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Date : 20150630


Dossier : T-569-15

Référence : 2015 CF 807

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une requête du défendeur qui désire que la Cour radie, sans possibilité d’amender, l’avis de demande amendé déposé par le demandeur, au motif qu’aucune décision finale n’a encore été rendue par l’office fédéral en cause, en l’occurrence la Commission canadienne des droits de la personne [Commission], au sujet des diverses plaintes de discrimination déposées par le demandeur.

[2]               L’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] prévoit que la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure avec ou sans autorisation de le modifier, s’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable. La Cour n’accueillera une requête en radiation présentée en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles uniquement lorsque, en tenant les faits allégués dans l’avis de demande comme avérés, la Cour conclut que la demande est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 RCF 588, 1994 CanLII 3529 (CAF); voir également Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, 1990 CanLII 90 (CSC) à la p 980). La Cour doit exercer le pouvoir de radier des actes de procédures avec beaucoup de prudence et d’hésitation (Canada c Prentice, 2005 CAF 395 au para 23). J’ai décidé que l’avis de demande amendé devrait être radié au complet, mais qu’il devrait être permis au demandeur de signifier et déposer un avis de demande réamendé.

[3]               Dans son avis de demande amendé, le demandeur conteste présentement une soi-disant « décision », datée du 12 mars 2015, par laquelle une préposée de la Commission indique que cette dernière accepte les plaintes où il y a un lien direct entre l’acte discriminatoire et au moins un des motifs de distinction illicite aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [Loi]. Or, les questions soulevées par le demandeur concernent la langue qui ne constitue pas un motif de distinction illicite. Cette lettre indique que la Commission n’est pas en mesure d’aider le demandeur et lui donne les coordonnées du Commissariat aux langues officielles. Dans son avis de demande amendé, le demandeur prie également la Cour de faire plusieurs déclarations d’inconstitutionnalité, notamment de déclarer que tout instrument législatif canadien comportant une liste fermée, limitative ou exhaustive de motifs de distinction illicite est incompatible avec l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte] et doit donc être interprété comme comportant une liste ouverte qui inclut implicitement tout motif explicite ou analogue de l’article 15 de la Charte, ainsi que de déclarer que l’omission de la langue, de l’opinion ou de la conviction politique et de la condition sociale, comme motifs de distinction illicite à la Loi, viole l’article 15 de la Charte.

[4]               Le défendeur prétend que l’avis de demande amendé ne révèle aucune cause d’action et est voué à l’échec. Premièrement, la lettre du 12 mars 2015 n’est pas une décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte d’un office fédéral au sens de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. En effet, la lettre du 12 mars 2015 a été rédigée par une employée qui n’est pas autorisée à prendre des décisions et constitue donc simplement une lettre d’information ou de courtoisie (voir Kourtchenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7213 (CF); Chiu c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2005 CF 1516). Deuxièmement, la demande de contrôle est maintenant devenue théorique, puisqu’à la suite du dépôt de la demande de contrôle judiciaire, la Commission a indiqué au demandeur qu’elle va traiter sa plainte de discrimination. Troisièmement, la demande de contrôle est prématurée puisqu’il n’y a eu aucune décision finale sur l’admissibilité ou le mérite de la plainte de discrimination du demandeur (ainsi que dans cinq autres dossiers de plainte impliquant le présent demandeur) (Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux paras 30-33 [CB Powell]) et, conséquemment, le demandeur n’a pas un intérêt actuel pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité. Le demandeur devrait donc déposer une nouvelle demande de contrôle judiciaire, si nécessaire, lorsqu’une décision finale sera rendue par la Commission. Rien ne l’empêche non plus de demander à la Cour la réunion des demandes de contrôle judiciaire lorsque la Commission aura rendu une décision finale dans les six dossiers de plainte dont le demandeur a fait état dans ses procédures ou prétentions écrites.

[5]               Quant à lui, le demandeur rétorque que la lettre du 12 mars 2015 constitue une décision, tel qu’il est démontré par les rapports sur les articles 40/41 de la Commission qui indiquent que son dossier a été fermé suite à la lettre du 12 mars 2015, puis rouvert après que le demandeur ait déposé sa demande de contrôle judiciaire. De plus, il est important que la Cour puisse examiner la légalité du processus suivi par la Commission, puisqu’ici, le document de plainte du demandeur a été discrédité et considéré uniquement comme une demande de renseignements. Également, dans l’hypothèse où la Commission ne rejetait pas les plaintes du demandeur, il n’y aurait aucun débat sur la constitutionnalité des dispositions en cause et la Commission pourrait continuer à rejeter les plaintes d’autres personnes sur ces motifs. De plus, le demandeur note que certains aspects de l’avis de demande amendé ne dépendent pas de la décision contestée. Le demandeur désire que les décisions que la Commission doit rendre prochainement sur la recevabilité des six plaintes soulevant des motifs de distinction illicite non mentionnés à l’article 3 de la Loi (langue, condition sociale et convictions politiques) puissent être réunies dans un seul dossier de demande de contrôle judiciaire, le cas échéant. Subsidiairement, la Cour ne devrait radier que les paragraphes de l’avis de demande amendé référant à la « décision » du 12 mars 2015 de fermer son dossier. De plus, en attendant que la Commission rende une décision finale, la Cour devrait suspendre les procédures – le demandeur allègue que cette façon de procéder sera plus économique et que le défendeur ne subira aucun préjudice.

