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Dossier : T‑2132‑13

Référence : 2015 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2015

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

NICOLAS CHRISTOPHER JOSEPH TOSTI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur est un citoyen canadien actuellement incarcéré en Ohio qui a présenté une demande de transfèrement au Canada en vue d’y purger le reste de sa peine d’emprisonnement. La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle le ministre a refusé la demande de transfèrement du demandeur en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c 21 (la LTID).

[2]               L’affaire a été instruite à Toronto par vidéoconférence, le demandeur étant à Youngstown, en Ohio, et l’avocate du défendeur à Ottawa. Le demandeur s’est représenté lui‑même, mais il n’a pas été autorisé à avoir sa documentation juridique en main. Malgré ce désavantage, il était bien préparé et avait un souvenir précis du contenu des documents; l’affaire a donc pu être instruite comme prévu.

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande.

I.                   Faits

[4]               Tel qu’il est décrit dans le sommaire de son dossier du Service correctionnel du Canada (SCC) et le sommaire de son dossier du département de la Justice des États‑Unis, le demandeur a plaidé coupable et, le 14 mai 2010, a été condamné à une peine d’emprisonnement de 10 ans, avec mise en liberté surveillée à perpétuité, pour l’infraction [traduction] « tentative d’incitation d’une mineure à se livrer à des activités sexuelles ». La date prévue de mise en liberté aux États‑Unis est fixée au mois de février 2018.

[5]               Les circonstances de l’infraction sont les suivantes : en mai 2009, une agente fédérale des États‑Unis s’est fait passer pour une jeune fille de 15 ans dans un salon de clavardage en ligne et le demandeur a communiqué avec elle. Le demandeur a demandé des photos de la « jeune fille » et lui a posé des questions sexuellement explicites. La jeune fille a dit au demandeur qu’elle avait 15 ans; le demandeur lui a envoyé des vidéos de lui‑même en train de se masturber et lui a demandé de le rencontrer dans un centre commercial pour pouvoir lui apprendre comment avoir des relations sexuelles. Après un appel téléphonique avec une agente fédérale se faisant passer pour la jeune fille, ils ont tous deux convenu de se rencontrer.

[6]               Le demandeur a été arrêté à l’endroit où il avait convenu de rencontrer la jeune fille et a avoué avoir conversé en ligne, mais a nié qu’il venait la rencontrer pour se livrer à des activités sexuelles. Le demandeur a obtenu un allégement de trois niveaux de sa peine pour [traduction] « acceptation de son plaidoyer de culpabilité ».

[7]               Les États‑Unis ont approuvé le transfèrement du demandeur et ce dernier n’a ni casier judiciaire au Canada ni accusations qui pèsent contre lui aux États‑Unis. Il a seulement plaidé coupable en 2008, en Illinois, pour conduite alors que son permis était suspendu, mais ne s’est vu infliger aucune peine d’emprisonnement.

[8]               Le demandeur est actuellement incarcéré dans un établissement à sécurité minimale à Youngstown, en Ohio, et son adaptation a été satisfaisante; aucune intervention n’a été nécessaire et aucune accusation d’infraction à la discipline n’a été portée contre lui. Il a un emploi à titre de concierge des couloirs, a suivi des cours en santé et est inscrit à des cours confessionnels.

[9]               Le demandeur a déménagé en Illinois afin d’entretenir une relation avec celle qui est maintenant son ex‑épouse, une citoyenne américaine beaucoup plus âgée que lui ayant des enfants. Le demandeur se trouvait aux États-Unis avec un visa de fiancé (K‑1) jusqu’à son mariage en 2000 et son divorce, par la suite, en 2011. Comme celle qui est maintenant son ex‑épouse avait des enfants nés d’une union précédente, le couple avait l’intention de retourner au Canada, une fois que les enfants seraient assez grands. En 2008, un des enfants de l’épouse qui habitait toujours à la maison était visé par une ordonnance de la cour l’empêchant de quitter les États‑Unis, ce qui a davantage compromis les projets de retour au Canada.

