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Date : 20150630


Dossier : IMM‑6022‑14

Référence : 2015 CF 811

[Traduction françaisE non révisée]

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

DEEPIKA SAMANTHI WIJAYANSINGHE

UTHUWAN PATHIRANNAHELAGE

demanderesse

et

MNISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], de la décision rendue le 29 mai 2014 par un agent des visas [l’agent] qui a refusé la demande de résidence permanente au Canada présentée par Mme Pathirannahelage au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [catégorie des TQF] [la décision].

[2]               Mme Pathirannahelage soutient que lorsqu’il a rendu sa décision, l’agent a manqué aux principes de justice naturelle parce qu’il a omis de l’informer adéquatement qu’il envisageait de [traduction« substituer son appréciation défavorable » dans son cas. Mme Pathirannahelage fait également valoir que l’application de cette appréciation dans le cadre de sa demande était déraisonnable. 

[3]               Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Faits

[4]               La demanderesse, Mme Pathirannahelage, est une physiothérapeute du Sri Lanka qui travaille pour le ministère de la Santé au Sri Lanka depuis le mois de janvier 2005. Le 24 août 2013, Mme Pathirannahelage a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des TQF au bureau d’immigration du Canada, à Colombo, au Sri Lanka, et elle a retenu les services d’un consultant en immigration pour l’aider à remplir sa demande. Elle a inscrit l’adresse postale ainsi que l’adresse de courriel du consultant dans la section intitulée « Coordonnées ».

[5]               Selon les notes de l’agent versées au Système mondial de gestion des cas [SMGC], un agent des visas du bureau de Colombo a examiné le dossier de Mme Pathirannahelage le 2 décembre 2013, et il y a consigné qu’elle semblait satisfaire aux exigences minimales en matière d’expérience de travail, de langue et d’études. Par suite d’une lettre demandant à Mme Pathirannahelage de se présenter à une entrevue dans le but d’évaluer si elle respectait les critères d’admissibilité pour immigrer au Canada, une entrevue a eu lieu le 10 mars 2014.

[6]               Certains éléments de preuve sont contradictoires en ce qui concerne la teneur exacte des discussions lors de l’entrevue. Mme Pathirannahelage déclare dans son affidavit que l’agent ne lui a pas mentionné à l’entrevue qu’il envisageait de substituer son appréciation défavorable dans son cas. Les notes de l’agent indiquent toutefois que Mme Pathirannahelage a été longuement interrogée sur son expérience de travail et sur le fait qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de scolarité nécessaires pour exercer les activités d’un physiothérapeute au Canada. L’agent a également exprimé des réserves quant à la capacité de Mme Pathirannahelage de réussir son établissement économique au Canada, étant donné qu’elle a affirmé lors de l’entrevue n’avoir fait aucune recherche sur le Canada si ce n’est que son consultant lui a indiqué que Saskatoon offrait de bonnes occasions et qu’il n’y faisait pas trop froid. L’agent a souligné également que Mme Pathirannahelage a plusieurs amis au Canada, mais qu’elle n’a pas tiré parti de ces connaissances.

[7]               L’agent a conclu dans ses notes que même si Mme Pathirannahelage répondait aux exigences du volet relatif à l’expérience de travail prescrit par le critère d’admissibilité applicable à la catégorie des TQF, il n’était pas convaincu qu’elle pourrait réussir son établissement économique au Canada parce que les exigences minimales de scolarité ne sont pas respectées. L’agent a donc décidé de permettre à Mme Pathirannahelage de répondre à ces préoccupations par écrit.

[8]               Dans une lettre envoyée le 13 mars 2014 [la lettre d’équité procédurale], l’agent a informé Mme Pathirannahelage qu’il n’était pas convaincu qu’elle pourrait réussir son établissement économique au Canada. Dans sa lettre, l’agent a souligné en particulier que Mme Pathirannahelage avait fait très peu de recherches en vue de son établissement économique et au regard de ses perspectives d’emploi. Il a ajouté que pour être en mesure de pratiquer, un physiothérapeute doit détenir un diplôme en physiothérapie ainsi qu’un permis d’exercice ou un agrément professionnel d’un organisme de réglementation. L’agent a donc exigé la présentation d’un plan d’établissement ainsi que la preuve que Mme Pathirannahelage réussira à surmonter l’absence de diplôme pertinent ainsi qu’à satisfaire aux exigences en matière d’agrément et de permis. Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a également informé Mme Pathirannahelage qu’il peut substituer son appréciation de l’aptitude qu’elle présente à réussir son établissement économique au Canada si le nombre de points accordés au titre de la catégorie des TQF est considéré comme un indicateur insuffisant de cette aptitude.

[9]               La lettre indiquait qu’un délai de 30 jours était accordé à Mme Pathirannahelage pour soumettre des informations additionnelles et contenait la mise en garde qu’à défaut d’y répondre, sa demande serait évaluée en fonction de l’information disponible au dossier, ce qui pourrait entraîner un refus. Mme Pathirannahelage déclare dans son affidavit que ni elle ni son consultant en immigration n’avaient jamais reçu cette lettre d’équité procédurale, que ce soit par la poste ou par courriel. Dans son affidavit, l’agent affirme que la lettre a été envoyée à l’adresse donnée par Mme Pathirannahelage dans sa demande.

