interrogatoire du Dr Burnett, DD, aux pages 5793 à 5798). Quoi qu’il en soit, les réunions étaient confidentielles, et seule une [traduction« poignée » d’urologues triés sur le volet avaient été invités à y assister (contre-interrogatoire du DGoldstein, à la page 4497). Par conséquent, les renseignements divulgués pendant ces réunions ne peuvent pas être considérés comme faisant partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.

[149]       En ce qui concerne les brevets 902 et 277, Lilly conteste que l’un ou l’autre puisse avoir retenu l’attention de la personne versée dans l’art à qui le brevet 784 s’adressait.

[150]       Tous les experts définissent la personne versée dans l’art comme étant un ensemble de cliniciens et de spécialistes en sciences pharmaceutiques. Quant au Dr Brock, l’expert de Lilly, il définit la personne versée dans l’art comme étant un chimiste médicinal ou un spécialiste en formulation pharmaceutique et un clinicien, par exemple un urologue (affidavit du Dr Brock, au paragraphe 21, DD, à la page 211). Le DGoldstein définit cette personne comme étant titulaire d’un diplôme d’études supérieures en sciences ou d’un diplôme de médecine et comme ayant de l’expérience dans un laboratoire où l’on étudie les PDE ou dans le traitement de patients présentant une dysfonction érectile (affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 160, DD, à la page 180). M. Warrington, l’expert d’Apotex, définit la personne versée dans l’art du brevet 784 comme étant [traduction] « une équipe de spécialistes en sciences pharmaceutiques recherchant un agent thérapeutique (chimistes médicinaux, biochimistes, biologistes et pharmacologues) […] La personne versée dans l’art comprendrait aussi des urologues et autres médecins qui traitent des patients présentant une dysfonction érectile » (affidavit de M. Warrington, au paragraphe 26, DD, aux pages 2881 et 2882). Le Dr Burnett est d’avis que la personne versée dans l’art du brevet 784 est une équipe composée d’un urologue, d’un pharmacologue, d’un chimiste et d’un spécialiste en formulation (affidavit du Dr Burnett, au paragraphe 144, à la page 2852).

[151]       Les Drs Brock et Goldstein sont urologues et ont tous deux déclaré qu’ils ne lisaient pas les demandes de brevets comme les demandes 902 ou 277 (contre-interrogatoire du DBrock, DD, aux pages 4903 et 4904; contre-interrogatoire du Dr Goldstein, DD, aux pages 4480 et 4481). Le Dr Burnett, le seul urologue expert d’Apotex, a également déclaré qu’il ne lisait pas les demandes de brevet et qu’il n’avait pas remarqué la demande 902 lorsqu’elle a été publiée, quoique d’autres spécialistes comme les chimistes médicinaux puissent prendre connaissance des brevets (contre-interrogatoire du Dr Burnett, DD, aux pages 5786 à 5788). Lilly soutient donc qu’aucune des demandes n’aurait fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui s’adressent les brevets 377 et 784.

[152]       Apotex n’est pas du même avis. M. Warrington a déclaré que les chimistes médicinaux lisent régulièrement les demandes de brevets comme les demandes 902 et 277 (affidavit de M. Warrington, au paragraphe 181, DD, à la page 2930). Comme les experts conviennent que l’équipe représentant la personne versée dans l’art comprend un chimiste médicinal, Apotex soutient donc que ces demandes auraient fait partie en l’espèce des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art.

[153]       Je retiens la thèse d’Apotex à l’égard de cette question étant donné que l’argument de Lilly n’est pas étayé par la preuve et ne tient pas compte des compétences de la personne versée dans l’art, qui comprennent celles d’un chimiste médicinal (comme l’a d’ailleurs reconnu son propre expert, le Dr Brock). Par conséquent, comme la preuve établit que les chimistes médicinaux ont l’habitude de lire les demandes de brevet telles que les demandes 277 et 902, je conclus que celles-ci auraient fait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à qui le brevet 784 s’adressait en date du 27 juillet 1995.

[154]       Cependant, à mon avis, ces demandes ne rendent pas évidente l’utilisation du tadalafil, du 3-méthyl tadalafil ou de leurs sels ou solvates pour traiter la dysfonction érectile.

[155]       Seul un autre expert – M. Warrington – s’est exprimé au sujet de la demande 277, ce qui donne à penser qu’elle ne présente que très peu d’intérêt. M. Warrington mentionne à peine la demande dans son affidavit, et note qu’elle est la dernière demande de brevet issue d’un programme de recherche chez SmithKline qui a pris fin en 1992 et qu’elle divulgue un groupe de composés inhibiteurs de la PDE V (affidavit de M. Warrington, aux paragraphes 67 et 81).

[156]       Après avoir examiné la demande, j’estime qu’elle n’ajoute rien d’important aux connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art en ce qui concerne l’invention revendiquée dans le brevet 784. La demande 277 ne contient qu’une seule référence indirecte à l’usage potentiel de certains des composés revendiqués dans le traitement de la DE, en page 1 du mémoire descriptif. Aucune revendication ne se rapporte à une telle utilisation, aucune donnée clinique n’est fournie, et aucun résultat provenant d’essais ne concerne le traitement de la DE (voir le contre-interrogatoire de M. Warrington, DD, à la page 5850). La mention de la DE dans la demande 277 ne donne nullement à penser que le tadalafil ou le 3-méthyl tadalafil pourraient servir au traitement de cette affection.

