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Date : 20150717


Dossier : IMM‑6829‑14

Référence : 2015 CF 878

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

MOHAMED ZAYAN NIYAS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 9 septembre 2014 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) statuant que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger suivant l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka, originaire de Colombo, qui a allégué devant la CISR craindre les autorités de son pays en raison (i) de son adhésion à un parti politique appelé National Unity Alliance (NUA), (ii) de sa foi islamique et (iii) de son lien perçu avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET). Le demandeur allègue qu’il a été pris pour cible par Bodu Bala Sena (BBS), un mouvement anti‑islamique radical. Le frère du demandeur a également demandé l’asile au Canada en septembre 2008. La SPR a rejeté sa demande au même moment que celle du demandeur.

[3]               Le demandeur allègue que pendant qu’il se trouvait au magasin de son père, un membre de BBS lui a dit que le Sri Lanka appartenait à la majorité ethnique cinghalaise et il lui a intimé l’ordre de fermer son magasin, sinon ils allaient lui donner une leçon.

[4]               Le demandeur allègue que sa famille a eu des ennuis avec les autorités policières à Colombo, parce que celles‑ci avaient l’impression qu’elle était associée aux TLET. Les autorités sont venues à la maison de la famille du demandeur, elles l’ont interrogé et ont interrogé les membres de sa famille et elles ont perquisitionné les lieux pour déterminer s’ils aidaient les TLET.

[5]               En octobre 2011, les autorités ont interrogé le père du demandeur au sujet de l’implication du frère du demandeur quant au soutien de la diaspora tamoule de Toronto.

[6]               Le demandeur allègue également qu’il a reçu des appels téléphoniques menaçants l’accusant d’être un partisan des TLET après qu’il eut assisté à des réunions de la NUA qui se sont tenues à Colombo.

[7]               Le demandeur allègue qu’en avril 2013, il a été mis en état d’arrestation, détenu et battu par les autorités en raison de ses liens avec les TLET et la NUA. Au bout de deux jours, on l’a relâché en l’avertissant qu’il ne serait pas libéré s’il était arrêté une seconde fois.

[8]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka et s’est rendu aux États‑Unis peu de temps après.

[9]               En octobre 2013, des membres des services de renseignement de la police ainsi que deux présumés membres de BBS se seraient rendus chez le demandeur. Quand la mère du demandeur les a informés que le demandeur était parti aux États‑Unis, ils lui ont dit que le demandeur devait se présenter à la police dès son retour au Sri Lanka.

[10]           Plus tard ce mois‑là, avec l’aide d’un passeur, le demandeur a franchi la frontière entre les États‑Unis et le Canada (où se trouvait son frère) où il a fait une demande d’asile.

III.             La décision

A.                La décision de la SPR

[11]           Pour les raisons qui suivent, la SPR a conclu que les questions déterminantes portaient sur l’absence de crédibilité du demandeur et l’absence chez lui d’une crainte subjective :

  1. En ce qui concerne les appels téléphoniques menaçants, le demandeur a d’abord témoigné qu’il ne se souvenait pas quand ils avaient commencé, mais il a modifié son témoignage par la suite en disant qu’ils avaient commencé autour du 15 mars 2013. Selon son témoignage initial, le premier appel avait eu lieu quelques jours après qu’il eut adhéré à la NUA, mais il a dit plus tard avoir reçu le premier appel à peu près une semaine après être devenu membre de la NUA.
  2. Le témoignage du demandeur au sujet des appels téléphoniques de menaces était incompatible avec son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Le demandeur a écrit dans son FRP qu’il avait reçu les appels de menaces parce qu’on le croyait associé aux TLET et parce qu’il avait assisté à des réunions tenues par la NUA. Toutefois, il n’a pas fait mention de ces motifs dans son témoignage. Il a plutôt souligné les objections concernant le fait que son entreprise était exploitée par des musulmans. Le demandeur n’a pas mentionné dans son FRP que ses interlocuteurs avaient menacé son entreprise.
  3. Le témoignage du demandeur concernant les deux jours de détention allégués était incomplet comparativement à son FRP. Lorsqu’il a livré son témoignage, le demandeur n’a pas mentionné que les autorités l’avaient prévenu durant sa détention qu’elles avaient des renseignements particuliers concernant son implication auprès des membres des TLET qu’il aurait aidés à se cacher des autorités après la guerre.
  4. Le demandeur est demeuré aux États‑Unis pendant environ six mois avant de faire sa demande d’asile, et il s’est ensuite rendu au Canada pour y faire sa demande.
  5. Dans son témoignage, le demandeur a indiqué qu’il avait retenu les services d’un passeur pour franchir la frontière entre les États‑Unis et le Canada parce qu’il ne savait pas comment faire une demande d’asile au Canada. Toutefois, le demandeur savait comment trouver de l’information concernant l’immigration, car il avait demandé un visa d’étudiant au Canada à deux reprises auparavant (en septembre et en décembre 2012); de plus, il aurait pu parler à son frère qui vivait au Canada depuis 2008.
  6. Le demandeur allègue qu’il a laissé son passeport au passeur, ce qui est improbable parce qu’il ne s’est pas servi du passeport pour franchir la frontière.
  7. Dans les demandes de visa d’étudiant qu’il a présentées en 2012, le demandeur fait état d’une motivation préexistante à venir au Canada.
  8. Le demandeur n’a fourni aucun document adéquat pour corroborer ses allégations. Il n’a pas fourni non plus une lettre de son père qui était au courant des événements allégués par le demandeur. De plus, une lettre d’Azath Zally, le chef de la NUA qui connaissait personnellement le demandeur, était de nature générale et ne confirmait pas les détails allégués par le demandeur. De même, une lettre d’un député du Sri Lanka produite pour confirmer les allégations du demandeur ne contenait aucune précision au sujet de la situation de son père.
  9. Le demandeur en savait très peu à propos des menaces proférées à l’endroit de son père.
  10. Le demandeur ne serait exposé qu’à un risque généralisé en tant que musulman au Sri Lanka. L’hypothèse selon laquelle le demandeur d’asile pourrait faire l’objet d’une attaque n’est que pure conjecture.

