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Date : 20150703


Dossier : T-2425-14

Référence : 2015 CF 822

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

JUVENAL DA SILVA CABRAL, PEDRO MANUEL GOMES SILVA, ROBERT ZLOTSZ, ROBERTO CARLOS OLIVEIRA SILVA, ROGERIO DE JESUS MARQUES FIGO, JOAO GOMES CARVALHO, ANDRESZ TOMASZ MYRDA, ANTONIO JOAQUIM OLIVEIRA MARTINS, CARLOS ALBERTO LIMA ARAUJO, FERNANDO MEDEIROS CORDEIRO, FILIPE JOSE LARANJEIRO HENRIQUES, ISAAC MANUEL LEITUGA PEREIRA, JOSE FILIPE CUNHA CASANOVA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET SA MAJESTÉ LA REINE

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue le 5 juillet 2015. La requête est présentée par M. Carlos Alberto Lima Araujo [le demandeur] en son propre nom et pour le compte des personnes à sa charge : son épouse Rosa Maria Salgueiro DeBrito et leurs enfants, Tiago De Brito Araujo et Sandro De Brito Araujo. En outre, le demandeur est l’un des quatorze (14) demandeurs dans une demande sous-jacente de recours collectif envisagé déposée auprès de la Cour fédérale contre les défendeurs en novembre 2014.

I.                   La question en litige

[2]               Le demandeur est entré au Canada en juillet 2007 afin d’y travailler pour son beau-frère comme travailleur de la construction en vertu d’un permis de travail temporaire. Son épouse et leurs enfants sont arrivés au Canada l’année suivante. En avril 2010, le demandeur et son épouse ont décidé qu’ils s’établiraient au Canada. En conséquence, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur le paragraphe 12(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [la Loi] et sur l’article 87.2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [la catégorie des TQF]. Sa demande a été rejetée en juillet 2010. Son permis de travail temporaire a cependant été renouvelé jusqu’à la fin de janvier 2012.

[3]               En septembre 2011, le demandeur a présenté une nouvelle demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des TQF, laquelle a elle aussi été rejetée. Le demandeur a réclamé à ces deux occasions, mais on lui aurait prétendument refusé, une « substitution de l’appréciation » de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada, aux termes du paragraphe 87.2(4) du Règlement, dans l’éventualité où il n’obtenait pas le nombre minimum de points requis en vertu du régime d’évaluation prescrit relativement à la catégorie des TQF. Ses demandes de résidence permanente ont également été rejetées au motif de son défaut de satisfaire aux exigences linguistiques prescrites par le Règlement, et ce, malgré le fait qu’il satisfaisait prétendument à tous les autres critères.

[4]               Le permis de travail temporaire du demandeur a été prolongé une fois de plus, jusqu’en juin 2013. Le demandeur allègue qu’au moment où il s’apprêtait à présenter une troisième demande de résidence permanente au printemps 2013, cette fois au titre du nouveau Programme des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral), son avocat l’aurait avisé que le gouvernement refuserait dorénavant d’envisager, peu importe les circonstances, une « substitution de l’appréciation » dans le cas d’une demande de résidence permanente fondée sur ce programme. Ainsi, on a conseillé au demandeur de tenter de faire rétablir son permis de travail temporaire, plutôt que de présenter une demande de résidence permanente. Cette démarche a toutefois échoué en août 2013.

[5]               Par conséquent, le demandeur s’est retrouvé sans statut au Canada et, en août 2014, il a été arrêté par l’Agence des services frontaliers du Canada, au motif qu’il travaillait illégalement au Canada. Le 28 août 2014, une mesure d’exclusion a été prise contre le demandeur, son épouse et leurs deux enfants.

II.                La déclaration sous-jacente

[6]               Le 26 novembre 2014, le demandeur, conjointement avec treize (13) autres personnes prétendument dans la même situation [collectivement désignés les « demandeurs » ci-après], ont déposé une déclaration contre les défendeurs; l’action a été présentée à titre de recours collectif envisagé. Les demandeurs réclament des dommages-intérêts généraux, majorés et punitifs au défendeur, au motif que ces derniers auraient outrepassé leur compétence et commis un abus de procédure et un abus de pouvoir à l’égard des demandeurs en rejetant leurs demandes respectives de résidence permanente présentées dans le cadre du Programme des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral). Les demandeurs allèguent également que, ce faisant, les défendeurs ont violé les droits qui leur sont garantis par les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte]. Ils réclament également des dommages-intérêts à cet égard.

