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Date : 20150622


Dossier : T-1954-14

Référence : 2015 CF 776

Ottawa, Ontario, le 22 juin 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ROGER CODERRE,

MADELEINE CODERRE,

JOCELYN CODERRE,

RICHARD CODERRE,

ST-GERMAIN TRANSPORT LTÉE,

LES IMMEUBLES S.G.T. LTÉE ET

GESTION S.G.T. LTÉE

demandeurs

et

LA COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Dans la présente affaire, les demandeurs Roger Coderre, son épouse, ses deux enfants et trois compagnies contrôlées par lui ou un membre de sa famille ont déposé une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, ch F-7 en vue d’obtenir la délivrance d’un bref de mandamus enjoignant à la défenderesse, la Commissaire à l’information du Canada [la Commissaire], de leur transmettre les comptes rendus des conclusions de différentes enquêtes qu’elle a initiées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch A-1 [la LAI].

[2]               Ces enquêtes ont été amorcées par la Commissaire suite à des plaintes déposées auprès d’elle par les demandeurs après qu’ils se soient vu refuser la communication de certains documents demandés à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, maintenant l’Agence du revenu du Canada [ARC].

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Faits

[4]               Le demandeur Roger Coderre est l’époux de la demanderesse Madeleine Coderre et le père des deux demandeurs Richard Coderre et Jocelyn Coderre. Roger Coderre est également le président de la demanderesse St-Germain Transport Ltée [SGT] et agissait aussi comme président de la demanderesse Gestions S.G.T. Ltée [Gestions] avant la fusion de cette dernière. SGT est une société de portefeuilles, tout comme l’était Gestions. Le demandeur Richard Coderre est pour sa part le président de la troisième compagnie demanderesse Les Immeubles S.G.T. Ltée [Immeubles].

[5]               La Commissaire est une agente indépendante du Parlement du Canada ayant pour rôle d’appliquer la LAI et d’enquêter sur les plaintes qui lui sont faites, en vertu de la LAI, relativement à des refus de communication totale ou partielle de documents par une institution fédérale.

[6]               Le 10 novembre 2003, les demandeurs ont reçu des avis de nouvelles cotisations émis par l’ARC en application de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 (5e suppl.) [Loi de l’impôt], eu égard aux revenus déclarés par les demandeurs pour les années 1997 à 2000.

[7]               Le 16 janvier 2014, six des demandeurs ont fait une demande à l’ARC afin d’obtenir la communication de documents qui avaient été saisis par l’ARC lors de son enquête menant aux avis de nouvelles cotisations. Le 22 janvier 2014, le septième demandeur Jocelyn Coderre a lui aussi fait une demande similaire de communication de documents à l’ARC. Ces demandes de communication de documents visaient à obtenir « [t]ous les documents en possession de Revenu Canada concernant la nouvelle cotisation pour les années 1997 à 2000 ». En outre, les demandeurs y recherchaient l’obtention de certains documents en priorité.

[8]               En date du 28 février 2014, l’ARC a émis, en vertu de l’article 9 de la LAI, un avis de prorogation du délai pour répondre aux demandes de communication de documents formulées par les demandeurs. Par cet avis de prorogation, l’ARC informait les demandeurs qu’elle prolongeait d’une durée additionnelle de 180 jours le délai qui lui est conféré par la LAI pour répondre à leurs demandes. L’article 7 de la LAI stipule que l’institution fédérale qui reçoit une demande de communication est tenue d’y répondre dans un délai de 30 jours, à moins qu’il n’y ait prorogation.

[9]               Le 12 mars 2014, chacun des demandeurs a alors transmis une  plainte à la Commissaire, alléguant que le délai de prorogation décrété par l’ARC était excessif [plaintes sur la prorogation de délai].

[10]           Par la suite, entre le 27 mars et 6 août 2014, l’ARC a transmis aux demandeurs certains des documents dont ils avaient requis la communication, parmi lesquels figuraient une partie des documents demandés en priorité. Ces communications de documents comportaient toutefois plusieurs expurgations invoquées par l’ARC pour divers motifs prévus à la LAI. Ces transmissions de documents par l’ARC ont alors toutes fait l’objet d’une deuxième série de cinq plaintes de la part des demandeurs, au motif que plusieurs pages en avaient été expurgées ou retirées de façon injustifiée [plaintes sur l’application d’exceptions].

[11]           Ces cinq plaintes sur l’application d’exceptions ont été déposées par les demandeurs auprès de la Commissaire entre le 2 avril et le 11 août 2014.

[12]           Le 28 août 2014, le délai additionnel de 180 jours dont bénéficiait l’ARC est venu à échéance. Toutefois, l’ARC n’a pas alors transmis aux demandeurs l’ensemble des documents qui lui avaient été initialement demandés.

[13]           En date du 8 septembre 2014, les demandeurs ont complété et déposé une troisième série de plaintes, fondées cette fois sur la notion de « présomption de refus » prévue à l’article 10 de la LAI [plaintes sur les présomptions de refus]. Dans ces sept plaintes sur les présomptions de refus, les demandeurs alléguaient que l’ARC avait fait défaut de leur transmettre l’ensemble des documents visés par leurs demandes de communication de documents, malgré l’expiration du délai additionnel dont disposait l’ARC pour ce faire.