[10]           Le 17 avril 2014, l’agent a indiqué ne pas avoir reçu de réponse à la lettre d’équité procédurale. Le 28 avril 2014, l’agent a réitéré dans les notes versées au SMGC ses réserves quant à la capacité de Mme Pathirannahelage à réussir son établissement économique au Canada et, compte tenu du fait qu’elle n’a pas répondu à la lettre d’équité procédurale, il a sollicité l’opinion d’un deuxième agent pour lui confirmer sa décision de substituer son appréciation défavorable.

III.             La décision visée par le contrôle judiciaire

[11]           Dans la décision, l’agent a jugé que Mme Pathirannahelage ne répondait pas aux critères d’admissibilité pour obtenir la résidence permanente au Canada. Même si elle a obtenu le nombre minimum de points qui doivent être obtenus au titre de la catégorie des TQF, l’agent n’était pas convaincu que les points fussent un bon indicateur de son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Il a souligné que Mme Pathirannahelage a eu la possibilité de dissiper ces préoccupations lors de son entrevue, de même que par le biais de la lettre d’équité procédurale, mais qu’elle n’y a pas directement répondu. L’agent a donc rejeté la demande.

[12]           Dans les notes versées au SMGC, lesquelles font partie des motifs de la décision, le deuxième agent a indiqué que Mme Pathirannahelage avait été interrogée lors d’une entrevue et qu’elle n’avait pas convaincu l’agent qu’elle avait la capacité de réussir sont établissement économique. Le deuxième agent a souligné qu’aucune réponse n’avait été donnée à la lettre d’équité procédurale transmise à Mme Pathirannahelage dans le but de lui donner l’occasion de présenter un plan d’établissement; de plus, la preuve versée au dossier indiquait qu’elle pouvait communiquer avec son consultant sans problème. Le deuxième agent a donc souscrit aux conclusions du premier agent qui avait décidé de ne pas tenir compte des points obtenus dans l’évaluation de la demande et d’y substituer son appréciation défavorable pour déterminer que Mme Pathirannahelage n’avait pas répondu aux critères d’admissibilité pour obtenir la résidence permanente.

IV.             Questions en litige

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

                     L’agent a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle lorsqu’il a omis d’informer Mme Pathirannahelage qu’il envisageait d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour substituer son appréciation défavorable en l’espèce?

                     L’agent a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a décidé de façon déraisonnable de substituer son appréciation défavorable en l’espèce?

V.                Dispositions législatives applicables

[14]           Les dispositions législatives applicables à la présente demande de contrôle judiciaire sont énoncées aux articles 11 et 12 de la LIPR et, plus particulièrement, dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Les dispositions applicables du Règlement sont ainsi libellées :

75. (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada, qui sont des travailleurs qualifiés et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

75. (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the federal skilled worker class is hereby prescribed as a class of persons who are skilled workers and who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada and who intend to reside in a province other than the Province of Quebec.

76. (1) Les critères ci‑après indiquent que le travailleur qualifié peut réussir son établissement économique au Canada à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) :

76. (1) For the purpose of determining whether a skilled worker, as a member of the federal skilled worker class, will be able to become economically established in Canada, they must be assessed on the basis of the following criteria:

a) le travailleur qualifié accumule le nombre minimum de points visé au paragraphe (2), au titre des facteurs suivants :

(a) the skilled worker must be awarded not less than the minimum number of required points referred to in subsection (2) on the basis of the following factors, namely,

(i) les études, aux termes de l’article 78,

(i) education, in accordance with section 78,

(ii) la compétence dans les langues officielles du Canada, aux termes de l’article 79,

(ii) proficiency in the official languages of Canada, in accordance with section 79,

(iii) l’expérience, aux termes de l’article 80,

(iii) experience, in accordance with section 80,

(iv) l’âge, aux termes de l’article 81,

(iv) age, in accordance with section 81,

(v) l’exercice d’un emploi réservé, aux termes de l’article 82,

(v) arranged employment, in accordance with section 82, and

(vi) la capacité d’adaptation, aux termes de l’article 83;

(vi) adaptability, in accordance with section 83; and

b) le travailleur qualifié :

(b) the skilled worker must

(i) soit dispose de fonds transférables et disponibles — non grevés de dettes ou d’autres obligations financières — d’un montant égal à la moitié du revenu vital minimum qui lui permettrait de subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille,

(i) have in the form of transferable and available funds, unencumbered by debts or other obligations, an amount equal to one half of the minimum necessary income applicable in respect of the group of persons consisting of the skilled worker and their family members, or

(ii) soit s’est vu attribuer des points aux termes des alinéas 82(2)a), b) ou d) pour un emploi réservé, au Canada, au sens du paragraphe 82(1).

(ii) be awarded points under paragraph 82(2)(a), (b) or (d) for arranged employment, as defined in subsection 82(1), in Canada.

3) Si le nombre de points obtenu par un travailleur qualifié — que celui‑ci obtienne ou non le nombre minimum de points visé au paragraphe (2) — n’est pas un indicateur suffisant de l’aptitude de ce travailleur qualifié à réussir son établissement économique au Canada, l’agent peut substituer son appréciation aux critères prévus à l’alinéa (1)a).