[10]           Le demandeur a une sœur et un frère cadets au Canada. La sœur du demandeur qui réside au Canada a indiqué que les liens familiaux du demandeur sont solides et qu’ils s’écrivent; toutefois, elle n’est en mesure de lui offrir qu’un soutien affectif. La sœur déclare que son frère était prompt au suicide au moment de la perpétration de l’infraction, qu’il a fait une tentative de suicide et qu’on lui a maintenant diagnostiqué un trouble bipolaire. Le frère du demandeur a indiqué qu’il ne veut pas entretenir de relation avec lui.

[11]           Le demandeur a commencé à consommer de la drogue à un jeune âge et a également signalé des antécédents de violence physique, psychologique et sexuelle dès l’âge de six ans.

[12]           La note de service de Sécurité publique du Canada à l’intention du ministre ne comprend aucun avis ni aucune recommandation faite au ministre; mais elle contient seulement le résumé des faits et attire l’attention sur certains facteurs à prendre en considération. La recommandation précise uniquement que le dossier est complet et prêt à être examiné par le ministre dès que possible.

[13]           Le ministre a examiné la demande de transfèrement du demandeur en vertu de la LTID telle qu’elle était en vigueur avant les modifications du 3 mai 2012, parce que la demande a été présentée avant l’entrée en vigueur des modifications. Le ministre a tenu compte des facteurs suivants :

a)      La nature et les circonstances de l’infraction dont le demandeur a été accusé;

b)      Le fait que le demandeur a plaidé coupable et a vu la gravité de son infraction allégée de trois niveaux;

c)      L’état psychiatrique du demandeur tel qu’il est décrit dans le sommaire certifié américain du dossier d’un citoyen canadien;

d)     La violence physique, sexuelle et psychologique dont a été victime le demandeur à la maison pendant son enfance;

e)      Le demandeur n’a pas de casier judiciaire au Canada; le demandeur a plaidé coupable à des accusations de conduite avec un permis suspendu en 2008;

f)       Le demandeur vivait aux États‑Unis depuis mai 2000, il y occupait un emploi au moment de son arrestation;

g)      Le demandeur est un résident permanent des États‑Unis selon l’agence d’application de la loi américaine de l’immigration et des douanes (U.S. Immigration and Customs Enforcement) du département de la Sécurité intérieure des États‑Unis et sa dernière visite au Canada remonte en 2004. L’évaluation communautaire du SCC précise que le demandeur semble avoir délaissé le Canada et que ses liens y sont limités;

h)      Il a le soutien de sa sœur, mais uniquement un soutien affectif, et il n’est en contact ni avec son frère ni avec son père, qui vivent tous deux au Canada. La mère du demandeur est décédée en 2003 et il a une fille aux États‑Unis qui vit avec sa mère. Le demandeur a épousé une citoyenne américaine en 2000 et a divorcé en 2011;

        i.            Pendant son incarcération aux États‑Unis, le demandeur a démontré une adaptation satisfaisante au milieu carcéral, il n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire et a suivi divers cours.

[14]           Le ministre a conclu que le demandeur a joué un rôle important dans l’incitation d’une mineure à se livrer à des activités sexuelles et qu’il a sciemment questionné une jeune fille qui disait être âgée de 15 ans, a communiqué avec elle, lui a envoyé des vidéos et s’est déplacé pour tenter de se livrer à des activités sexuelles avec elle.

[15]           Le ministre a affirmé qu’il a pris en considération le fait que le demandeur :

[16]           Le ministre a conclu que le transfèrement ne faciliterait pas l’administration de la justice, notamment pour ce qui est de la sécurité publique au Canada ne faciliterait pas non plus la réinsertion sociale du demandeur dans la collectivité et, par conséquent, n’a pas consenti au transfèrement au Canada.

II.                Norme de contrôle

[17]           La norme de contrôle applicable à la décision du ministre à savoir s’il consent au transfèrement d’un détenu en vertu de la LTID est celle de la décision raisonnable. La décision relève du pouvoir discrétionnaire et commande une grande retenue (Divito c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 47 (Divito)) :

Le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre d’accueillir ou de rejeter les demandes de transfèrement de prisonniers en application de la LTID est large et souple. Dans les circonstances, il convient de faire preuve d’une grande déférence compte tenu des problèmes sociaux et politiques complexes en jeu, tels ceux de la sécurité et du terrorisme : Kamel (C.A.F.), par. 57‑59; Cotroni, p. 1489; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, par. 37-39.