[157]       En ce qui concerne la demande 902, le Dr Brock en discute en des termes très généraux en ne mentionnant que ceci : en date du 14 juillet 1995, la personne versée dans l’art aurait compris que [traduction] « d’autres recherches étaient nécessaires avant qu’il soit possible de tirer une conclusion sur les démarches qui seraient utiles pour traiter la dysfonction érectile à l’aide d’un inhibiteur de la PDE V […] [et que] la personne versée dans l’art de l’époque n’aurait pas pensé qu’il allait de soi que le tadalafil ou le 3‑méthyl tadalafil pouvait être utilisé pour traiter [la dysfonction érectile] » (au paragraphe 231 de son affidavit, DD, aux pages 273 et 274). Dans son affidavit, le Dr Goldstein fournit une analyse plus approfondie de la demande 902 et arrive à la même conclusion, soulignant que la compréhension de la physiologie de l’érection à l’époque s’opposait aux revendications du brevet de Pfizer. Dans son affidavit, il poursuit en faisant remarquer que les revendications de la demande 902 ont servi de prototype à l’égard d’un traitement efficace par voie orale, mais n’ont pas jeté de bases rationnelles pour la mise au point d’autres inhibiteurs de la PDE V. Il estime aussi qu’il aurait été impossible de prévoir la puissance, la sélectivité et l’innocuité d’autres inhibiteurs de la PDE V ayant une structure chimique différente de celle du sildénafil (affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 16, DD, aux pages 137 et 138). De plus, les Drs Brock et Goldstein ont souligné en contre-interrogatoire que la demande 902 ne divulguait pas lequel des neuf composés potentiels de la demande s’était avéré efficace dans le traitement de la dysfonction érectile ni ne divulguait les données cliniques étayant la revendication relative à l’efficacité du composé chez l’humain (contre-interrogatoire  du Dr Brock, DD, aux pages 4910 et 4911; contre-interrogatoire du Dr Goldstein, DD, à la page 4521).

[158]       En outre, les deux experts de Lilly ont constaté que, même après la publication de la demande 902, plusieurs chercheurs ont continué à rechercher des options autres que l’administration d’un inhibiteur de la PDE V pour traiter la dysfonction érectile. Les chercheurs ont poursuivi leurs expériences sur les injections directes et les formulations topiques destinées à une application locale. Dans un article de Morales publié en 1995 et portant expressément sur le sildénafil, les auteurs expriment des préoccupations quant au fait qu’un inhibiteur de la PDE administré par voie orale entraînerait des effets indésirables généraux (Morales et al, « Oral and topical treatment of erectile dysfunction. Present and future » (Traitement par voie orale et par voie topique de la dysfonction érectile. Présent et futur) (1995) 22:4 The Urologic Clinics of North America 879 at 882; voir l’affidavit du Dr Goldstein, au paragraphe 52, DD, à la page 148). Les Drs Goldstein et Brock sont d’avis que la poursuite de ce type de recherches montre que l’utilisation d’un inhibiteur de la PDE V pour traiter la dysfonction érectile n’allait pas de soi. Lilly soutient que les craintes au sujet des effets généraux des inhibiteurs de la PDE V n’ont finalement disparu qu’en 1996, moment où les données cliniques sur le sildénafil ont été publiées dans l’article de Boolell.

[159]       En revanche, MM. Corbin et Warrington et le Dr Burnett arrivent à une conclusion contraire et estiment que, en date du 14 juillet 1995, l’utilisation du tadalafil ou du 3‑méthyl tadalafil pour traiter la dysfonction érectile était évidente. MM. Corbin et Warrington analysent la demande 902 dans leur affidavit respectif, mais chacun, dans une mesure plus ou moins grande, confond le contenu de la demande 902 avec les données subséquentes de l’article de Boolell en laissant entendre que la demande 902 révèle que le composé jugé efficace pour traiter la dysfonction érectile était le sildénafil et en invoquant des données cliniques divulguées uniquement après la publication de l’article de Boolell (voir le contre‑interrogatoire de M. Corbin, DD, aux pages 5682 et 5683; le contre‑interrogatoire de M. Warrington, DD, aux pages 5876 et 5877). Pour sa part, le Dr Burnett reconnait que l’identité du composé efficace n’a pas été révélée dans la demande 902, mais affirme qu’il savait de quel composé il s’agissait à l’époque (affidavit du Dr Burnett, au paragraphe 131, DD, à la page 2848). Compte tenu de ses travaux dans le domaine – et de sa participation aux réunions de Pfizer – le Dr Burnett possède plus de connaissances que la personne versée dans l’art à laquelle le brevet 784 s’adresse. Par conséquent, le fait qu’il savait que le sildénafil était le composé efficace revendiqué dans la demande 902 ne permet pas d’établir que la personne versée dans l’art l’aurait également su.

[160]       À cet égard, comme il a été mentionné, la demande 902 ne révèle pas quel composé privilégié s’était avéré efficace. Elle divulgue seulement que l’un des neuf composés était efficace pour traiter la dysfonction érectile lorsqu’il était administré par voie orale. La demande indique toutefois que plusieurs composés avaient été mis à l’essai et que tous s’étaient avérés être des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE V (demande 902, aux pages 9 et 10). Comme le composé efficace n’a pas été divulgué en dépit d’une revendication selon laquelle plusieurs composés pouvaient inhiber la PDE V, on ne peut pas affirmer qu’il était évident que tous les inhibiteurs de la PDE seraient efficaces pour traiter la dysfonction érectile. Je souscris donc à l’avis du juge de Montigny selon lequel la demande 902 ne rendait pas évidente l’utilisation du tadalafil, du 3-méthyl tadalafil ou de leurs sels ou solvates pour traiter la dysfonction érectile. Il n’allait pas plus ou moins de soi que, du seul fait que le tadalafil et le 3-méthyl tadalafil sont des inhibiteurs puissants et sélectifs de la PDE V, ils seraient efficaces pour traiter la dysfonction érectile. En somme, la demande 902 ne comporte aucun énoncé précisant que tous les inhibiteurs de la PDE seront efficaces pour traiter la dysfonction érectile, et, en l’absence d’un tel énoncé, il ne va pas de soi que le tadalafil et le 3-méthyl tadalafil seraient efficaces.