[7]               Les demandeurs allèguent plus particulièrement qu’ils ont tous présenté leur demande de résidence permanente à titre de membres de la catégorie des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral) et qu’ils satisfaisaient à toutes les exigences prescrites par la Loi et le Règlement relativement à cette catégorie de demandeurs, sauf en ce qui a trait à l’exigence en matière de compétences linguistiques. Cette dernière exigence était évaluée selon les critères du test de l’IELTS (International English Language Testing System) [le test de compétences linguistiques], créé par l’Université de Cambridge et adopté par le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

[8]               Les demandeurs allèguent que la norme du test de compétences linguistiques est plus exigeante que la norme des Canadian Language Benchmarks à laquelle renvoie le paragraphe 70(2) du Règlement, et qu’elle n’est donc pas convenable en ce qui a trait aux locuteurs de la langue anglaise parlée au Canada. Ayant échoué au test de compétences linguistiques, chacun des demandeurs a demandé à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] de procéder à une substitution de l’appréciation de leur aptitude respective à réussir leur établissement économique au Canada. Ils allèguent que cette demande a été rejetée, et ce, sans que la possibilité de procéder à une substitution de l’appréciation soit envisagée, en raison d’une directive de politique ministérielle prévoyant qu’aucune demande présentée au titre de la catégorie des travailleurs de métiers spécialisés (fédéral) ne devait être examinée, à moins que le test de compétences linguistiques ait été réussi.

[9]               Les demandeurs allèguent que cette politique outrepasse les pouvoirs des défendeurs et qu’elle est illégale, discriminatoire et contestable. Ils soutiennent également que cette politique favorise les ressortissants de pays de langue anglaise comme l’Angleterre, l’Irlande et l’Australie, au détriment des ressortissants d’autres pays.

[10]           Le demandeur allègue que ce recours collectif envisagé soulève une question sérieuse et que son renvoi et celui de sa famille vers le Portugal avant que la Cour fédérale ne tranche cette demande leur occasionnerait un préjudice irréparable.

III.             Le critère à trois volets

[11]           Pour que sa requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accueillie, le demandeur doit établir que : (i) le recours collectif envisagé sous-jacent soulève une question sérieuse; (ii) sa famille et lui subiront un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé et que la mesure de renvoi est alors mise à exécution; et que (iii) la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’accord du sursis (Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302, 6 Imm LR (2d) 123(CAF) [Toth]; RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 DLR (4e) 385 [RJR-MacDonald]).

[12]           Ce critère à trois volets est de nature conjonctive, ce qui signifie que le demandeur doit satisfaire à chacun des volets pour qu’une ordonnance de sursis puisse lui être accordée.

A.                La question sérieuse

[13]           Le demandeur soutient, en invoquant à l’appui de ses prétentions l’arrêt RJR-MacDonald de la Cour suprême du Canada, que la Cour n’a qu’à être convaincue que le recours collectif envisagé n’est ni futile ni vexatoire pour qu’il soit satisfait au critère de l’existence d’une « question sérieuse », et ce, même si elle est d’avis qu’il serait improbable que cette demande soit éventuellement accueillie lors du procès.

[14]           Il soutient que le recours collectif envisagé a satisfait à ce volet du critère du moment où la requête en radiation présentée par les défendeurs peu après le dépôt du recours collectif envisagé a été rejetée par mon collègue, le juge Zinn, sauf pour quelques exceptions n’ayant aucune incidence en l’espèce. Dans la requête précitée, les défendeurs plaidaient notamment que le recours collectif envisagé ne révélait aucune cause d’action valable, qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire, ou qu’il constituait un abus de procédure.