Chaque décision du ministre doit néanmoins respecter les principes qui régissent le droit administratif et, bien sûr, reste sujette à un contrôle judiciaire. De plus, le pouvoir discrétionnaire du ministre doit être exercé en tenant dûment compte des droits en cause protégés par le par. 6(1) de la Charte : Doré c. Barreau du Québec, 2012 CSC 12, [2012] 1 R.C.S. 395.

[18]           La seule question à trancher est celle de savoir si la décision du ministre était raisonnable.

III.             Question préliminaire

[19]           Le défendeur soutient que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique, car le demandeur peut présenter une nouvelle demande de transfèrement un an après la date de sa première lettre de refus, ce qui signifie qu’il aurait pu présenter une nouvelle demande depuis le 3 novembre 2013. Selon le défendeur, une nouvelle demande aurait le même effet qu’un résultat positif à la présente demande de contrôle judiciaire, et, pour des raisons d’économie judiciaire, la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas entendre la demande.

[20]           Le critère relatif à la doctrine du caractère théorique est établi à la page 353 de l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 (Borowski). Le critère de l’arrêt Borowski comporte une analyse en deux temps : il faut d’abord se demander si le « différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique », puis si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire.

[21]           Le défendeur a raison de dire que le demandeur pourrait présenter une nouvelle demande, mais il serait alors assujetti aux dispositions législatives adoptées après le dépôt de sa première demande. Pour ce motif, le demandeur s’oppose fermement à la présentation d’une nouvelle demande et soutient qu’il existe toujours une question en litige puisqu’il purge toujours sa peine aux États‑Unis.

[22]           Si j’adopte la position du défendeur et que je conclus que cette affaire est théorique parce que le demandeur pourrait présenter une nouvelle demande, alors il semblerait que tous les cas de transfèrement seraient théoriques. De manière générale, il y a un délai d’au moins un an à partir de la date de la décision jusqu’à la tenue de l’audience, ce qui donne au détenu la possibilité de présenter une nouvelle demande. Ceci ferait en sorte que les décisions du ministre ne seraient jamais contrôlées. Cela étant dit, l’affaire peut être théorique en ce qui touche certains faits, mais en l’espèce, les dispositions législatives ont été modifiées depuis la première demande du demandeur.

[23]           Je n’estime pas que le différend concret et tangible a disparu et afin qu’aucun préjudice ne soit causé, j’instruirai l’affaire.

IV.             Analyse

[24]           Le ministre a reçu une note de service au sujet de la demande de transfèrement du demandeur. Cette note de service a été préparée par le SCC et était étayée par des documents. Le ministre n’est pas tenu de suivre les conseils du SCC, mais il doit fournir des motifs de sorte que la Cour puisse comprendre la raison pour laquelle le ministre a rendu sa décision.

[25]           Le demandeur a attiré l’attention sur plusieurs erreurs de fait dans la décision et soutient que la décision du ministre était déraisonnable parce que certains faits liés à sa demande ont été mal interprétés.

[26]           Le demandeur prétend que le ministre a commis une erreur lorsqu’il a déclaré que le demandeur n’a pas de relation avec son père qui vit au Canada. Le ministre n’a tenu compte ni des raisons de la relation malsaine entre le père et le fils ni des tentatives de réconciliation du fils. Le demandeur affirme qu’il s’agit d’un manque flagrant de délicatesse à son endroit que d’utiliser sa relation avec son père contre lui.

[27]           Le demandeur soutient que sa capacité de maintenir ses liens sociaux avec ses amis au Canada a été détruite par les aspects pratiques de la vie en milieu carcéral, notamment les appels téléphoniques limités, les fonds limités pour l’achat de timbres et de cadeaux, ainsi que d’autres restrictions.