(3) Whether or not the skilled worker has been awarded the minimum number of required points referred to in subsection (2), an officer may substitute for the criteria set out in paragraph (1)(a) their evaluation of the likelihood of the ability of the skilled worker to become economically established in Canada if the number of points awarded is not a sufficient indicator of whether the skilled worker may become economically established in Canada.

(4) Toute décision de l’agent au titre du paragraphe (3) doit être confirmée par un autre agent.

[…]

(4) An evaluation made under subsection (3) requires the concurrence of a second officer.

[…]

80. (1) Un maximum de 15 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié en fonction du nombre d’années d’expérience de travail à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande, selon la grille suivante :

80. (1) Points shall be awarded, up to a maximum of 15 points, to a skilled worker for full-time work experience, or the equivalent in part-time work, within the 10 years before the date on which their application is made, as follows:

a) 9 points, pour une année d’expérience de travail;

(a) 9 points for one year of work experience;

b) 11 points, pour deux à trois années d’expérience de travail;

(b) 11 points for two to three years of work experience;

c) 13 points, pour quatre à cinq années d’expérience de travail;

(c) 13 points for four to five years of work experience; and

d) 15 points, pour six années d’expérience de travail et plus.

(d) 15 points for six or more years of work experience.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), des points sont attribués au travailleur qualifié à l’égard de l’expérience de travail dans toute profession ou tout métier appartenant aux genres de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité.

(2) For the purposes of subsection (1), points are awarded for work experience in occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix.

(3) Pour l’application du paragraphe (1), le travailleur qualifié, indépendamment du fait qu’il satisfait ou non aux conditions d’accès établies à l’égard d’une profession ou d’un métier figurant dans les description des professions de la Classification nationale des professions, est considéré comme ayant acquis de l’expérience dans la profession ou le métier :

(3) For the purposes of subsection (1), a skilled worker is considered to have experience in an occupation, regardless of whether they meet the employment requirements of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, if they performed

a) s’il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession ou le métier dans les descriptions des professions de cette classification;

(a) the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

b) s’il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession ou du métier figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

(b) at least a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all the essential duties.

VI.             Arguments des parties

[15]           Mme Pathirannahelage soutient en premier lieu que l’agent a manqué aux principes de justice naturelle ainsi qu’à son obligation d’agir équitablement. Elle affirme plus particulièrement que les agents des visas ont l’obligation de donner aux demandeurs la possibilité de répondre aux éléments de preuve précis retenus contre ces derniers. Mme Pathirannahelage soutient qu’aucune occasion raisonnable d’apaiser les préoccupations de l’agent ne lui a été fournie, car elle n’a pas été informée lors de l’entrevue que l’agent envisageait de « substituer son appréciation défavorable ». Si elle en avait été informée, elle aurait pu fournir à l’agent des renseignements pour dissiper ses préoccupations.

[16]           Mme Pathirannahelage allègue de plus que son consultant n’a jamais reçu la lettre d’équité procédurale, ni par la poste ni par courriel. Elle soutient que lorsqu’il est impossible pour l’agent de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la communication a été transmise, il incombe au bureau des visas d’assumer le risque de ce genre de défaillance de la communication. Mme Pathirannahelage souligne que l’affidavit de l’agent ne fournit pas de preuve directe établissant l’envoi de la lettre d’équité procédurale, car l’agent s’est fié à un document administratif (soit l’onglet de correspondance) qui n’est pas suffisamment détaillé, et sur lequel ne figure aucune inscription décrivant comment la lettre a été envoyée car la colonne intitulée « via » n’a pas été remplie. Mme Pathirannahelage fait en outre remarquer que c’était un employé différent du bureau des visas de Colombo qui avait en réalité envoyé la lettre d’équité procédurale.

[17]           Le défendeur répond que lors de l’entrevue l’agent avait adéquatement informé Mme Pathirannahelage de ses réserves quant à sa capacité de réussir son établissement commercial au Canada, et que la lettre d’équité procédurale avait été envoyée à l’adresse fournie par Mme Pathirannahelage. Le défendeur soutient qu’une fois la preuve établie par le ministre qu’une lettre a bel et bien été envoyée, le demandeur assume le risque du défaut de réception de la communication. Le ministre n’est pas tenu de confirmer ou de prouver que le demandeur a réellement reçu la lettre.

[18]           Le défendeur ajoute que la procédure normale d’envoi des lettres de ce genre est expliquée dans l’affidavit de l’agent et qu’il n’y avait aucune raison de déroger à cette procédure dans le cas présent. Le défendeur souligne en outre qu’une copie de la lettre d’équité procédurale sur laquelle figure une date avait été versée au dossier, ce qui indique qu’elle avait été dûment envoyée, étant donné que dans le cours normal des activités une lettre datée n’aurait pas été versée au dossier à moins d’avoir été transmise. De plus, l’espace laissé vide dans la colonne intitulée « via » de l’onglet de correspondance ne constitue qu’une erreur administrative; le défendeur souligne qu’il y avait un espace vide dans la colonne intitulée « via » de façon similaire dans la décision et que personne ne conteste pour autant le fait que cette lettre de refus a été envoyée à Mme Pathirannahelage, et qu’elle l’a reçue.