[15]           Les défendeurs ne souscrivent pas à l’argument selon lequel le refus du juge Zinn de radier le recours collectif envisagé établit qu’il existe une question sérieuse pour les besoins d’un sursis, puisque la question de savoir si une question sérieuse a été soulevée et celle de savoir si une demande devrait être radiée ne sont pas régies par les mêmes critères. Ils soutiennent que les critères sont plus exigeants dans le dernier cas, car une procédure judiciaire ne peut être radiée à moins qu’il soit évident et manifeste qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie.

[16]           Bien que je convienne qu’il existe des différences entre les critères applicables dans ces situations, il existe néanmoins plusieurs chevauchements entre les divers éléments de ces critères, comme l’a d’ailleurs admis l’avocat des défendeurs lors de l’audience. En outre, dans les deux cas, la Cour procède à une appréciation préliminaire de l’affaire sur le fond, telle qu’elle est énoncée dans la déclaration ou la demande introductive d’instance, selon le cas. À mon avis, le juge Zinn a implicitement conclu en rejetant la requête en radiation des défendeurs que le recours collectif envisagé n’était ni vexatoire ni frivole.

[17]           Dans l’éventualité où cette hypothèse est erronée, je suis alors disposé à reconnaître que le recours collectif envisagé répond au seuil très faible établi dans l’arrêt RJR‑MacDonald. Même si j’étais d’avis qu’il serait improbable que cette demande soit accueillie par la suite lors du procès, je ne pourrais conclure qu’elle est futile ou vexatoire.

B.                 Le préjudice irréparable

[18]           Par ailleurs, je ne suis pas disposé à conclure que le renvoi du demandeur au Portugal avant que la Cour n’ait rendu une décision quant au recours collectif envisagé occasionnerait un préjudice irréparable.

[19]           Le demandeur soutient dans les documents produits à l’appui de sa requête que sa famille et lui subiraient un préjudice psychologique irréparable s’ils devaient être renvoyés au Portugal à ce stade-ci. Il fait notamment valoir que son épouse et lui avaient décidé de s’établir au Canada afin que leurs enfants puissent s’épanouir pleinement à la hauteur de leurs ambitions, car le Canada n’a pas de structure rigide de classes sociales, contrairement à la situation qui prévaut au Portugal et en Europe dans l’ensemble. Le demandeur soutient en outre que le renvoi de la famille serait particulièrement préjudiciable envers leurs enfants, qui, après avoir vécu au Canada depuis 2008, se considèrent comme Canadiens, n’ont aucun lien d’attachement à l’Europe et parlent en anglais à la maison. Il craint aussi qu’une fois de retour au Portugal, la famille soit regardée de haut par ceux qui ne sont pas de la même « classe sociale » qu’eux, un phénomène que ni lui ni sa famille n’ont connu depuis qu’ils sont au Canada.

[20]           Il est bien établi en droit que le préjudice irréparable doit correspondre à un préjudice au-delà des conséquences inhérentes à l’expulsion, aussi déplaisantes et désagréables puissent-elles être (Melo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 FTR 39, au paragraphe 21, 96 ACWS (3d) 278 [Melo]). Il n’y a rien de plus dans la situation du demandeur que les conséquences normales de l’expulsion. En outre, le demandeur et sa famille ne sont pas dans une situation où des ennemis ou des agents de persécution les attendent au Portugal. Un examen des risques avant renvoi (ERAR) effectué au titre de l’article 112 de la Loi a établi que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être exposé à la persécution, à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités si on le renvoie au Portugal. Le demandeur n’a pas contesté cet ERAR daté du 16 mars 2015.

[21]           Il est également bien établi que le fait qu’une cause soit en instance n’interdit pas l’expulsion. La Cour énonce, au paragraphe 8 de la décision Johnson c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1286, 134 ACWS (3d) 281, que s’il fallait rendre une décision en ce sens, tout demandeur pourrait engager une procédure au civil pour éviter son renvoi, et ce, même si les procédures judiciaires contre la Couronne peuvent être entamées ou menées de l’étranger. Par conséquent, la Cour a statué à maintes reprises que le renvoi, alors qu’une procédure est engagée, ne constitue pas un préjudice irréparable (Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 ACWS (3d) 547; Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 562, au paragraphe 46, 370 FTR 23; Ariyaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), IMM-8121-04, par la juge Dawson (CF) (non publiée), et Hussein c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1266, au paragraphe 11, 162 ACWS (3d) 647).

