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Date : 20150709


Dossier : IMM‑4019‑14

Référence : 2015 CF 834

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Calgary (Alberta), le 9 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

EMRULLAH AKGUL

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que M. Akgul est un réfugié au sens de la Convention du fait qu’il remplissait les conditions établies à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27. Le ministre conteste cette décision et demande qu’elle soit annulée.

[2]               M. Akgul, un musulman sunnite d’origine ethnique kurde âgé de 33 ans, est citoyen de la Turquie. Il a sollicité l’asile au Canada au motif qu’il craignait de retourner en Turquie du fait qu’il est un objecteur de conscience et qu’il n’acceptera pas qu’on le force à faire son service militaire, lequel est une exigence en Turquie. Il a allégué qu’il serait emprisonné et traité très durement s’il refusait de servir dans l’armée.

[3]               La décision visée par le contrôle est brève. Ce qui n’est peut‑être pas surprenant puisque la demande a été accueillie et que le ministre n’a pas participé à l’audience.

[4]               La SPR a conclu que M. Akgul est crédible et affirme que « le demandeur d’asile a des croyances spirituelles ou religieuses faisant de lui un objecteur de conscience ». En outre, la SPR :

… juge que le demandeur d’asile a démontré que sa demande d’asile répond aux critères relatifs à l’objectivité et à la subjectivité. Les éléments de preuve documentaire appuient les déclarations du demandeur d’asile selon lesquelles s’il retournait en Turquie et refusait de faire son service militaire, il serait emprisonné pour une première période de trois mois, à la fin de laquelle il serait enjoint de se soumettre à son obligation d’enrôlement, à défaut de quoi il serait emprisonné de nouveau pour une plus longue durée.

Le tribunal a également pris en considération les multiples documents touchant le traitement que les autorités turques infligent aux objecteurs de conscience en Turquie.

[5]               Le ministre a soutenu que la SPR a commis une erreur dans la mesure où elle n’a pas fait une évaluation du risque de persécution ou n’a pas appliqué la jurisprudence pertinente à cet égard.

[6]               À mon avis, la demande du ministre doit être rejetée.

[7]               La SPR a rendu une conclusion claire et incontestée selon laquelle M. Akgul est un objecteur de conscience. Il a témoigné que, selon sa foi, il est toujours mal de tuer et que c’est pour cette raison qu’il s’oppose au service militaire. Il n’est pas non plus contesté que la SPR a correctement conclu que, selon la loi en Turquie, ceux qui n’acceptent pas de faire leur service militaire sont emprisonnés, et le sont à répétition.

[8]               Dans Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322, la Cour d’appel fédérale a statué que, dans un pays où le service militaire est obligatoire, et où il n’existe aucune alternative à cette obligation, le fait d’intenter des poursuites et d’incarcérer l’objecteur de conscience qui refuse d’effectuer son service militaire ne constitue pas de la persécution fondée sur un motif visé par la Convention. Le ministre reconnaît à juste titre que [traduction« le fait d’intenter de multiples poursuites pour objection de conscience peut constituer de la persécution mais qu’une évaluation individuelle est toujours nécessaire [souligné dans l’original] ».

[9]               Le ministre reconnaît également qu’[traduction« il est possible qu’un objecteur de conscience soit confronté à un risque de persécution dans ce contexte si, par exemple, il fait face à une longue peine ou à des conditions carcérales pires que d’autres évadés, mais cette question exige une évaluation de la part de la SPR – laquelle évaluation n’est pas étayée [dans] les motifs de la SPR en l’espèce ».

[10]           À mon avis, il n’est pas justifié en droit de suggérer qu’un demandeur reconnu comme un objecteur de conscience puisse seulement établir un risque de persécution s’il est en mesure de démontrer que son traitement en prison sera pire que celui d’autres objecteurs de conscience. La question est de savoir si le traitement des objecteurs de conscience est pire que celui subi par d’autres qui ont été déclarés coupables d’une infraction. S’il est conclu que le traitement est pire, celui‑ci peut alors équivaloir à de la persécution et non simplement à la poursuite d’un crime d’application générale.

[11]           Dans la décision visée par le contrôle, la SPR a affirmé qu’elle avait pris en considération la preuve documentaire « touchant le traitement que les autorités turques infligent aux objecteurs de conscience en Turquie ». Elle n’a pas précisé, comme le mentionne le ministre, sur quel élément de preuve dans la trousse de documents elle s’est appuyée pour conclure que M. Akgul serait exposé à de la persécution. Cependant, je suis d’accord avec son avocat pour dire que la décision dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, exige que la décision ne soit pas annulée si les motifs permettent à la cour de révision de comprendre les raisons pour lesquelles le décideur a rendu sa décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables.

[12]           Dans la présente affaire, les motifs permettent bel et bien à la cour de déterminer pourquoi la SPR a conclu que le traitement en Turquie constituerait de la persécution; en l’occurrence, le traitement que les objecteurs de conscience reçoivent de la part des autorités. Le traitement pertinent n’est pas simplement des peines d’emprisonnement répétées. Le dossier indique plutôt les objecteurs de conscience sont brutalement agressés et traités de manière inhumaine par les autorités et d’autres personnes avec l’encouragement de celles‑ci simplement parce qu’ils ont refusé d’effectuer leur service militaire. Par conséquent, la décision de la SPR fait sans aucun doute partie des issues raisonnables.

[13]           Les parties n’ont pas proposé de questions à certifier et les faits en l’espèce n’en soulèvent aucune.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4109‑14

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c EMRULLAH AKGUL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 JUILLET 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Camille Audain

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Bjorn Harsanyi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice – Région des Prairies

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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