[28]           Le demandeur conteste la caractérisation en vase clos que le ministre a faite de sa relation avec son frère et sa sœur, sans tenir compte des aspects humains de ces relations. Il observe un empressement de la part du ministre à interpréter certains aspects, comme la raison pour laquelle il ne peut pas vivre chez sa sœur : elle vient de se marier et habite une petite maison; ce n’est pas parce qu’elle ne veut pas de lui.

[29]           Le demandeur était préoccupé par le fait que le ministre semblait accorder beaucoup de poids au fait qu’il a un enfant né hors des liens du mariage et que cet enfant vit avec sa mère aux États‑Unis. Selon son témoignage, il a peu de contacts avec l’enfant. L’absence de contacts avec l’enfant a pris une forme plus définitive une fois qu’il a été incarcéré, étant donné qu’il croyait qu’il serait expulsé vers le Canada et n’aurait aucune possibilité d’entretenir des liens avec l’enfant. Pourtant, le fait d’avoir eu un enfant à la suite d’une liaison aux États‑Unis semblait être un facteur auquel le ministre donnait beaucoup de poids pour prouver que le demandeur ne considérait plus le Canada comme le lieu de sa résidence permanente.

[30]           Le demandeur soutient que son transfèrement au Canada correspond aux objectifs de la LTID concernant la sécurité publique, la sûreté, la réadaptation et la réinsertion sociale, et la position du ministre va carrément à l’encontre des objectifs de la LTID. Le demandeur fait valoir que s’il est transféré au Canada, il aura accès à des programmes de réadaptation et de réinsertion sociale et que, à la suite de sa mise en liberté, il serait sous la surveillance de la Commission des libérations conditionnelles ou il serait un délinquant sexuel inscrit au Canada. Il soutient que, s’il purge sa peine aux États‑Unis puis retourne au Canada à sa date de remise en liberté le 16 février 2018 (car sa citoyenneté n’est pas remise en question), il n’aura acquis aucune habileté en réinsertion sociale et ne sera soumis à la surveillance d’aucun organisme. Selon les arguments du demandeur, s’il retourne au Canada, il sera soumis à une surveillance et à un contrôle accru, il aura un casier judiciaire au Canada et s’il commettait à nouveau une infraction criminelle au Canada, il se verrait probablement infliger une peine plus sévère.

[31]           Le demandeur a également présenté des arguments selon lesquels le ministre n’a pas tenu compte de plusieurs circonstances atténuantes dans son cas, à savoir qu’il est incarcéré dans un établissement exploité en sous‑traitance par le secteur privé aux États‑Unis. Des programmes de réinsertion sociale n’y sont pas offerts aux détenus qui seront expulsés. Il soutient que, sans ces programmes de réadaptation, il sera désavantagé. À sa remise en liberté, il n’aura acquis ni compétence professionnelle ni compétence en technologie. Il soutient que le système correctionnel des États‑Unis a un taux de récidive beaucoup plus élevé que le Service correctionnel du Canada.

[32]           La Cour suprême du Canada a décrit l’objet et le contexte de la LTID dans l’arrêt Divito, précité, relativement à la constitutionnalité de l’article 10 et à savoir si les dispositions violent l’article 6 de la Charte. En droit international, le Canada n’a pas l’autorisation légale d’exiger le retour d’un citoyen détenu dans un autre pays. Des traités ont été conclus entre les États‑Unis et le Canada pour permettre aux détenus de purger leur peine dans leur pays d’origine, ce qui favorise la réadaptation et la réinsertion sociale dans un milieu plus près de leur famille, dans une culture, une langue et des usages qu’ils connaissent bien. Ni la LTID ni l’article 6 de la Charte ne créent de droit pour les citoyens canadiens incarcérés à l’étranger de revenir au Canada pour purger leur peine. Toutefois, la Cour suprême du Canada a également ajouté qu’une fois que le pays étranger a consenti au transfèrement, à l’instar du cas de M. Tosti, le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu à l’article 10 est pleinement invoqué et doit être exercé conformément aux valeurs de la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, au paragraphe 18).