[19]           Mme Pathirannahelage soutient également que l’agent a agi de façon déraisonnable lorsqu’il a substitué son appréciation défavorable en l’espèce, et que la réelle préoccupation sous‑jacente de l’agent était qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences minimales prescrites par la LIPR. Mme Pathirannahelage affirme qu’une telle approche est contraire au paragraphe 80(3) du Règlement, car le demandeur n’est pas tenu de démontrer qu’il possède les études requises pour pour pratiquer sa profession au Canada. En fait, ni la LIPR ni le Règlement n’exigent que le demandeur travaille dans le domaine particulier où il serait admissible pour venir au Canada. 

[20]           Le défendeur répond que l’aptitude d’un demandeur à travailler dans un domaine où il serait admissible pour venir au Canada constitue un facteur pertinent, sans être déterminant, qui pourrait être pris en considération dans le cadre de l’appréciation de substitution, et qu’il était donc raisonnable pour l’agent de tenir compte de l’inaptitude de Mme Pathirannahelage à travailler comme physiothérapeute au Canada. Le défendeur soutient en outre qu’il n’est pas nécessaire qu’une substitution d’appréciation faite en application du paragraphe 76(3) du Règlement respecte les paramètres stricts énoncés au paragraphe 76(1); l’objectif des dispositions régissant la substitution d’appréciation est de procurer une certaine souplesse au traitement réservé à la catégorie des TQF.

[21]           Le défendeur souligne que la lettre d’équité procédurale indique que l’agent était disposé à considérer la possibilité pour Mme Pathirannahelage de s’établir économiquement au Canada, même si elle ne pouvait y travailler comme physiothérapeute. En effet, il lui a demandé de présenter un plan démontrant qu’elle serait apte à s’établir au Canada s’il ne lui était pas possible de travailler comme physiothérapeute. Le défendeur fait donc valoir le caractère raisonnable de la décision de l’agent d’envisager de substituer son appréciation défavorable.

VII.          Analyse

A.                 La norme de contrôle applicable

[22]           La question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale est assujettie à la norme de la décision correcte et, par conséquent, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le décideur (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 855, au paragraphe 24).

[23]           Je constate que dans ses décisions récentes, la Cour s’est demandé s’il était absolument nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle quant aux questions d’équité procédurale, étant donné que la question à trancher est celle de savoir si la procédure suivie était équitable. En dépit de ces discussions, la Cour a continué d’appliquer de façon constante la norme de la décision correcte aux questions d’équité procédurale dans les affaires portant sur des demandes de résidence permanente (Asoyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 206, au paragraphe 15 [Asoyan]; Parveen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 473, au paragraphe 13; Gharialia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 745, au paragraphe 13 [Gharialia]; Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 337, au paragraphe 15 [Sharma]; Yazdani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 885, aux paragraphes 24 et 25 [Yazdani]).

[24]           Bien qu’il n’y ait pas lieu de faire preuve de déférence envers les agents sur cette question, la teneur de l’obligation d’équité procédurale est souple et peut varier selon le contexte. En outre, conformément au paragraphe 16 de la décision Gharialia, l’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre et ils ne sont pas tenus de donner l’occasion aux demandeurs de dissiper leurs préoccupations lorsque les documents présentés à l’appui d’une demande sont incomplets, obscurs ou insuffisants de sorte qu’ils ne permettent pas à l’agent d’être convaincu que le demandeur se conforme à toutes les exigences.

[25]           En ce qui a trait à la substitution d’appréciation défavorable faite par l’agent, il a été établi que la norme de contrôle applicable aux décisions de cette nature rendues par les agents des visas est celle de la raisonnabilité (Gharialial, au paragraphe 11; Uddin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1005, au paragraphe 30 [Uddin]; Sharma, aux paragraphes 13 et 14; Roohi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1408, au paragraphe 11 [Roohi]). Parce que les agents ont une vaste expertise en matière de décisions touchant la délivrance de visas et l’admissibilité des demandeurs à la résidence permanente au Canada, il convient de faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard de cette expertise, en raison surtout du fait que répondre à la question de savoir si un demandeur a démontré qu’il pouvait réussir à s’établir économiquement est un exercice essentiellement factuel (Shirazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 306, au paragraphe 15; Philbean c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 487, au paragraphe 8; Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 302, au paragraphe 10 [Khan]).

[26]           Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit s’intéresser à la justification de la décision, à la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. Les décisions portant sur des questions de fait ou mixtes de fait et de droit ne devraient pas être modifiées dans la mesure où la décision « appart[ient] […] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 45, 47 et 48 [Dunsmuir]). Lorsqu’elle examine des conclusions de fait selon la norme de la raisonnabilité, la Cour n’a pas pour mission d’apprécier à nouveau les éléments de preuve ou l’importance relative accordée par un agent d’immigration à un facteur déterminé (Dunsmuir, au paragraphe 47; Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoynneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, au paragraphe 99).

B.                 L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[27]           La première question en litige en l’espèce est celle de savoir si l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale parce qu’il n’a pas informé adéquatement Mme Pathirannahelage de ses réserves quant à son aptitude à s’établir économiquement et de la possibilité qu’il substitue son appréciation défavorable, ou encore parce que la lettre relative à l’équité procédurale aurait pu ne pas être reçue par Mme Pathirannahelage. Compte tenu de la preuve au dossier, j’estime qu’il n’y a pas eu de manquement aux principes d’équité procédurale en l’espèce : l’agent s’est assuré d’informer Mme Pathirannahelage des éléments de preuve retenus contre elle et la lettre d’équité procédurale a été correctement envoyée à Mme Pathirannahelage par l’agent.