B.                 La décision de la SAR

(1)               L’examen de la nouvelle preuve

[12]           Dans sa demande, le demandeur a présenté (i) une lettre de son père datée du 20 avril 2014 et (ii) un rapport du Département d’État des États‑Unis décrivant la situation des musulmans au Sri Lanka depuis la décision de la SPR.

[13]           Après avoir mis sa demande en état, le demandeur a présenté deux demandes d’autorisation de déposer des éléments de preuve supplémentaires après le délai prescrit. La première de ces demandes, datée du 25 mai 2014, concernait une copie de la lettre du 20 avril 2014 du père du demandeur, mais celle‑ci était datée du 29 avril 2014 et arborait l’estampille de la compagnie. La deuxième demande concernant le dépôt d’une preuve additionnelle après le délai prescrit était datée du 8 juillet 2014. Elle visait l’ajout (i) d’une autre lettre du père du demandeur (datée du 13 juin 2014) au sujet d’un incident qui s’était produit le 20 mars 2014, (ii) d’une lettre de l’avocat du père du demandeur datée du 24 juin 2014 et (iii) de la preuve documentaire supplémentaire à propos de la situation au Sri Lanka.

[14]           La SAR a rejeté la première demande (datée du 25 mai 2014), parce que l’explication justifiant le dépôt tardif de la lettre du père du demandeur n’était pas suffisamment précise et n’était pas étayée par des documents. La SAR n’était pas convaincue que la lettre n’aurait pas pu, malgré des efforts raisonnables, être produite au dossier du demandeur dans le délai prescrit. La SAR a également fait remarquer que la lettre n’avait pas été produite sous forme d’affidavit ou de déclaration solennelle, comme l’exige le paragraphe 37(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés (DORS/2012‑257) [les Règles].

[15]           La SAR a rejeté, pour des motifs similaires, la deuxième demande (datée du 8 juillet 2014) dans laquelle le demandeur sollicitait l’autorisation de déposer tardivement ses éléments de preuve. La SAR a également signalé que la lettre du 13 juin 2014 du père du demandeur n’était pas pertinente.

[16]           La SAR a ensuite examiné les nouveaux documents qui avaient été présentés dans les délais impartis : la lettre du 20 avril 2014 du père du demandeur et le rapport du Département d’État des États‑Unis. La décision de la SAR de rejeter ces documents faisait suite à son application du paragraphe 110(4) de la LIPR et des facteurs énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 13 [Raza], lesquels concernent l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le contexte d’une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) :

[13]      Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

1.         Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.         Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

3.         Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)         à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)         à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)         à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

4.         Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.         Conditions légales explicites :

a)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b)         Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

[17]           Tout comme pour sa conclusion concernant la version du 29 avril 2014 de la lettre du père du demandeur, la SAR n’était pas convaincue que la version du 20 avril n’aurait pas pu être produite sous forme d’affidavit ou de déclaration solennelle.