[33]           L’article 10 oblige le ministre à prendre en compte tous les facteurs énumérés. Aucun facteur n’est d’importance primordiale et il faut mettre à l’avant‑plan les objets légaux énoncés à l’article 3 au moment de prendre une décision (Canada (Sécurité publique) c Carrera, 2013 CAF 277 (Carrera)).

[34]           Le juge Stratas a fourni une orientation au paragraphe 6 de l’arrêt Carrera, lorsqu’il a dit qu’une interprétation qui privilégie le facteur de l’abandon par rapport à tous les autres facteurs énoncés dans les dispositions ne constitue pas une interprétation raisonnable. Le facteur de l’abandon est une évaluation rétrospective et peut se voir accorder un poids considérable (arrêt Carrera, au paragraphe 7) cependant, « même s’il s’agissait bien d’un abandon, le ministre doit toujours procéder à l’examen décrit au point précédent. » À cet égard, au paragraphe 9, il a fourni l’orientation suivante :

Le ministre doit prendre en considération et apprécier tous les facteurs énoncés à l’article 10, à la lumière des objets de la Loi énoncés à l’article 3, à savoir « faciliter l’administration de la justice » et « la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants » en « permettant à ceux‑ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux ».

[35]           Dans l’arrêt Lau c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 1142, conf. par 2015 CAF 28, la juge Kane a résumé bon nombre des principes dont le ministre doit tenir compte :

[…]

[44] Les plus récents éclaircissements proviennent de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt LeBon. Dans cette affaire, le ministre a écarté l’avis du SCC et estimait que la probabilité que M. LeBon commette à nouveau une infraction d’organisation criminelle l’emportait sur les facteurs favorables au transfèrement. […]

[45] Ensuite, la Cour affirme ce qui suit au paragraphe 25 :

Lorsque, comme en l’espèce, il existe des facteurs favorables à un transfèrement, le ministre doit démontrer qu’il a apprécié les divers facteurs qui s’opposent pour expliquer les raisons l’ayant amené à refuser de consentir au transfèrement. Sans cette appréciation, la décision du ministre n’est ni transparente ni intelligible. Elle ne satisfait pas non plus à l’obligation légale que l’article 11(2) impose au ministre de motiver sa décision.

[36]           Dans l’arrêt Del Vecchio c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1135, au paragraphe 22 :

Ainsi que le juge Harrington le souligne au paragraphe 22 de Divito c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 983, [2009] A.C.F. no 158 (Divito CF), la question à laquelle il faut répondre n’est pas de savoir s’il aurait été raisonnable pour le ministre de consentir au transfèrement, mais plutôt s’il était déraisonnable de sa part de le refuser.

[Non souligné dans l’original.]

[37]           Le ministre a déclaré que le transfèrement a été refusé, car il n’est pas conforme aux objectifs de la LTID de l’accorder. Comme cela ressort de l’article 3, la LTID a pour but de « renforcer la sécurité publique et de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants ». Dans ses motifs, le ministre précise que les facteurs qui pèsent contre le consentement au transfèrement étaient la gravité et la nature de l’infraction, les liens limités du demandeur avec le Canada et le fait qu’il semblait que le demandeur ne considérait plus le Canada comme le lieu de sa résidence permanente.

[38]           Dans la décision Lebon c Canada, 2012 CF 1500, le juge Martineau a conclu que le ministre doit procéder à un véritable exercice de pondération des divers facteurs qui s’opposent pour expliquer pourquoi il a refusé de donner son consentement. En l’espèce, la décision du ministre semble reposer sur le rapport d’évaluation communautaire; toutefois, le ministre n’a pas pondéré clairement les divers facteurs énoncés dans la note de service à son intention ni le sommaire du SCC. Dans le sommaire, il est clairement énoncé à la section J [traduction] « Effets du transfèrement » que si le demandeur n’est pas transféré, il serait expulsé vers le Canada en 2018 et [traduction] « ne serait visé par aucune exigence en matière de surveillance ni aucun contrôle et il n’y aurait pas de dossier au Canada de sa condamnation à l’étranger ». De plus, si le demandeur est transféré, comme son infraction est qualifiée d’« infraction désignée », il serait tenu de s’inscrire au Canada en tant que délinquant sexuel. Le ministre n’adhère aucunement à la position contraire selon laquelle la sécurité du public au Canada peut être accrue du fait du transfèrement du demandeur; le ministre affirme indirectement qu’un transfèrement ne contribuerait pas à la sécurité publique alors qu’il existe des éléments de preuve clairs établissant le contraire. La preuve est simplement exposée à nouveau dans la décision, mais il n’y a aucun exercice de pondération.