(1)               La demanderesse a été adéquatement informée

[28]           Je reconnais que l’obligation d’équité procédurale comprend l’obligation d’informer adéquatement le demandeur des éléments de preuve retenus contre ce dernier ainsi que celle de lui donner l’occasion de connaître les réserves exprimées par l’agent des visas et d’y répondre, ce qui implique nécessairement que le demandeur doit avoir eu une réelle possibilité de présenter les divers types de preuves intéressant son cas et d’obtenir qu’ils soient évalués pleinement et équitablement (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 28). Dans le cadre d’une demande de visa, l’obligation d’agir équitablement ne requiert cependant pas que l’agent des visas informe le demandeur des préoccupations découlant directement des exigences législatives ou règlememetaires et qu’il donne au demandeur l’occasion de le convaincre d’en faire abstraction (Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), [1996] ACF no 453, au paragraphe 7, 34 Imm LR (2d) (CFPI)).

[29]           La Cour a précisé, au fil de l’évolution de la jurisprudence, que l’obligation d’équité procédurale s’applique aux préoccupations touchant la crédibilité ainsi que la véracité et l’authencité des documents plutôt qu’au caractère suffisant de la preuve. L’agent des visas n’est pas tenu de fournir au demandeur l’occasion de dissiper ses préoccupations lorsque les documents présentés à l’appui de la demande sont incomplets, obscurs ou insuffisants de sorte qu’ils ne permettent pas  de convaincre l’agent que le demandeur se conforme à toutes les exigences qui découlent du Règlement (Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2013 CF 264, aux paragraphes 24 et 25 [Hamza]; Gharialia, aux paragraphes 16 et 17; Sharma, au paragraphe 8; Veryamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2010 CF 1268, aux paragraphes 34 à 36 [Veryamani]).

[30]           Il incombait donc à Mme Pathirannahelage d’établir, au moyen d’éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande, qu’elle répondait aux exigences du Règlement (Hamza, au paragraphe 22; Uddin, au paragraphe 38). En outre, comme je l’ai déjà souligné, l’obligation d’équité procédurale imposée à un agent des visas se trouve à l’extrémité inférieure du spectre (Hamza, au paragraphe  23).

[31]           En l’espèce, ce n’est pas l’authenticité des documents de Mme Pathirannahelage qui préoccupait l’agent, mais bien le fait qu’elle n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’elle avait la capacité de réussir son établissement économique au Canada. Étant donné que cette question concerne la suffisance de la preuve présentée par la demanderesse plutôt que sa crédibilité, l’agent n’était en fait pas tenu d’en informer Mme Pathirannahelage.

[32]           De toute façon, en l’espèce, l’agent a avisé Mme Pathirannahelage et, compte tenu de la preuve au dossier, j’estime qu’il a adéquatement informé Mme Pathirannahelage, lors de l’entrevue, des réserves qu’il avait sur son aptitude à réussir son établissement économique au Canada. Comme il l’a déclaré dans son affidavit, l’agent était préoccupé par le fait qu’elle soit incapable de trouver un emploi au Canada comme physiothérapeute et que la demanderesse ne semblait pas avoir d’autres plans en vue de se trouver un emploi [traduction« dans un domaine différent ». L’agent ajoutait que Mme Pathirannahelage avait été informée de ces préoccupations lors de l’entrevue tenue en mars 2014 et que l’occasion lui avait été offerte de les réfuter. Cette déclaration est également consignée dans les notes du SMGC versées au dossier.

[33]           Dans son affidavit, Mme Pathirannahelage affirme que l’agent ne l’a pas informée qu’il envisageait de « substituer son appréciation défavorable » dans son cas, mais elle ne conteste pas la déclaration de l’agent selon laquelle elle avait été mise au courant de ses préoccupations concernant sa capacité de réussir son établissement économique. Il est clairement indiqué dans l’affidavit de l’agent et dans les notes versées au SMGC que l’agent s’était enquis auprès de Mme Pathirannahelage de ses plans d’établissement, mais qu’il avait découvert qu’elle n’avait fait aucune recherche au sujet du Canada, sauf en ce qui a trait à certains renseignements qu’elle a reçus indiquant des possibilités d’emplois à Saskatoon. Je souligne par ailleurs que l’agent a exprimé ses préoccupations quant à la capacité de Mme Pathirannahelage de réussir son établissement dans les notes versées au SMGC la journée même où l’entrevue a eu lieu.  

[34]           Peu importe que l’agent ait précisément utilisé ou non l’expression « substituer son appréciation défavorable » tirée de l’affidavit de Mme Pathirannahelage, j’estime qu’il lui a fait part de ses préoccupations et qu’il lui a posé des questions au sujet de sa capacité de s’établir économiquement au Canada. Le fait pour l’agent de n’avoir peut‑être pas utilisé l’expression [traduction« substituer son appréciation défavorable » lors de l’entrevue ne peut constituer un manquement à l’équité procédurale dans les circonstances. Je suis plutôt d’avis que l’agent s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale et qu’il a donné à Mme Pathirannahelage l’occasion de répondre à ses préoccupations lors de l’entrevue. 