[161]       De plus, avant et après le 14 juillet 1995, bon nombre des équipes qui travaillaient à trouver un traitement de la dysfonction érectile ont continué à chercher d’autres options et à exprimer des inquiétudes réelles au sujet des effets indésirables possibles d’un inhibiteur de la PDE administré par voie orale. Ces travaux de recherche sont analysés au paragraphe 158 des présents motifs. Les préoccupations et les travaux de recherche en question soulignent la nature originale des revendications du brevet 784.

[162]       Par conséquent, je suis d’accord avec Lilly et ses experts sur ce point et je conclus qu’en date du 14 juillet 1995, les revendications du brevet 784 constituaient un élément brevetable distinct de celles du brevet 377.

[163]       Apotex a laissé entendre que je devrais écarter la preuve des experts de Lilly sur ces questions en raison de leur relation étroite avec la demanderesse (en particulier dans le cas du Dr Brock), et parce que le contenu de l’AA d’Apotex ne leur a pas été [traduction« dissimulé » lorsqu’ils ont exprimé leur avis. Apotex cite à l’appui de ce dernier point la décision que j’ai rendue dans l’affaire Teva Canada Innovation c Apotex, 2014 CF 1070, aux paragraphes 94 à 97, 252 ACWS (3d) 322 [Teva], ainsi que celle que le juge Rennie a rendue dans l’affaire AstraZeneca Canada c Apotex, 2014 CF 638, au paragraphe 321, 244 ACWS (3d) 180, conf. par 2015 CAF 158 [AstraZeneca].

[164]       J’estime que ces arguments sont infondés.

[165]       L’arrêt récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23, 383 DLR (4th) 429, nous enseigne que la preuve des Drs Brock et Goldstein est admissible sans égard à leur relation avec Lilly (comme l’a d’ailleurs concédé Apotex). Ayant attentivement examiné la transcription de leurs contre-interrogatoires au cours desquels leurs opinions ont été vigoureusement mises à l’épreuve par les avocats, je ne vois aucun indice de partialité ou de parti pris de la part de l’un ou l’autre expert de Lilly. De plus, leur preuve concernant la demande 902 et son importance est celle qui correspond le mieux avec sa teneur, ce qui fournit donc une raison objective de la privilégier.

[166]       Quant à l’allégation concernant l’absence de [traduction« dissimulation », Apotex tente d’appliquer l’arrêt Teva et la décision AstraZeneca en dehors de leur contexte. Dans ces affaires, les experts pour lesquels il a été établi que la crédibilité laissait à désirer avaient interprété les brevets en tenant compte de la contrefaçon, et avaient pu fonder leurs opinions sur les renseignements figurant dans l’AA du fabricant de produits génériques. Dans l’arrêt Teva, cela avait mené à une interprétation particulièrement tortueuse. Dans l’arrêt Teva et la décision AstraZeneca, l’approche adoptée a été jugée nuisible à la crédibilité des experts, car elle a abouti à une opinion erronée axée sur les résultats. Aucun de ces précédents ne peut étayer la position qu’Apotex cherche à défendre en l’espèce, à savoir que lorsqu’une partie et pas l’autre dissimule des renseignements à ses experts, la preuve de celle qui a dissimulé les renseignements doit être privilégiée. Les deux précédents cités doivent plutôt se limiter aux faits auxquels ils se rapportaient.

[167]       Il y a donc une raison valide de souscrire à l’avis des Drs Brock et Goldstein concernant la nature inventive des revendications pertinentes du brevet 784 lorsque l’absence d’évidence est évaluée en date du 14 juillet 1995.

[168]       Par conséquent, je conclus que les allégations d’Apotex liées au double brevet ne sont pas justifiées en l’espèce.

VI.             Le brevet 784 est-il invalide pour cause d’insuffisance?

[169]       Apotex allègue ensuite que le brevet 784 est invalide pour cause d’insuffisance, car il ne fournit pas assez d’information pour permettre à un travailleur versé dans l’art de préparer un hydrate du tadalafil. Comme il a été mentionné, de nombreuses revendications pertinentes du brevet 784 visent les solvates du tadalafil ou du 3-méthyl tadalafil, et il est reconnu par les parties que les solvates incluent les hydrates. Par conséquent, plusieurs des revendications pertinentes du brevet 784 visent aussi les hydrates du tadalafil.

[170]       Selon Apotex et son expert, M. Trout, la description du brevet 784 est insuffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de préparer un hydrate du tadalafil. Plus précisément, M. Trout estime que, en date de juillet 1996 (et de fait jusqu’à la date à laquelle il a souscrit son affidavit), la formation d’un hydrate de tout composé donné doit être l’objet d’une analyse empirique, et il n’existe aucun moyen de prédire si un composé donné peut former un hydrate. Comme le brevet 784 ne fournit aucune directive sur la façon de préparer un hydrate, Apotex soutient qu’il est nul pour cause d’insuffisance.