[39]           En outre, ni le sommaire du SCC ni la note de service à l’intention du ministre ne comportent de déclaration au sujet de l’existence ou de l’absence de programmes de réadaptation accessibles au demandeur aux États‑Unis. Étant donné qu’il s’agit d’un objectif énoncé dans la LTID, et que le demandeur a fourni lui‑même des éléments de preuve selon lesquels aucun programme de réadaptation ne lui était offert parce qu’il est un détenu en attente d’expulsion, le ministre était également tenu de prendre ces éléments de preuve en considération. Il s’agit d’une évaluation incomplète, ce qui est inquiétant, car les éléments de preuve du demandeur relatifs à la réadaptation ne sont pas mentionnés dans la décision, la note de service ou le sommaire, mais sont un facteur primordial à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’appliquer la LTID.

[40]           Chacune des erreurs que le demandeur a relevées précédemment peut être qualifiée de désaccord avec la pondération accordée par le ministre à certains facteurs; ses arguments visent donc la pondération, plutôt qu’une issue déraisonnable. Cela s’explique par le grand pouvoir discrétionnaire conféré au ministre lorsqu’il s’agit d’évaluer un détenu en vue de son transfèrement, conformément à la LTID. Le ministre possède indubitablement un pouvoir discrétionnaire, comme cela ressort de l’arrêt Divito, mais pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit être intelligible. Comme les divers facteurs qui s’opposent n’ont pas fait l’objet d’un véritable exercice de pondération, la façon dont le ministre est arrivé à sa décision n’est pas claire, à l’instar de la raison pour laquelle les éléments de preuve solides en faveur d’un transfèrement ont été rejetés.

[41]           Tel qu’il a été indiqué à de nombreuses reprises depuis l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, il n’est pas obligatoire d’exposer chaque élément de preuve dans les motifs, mais inversement, les motifs doivent permettre à la Cour de comprendre la façon dont la décision a été prise et si elle relève d’une décision raisonnable. Le raisonnement de la décision ne peut pas être évalué en l’espèce, car le ministre n’a procédé ni à un véritable exercice de pondération ni à une évaluation des éléments de preuve contraires importants; il les a simplement tous énumérés.

[42]           De façon importante, certaines des conclusions tirées par le ministre vont directement à l’encontre de ce qui est énoncé dans la note de service et le sommaire, à savoir que le demandeur n’a pas maintenu de liens avec le Canada. La note de service précise que la sœur du demandeur affirme que les liens familiaux au Canada demeurent solides et à la section 5(C) du sommaire du SCC, il est également indiqué que le demandeur a des liens familiaux au Canada.

[43]           J’admets l’argument du défendeur voulant que le ministre ait le droit d’adopter une approche globale à l’égard de tous les facteurs pertinents et que la présence ou l’absence d’un facteur précis ne soit pas un élément déterminant, mais ce n’est pas ce qui rend la décision déraisonnable; il s’agit de l’absence totale de véritable exercice de pondération de facteurs hautement pertinents.

[44]           Je partage également l’avis du défendeur selon lequel le ministre possède le pouvoir discrétionnaire de conclure que le demandeur ne considère plus le Canada comme le lieu de sa résidence permanente lorsqu’il examine les antécédents du demandeur, plutôt que ses intentions pour l’avenir, mais je ne suis pas d’avis que le ministre a réalisé une évaluation complète de la preuve simplement en énumérant les facteurs en faveur du transfèrement. Je mets en pratique la décision du juge Stratas dans l’arrêt Carrera, précité, selon lequel même s’il s’agit bien d’un abandon, le ministre doit toujours procéder à l’examen.