[18]           La SAR a rejeté le rapport du Département d’État, parce qu’il ne satisfaisait pas au critère de la nouveauté énoncé dans l’arrêt Raza.

(2)               Le bien‑fondé de l’appel

[19]           La SAR s’est ralliée à la décision du juge Phelan dans l’affaire Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica], en ce qui concerne sa norme de contrôle de la décision de la SPR. Elle a admis qu’elle était tenue d’effectuer sa propre analyse indépendante de la preuve, mais qu’elle doit « faire preuve de déférence envers la SPR en ce qui concerne les conclusions quant à la crédibilité et les conclusions portant sur des domaines où la SPR jouit d’un avantage particulier (par rapport à la SAR) ».

[20]           La SAR a confirmé que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a tiré les conclusions défavorables susmentionnées en ce qui concerne la crédibilité. Elle a aussi dit douter du fait que le père du demandeur n’avait pu rédiger une lettre ou un affidavit à propos des problèmes vécus par son fils au Sri Lanka, alors qu’il a pu prendre des dispositions pour qu’un passeur aide son fils à franchir la frontière entre les États‑Unis et le Canada.

IV.             Les questions en litige

[21]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de l’admissibilité de la nouvelle preuve?
  2. La SAR a‑t‑elle confirmé à tort que le demandeur n’est pas crédible?

V.                Analyse

A.                La norme de contrôle

(1)               La norme de contrôle de la SAR

[22]           Les parties ne se sont pas opposées à ce que la SAR s’en remette au jugement Huruglica pour déterminer la norme de contrôle devant être appliquée à la décision de la SPR. Toutefois, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir si la SAR a correctement appliqué le jugement Huruglica. Le demandeur admet que la SAR doit faire preuve de déférence envers la SPR sur une question de crédibilité, mais il fait valoir que la SAR a appliqué à tort la norme de la raisonnabilité (qui est propre aux contrôles judiciaires) et que plusieurs des conclusions de la SPR qui ont été jugées raisonnables par la SAR ne l’étaient pas.

(2)               La norme de contrôle de la Cour

[23]           Dans son examen de la décision de la SAR quant aux conclusions de la SPR en matière de crédibilité, la Cour applique une norme de raisonnabilité : Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, au paragraphe 45 [Ching]. La norme de la raisonnabilité s’applique aussi à l’admissibilité de la nouvelle preuve : Ching, précité, au paragraphe 46; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, aux paragraphes 36 à 42 [Singh].

B.                 L’admissibilité d’une nouvelle preuve

[24]           Le demandeur affirme que la SAR ne devrait pas appliquer les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza à l’admissibilité d’une nouvelle preuve. Le défendeur fait valoir que même si la Cour a fait une mise en garde contre l’importation directe et rigide de l’arrêt Raza dans le contexte de la SAR (Singh), rien ne donne à penser que la SAR a agi de la sorte en l’espèce.

[25]           L’application des facteurs de l’arrêt Raza à la SAR suscite un certain débat au sein de la Cour. Le juge Gagné, le juge Noël et le juge Fothergill ont considéré que les critères énoncés dans l’arrêt Raza ne devraient pas systématiquement s’appliquer dans le cas d’une décision visée par le paragraphe 110(4) de la LIPR : Singh, précité, aux paragraphes 44 à 58; Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, au paragraphe 37 [Khachatourian]; Ngandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, aux paragraphes 14 à 22 [Ngandu]. Les motifs suivants justifient cette position : (i) l’agent chargé de l’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) ne tient pas le rôle d’une juridiction d’appel à l’égard des décisions de la SPR et il n’exerce pas de fonction quasi judiciaire comme le fait la SAR : Singh, précité, aux paragraphes 49 et 50, Khachatourian, précité, au paragraphe 37, Ngandu, précité, au paragraphe 20; (ii) la création de la SAR avait pour objet d’offrir un « véritable appel fondé sur les faits » : Singh, précité, au paragraphe 54; Khachatourian, précité, au paragraphe 37; (iii) les facteurs concernant l’admissibilité de la preuve doivent être suffisamment souples, compte tenu des délais stricts auxquels le demandeur d’asile doit se conformer pour présenter des éléments de preuve devant la SPR : Singh, précité, au paragraphe 55, Khachatourian, précité, au paragraphe 37. Voici comment s’est exprimé le juge Gagné aux paragraphes 55 et 56 du jugement Singh :

[…] Le demandeur doit désormais présenter tous les documents dans les 50 jours suivant la date où il a fait sa demande. Auparavant, la loi prévoyait la présentation des documents requis 20 jours avant l’audience, ce qui donnait généralement un délai beaucoup plus long. Lorsque la SPR souligne dans une décision la faiblesse de la preuve du demandeur, la SAR devrait avoir, si elle examine ultérieurement cette décision, une certaine latitude pour permettre au demandeur de pallier les lacunes soulevées.