[171]       Lilly est en désaccord et son expert, M. Wuest, exprime une opinion contraire. Dans son affidavit, M. Wuest estime qu’en date de juillet 1996, moment du dépôt du brevet 784, la personne versée dans l’art à laquelle le brevet 784 s’adresse aurait connu les techniques de cristallisation [traduction] « menant à la formation d’hydrates » (affidavit de M. Wuest, au paragraphe 27, DD, à la page 197). Il soutient aussi que le brevet 784 enseigne à la personne versée dans l’art comment fabriquer le tadalafil et le 3‑méthyl tadalafil et que [traduction] « [u]ne fois les composés préparés, la personne versée dans l’art pourrait les solubiliser et tenter de les cristalliser en présence d’eau dans diverses conditions » (au paragraphe 28). Il affirme aussi dans son affidavit que, dans le cadre d’expériences courantes, la personne versée dans l’art aurait adapté les conditions pour favoriser la préparation d’hydrates et que cette personne aurait su comment faire varier les conditions si les premières tentatives de produire un hydrate du tadalafil ou du 3‑méthyl tadalafil avaient échoué.

[172]       Comme Lilly le signale à juste titre, le brevet 784 divulgue une méthode générale de préparation d’un solvant à la page 9 du brevet. M. Warrington, un témoin expert d’Apotex qui, à l’instar de M. Wuest, est un chimiste médicinal, a convenu en contre‑interrogatoire que la méthode de préparation du solvant divulguée à la page 9 du brevet pouvait bel et bien produire un hydrate du tadalafil ou du 3‑méthyl tadalafil (contre‑interrogatoire de M. Warrington, DD, à la page 5888). M. Wuest a partagé ce point de vue au cours de son contre‑interrogatoire. De plus, il est demeuré inébranlable pendant son contre‑interrogatoire, continuant d’affirmer qu’un chimiste organique ou médicinal compétent saurait faire varier les conditions de réaction, dans le cadre d’expériences courantes, pour obtenir un hydrate du tadalafil (contre‑interrogatoire de M. Wuest, DD, aux pages 4759 à 4764).

[173]       Apotex a raison d’affirmer que la divulgation doit être suffisante pour permettre à la personne versée dans l’art de reproduire l’invention revendiquée dans le brevet, la suffisance de la divulgation faisant partie du marché fondamental qui sous-tend tout brevet : l’inventeur se voit conférer des droits exclusifs à l’égard de son invention en échange de sa divulgation, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada au paragraphe 32 de l’arrêt Sildénafil CSC, précité (voir aussi Consolboard, précité, aux pages 519 et 520; Free World Trust, précité, au paragraphe 13; Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, au paragraphe 37, [2002] 4 RCS 153; Cadbury Schweppes Inc c FBI Foods Ltd, [1999] 1 RCS 142, au paragraphe 46, 167 DLR (4th) 577). L’exigence relative à la suffisance est énoncée au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, qui dispose ce qui suit :

Mémoire descriptif

Specification

(3) Le mémoire descriptif doit :

(3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

[174]       Dans l’arrêt Sildénafil CSC, la Cour suprême du Canada a confirmé la jurisprudence antérieure qui avait énoncé le critère relatif au caractère suffisant de la divulgation : « [q]uant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation » (Pioneer Hi-Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623, à la page 1638, 60 DLR (4th) 223; cité dans Sildénafil CSC, aux paragraphes 51 et 71). Le mémoire descriptif doit définir la portée exacte et précise du droit de propriété et du privilège exclusifs revendiqués; si la personne versée dans l’art doit effectuer des recherches mineures pour découvrir la véritable invention, la divulgation est insuffisante (Consolboard, précité, à la page 520; Sildénafil CSC, aux paragraphes 70 et 74).

[175]       En l’espèce, le litige quant à la suffisance de la divulgation du mode de fabrication des hydrates concerne la preuve. Je préfère la preuve de M. Wuest sur ce point, car je conviens avec Lilly que son expertise est plus pertinente en cette matière que celle de M. Trout, qui détient un diplôme en génie chimique plutôt qu’en chimie. De plus, l’avis de M. Wuest sur la question est corroboré dans une certaine mesure par les réponses fournies par M. Warrington pendant le contre‑interrogatoire, dont il a été question plus haut. Par ailleurs, il n’y a aucune raison de mettre en doute la crédibilité de M. Wuest. Contrairement à ce qu’affirme Apotex, sa preuve n’est pas affaiblie par celle qu’il a fournie dans une autre instance de la Cour fédérale, Merck & Co c Apotex (dossier T‑568‑03 de la Cour fédérale). J’estime qu’il a expliqué plus qu’adéquatement la différence entre les composés dont il était question dans cette affaire et ceux dont il est question ici, pendant son contre-interrogatoire et son réinterrogatoire en l’espèce. Ayant examiné la transcription de son contre-interrogatoire et de son réinterrogatoire, j’estime que M. Wuest a répondu aux questions qui lui étaient posées de manière franche qui conforme à son rôle d’expert. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a aucune raison d’écarter sa preuve.

[176]       Je conclus donc que la divulgation du brevet 784 est suffisante pour permettre la production de solvates de tadalafil et de 3-méthyl tadalafil et qu’à partir de là, la personne versée dans l’art pourrait, en s’appuyant sur ses connaissances générales courantes, créer et si nécessaire modifier les conditions de réaction de manière à favoriser la formation d’hydrates. J’estime donc que la divulgation du brevet 784 est adéquate et que l’allégation d’insuffisance avancée par Apotex est injustifiée.

VII.          Lilly a-t-elle qualité pour introduire la présente demande en raison d’un vice dans la chaîne des titres?

[177]       Je me pencherai enfin sur l’argument d’Apotex concernant l’absence de chaîne de titres adéquate relativement au brevet 784, qui doit entraîner selon elle le rejet de la présente demande, puisque Lilly n’a pas qualité pour demander à la Cour une ordonnance d’interdiction.