[35]           Mme Pathirannahelage cite la décision Sharma, dans laquelle la Cour a conclu que l’omission de l’agent des visas d’informer le demandeur qu’il substituerait son appréciation défavorable, en dépit du fait que le demandeur avait obtenu un nombre de points suffisant, a entraîné un manquement à son obligation d’équité procédurale. Or, cette décision est différente puisqu’il y est évident que l’agent n’avait pas fait part de ses réserves quant à la capacité du demandeur de réussir son établissement économique au Canada lors de l’entrevue. Contrairement à la situation dans la décision Sharma, il existe en l’espèce un affidavit de l’agent ainsi que des notes versées au SMGC, deux documents qui indiquent que Mme Pathirannahelage avait été informée des réserves de l’agent lors de l’entrevue.

(2)               ii. La lettre d’équité procédurale a été adéquatement envoyée

[36]           L’agent est également allé plus loin et il a envoyé la lettre d’équité procédurale à Mme Pathirannahelage; cette autre mesure prise par l’agent confirme qu’il s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale. J’examinerai maintenant les arguments soulevés par Mme Pathirannahelage concernant la lettre d’équité procédurale.

[37]           Mme Pathirannahelage insiste sur le fait que cette lettre introduit un nouvel élément d’importance, car il y est fait mention pour la première fois de la possibilité pour l’agent de [traduction« substituer son appréciation défavorable ». Elle soutient également que l’envoi de cette lettre constituait une étape essentielle de la procédure à suivre par l’agent dans le cadre du processus de la substitution d’appréciation, car conformément au guide opérationnel du ministre, les agents des visas doivent faire part par écrit de leurs réserves afin d’informer les demandeurs d’une éventuelle substitution d’appréciation et de leur offrir l’occasion d’y répondre.

[38]           Comme je l’ai déjà indiqué, il existe des éléments de preuve contradictoires en l’espèce se rapportant à la communication de cette lettre d’équité procédurale. Mme Pathirannahelage et son consultant affirment n’avoir jamais reçu la lettre, alors que l’agent dit qu’elle a été envoyée.

[39]           Il est bien établi que le demandeur, et non le bureau des visas, assume le risque du défaut de livraison lorsqu’une lettre est « correctement envoyée » par un agent des visas à une adresse (postale ou électronique) fournie par un demandeur, qu’elle n’a pas été révoquée ou révisée, et que rien n’indique que la communication a échoué (Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, au paragraphe 36 [Zare]; Yazdani, au paragraphe 45; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 935, au paragraphe 12). Le bureau des visas n’a qu’à démontrer que la lettre a été correctement envoyée. Une fois que le ministre prouve que la communication a bien été envoyée, le demandeur assume le risque du défaut de réception de la communication (Patel c Canada, 2014 CF 856, au paragraphe 16 [Patel]; Yazdani, au paragraphe 45; Ilahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1399, au paragraphe 7 [Ilahi]). L’agent des visas n’a qu’à démontrer que la lettre a été « acheminée » au demandeur, mais il n’a pas l’obligation de prouver que celui‑ci a reçu la lettre (Caglayan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 485, au paragraphe 13 [Caglayan]). De plus, le bureau des visas assume le risque du défaut de livraison seulement lorsqu’il existe une preuve objective que la correspondance n’a pas été reçue en raison d’un problème de transmission qui a été démontré (Caglayan, au paragraphe 15).

[40]           Certaines décisions de la Cour illustrent comment il est possible de prouver qu’un agent des visas a correctement transmis une communication dans des affaires, comme en l’espèce, où le courrier ordinaire a été utilisé. Dans la décision Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 935, au paragraphe 8 [Yang], la juge Snider a jugé que la lettre avait été envoyée par courrier ordinaire, à l’adresse indiquée par le demandeur, et a souligné qu’une copie de la lettre figurait au dossier, que l’adresse était correcte et que les notes électroniques indiquaient explicitement que la lettre avait été envoyée. En revanche, au paragraphe 8 de la décision Ilahi, le juge O’Reilly a conclu que le défendeur n’avait pas prouvé que l’agent des visas avait envoyé la lettre par courrier ordinaire. Bien qu’il ait été indiqué dans les notes électroniques qu’une lettre avait été envoyée, une copie de la lettre n’a pas été produite et aucune preuve directe n’établissait l’adresse où elle avait été envoyée. Dans l’affaire Caglayan, le défendeur a déposé une copie de la lettre envoyée par courrier, ainsi que l’affidavit d’une commis du service de gestion des dossiers attestant qu’elle a elle‑même envoyé cette lettre et utilisé une étiquette imprimée portant l’adresse inscrite dans le SMGC. Le juge Martineau n’a pu relever en l’espèce de faute de la part du défendeur et il a conclu que la lettre avait été envoyée (Caglayan, aux paragraphes 8 et 9, 15 et 19).