[45]           Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande de transfèrement est renvoyée au ministre pour nouvel examen.

[46]           Le demandeur devrait se voir accorder 30 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour préparer et déposer des observations supplémentaires, s’il le souhaite, avant que sa demande ne soit examinée à nouveau par le ministre. Le nouvel examen doit avoir lieu conformément aux dispositions législatives en vigueur au moment du dépôt initial de la demande.

[47]           Après l’audience, le défendeur s’est désisté de sa demande visant les dépens. Le demandeur n’a pas sollicité de dépens dans sa demande, mais souhaitait se faire rembourser ses droits de dépôt, étant donné qu’il gagne actuellement 29,00 $ par mois pour son travail dans l’établissement. J’adjugerai des dépens de 250,00 $ au demandeur payables sans délai par le défendeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est accueillie et la décision est annulée et la demande de transfèrement du demandeur doit être réexaminée par le ministre conformément aux dispositions législatives en vigueur au moment du dépôt initial de la demande;

2.                  Le demandeur doit se voir accorder 30 jours à partir de la date de la présente ordonnance s’il souhaite déposer des documents, des observations ou des mises à jour supplémentaires qui seront examinés par le ministre;

3.                  Des dépens de 250,00 $, payables sans délai au demandeur, sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traducteur certifié conforme

L. Endale


ANNEXE « A »

Loi sur le transfèrement international des délinquants, LC 2004, c 21

Objet

3. La présente loi a pour objet de renforcer la sécurité publique et de faciliter l’administration de la justice et la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en permettant à ceux‑ci de purger leur peine dans le pays dont ils sont citoyens ou nationaux.

Purpose

3. The purpose of this Act is to enhance public safety and to contribute to the administration of justice and the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community by enabling offenders to serve their sentences in the country of which they are citizens or nationals.

Facteurs — délinquant canadien

10. (1) Le ministre peut tenir compte des facteurs ci-après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien :

a) le fait que, à son avis, le retour au Canada du délinquant constituera une menace pour la sécurité du Canada;

b) le fait que, à son avis, le retour au Canada du délinquant mettra en péril la sécurité publique, notamment :

(i) la sécurité de toute personne au Canada qui est victime, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, d’une infraction commise par le délinquant,

(ii) la sécurité d’un membre de la famille du délinquant, dans le cas où celui-ci a été condamné pour une infraction commise contre un membre de sa famille,

(iii) la sécurité d’un enfant, dans le cas où le délinquant a été condamné pour une infraction d’ordre sexuel commise à l’égard d’un enfant;

c) le fait que, à son avis, le délinquant est susceptible, après son transfèrement, de continuer à commettre des activités criminelles;

d) le fait que, à son avis, le délinquant a quitté le Canada ou est demeuré à l’étranger avec l’intention de ne plus considérer le Canada comme le lieu de sa résidence permanente;

e) le fait que, à son avis, l’entité étrangère ou son système carcéral constitue une menace sérieuse pour la sécurité du délinquant ou les droits attachés à sa personne;

f) le fait que le délinquant a des liens sociaux ou familiaux au Canada;

g) la santé du délinquant;

h) le refus du délinquant de participer à tout programme de réhabilitation ou de réinsertion sociale;

i) le fait que le délinquant a reconnu sa responsabilité par rapport à l’infraction pour laquelle il a été condamné, notamment en reconnaissant le tort qu’il a causé aux victimes et à la société;

j) la manière dont le délinquant sera surveillé, après son transfèrement, pendant qu’il purge sa peine;

k) le fait que le délinquant a coopéré ou s’est engagé à coopérer avec tout organisme chargé de l’application de la loi;

l) tout autre facteur qu’il juge pertinent.

Facteurs — délinquant canadien ou étranger

(2) Il peut tenir compte des facteurs ci‑après pour décider s’il consent au transfèrement du délinquant canadien ou étranger :

a) à son avis, le délinquant commettra, après son transfèrement, une infraction de terrorisme ou une infraction d’organisation criminelle, au sens de l’article 2 du Code criminel;

b) le délinquant a déjà été transféré en vertu de la présente loi ou de la Loi sur le transfèrement des délinquants, chapitre T‑15 des Lois révisées du Canada (1985).