[178]       Apotex a précisé ses arguments sur ce point pendant l’audience et fait valoir que Lilly ne s’était pas conformée au paragraphe 6(4) et à l’alinéa 4(4)d) du Règlement sur les MBAC, et que ce manquement la prive de la qualité d’agir. Aux termes du paragraphe 6(4) du Règlement sur les MBAC, la première personne qui n’est pas propriétaire du brevet doit joindre comme partie à la demande d’interdiction présentée en vertu de l’article 6 du Règlement le propriétaire du brevet. L’alinéa 4(4)d) du Règlement sur les MBAC exige que la première personne qui présente une demande pour faire inscrire un brevet sur la liste des brevets, fasse une déclaration portant qu’elle en est la propriétaire, en détient la licence ou a obtenu le consentement du propriétaire pour l’inclure dans la liste.

[179]       Apotex fait valoir que Lilly n’a pas établi qu’ICOS, plutôt que GSK France, est la propriétaire du brevet 784. Elle affirme donc que Lilly aurait dû joindre GSK France plutôt qu’ICOS comme partie à la présente demande suivant le paragraphe 6(4) du Règlement sur les MBAC. Elle ajoute que la déclaration déposée par Lilly suivant l’alinéa 4(4)d) du Règlement sur les MBAC était fausse parce qu’ICOS l’autorisait sous licence à utiliser le brevet 784, mais qu’ICOS, selon Apotex, n’est pas propriétaire du brevet en question. Apotex affirme que le défaut allégué de Lilly de se conformer au paragraphe 6(4) et à l’alinéa 4(4)d) du Règlement sur les MBAC la prive de la qualité d’agir pour introduire la présente demande, qu’il convient donc de rejeter.

[180]       Apotex soutient que l’affidavit de Me Laëtitia Bénard établit que Laboratoire Glaxo était propriétaire du brevet 784 en vertu du droit français. Me Bénard est d’avis qu’en droit français, les inventions réalisées [traduction« dans le cours d’un mandat » appartiennent à l’employeur, à moins que le contrat d’emploi prévoie d’autres dispositions. M. Daugan a réalisé l’invention revendiquée dans le brevet en s’acquittant de ses responsabilités professionnelles d’inventeur pour Laboratoire Glaxo. M. Daugan a déclaré que son contrat d’emploi avec Laboratoire Glaxo ne contenait aucune disposition sur la propriété intellectuelle (affidavit de M. Daugan, au paragraphe 37, DD, à la page 104). Par conséquent, le brevet 784 appartenait initialement à Laboratoire Glaxo en vertu du droit français. Lilly souscrit à cette affirmation et a d’ailleurs déposé l’affidavit de Me Bénard pour faire valoir précisément cet argument.

[181]       Les parties ne s’entendent pas sur la suite des événements. Lilly soutient que, dans la modification de 1997, Laboratoire Glaxo a transféré son titre à l’égard du brevet 784 à ICOS. Me Smith, avocate chez Lilly, a joint en annexe à son affidavit une copie de la modification de 1997.

[182]       Dans cette modification, Glaxo Group Limited, Glaxo U.S. et les sociétés affiliées à celles‑ci ont cédé et transféré à ICOS tous les droits, titres et intérêts se rapportant à un certain nombre de substances, y compris le tadalafil et le 3-méthyl tadalafil, ainsi qu’à tous les brevets concernant des inventions revendiquées dans un grand nombre de brevets et de demandes de brevet, notamment le brevet 784 (voir la pièce A de MSmith, DD, aux pages 2084 et 2085).

[183]       La modification de 1997 prévoit en outre que la définition des [traduction« sociétés affiliées » auxquelles cette entente se rapporte est la même que celle contenue dans la précédente entente de collaboration de 1991. Lilly n’en a pas produit de copie, mais a plutôt déposé l’affidavit de M. Patrick Desbiens, président de GSK France; ce dernier a déclaré qu’en 1997, Laboratoire Glaxo (prédécesseure de GSK France) était une société affiliée de Glaxo Group Limited au sens de l’entente de collaboration de 1991.

[184]       D’après Lilly, ce qui précède établit une chaîne des titres adéquate entre Laboratoire Glaxo et ICOS. Apotex le conteste et fait valoir que la modification de 1997 n’a pas été dûment soumise à la Cour, car il s’agit de ouï-dire si elle est déposée par l’intermédiaire de l’affidavit d’une avocate. De plus, elle affirme que la preuve de M. Desbiens devrait être rejetée, car la désignation de Laboratoire Glaxo comme « société affiliée » est une question juridique et que M. Desbiens, qui n’est pas avocat, ne peut pas fournir de preuve digne de foi sur la question.

[185]       Apotex invoque également le fait que M. Daugan a signé subséquemment une cession en faveur d’ICOS, laquelle a été déposée auprès de l’OPIC. Pour Apotex, cette cession doit être considérée comme un aveu de ce que la chaîne des titres plaidée par Lilly est insuffisante, étant donné qu’autrement, la cession de M. Daugan aurait été superflue. Apotex ajoute que le défaut de Lilly de déposer la modification de 1997 auprès de l’OPIC étaye son affirmation voulant que cette modification n’ait pas entraîné le transfert des titres à l’égard du brevet 784 de Laboratoire Glaxo à ICOS.

[186]       Les allégations d’Apotex portant sur la chaîne des titres concernent donc surtout l’insuffisance alléguée de la preuve présentée par Lilly. Apotex n’a elle-même déposé aucun élément de preuve à l’appui de son allégation suivant laquelle GSK France demeure la propriétaire du brevet 784.

[187]       Apotex invoque à l’appui de ses arguments la décision Merck Frosst Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 74 CPR (3d) 131, 132 FTR 60 (CF 1re inst.) [Merck Frosst] et l’arrêt Parke-Davis Division, Warner-Lambert Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2002 CAF 454, 22 CPR (4th) 417 [Parke-Davis].