[41]           J’ouvre une parenthèse pour souligner que les affaires traitant de communications par courriel non reçu ne sont pas directement pertinentes en l’espèce, où il est question d’une lettre perdue envoyée par courrier ordinaire, et cela en raison des différences qui existent dans le système de livraison et des questions techniques qui sont souvent soulevées en matière de communications par courriel (Asoyan, aux paragraphes 21 et 22). L’affaire Yazdani ‑ dans laquelle la Cour a examiné un cas où l’agent des visas avait demandé au demandeur de produire des documents additionnels dans un courriel qui n’aurait pas été reçu ‑ a souvent été citée dans plusieurs affaires subséquentes traitant de problèmes de courriel transmis par le bureau des visas. Cette décision fait cependant partie des nombreuses causes où plusieurs demandeurs avaient eu le même problème technique lié aux communications par courriel transmises par un même bureau des visas (Alavi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 969; Zare). Il n’existe en l’espèce aucune preuve de faute de la part du bureau des visas de Colombo, contrairement à la situation dans les affaires Zare ou Yazdani.

[42]           Non seulement le bureau des visas n’a‑t‑il pas commis de faute, mais la preuve au dossier est aussi amplement suffisante pour convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la lettre d’équité procédurale a effectivement été envoyée (Patel, au paragraphe 21). Cette preuve comporte les éléments suivants. L’agent avait inscrit la mention suivante dans ses notes versées au SMGC [traduction« lettre d’équité procédurale fondée sur le par. 76(3) du Règlement » en date du 10 mars 2014. Le ministre a déposé une copie de la lettre ainsi qu’une indication qu’elle avait été envoyée à la bonne adresse figurant au dossier de Mme Pathirannahelage. La lettre de refus ultérieure a bien été reçue à la même adresse quelques mois plus tard. L’agent a envoyé la lettre selon la procédure et la pratique habituelles suivies au bureau des visas. Les notes versées au SMGC ainsi que l’affidavit de l’agent confirment que la lettre a été envoyée au consultant de Mme Pathirannahelage. Enfin, une copie de la lettre dûment datée a été versée au dossier, ce qui n’aurait pas été fait si la lettre n’avait pas été envoyée selon la pratique habituelle suivie au bureau des visas. L’avocate de Mme Pathirannahelage n’a pas contre‑interrogé l’agent sur cet élément de preuve.

[43]           Après avoir a évoqué l’historique des communications échangées entre la demanderesse et le bureau des visas, l’avocate de Mme Pathirannahelage a soutenu que l’agent aurait dû faire preuve de vigilance en l’absence de réponse par Mme Pathirannahelage à la suite à l’envoi de la lettre d’équité procédurale. Je ne peux souscrire à cet argument, car cela reporterait le fardeau sur les épaules du bureau des visas, contrairement à la jurisprudence citée ci‑dessus. Mme Pathirannahelage soutient également que je ne devrais accorder que peu de poids à cet élément de preuve parce que ce n’est pas la personne qui a envoyé la lettre qui a souscrit l’affidavit, mais plutôt l’agent qui en est l’auteur. Je ne peux non plus souscrire à cet argument, car la preuve démontre que l’agent a suivi la procédure habituelle en l’espèce. 

[44]           En outre, comme il a été dit au paragraphe 14 de la décision Yang, l’obligation de prouver la réception des lettres dans toutes les affaires imposerait aux autorités canadiennes de l’immigration un fardeau impossible à supporter compte tenu du volume de demandes traitées par les différents bureaux des visas. Pour tous ces motifs, je conclus qu’il n’y pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce étant donné que l’agent s’est assuré que Mme Pathirannahelage soit informée de la preuve retenue contre elle et que la lettre d’équité procédurale lui a été adéquatement envoyée par le bureau des visas.

C.                Le caractère raisonnable de la substitution d’appréciation défavorable faite par l’agent

[45]           Je vais maintenant examiner la question de la décision défavorable rendue par l’agent à l’issue de son appréciation de substitution. Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, la norme de la décision raisonnable s’applique à une décision de cette nature rendue par un agent des visas. La Cour accordera un degré élevé de déférence aux conclusions d’un agent concernant les points sur lesquels il décide de substituer son appréciation dans le cadre des demandes présentées au titre de la catégorie des TQF (Roohi, aux paragraphes 17 et 24 à 26; Gharialia, au paragraphe 29). Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que la décision prise par l’agent à cet égard est raisonnable et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[46]           La décision ne contient que peu de détails sur la question de savoir pourquoi l’agent n’a pas été convaincu que Mme Pathirannahelage n’aurait pas la capacité de réussir à s’établir économiquement au Canada. Il est cependant bien établi qu’il n’est pas nécessaire que la lettre de l’agent des visas, dans laquelle il communique sa décision, fasse état de tous les motifs de la décision, et il est reconnu que les notes versées au SMGC font partie intégrante des motifs et qu’il est possible de les consulter pour obtenir des renseignements supplémentaires (Rezaeiazar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 761, au paragraphe 58 [Rezaeiazar]; Veryamani, au paragraphe 28).

[47]           Dans son plaidoyer, l’avocate de Mme Pathirannahelage a insisté sur les termes [traduction« les exigences minimales de scolarité n’ont pas été respectées » employés par l’agent dans la décision et dans ses notes versées au SMGC, et elle a soutenu qu’en raison de cette formulation, le défaut de satisfaire aux exigences nécessaires à l’exercice de la physiothérapie et à l’obtention du permis d’exercice est devenu le motif principal sous‑jacent à la décision. Elle fait valoir que, ce faisant, l’agent a commis une erreur parce qu’il n’a pas adopté l’approche plus large prescrite dans les jugements Roohi et Uddin, et qu’il n’a donc pas poussé son examen au‑delà du domaine d’activités immédiat de Mme Pathirannahelage pour déterminer sa capacité de réussir son établissement au Canada. Je ne puis accepter cette interprétation.