Facteur supplémentaire : adolescent

(3) Dans le cas du délinquant canadien qui est un adolescent au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, le ministre et l’autorité provinciale compétente tiennent compte de son intérêt pour décider s’ils consentent au transfèrement.

Considération primordiale : enfant

(4) Dans le cas du délinquant canadien qui est un enfant au sens de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, son intérêt est la considération primordiale sur laquelle le ministre et l’autorité provinciale compétente se fondent pour décider s’ils consentent au transfèrement.

 

Factors — Canadian offenders

10. (1) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender, the Minister may consider the following factors:

(a) whether, in the Minister’s opinion, the offender’s return to Canada will constitute a threat to the security of Canada;

(b) whether, in the Minister’s opinion, the offender’s return to Canada will endanger public safety, including

(i) the safety of any person in Canada who is a victim, as defined in subsection 2(1) of the Corrections and Conditional Release Act, of an offence committed by the offender,

(ii) the safety of any member of the offender’s family, in the case of an offender who has been convicted of an offence against a family member, or

(iii) the safety of any child, in the case of an offender who has been convicted of a sexual offence involving a child;

(c) whether, in the Minister’s opinion, the offender is likely to continue to engage in criminal activity after the transfer;

(d) whether, in the Minister’s opinion, the offender left or remained outside Canada with the intention of abandoning Canada as their place of permanent residence;

(e) whether, in the Minister’s opinion, the foreign entity or its prison system presents a serious threat to the offender’s security or human rights;

(f) whether the offender has social or family ties in Canada;

(g) the offender’s health;

(h) whether the offender has refused to participate in a rehabilitation or reintegration program;

(i) whether the offender has accepted responsibility for the offence for which they have been convicted, including by acknowledging the harm done to victims and to the community;

(j) the manner in which the offender will be supervised, after the transfer, while they are serving their sentence;

(k) whether the offender has cooperated, or has undertaken to cooperate, with a law enforcement agency; or

(l) any other factor that the Minister considers relevant.

Factors — Canadian and foreign offenders

(2) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian or foreign offender, the Minister may consider the following factors:

(a) whether, in the Minister’s opinion, the offender will, after the transfer, commit a terrorism offence or criminal organization offence within the meaning of section 2 of the Criminal Code; and

(b) whether the offender was previously transferred under this Act or the Transfer of Offenders Act, chapter T-15 of the Revised Statutes of Canada, 1985.

Additional factor — Canadian young persons

(3) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender who is a young person within the meaning of the Youth Criminal Justice Act, the Minister and the relevant provincial authority shall consider the best interests of the young person.

Primary consideration — Canadian children

(4) In determining whether to consent to the transfer of a Canadian offender who is a child within the meaning of the Youth Criminal Justice Act, the primary consideration of the Minister and the relevant provincial authority is to be the best interests of the child.

Charte canadienne des droits et libertés, Lois constitutionnelles de 1867 et de 1982

Liberté de circulation

6. (1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir.

Liberté d’établissement

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit :

a) de se déplacer dans tout le pays et d’établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

Restriction

(3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;

b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

Programmes de promotion sociale

(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

Mobility of citizens

6. (1) Every citizen of Canada has the right to enter, remain in and leave Canada.

Rights to move and gain livelihood

(2) Every citizen of Canada and every person who has the status of a permanent resident of Canada has the right

(a) to move to and take up residence in any province; and

(b) to pursue the gaining of a livelihood in any province.

Limitation

(3) The rights specified in subsection (2) are subject to

(a) any laws or practices of general application in force in a province other than those that discriminate among persons primarily on the basis of province of present or previous residence; and

(b) any laws providing for reasonable residency requirements as a qualification for the receipt of publicly provided social services.

Affirmative action programs

(4) Subsections (2) and (3) do not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration in a province of conditions of individuals in that province who are socially or economically disadvantaged if the rate of employment in that province is below the rate of employment in Canada.

 



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