[188]       Dans l’affaire Merck Frosst, la demanderesse titulaire de licence n’avait déposé aucun élément de preuve étayant l’existence d’un contrat de licence en sa faveur, ce qui, pour le juge Muldoon, la privait de la qualité d’agir pour introduire une demande d’interdiction au titre de l’article 6 du Règlement sur les MBAC. L’affaire Parke-Davis a donné lieu à la conclusion contraire, puisqu’il a été établi que la demanderesse avait déposé suffisamment d’éléments de preuve pour prouver l’existence d’une licence en sa faveur, qu’elle avait joint le propriétaire du brevet comme partie à la demande d’interdiction, et que ce dernier n’avait pas contesté le droit de Parke-Davis d’utiliser le brevet en litige dans cette affaire.

[189]       La décision Merck Frosst et l’arrêt Parke-Davis concernaient des situations nettement différentes que celle qui nous occupe, puisque l’enjeu dans ces affaires était de savoir si les demanderesses avaient établi qu’elles étaient titulaires de licences. La légitimité de la cession du breveté initial à un titulaire de brevet putatif subséquent, dont le brevet avait été enregistré au titre de la Loi sur les brevets, n’était donc pas en cause. Cette distinction est importante parce que, contrairement aux parties défenderesses dans les affaires Merck Frosst et Parke-Davis, Apotex soutient qu’ICOS n’est pas la propriétaire valide du brevet ici en litige. Cependant, le brevet 784 a été enregistré au titre de la Loi sur les brevets et l’enregistrement indique qu’ICOS en est la titulaire. Apotex attaque donc la validité du brevet 784, mais elle le fait de manière indirecte en prétendant ne contester que la qualité d’agir de Lilly. Si nous examinons l’allégation d’Apotex, toutefois, il est manifeste qu’elle avance en fait que le brevet 784 lui-même est invalide, car ICOS n’en est pas la titulaire.

[190]       Je conviens avec Lilly qu’Apotex ne peut pas contester de la sorte la validité du titre de propriété du brevet 784 dans une demande telle que la présente. Dans l’arrêt Corlac, précité, la Cour d’appel fédérale a souligné ce qui suit aux paragraphes 141 et 142 :

Il est bien établi que le droit canadien en matière de brevet est de nature entièrement législative. Il découle de la Loi et des règlements édictés en vertu de celle‑ci […] [renvois omis] la Loi et les Règlements sont décrits par la Cour comme un « code complet ».

Les motifs pour contester la validité d’un brevet sont précisés dans la Loi. Plus particulièrement, ils ont trait à : l’utilité, article 2; la nouveauté (l’antériorité), article 28.2, l’évidence (l’inventivité), article 28.3 et la suffisance de la divulgation, paragraphe 27(3). Outre les motifs de validité, un brevet peut être jugé nul s’il est satisfait aux conditions du paragraphe 53(1).

[191]       Apotex n’a fait valoir aucun de ces motifs en l’espèce. Bien que la question examinée dans l’affaire Corlac diffère de celle que soulève Apotex dans la présente affaire, j’estime que le raisonnement de la Cour d’appel dans cet arrêt s’applique ici par analogie et, tel qu’il a été statué dans l’arrêt Corlac, une partie ne peut pas chercher à attaquer la validité d’un brevet délivré en soulevant un motif d’invalidité qui n’est pas envisagé dans la Loi sur les brevets.

[192]       Je conviens aussi avec Lilly que la situation en l’espèce est assez analogue à celle qui a été examinée dans l’arrêt Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2001] 1 CF 495, 10 CPR (4th) 65 (CAF), conf. par 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153. Dans cette affaire, la demanderesse dans une action en contrefaçon souhaitait invoquer une cession de droits qui lui avait été consentie à l’égard d’un brevet n’ayant pas été enregistré auprès de l’OPIC. Le paragraphe 50(2) de la Loi sur les brevets exige que toutes les cessions de brevet soient enregistrées, et la défenderesse faisait valoir que le défaut de déposer la cession dans cette affaire privait la demanderesse de la qualité d’agir pour introduire l’action en contrefaçon. La Cour d’appel fédérale n’était pas du même avis, car l’article 51 de la Loi sur les brevets prévoit que le défaut d’enregistrer la cession ne la rend nulle qu’à l’égard de cessionnaires subséquents, et non d’un tiers, et elle a souligné ce qui suit au paragraphe 100 :

Il appert de ces deux articles [le par. 50(2) et l’art. 51] que le but de l’enregistrement visé au paragraphe 50(2) est notamment de garantir la priorité à l’encontre de cessionnaires subséquents. L’omission d’enregistrer prive le cessionnaire de la priorité à l’encontre des cessionnaires subséquents et, pour ce qui est des rapports entre ceux-ci, une cession non enregistrée est « nulle et de nul effet ». Toutefois, rien n’indique que l’omission d’enregistrer rende la cession nulle à tous autres égards.

[Souligné dans l’original.]

[193]       J’estime donc que la contestation d’Apotex visant le titre de propriété d’ICOS à l’égard du brevet 784  ne peut aboutir, car elle ne peut la faire valoir en alléguant que Lilly n’a pas qualité pour agir en tant que première personne au titre du Règlement sur les MBAC.

[194]       Subsidiairement, même si tel n’était pas le cas, j’estime, contrairement à ce qu’affirme Apotex, que Lilly a établi sa qualité pour introduire la présente demande d’interdiction, puisqu’elle a prouvé que la propriété de l’invention revendiquée dans le brevet 784 avait été cédée par Laboratoire Glaxo à ICOS.