Ce n’est pas tout. Dans l’arrêt Raza, la juge Sharlow établit une distinction entre les questions posées explicitement par l’alinéa 113a) de la Loi et celles qui résultent implicitement de cet alinéa. Elle énonce clairement que ces dernières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, sont liées à l’objectif que vise l’alinéa 113a), dans le cadre du régime établi par la Loi à l’égard des demandes d’asile et des ERAR. À mon avis, il faut y répondre dans ce contexte particulier et il n’est pas possible d’y répondre dans le contexte d’un appel devant la SAR.

[Non souligné dans l’original.]

[26]           Toutefois, dans le jugement Denbel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, aux paragraphes 42 et 43 [Denbel], le juge Mosley fait ressortir le fait que le libellé de l’alinéa 113a) de la LIPR (qui s’applique aux ERAR) et du paragraphe 110(4) de la LIPR (qui s’applique à la SAR) « est presque identique », ce qui signifie que « le législateur voulait que, dans ces deux dispositions législatives, le même critère juridique soit consacré ».

[27]           Comme les juges Gagné et Noël, je suis d’avis que la création de la SAR avait pour objet d’offrir un « véritable appel fondé sur les faits ». Toutefois, il est également vrai que le libellé de l’alinéa 113a) et du paragraphe 110(4) de la LIPR « est presque identique ». Je suis conscient du fait que [traduction] « lorsque les termes d’une loi ont fait l’objet d’une interprétation prétorienne et que le législateur les reprend sans les modifier […], on doit considérer que le législateur les utilise dans le sens dans lequel ils ont été interprétés par les tribunaux » : Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, à la page 125. La décision de la juge Kane dans l’affaire Ching (au paragraphe 58) semble rapprocher ces deux positions : « Si [la SAR] décide de s’inspirer de l’arrêt Raza, étant donné le libellé analogue des dispositions concernées de la Loi, elle devra se demander comment il convient d’adapter le critère de cet arrêt au contexte d’un appel portant sur des questions bien précises. » En conséquence, les facteurs de l’arrêt Raza offrent des éléments d’orientation utiles qui devraient toutefois permettre de favoriser le droit du demandeur à un « appel véritable fondé sur les faits ».

[28]           En l’espèce, j’estime que le fait pour la SAR de s’être fondée sur l’arrêt Raza pour rejeter un rapport du Département d’État des États‑Unis n’a pas porté atteinte au droit du demandeur à une véritable évaluation des faits de sa cause. J’ai lu le rapport et je ne crois pas qu’il aurait modifié l’essentiel de la décision de la SAR qui porte surtout sur la crédibilité du demandeur. De plus, la SAR n’a pas appliqué rigoureusement les facteurs de l’arrêt Raza lorsqu’elle a rejeté le rapport du Département d’État des États‑Unis. La SAR a plutôt affirmé que les facteurs de l’arrêt Raza étaient « pertinent[s] ». En outre, la décision de la SAR révèle que l’application des facteurs énoncés dans l’arrêt Raza n’était pas déterminante en ce qui concerne le rejet de la lettre du 13 juin 2014 du père du demandeur. La SAR a raisonnablement conclu que les questions de la police qui étaient décrites dans la lettre n’étaient pas pertinentes pour la demande. Le fait que le numéro de téléphone du demandeur a été donné à la police et que celle‑ci n’a apparemment jamais cherché à prendre contact avec lui justifie cette opinion.

[29]           Le demandeur soutient également que la SAR a fait prédominer la forme sur le fond en concluant que la lettre du père du demandeur n’était pas admissible en vertu du paragraphe 37(4) des Règles, sous prétexte qu’il ne s’agissait pas d’un affidavit. Le demandeur affirme que le non‑respect de l’article 37 des Règles n’invalide pas la demande de dépôt d’une nouvelle preuve : article 54 des Règles.

[30]           À mon avis, l’article 54 des Règles n’interdit pas à la SAR d’appliquer le paragraphe 37(4) dans la présente situation. La SAR a rejeté à raison la lettre du père du demandeur au motif que l’explication du retard et de la forme, donnée par le demandeur, n’était pas suffisante. Mon opinion à ce sujet n’a pas changé, en dépit de la confusion apparente au sujet de l’identité du beau‑père dont la maladie a été évoquée pour excuser le dépôt tardif de la lettre.