[6]               La Cour a été informée à l’audition que la Commission serait prochainement en mesure de rendre une décision sur la recevabilité de la plainte visée par la demande de contrôle après que le demandeur aura soumis ses commentaires concernant la recommandation de rejeter sa plainte, car elle est frivole. Lors des représentations orales du procureur de la Commission qui a demandé d’intervenir sur certains aspects seulement du dossier, celui-ci a indiqué à la Cour que la Commission n’a pas le pouvoir de se pencher sur des questions constitutionnelles et déclarer une disposition de sa loi constitutive inopérante. Toutefois, comme il n’y a pas encore eu une décision finale en l’espèce de la Commission, ce serait une solution inélégante de séparer les demandes de déclaration d’inconstitutionnalité du restant de la demande de contrôle judiciaire, sans qu’elle soit transformée en action.

[7]               Tout bien considéré, je souscris à l’argument du défendeur que la demande de contrôle est prématurée et qu’il n’y a aucune décision à réviser actuellement. Comme le démontre la preuve au dossier, la lettre du 12 mars 2015 n’est pas une décision ou un acte d’un office fédéral et en l’absence de décision finale, la Cour devrait refuser d’entendre la demande puisqu’elle est prématurée (CB Powell, précité). D’un autre côté, il est clair que les demandes de déclaration d’inconstitutionnalité sont intrinsèquement liées à la demande de contrôle judiciaire telle que formulée actuellement, et de façon pragmatique, la Cour ne peut pas séparer la partie de la demande concernant l’inconstitutionnalité alléguée de la partie de la demande concernant la lettre du 12 mars 2015, sous peine de créer un avis de demande de contrôle judiciaire qui ne vise aucune décision à contrôler. En l’espèce, le demandeur n’a pas indiqué vouloir transformer sa demande de contrôle judiciaire en action déclaratoire, car il considère que la Cour doit avoir un portrait factuel complet des procédures devant la Commission avant de trancher les questions constitutionnelles qu’il entend soulever en l’espèce. Compte tenu des représentations qui ont été faites de part et d’autre à la Cour à l’audience, il y a fort à parier que la Commission va rejeter les plaintes du demandeur parce qu’elles ne reposent pas sur des motifs de distinction illicite mentionnés à l’article 3 de la Loi.

[8]               En l’espèce, il n’y a aucune suggestion faite par le défendeur que les déclarations d’inconstitutionnalité qui pourrait être recherchées par le demandeur – si ses plaintes sont rejetées au motif qu’elles ne visent pas les motifs de distinction illicite mentionnée à l’article 3 de la Loi soient – soient frivoles ou vexatoires. Considérant que le processus d’examen des plaintes est déjà très avancé, et que tout laisse croire que des décisions finales sur les plaintes seront très bientôt rendues sur leur recevabilité, il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser le demandeur à signifier et déposer un avis de demande réamendé lorsqu’une décision finale sera rendue, plutôt que de le forcer à introduire un nouveau recours (Simon c Canada, 2011 CAF 6 aux paras 8 et suivants [Simon]; Hryniak c Mauldin, [2014] 1 RCS 87, 2014 CSC 7 aux paras 27-29).

[9]               Toutefois, la même mise en garde énoncée par la juge Dawson dans Simon aux paras 17-18 s’impose ici : le demandeur devra s’assurer que tout acte de procédure supplémentaire soit conforme aux règles de la Cour fédérale concernant les actes de procédures, par exemple, la Règle 174, puisque le défaut de se conformer à ces règles pourrait mener à la radiation du nouvel acte de procédure (voir par exemple Simon c Canada, 2011 CF 582). J’ajouterais cependant que la radiation de l’avis de demande amendé, tel qu’il est présentement rédigé, est exclusivement due à la prématurité et à l’absence de décision finale, mais cela ne signifie pas que le demandeur ne pourra pas présenter de demande de déclaration d’inconstitutionnalité ou qu’il ne pourra pas contester le processus suivi par la Commission après que cette dernière ait rendu une ou des décisions finales.

[10]           Pour ces motifs, la Cour ordonnera la radiation de l’avis de demande amendé et décrétera une suspension des procédures jusqu’à ce que la Commission rende une décision finale dans le dossier du demandeur.


ORDONNANCE

LA COUR accueille la requête en radiation du défendeur et ORDONNE la radiation de l’avis de demande amendé présentement au dossier de la Cour, avec possibilité toutefois pour le demandeur de signifier et déposer un avis de demande réamendé, advenant le cas où la Commission rejette la plainte du demandeur au motif que la langue ne constitue pas un motif de distinction illicite. Dans l’intérim, les procédures devant la Cour fédérale sont suspendues.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-569-15

 

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 juin 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

David Lessard-Gauvin

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Marie-Emmanuelle Laplante

 

Pour le défendeur

Me Daniel Poulin

 

POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Lessard-Gauvin

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

 

Pour le défendeur

Me Daniel Poulin

Division des services du contentieux

POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

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