[22]           En l’espèce, je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de conclure que le renvoi du demandeur aurait pour effet d’entraver ou d’effectivement mettre un terme recours collectif envisagé comme le soutient le demandeur, ni que le renvoi l’empêcherait de participer au déroulement de l’instance.

[23]           L’avocat du demandeur a été suffisamment franc pour reconnaître que, d’après ces exigences, le volet relatif au préjudice irréparable de l’arrêt Toth n’est probablement pas satisfait, mais il insiste sur le fait que le cas présent est unique. Il prétend que ce caractère unique tient au fait que l’élément en jeu est le préjudice que pourrait causer le renvoi du demandeur à la primauté du droit, compte tenu de la dimension constitutionnelle de certains aspects du recours collectif envisagé.

[24]           L’avocat affirme que, d’après l’arrêt RJR-MacDonald, il convient de supposer que les dommages-intérêts réclamés dans le recours collectif envisagé pour violation des droits garantis au demandeur par la Charte constituent un préjudice irréparable. Toutefois, je ne suis pas convaincu que ce type de supposition est encore pertinent de nos jours. L’arrêt RJR-MacDonald a été rendu en 1994. La Cour suprême a établi cette règle de prudence à cette époque, compte tenu de « l’incertitude du droit quant à la condamnation à des dommagesintérêts en cas de violation de la Charte » (RJR‑MacDonald, à la page 342). Elle s’inquiétait du fait qu’« il n’existe pas encore de théorie juridique relative aux principes susceptibles de régir l’octroi de dommagesintérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte » (RJR-MacDonald, à la page 342).

[25]           Plus de vingt ans se sont écoulés depuis le prononcé de l’arrêt RJR-MacDonald, et je crois qu’on peut affirmer, sans risque de se tromper, que les principes régissant l’octroi de dommages-intérêts en vertu de la Charte existent désormais, comme en témoigne l’arrêt de principe rendu par la Cour suprême dans l’affaire Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27, 321 DLR (4e) 1. La Cour suprême y a proposé une approche globale et fondée sur des principes en ce qui a trait à l’octroi de dommages-intérêts dans les affaires relevant de la Charte. Les principes institués dans l’arrêt Ward ont été repris par la Cour Suprême très récemment (1er mai 2015) dans l’arrêt Henry c Colombie-Britannique (Procureur général), 2015 CSC 24, 383 DLR (4e) 383, qui concernait l’octroi de dommages-intérêts pour violation des droits garantis par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. Il n’y a aucune raison de penser que cette approche globale et fondée sur des principes ne s’appliquerait pas aussi dans le cas d’une violation allégée de l’article 15 de la Charte, soit la violation invoquée par le demandeur dans le recours collectif envisagé.

[26]           Le redressement demandé dans le recours collectif envisagé relativement aux violations alléguées de droits garantis par la Charte est d’ordre pécuniaire. Je n’ai pas été convaincu que de tels dommages-intérêts, dans l’état actuel du droit, ne pourraient être quantifiés ou recouvrés au moment où un jugement sur le fond sera rendu quant au recours collectif envisagé, une situation qui répondrait aux préoccupations exprimées par la Cour suprême dans l’arrêt RJR-MacDonald dans l’élaboration de la règle de prudence relativement à l’octroi de dommages‑intérêts dans les affaires intéressant la Charte.

[27]           Le demandeur s’appuie également énormément sur l’ordonnance délivrée par mon collègue, le juge Russell, dans la décision Lee c Canada (Citoyenneté et Immigration) (2010), dossier IMM-530-10 (non publiée), à l’appui de la thèse selon laquelle un renvoi alors que la cause est en instance peut tout de même constituer un préjudice irréparable et entraîner la déconsidération de l’administration de la justice, et ce, même si l’existence d’un préjudice irréparable causé par un risque physique ou un traumatisme psychologique n’a pas été établie. Toutefois, l’ordonnance du juge Russell repose sur le fait que le tribunal avait ordonné que la demanderesse mineure soit expulsée du Canada avant la prise en considération de son intérêt supérieur. Ce n’est pas ce fait valoir le demandeur en l’espèce. En réalité, le demandeur a été très clair à l’audience sur le fait que son allégation quant à l’existence d’un préjudice irréparable ne reposait pas essentiellement, ou même pas du tout, sur le préjudice allégué occasionné à ses enfants.