[48]           Après avoir examiné la décision dans son ensemble et pris en compte les notes versées au SMGC, je suis plutôt d’avis que l’agent a examiné plusieurs autres éléments avant de prendre la décision de substituer son appréciation aux critères d’admissibilité. L’agent était tout à fait en droit de prendre en considération la capacité de travailler de Mme Pathirannahelage dans son domaine principal d’intérêt et de compétences, mais il a également appuyé sa conclusion sur la capacité de la demanderesse de réussir son établissement économique au Canada sur d’autres facteurs tels que, de façon générale, l’absence de plans et de recherches quant aux perspectives d’emplois ainsi que l’omission d’indiquer comment elle pourrait avoir recours aux ressources dont elle disposait au Canada. Il est mentionné dans les notes versées au SMGC que Mme Pathirannahelage avait fait peu de recherches sur ses perspectives d’établissement et d’emploi au Canada.

[49]           À la lecture des déclarations ayant trait au non‑respect des exigences minimales de scolarité  dans le contexte de l’ensemble de la décision, je conclus sans hésitation que la décision et la substitution d’appréciation défavorable constituaient une issue raisonnable pour l’agent compte tenu du dossier dont il disposait. L’agent n’a tout simplement pas été convaincu que Mme Pathirannahelage avait démontré sa capacité de réussir son établissement économique au Canada; ce genre d’appréciation porte sur des faits précis et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et de modifier l’appréciation de l’agent.

[50]           Mme Pathirannahelage fait valoir qu’elle n’avait pas à prouver qu’elle a fait les études nécessaires pour pratiquer sa profession au Canada. Je suis d’accord. Les dispositions du Règlement n’exigent pas qu’un demandeur devienne autonome sur le plan économique dans la profession à laquelle il est admissible ou que cette personne entre sur le marché du travail et exerce la profession qu’elle a indiquée dans sa demande (Uddin, au paragraphe 44; Rezaeiazar, au paragraphe 82); et ce n’est pas ce qu’a exigé l’agent en l’espèce. Cependant, conformément au paragraphe 37 du jugement Gharialia, étant donné que ce sont les compétences sur lesquelles le demandeur miserait probablement pour gagner sa vie, il est raisonnable pour l’agent des visas de vérifier si le demandeur aurait la capacité de pratiquer dans le domaine indiqué. Il était ainsi logique et raisonnable pour l’agent d’examiner, comme un facteur pertinent, mais non déterminant, la capacité de Mme Pathirannahelage de travailler dans son domaine en physiothérapie au Canada.

[51]           Mme Pathirannahelage soutient que les faits de l’affaire Gharialia se distinguent de ceux de la présente espèce, mais je ne puis voir comment. Dans l’affaire Gharialia, la demanderesse avait une expérience de travail en médecine ayurvédique, mais l’agent des visas était préoccupé du fait que ce genre de médecine n’est pas réglementé au Canada et il a conclu que la demanderesse ne serait pas apte à travailler dans ce domaine au Canada. En l’espèce, il est nécessaire pour les physiothérapeutes d’avoir fait certaines études universitaires et de détenir un permis pour pouvoir pratiquer; l’agent a accordé beaucoup d’importance à cette préoccupation, car elle pouvait avoir comme conséquence de priver Mme Pathirannahelage de sa capacité de travailler dans ce domaine. Cela dit, il ne s’agit pas d’un cas où, comme aux paragraphes 81et 82 de la décision Rezaeiazar, l’agent des visas a insisté de façon déraisonnable pour que la demanderesse démontre son autonomie sur le plan économique en tant que travailleur qualifié dans son domaine particulier d’emploi spécialisé. Les éléments de preuve au dossier et la décision ne permettent pas d’affirmer que l’agent exigeait de Mme Pathirannahelage qu’elle démontre sa capacité à travailler comme physiothérapeute, sans quoi il ne serait pas convaincu de sa capacité de réussir son établissement au Canada. Ce n’était qu’un des nombreux facteurs que l’agent a pris en compte.

[52]           Je conclus, en définitive, que les motifs exprimés par l’agent à l’appui de sa décision sont transparents et justifiables, et que sa décision de substituer son appréciation défavorable appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 53).

VIII.       Conclusion

[53]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’agent s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale lorsqu’il a discuté de ses préoccupations avec Mme Pathirannahelage lors de l’entrevue et lorsqu’il lui a envoyé la lettre d’équité procédurale. Il n’y pas eu de manquement au principe de l’équité procédurale. En ce qui a trait à la substitution faite par l’agent de son appréciation défavorable, je conclus que, dans les circonstances de l’espèce, la décision de l’agent était raisonnable.

[54]           Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et je conviens qu’il n’y en a aucune (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF n1637, au paragraphe 4).


JUGEMENT

LA COUR :

1.      REJETTE la demande de contrôle judiciaire, sans frais.

  1. DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6022‑14

INTITULÉ :

DEEPIKA SAMANTHI WIJAYANSINGHE, UTHUWAN PATHIRANNAHELAGE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Tara McElroy

POUR LA DEMANDERESSE

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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