[195]       À cet égard, j’estime que la modification de 1997 est recevable même si elle est jointe à l’affidavit de Me Smith, l’avocate interne chez Lilly. Comme cette dernière n’est pas l’auteure de cette modification, le document constitue à première vue une preuve par ouï-dire si c’est elle qui l’introduit. Dans les arrêts R c Smith, [1992] 2 RCS 915, 94 DLR (4th) 590, et R c Khan, [1990] 2 RCS 531, 113 NR 53 [Khan], la Cour suprême du Canada a établi qu’il existait une exception de principe à l’admission de la preuve par ouï-dire suivant laquelle les éléments produits seront admis s’ils remplissent le double critère de la fiabilité et de la nécessité. Dans l’arrêt Khan, la Cour suprême a souligné qu’en ce qui concerne le critère de la nécessité, la partie qui cherche à faire admettre la preuve doit seulement établir qu’il est raisonnablement (plutôt qu’absolument) nécessaire que la preuve par ouï-dire soit admise (à la page 546).

[196]       En l’espèce, j’estime que le double critère de la fiabilité et de la nécessité est rempli.

[197]       Dans les circonstances de la présente affaire, j’estime que la preuve est digne de foi, puisque la modification de 1997 a été jointe en annexe à l’affidavit d’une avocate, c’est-à-dire une auxiliaire de justice, qui a donc l’obligation morale d’être tout à fait honnête. Le document provient de la base de données interne des ententes de Lilly, qui ne devrait contenir que des versions exactes, et il s’agit à première vue d’une entente complète. En outre, rien ne donne à penser que la modification soit autre chose que ce qu’elle est censée être.

[198]       Quant à la nécessité, j’estime que ce critère est rempli, étant donné que Lilly a produit la modification de 1997 de la manière qui est de loin la plus pratique et la plus avantageuse de soumettre des éléments à la Cour dans le cadre d’une demande d’interdiction au titre du Règlement sur les MBAC. Exiger que Lilly fasse ce qu’Apotex prétend qu’elle aurait dû faire – à savoir déposer les affidavits des signataires de la modification de 1997 simplement pour soumettre le document à la Cour – ne servirait à rien sinon à accroître les frais et à prolonger indûment ce litige, qui comporte déjà un dossier de mille pages, dont l’essentiel a été ignoré par les parties dans leurs observations. Pareil résultat est indésirable et inutile, surtout si l’on se rappelle que les demandes d’interdiction au titre du Règlement sur les MBAC doivent être traitées rapidement.

[199]       Je conclus donc que Lilly a établi que Glaxo Group Limited, Glaxo U.S. et ICOS ont signé la modification de 1997 et qu’au moyen de ce document, les sociétés affiliées de Glaxo ont cédé leurs droits sur l’objet du brevet 784 à ICOS.

[200]       Je conclus également que Lilly a établi que Laboratoire Glaxo est une société affiliée de Glaxo Group Limited au moyen de l’affidavit de M. Patrick Desbiens, et je ne pense pas que sa preuve devrait être écartée parce qu’il n’est pas avocat. En bref, j’estime que le président d’une société a la compétence requise pour déposer quant à la question de savoir si la société qu’il dirige est liée par une importante entente commerciale.

[201]       Par conséquent, je conclus que Lilly a établi, relativement au brevet 784, une chaîne de titres adéquate en sa faveur. Cette conclusion n’est en rien minée par le fait que M. Daugan a signé une cession en faveur d’ICOS qui a été déposée auprès de l’OPIC, ni par le fait que la modification de 1997 ne l’a pas été. Compte tenu des arguments avancés par Apotex (qui ont sans doute été soulevés ailleurs), il était prudent de la part de M. Daugan de signer la cession. Cela dit, il n’était pas nécessaire qu’il le fasse compte tenu de la nature de son emploi, du droit français et des modalités de la modification de 1997 qui, comme je l’ai conclu, a eu pour effet de transférer le titre du brevet 784 à ICOS. Quant aux documents déposés auprès de l’OPIC, Lilly en a aussi déposé auprès du Bureau international, qui a délivré un avis de changement du titre de propriété du brevet le 10 octobre 1997, lequel a été déposé auprès de l’OPIC (voir la pièce F de Potter, DD, à la page 1675). Ainsi, l’OPIC a effectivement été notifié du transfert du titre de propriété.

[202]       J’estime donc que ce dernier argument d’Apotex était excessivement technique et sans aucun fondement. Je conclus donc que Lilly a la qualité requise pour introduire la présente demande d’interdiction.

VIII.       Conclusion et dépens

[203]       Il s’ensuit que la présente demande doit être accueillie. Les parties ont convenu que les dépens suivront l’issue de la cause, mais ont demandé un délai additionnel pour présenter des observations concernant leur valeur, que j’ai accepté de leur accorder. Par conséquent, si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, Lilly déposera des observations à ce sujet, ne dépassant pas 15 pages, dans les 15 jours de la publication de mon jugement. Apotex aura 15 jours suivant la réception des observations de Lilly pour déposer en réponse ses observations concernant les dépens, qui ne devront pas non plus dépasser 15 pages. Par la suite, dans les 5 jours de la réception des observations d’Apotex soumises en réponse, Lilly pourra, si elle le souhaite, déposer des observations en réplique qui ne dépasseront pas 5 pages.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande est accueillie;

2.                  Il est interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l’expiration du brevet canadien no 2,226,784;

3.                  Les dépens suivront l’issue de la cause. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens payable par Apotex à Lilly, cette dernière déposera des observations à ce sujet, ne dépassant pas 15 pages, dans les 15 jours de la publication de mon jugement. Apotex aura 15 jours suivant la réception des observations de Lilly pour déposer en réponse ses observations concernant les dépens, qui ne devront pas non plus dépasser 15 pages. Par la suite, dans les 5 jours de la réception des observations d’Apotex soumises en réponse, Lilly pourra, si elle le souhaite, déposer des observations en réplique qui ne dépasseront pas 5 pages;

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés en faveur du ministre ou contre lui.