[28]           Le préjudice irréparable, s’il y a lieu, a trait à la situation d’un demandeur et de son entourage (Melo, au paragraphe 19). Comme je l’ai mentionné précédemment, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. La primauté du droit est sans aucun doute un élément fondamental de notre système judiciaire, mais elle n’est pas la panacée à toutes les situations juridiques possibles. Je ne suis pas convaincu que le principe de primauté du droit entre en jeu de la manière dont le demandeur le prétend dans la présente affaire. Je ne dispose d’aucune preuve selon laquelle le renvoi du demandeur au Portugal à ce stade-ci perturberait le déroulement du recours collectif envisagé ou qu’il ferait obstacle à sa demande de réparation relativement aux violations des droits garantis par la Charte. Autrement dit, il n’a pas été démontré que le renvoi du demandeur entraînerait la déconsidération de l’administration de la justice. Il est à propos de mentionner à ce stade-ci que le concept de déconsidération de l’administration de la justice est étroitement lié au paragraphe 24(2) de la Charte et à l’exclusion d’éléments de preuve obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la Charte.

[29]           Comme je l’ai souligné précédemment, la Cour a, depuis longtemps, adopté la thèse selon laquelle une cause en instance n’interdit en rien une expulsion, car les procédures contre la Couronne peuvent être menées même si la partie demanderesse réside à l’étranger. Je ne vois aucune raison fondée de m’écarter de cette position bien établie dans le cas d’une réclamation en dommages-intérêts pour violations alléguées aux droits garantis par la Charte.

C.                 La prépondérance des inconvénients

[30]           Le sursis au renvoi, à titre de mesure de réparation, constitue une mesure exceptionnelle (Tesero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148, au paragraphe 47, [2005] 4 RCF 21). L’article 48 de la Loi, dont il faut présumer que l’adoption visait des objectifs d’intérêt général, prévoit qu’une mesure de renvoi doit « être exécutée dès que possible ». Compte tenu de la longueur prévisible du recours collectif envisagé et de la capacité du demandeur de continuer d’y participer de l’étranger, l’intérêt de ce dernier dans l’issue de l’instance ne l’emporte pas sur l’intérêt général de faire exécuter la mesure de renvoi dès que possible.

[31]           Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients penche en faveur du demandeur.

IV.             Conclusion

[32]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur est rejetée.

[33]           Lors de l’audition de la présente demande, les parties ont demandé à ce que l’intitulé de la requête soit modifié pour qu’il corresponde à l’ordonnance du juge Zinn selon laquelle le ministre de l’Emploi et du Développement social devrait se voir retirer la désignation de défendeur. L’avocat du défendeur a également demandé que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit ajouté comme défendeur, étant donné qu’il est le ministre chargé de faire exécuter les mesures de renvoi prises en vertu de la Loi. L’avocat du demandeur ne s’est pas opposé à cette demande. L’intitulé sera modifié en conséquence.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La requête en sursis est rejetée;

2.                   L’intitulé est modifié, de manière à mettre hors de cause le ministre de l’Emploi et du Développement social à titre de défendeur et à ajouter le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2425-14

 

INTITULÉ :

JUVENAL DA SILVA CABRAL, PEDRO MANUEL GOMES SILVA, ROBERT ZLOTSZ, ROBERTO CARLOS OLIVEIRA SILVA, ROGERIO DE JESUS MARQUES FIGO, JOAO GOMES CARVALHO, ANDRESZ TOMASZ MYRDA, ANTONIO JOAQUIM OLIVEIRA MARTINS, CARLOS ALBERTO LIMA ARAUJO, FERNANDO MEDEIROS CORDEIRO, FILIPE JOSE LARANJEIRO HENRIQUES, ISAAC MANUEL LEITUGA PEREIRA, JOSE FILIPE CUNHA CASANOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 30 JUIN 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Me Rocco Galati

POUR LES DEMANDEURS

MMeva Motwani

MDavid Joseph

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Rocco Galati

Société professionnelle

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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