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Date : 20150714


Dossier : IMM-7187-14

Référence : 2015 CF 865

 [TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

HAZEM HALIM ISKANDER FAHMY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La question est de savoir si M. Fahmy, un chrétien copte, risquerait sérieusement d’être persécuté, ou pire, s’il retournait en Égypte. La réponse est que je ne sais pas. Je ne sais pas parce que la décision de l’agent qui a évalué le risque comporte de grandes lacunes. La seule solution est d’accueillir la demande de contrôle de M. Fahmy et de renvoyer l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.                   Le rejet de la demande d’asile du demandeur

[2]               En 2010, alors qu’il se trouvait en Égypte, M. Fahmy, accompagné d’Emad Adly, a prêté assistance à deux jeunes femmes que l’on voulait convertir de force à l’islam à la suite de leur mariage avec des hommes musulmans. Les femmes ont été conduites à une église copte et à un centre communautaire, mais elles ont par la suite décidé de retourner auprès de leurs maris. Par la suite, il a reçu des menaces et plus tard a été arrêté, détenu et torturé.

[3]               Sa demande d’asile a été rejetée, bien qu’il ait été accepté qu’il était un chrétien copte. Toutefois, de graves problèmes de crédibilité se posaient.

[4]               La situation des chrétiens coptes a été décrite dans cette décision remontant à 2012, mais on a jugé que le traitement qu’on leur réservait ne constituait pas de la persécution.

[5]               Sa demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée.

II.                L’examen des risques avant renvoi

[6]               La Cour est ici saisie de la demande de contrôle judiciaire concernant l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) défavorable au demandeur.

[7]               Selon l’article 113 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, dans le cadre de telles demandes, le demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessible ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet.

[8]               De nombreux documents ont été déposés au sujet de ce qui est arrivé à M. Adly et du traitement plus récent réservé aux chrétiens coptes en Égypte. Pour des raisons que je ne m’explique tout simplement pas, l’agent d’ERAR a affirmé qu’il n’y avait pas de nouvelle preuve. Il y avait certainement de nouveaux éléments de preuve, lesquels n’ont pas été adéquatement examinés.

[9]               Le certificat de décès de M. Adly a été produit. Il confirme la date et le lieu du décès. Il n’y a pas d’espace sur le formulaire pour préciser quelle serait la cause du décès.

[10]           Les lettres produites par deux prêtres coptes en Égypte indiquent que M. Adly a été tué par un groupe d’hommes, membres de la Fraternité musulmane, par suite de problèmes qui ont commencé en novembre 2010, alors qu’il prêtait assistance aux deux jeunes femmes chrétiennes mentionnées précédemment.

[11]           L’un des prêtres a interrogé la mère de M. Adly et quelques témoins. Il semble qu’au moment où M. Adly est sorti de chez lui trois hommes barbus l’ont immobilisé et poignardé dans le dos et l’estomac. Ce témoignage a été rejeté à titre de ouï-dire.

[12]           Quant à la situation des chrétiens coptes en général, un nombre considérable de documents ont été déposés concernant des attaques contre des églises, des édifices religieux et les propriétés privés de chrétiens à la suite de la destitution du président Morsi en juillet 2013. Des chrétiens ont été battus avec des bâtons, poignardés ou tués.

III.             Analyse

[13]           La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada n’est pas liée par des règles de preuve strictes relatives au ouï-dire. La preuve fournie par les deux prêtres ne peut simplement être rejetée sur ce fondement. Même si le certificat de décès indiquait que M. Adly était décédé des suites de blessures causées par un couteau, à proprement parler, cela ne saurait prouver qu’il a été tué par la Fraternité musulmane, plutôt que dans une querelle de bar, par exemple. Si l’enquête avait été menée par un policier, au lieu d’un prêtre, ce rapport constituerait également du ouï-dire.

[14]           Bien qu’il ait peut-être été préférable de donner les noms et les adresses des témoins, il faut tenir compte de l’état de peur qui régnait à ce moment. Comme l’a fait remarquer un des prêtres, il a envoyé son rapport par télécopieur pour éviter que sa lettre soit interceptée par la Fraternité musulmane ou par des représentants gouvernementaux corrompus. Il est évident qu’il y avait une nouvelle preuve, laquelle a été rejetée d’emblée sur le fondement de motifs erronés.

[15]           Mise à part la situation personnelle de M. Fahmy, l’agent n’explique pas pourquoi il a conclu qu’il n’y a pas eu de changement important dans la situation du pays à l’égard de chrétiens coptes. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brusnwick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, pour déterminer si une décision est raisonnable, la cour doit se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité ».

[16]           L’arrêt Dunsmuir est nécessairement lu en corrélation avec l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708. Cette décision a écarté la proposition selon laquelle des motifs insuffisants constituent un manquement à l’obligation d’équité procédurale. Aux paragraphes 14 et 15, la Cour a souligné que les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat pour permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. « [La Cour] ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (paragraphe 15).

[17]           À mon avis, compte tenu du changement énorme de la situation en Égypte, si la Cour devait fouiller pour comparer la situation au moment de l’audience relative à la demande d’asile de M. Fahmy avec la situation au moment de l’examen des risques avant renvoi, la Cour se trouverait à empiéter sur la fonction, et le devoir, de l’agent.

[18]           Comme dans la décision Botros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1046, du juge Manson, des exemples au dossier d’oppression brutale de la part de l’État semblent avoir été rejetés ou ignorés (paragraphe 29).

[19]           Comme l’a déclaré le juge Rennie, alors juge de la Cour fédérale, dans Pathmanathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353, au paragraphe 28 :

L’arrêt Newfoundland Nurses n’autorise pas une cour à réécrire la décision qui repose sur un raisonnement erroné. La cour qui procède au contrôle peut examiner le dossier lorsqu’elle évalue si une décision est raisonnable et elle peut combler les lacunes ou tirer les conclusions qu’il est raisonnable de tirer du dossier et qui sont étayées par celui-ci. L’arrêt Newfoundland Nurses porte sur la norme de contrôle. Il n’a pas pour objet d’inviter la cour de révision à reformuler les motifs qui ont été énoncés, à modifier le fondement factuel sur lequel la décision est fondée, ou à formuler des hypothèses sur ce que le résultat aurait été si le décideur avait correctement évalué la preuve.

Tout comme dans cette affaire, je ne suis pas prêt à formuler des hypothèses sur ce qu’aurait pu être le résultat si la preuve avait été appréciée convenablement.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS;

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada pour qu’il rende une nouvelle décision.

3.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Sean Harrington »

juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-7187-14

INTITULÉ :

FAHMY c MCI ET MSPRC

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 JUILLET 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 14 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Cheryl Robinson

POUR LE DEMANDEUR

Meva Motwari

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Desloges Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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