« Mary J.L. Gleason »

Juge

Traduction certifiée conforme

M.-C. Gervais


Annexe

[traduction]

Revendication 1

Composition pharmaceutique destinée au traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle, comprenant un composé de formule (I) :

ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé, dans lequel :

R0 représente un hydrogène, un halogène ou un alkyle en C1-C6;

R1 représente un hydrogène, un alkyle en C1-C6, un alcényle en C2-C6, un alcynyle en C2-C6, un haloalkyle en C1-C6, un cycloalkyle en C3-C8, un (cycloalkyle en C3-C8)-alkyle en C1-C3, un arylalkyle en C1-C3 ou un hétéroarylalkyle en C1-C3;

R2 représente un noyau aromatique monocyclique facultativement substitué choisi dans le groupe comprenant le benzène, le thiophène, le furane et la pyridine, ou un noyau bicyclique facultativement substitué

fixé au reste de la molécule par l’un des atomes de carbone du noyau benzénique, où le cycle fusionné A est un cycle à 5 ou 6 atomes qui peut être saturé ou partiellement ou totalement insaturé et comprend des atomes de carbone et facultativement un ou deux hétéroatomes choisis dans le groupe comprenant l’oxygène, le soufre et l’azote; et R3 représente un hydrogène ou un alkyle en C1‑C3, ou R1 et R3 ensemble représentent un alkyle à 3 ou 4 atomes ou une chaîne alcényle, en association avec un diluant ou un excipient pharmaceutiquement acceptable.

Revendication 2

Composition pharmaceutique destinée au traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle, comprenant un composé choisi dans le groupe comprenant les composés suivants :

(6R,12aR)-2,3,6,7,12,12a-hexahydro-2-méthyl-6-(3,4-méthylènedioxyphényl)-pyrazino[2’,1’:6,1]pyrido[3,4-b]indole-1,4-dione ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé;

(35,6R,12aR)-2,3,6,7,12,12a-hexahydro-2,3-diméthyl-6-(3,4-méthylènedioxyphényl)-pyrazino[2’,1’:6,1]pyrido[3,4-b]indole-1,4-dione ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé,

en association avec un diluant ou un excipient pharmaceutiquement acceptable.

Revendication 3

Composition visée par la revendication 1 ou 2, dans laquelle le solvate est un hydrate.

Revendication 4

Composition visée par l’une ou l’autre des revendications 1 à 3, dans laquelle l’animal est un humain.

Revendication 9

Utilisation d’un composé de formule (I):

ou d’un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé, dans lequel :

R0 représente un hydrogène, un halogène ou un alkyle en C1-C6;

R1 représente un hydrogène, un alkyle en C1-C6, un alcényle en C2-C6, un alcynyle en C2-C6, un haloalkyle en C1-C6, un cycloalkyle en C3-C8, un (cycloalkyle en C3-C8)-alkyle en C1-C3, un arylalkyle en C1-C3 ou un hétéroarylalkyle en C1-C3;

R2 représente un noyau aromatique monocyclique facultativement substitué choisi dans le groupe comprenant le benzène, le thiophène, le furane et la pyridine, ou un noyau bicyclique facultativement substitué

fixé au reste de la molécule par l’un des atomes de carbone du noyau benzénique, où le cycle fusionné A est un cycle à 5 ou 6 atomes qui peut être saturé ou partiellement ou totalement insaturé et comprend des atomes de carbone et facultativement un ou deux hétéroatomes choisis dans le groupe comprenant l’oxygène, le soufre et l’azote;

R3 représente un hydrogène ou un alkyle en C1-C3, ou R1 et R3 ensemble représentent un alkyle à 3 ou 4 atomes ou une chaîne alkényle,

destiné à la fabrication d’un médicament utilisé pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

Revendication 12

Utilisation d’un composé choisi dans le groupe comprenant les composés suivants :

(6R,12aR)-2,3,6,7,12,12a-hexahydro-2-méthyl-6-(3,4-méthylènedioxyphényl)-pyrazino[2’,1’:6,1]pyrido[3,4-b]indole-1,4-dione ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé;

(3S,6R,12aR)-2,3,6,7,12,12a-hexahydro-2,3-diméthyl-6-(3,4-méthylènedioxyphényl)-pyrazino[2’,1’:6,1]pyrido[3,4-b]indole-1,4-dione ou un sel ou solvate physiologiquement acceptable dudit composé,

pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

Revendication 14

Utilisation visée par l’une ou l’autre des revendications 9 à 13, dans laquelle l’animal est un humain.

Revendication 15

Utilisation d’une composition visée par l’une ou l’autre des revendications 1 à 4 pour le traitement curatif ou prophylactique de la dysfonction érectile chez un animal mâle.

Revendication 18

Utilisation visée par l’une ou l’autre des revendications 9 à 17, dans laquelle le composé, le médicament, la composition, la combinaison ou la préparation est utilisé par voie orale ou adapté pour une telle utilisation.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

T-1598-13

INTITULÉ :

ELI LILLY CANADA INC. c APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET ICOS CORPORATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 11, 12 ET 13 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Jamie Mills

Chantal Saunders

Beverley Moore

 

POUR LA demanderesse

ET LA DÉFENDERESSE TITULAIRE DU BREVET

 

Andrew Brodkin

Jordan Scopa

Sandon Shogilev

 

pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jamie Mills

Chantal Saunders

Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

pour la demanderesse

ET LA DÉFENDERESSE TITULAIRE DU BREVET

 

H.B. Radomski

Andrew Brodkin

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

 

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