[31]           Je profite de l’occasion pour faire remarquer que le demandeur a indiqué qu’il n’invoque pas l’argument selon lequel l’article 37 des Règles est invalide.

C.                 La crédibilité du demandeur

[32]           Le demandeur signale à raison qu’à plusieurs endroits dans sa décision, la SAR semble appliquer le critère de la raisonnabilité à son examen des conclusions de la SPR. Le demandeur fait valoir à raison que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique à un contrôle judiciaire, mais qu’il ne s’agit pas de la norme applicable dans le cadre d’un appel devant la SAR d’une décision de la SPR.

[33]           Toutefois, la SAR a clairement indiqué deux fois dans sa décision qu’elle se fondait sur le jugement Huruglica pour examiner la décision de la SPR. De plus, les conclusions essentielles de la SPR étaient fondées sur le témoignage du demandeur, et la SAR devait faire preuve de retenue lorsqu’elle les a examinées.

[34]           Je conviens que la norme de la raisonnabilité ne s’applique pas, en principe, au contrôle effectué par la SAR et que les mentions de cette norme dans sa décision étaient mal avisées, mais la retenue exercée par la SAR à l’égard des conclusions de la SPR était appropriée. Si la SAR a mal employé certains termes, ceux‑ci n’ont eu aucune incidence sur le résultat.

[35]           Le demandeur s’oppose à ce que la SAR accepte la conclusion défavorable que la SPR a tirée en raison de la modification du témoignage du demandeur concernant le moment des premiers appels téléphoniques de menaces qu’il a reçus au Sri Lanka. Au départ, il a indiqué qu’il ne pouvait pas se souvenir du moment où les appels téléphoniques avaient commencé, mais il a plus tard affirmé que le premier appel avait eu lieu autour du 15 mars 2013. De plus, le demandeur a d’abord affirmé dans son témoignage qu’il avait reçu le premier appel téléphonique quelques jours après qu’il est devenu membre de la NUA, bien qu’il ait indiqué par la suite avoir reçu le premier appel environ une semaine après avoir adhéré au parti. Même si ces disparités peuvent sembler de peu d’importance, la SPR a paru comprendre la preuve et a motivé ses conclusions. La SAR avait le droit de s’en remettre à ces motifs.

[36]           Le demandeur s’oppose également à la conclusion de la SPR, confirmée par la SAR, selon laquelle il était improbable que le passeur dont les services avaient été retenus pour aider le demandeur à franchir la frontière entre les États‑Unis et le Canada ait pris le passeport du demandeur, alors que ce passeport n’a même pas été utilisé pour entrer au pays. Le demandeur cite des jugements qui énoncent qu’on ne doit arriver à une conclusion d’improbabilité que dans les cas évidents. À mon avis, compte tenu de l’ensemble de la preuve, la SAR pouvait raisonnablement confirmer la conclusion de la SPR sur la question de l’improbabilité.

[37]           Le demandeur remet également en question la conclusion selon laquelle sa demande d’asile tardive (il a attendu six mois après son arrivée aux États‑Unis, puis il s’est rendu au Canada pour demander l’asile) dénote une absence de crainte subjective. Dans ce que j’ai entendu, rien ne peut me convaincre que l’analyse de cette question par la SAR était déraisonnable.

[38]           Enfin, le demandeur affirme que la SAR a eu tort de ne pas prendre en considération le risque auquel le demandeur est exposé en tant que musulman au Sri Lanka. Le demandeur fait valoir que, même si la SAR avait eu raison d’exclure la nouvelle preuve parce qu’elle n’était pas appuyée par un affidavit, on ne peut en dire autant d’un nouvel argument. Le demandeur affirme que la SAR était tenue de se demander si la preuve existante démontrait que le demandeur serait exposé à un risque en tant que musulman au Sri Lanka. Je ne suis pas disposé à accepter l’argument du demandeur selon lequel le silence de la SAR sur cette question donne à penser qu’elle n’a pas été prise en considération de manière adéquate par la SAR alors que le demandeur lui‑même été muet en ce qui concerne cette question.

VI.             Conclusions

[39]           À mon avis, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[40]           Étant donné que la présente décision ne dépend pas de l’application par la SAR des facteurs de l’arrêt Raza dans le cas d’un appel à la SAR, je ne certifierai pas la question proposée par le demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6829‑14

 

INTITULÉ :

MOHAMED ZAYAN NIYAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 juillet 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 juillet 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Crane

 

pour Le demandeur

 

Rafeena Rashid

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUr Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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