[14]           Le 12 septembre 2014, les demandeurs ont initié la présente demande de contrôle judiciaire aux termes de laquelle ils recherchent l’émission d’une ordonnance de mandamus obligeant la Commissaire à transmettre, dans les 30 jours du jugement, les comptes rendus des conclusions de ses enquêtes portant sur l’ensemble des plaintes formulées par les demandeurs, alors au nombre de 19.

[15]           Le 5 novembre 2014, la Commissaire a envoyé ses comptes rendus de conclusions à l’ARC et à chacun des demandeurs eu égard à la première série de sept plaintes portant sur la prorogation de délai et déposées le 12 mars 2014. L’enquête de la Commissaire sur ces sept plaintes initiales ayant été conclue, cette portion de la présente demande de contrôle judiciaire est maintenant théorique et il n’est donc pas nécessaire de s’y pencher et d’en traiter ici (Nichol c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2001 CFPI 412, aux paras. 6-7).

[16]           Les enquêtes de la Commissaire concernant les 12 autres plaintes des demandeurs portant sur l’application d’exceptions ou sur les présomptions de refus ne sont toutefois pas conclues.

III.             Question en litige

[17]           La seule question soulevée par la cause en instance est de déterminer si les demandeurs ont satisfait les conditions justifiant la Cour d’exercer sa discrétion et de délivrer un bref de mandamus ordonnant à la Commissaire de fournir les comptes rendus des conclusions de ses enquêtes concernant les diverses plaintes déposées par les demandeurs.

IV.             Dispositions législatives applicables

[18]           Les dispositions pertinentes de la LAI se retrouvent aux articles 30, 34, 35, 37, 41, 62 et 63 de la loi. Elles se lisent comme suit :

Réception des plaintes et enquêtes

Receipt and investigation of complaints

30. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes :

30. (1) Subject to this Act, the Information Commissioner shall receive and investigate complaints;

a) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication totale ou partielle d’un document qu’elles ont demandé en vertu de la présente loi;

(a) from persons who have been refused access to a record requested under this Act or a part thereof;

b) déposées par des personnes qui considèrent comme excessif le montant réclamé en vertu de l’article 11;

(b) from persons who have been required to pay an amount under section 11 that they consider unreasonable;

c) déposées par des personnes qui ont demandé des documents dont les délais de communication ont été prorogés en vertu de l’article 9 et qui considèrent la prorogation comme abusive;

(c) from persons who have requested access to records in respect of which time limits have been extended pursuant to section 9 where they consider the extension unreasonable;

d) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la traduction visée au paragraphe 12(2) ou qui considèrent comme contre-indiqué le délai de communication relatif à la traduction;

(d) from persons who have not been given access to a record or a part thereof in the official language requested by the person under subsection 12(2), or have not been given access in that language within a period of time that they consider appropriate;

d.1) déposées par des personnes qui se sont vu refuser la communication des documents ou des parties en cause sur un support de substitution au titre du paragraphe 12(3) ou qui considèrent comme contre-indiqué le délai de communication relatif au transfert;

(d.1) from persons who have not been given access to a record or a part thereof in an alternative format pursuant to a request made under subsection 12(3), or have not been given such access within a period of time that they consider appropriate;

e) portant sur le répertoire ou le bulletin visés à l’article 5;

(e) in respect of any publication or bulletin referred to in section 5; or

f) portant sur toute autre question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi.

(f) in respect of any other matter relating to requesting or obtaining access to records under this Act.

Note marginale : Entremise de représentants

Marginal note: Complaints submitted on behalf of complainants

(2) Le Commissaire à l’information peut recevoir les plaintes visées au paragraphe (1) par l’intermédiaire d’un représentant du plaignant. Dans les autres articles de la présente loi, les dispositions qui concernent le plaignant concernent également son représentant.

(2) Nothing in this Act precludes the Information Commissioner from receiving and investigating complaints of a nature described in subsection (1) that are submitted by a person authorized by the complainant to act on behalf of the complainant, and a reference to a complainant in any other section includes a reference to a person so authorized.

Note marginale : Plaintes émanant du Commissaire à l’information

Marginal note: Information Commissioner may initiate complaint

(3) Le Commissaire à l’information peut lui-même prendre l’initiative d’une plainte s’il a des motifs raisonnables de croire qu’une enquête devrait être menée sur une question relative à la demande ou à l’obtention de documents en vertu de la présente loi.

(3) Where the Information Commissioner is satisfied that there are reasonable grounds to investigate a matter relating to requesting or obtaining access to records under this Act, the Commissioner may initiate a complaint in respect thereof.

[…]

[…]

Procédure

Regulation of procedure

34. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information peut établir la procédure à suivre dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions.

34. Subject to this Act, the Information Commissioner may determine the procedure to be followed in the performance of any duty or function of the Commissioner under this Act.

Secret des enquêtes

Investigations in private

35. (1) Les enquêtes menées sur les plaintes par le Commissaire à l’information sont secrètes.

35. (1) Every investigation of a complaint under this Act by the Information Commissioner shall be conducted in private.

Note marginale : Droit de présenter des observations

Marginal note: Right to make representations

(2) Au cours de l’enquête, les personnes suivantes doivent avoir la possibilité de présenter leurs observations au Commissaire à l’information, nul n’ayant toutefois le droit absolu d’être présent lorsqu’une autre personne présente des observations au Commissaire à l’information, ni d’en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet :

(2) In the course of an investigation of a complaint under this Act by the Information Commissioner, a reasonable opportunity to make representations shall be given to

a) la personne qui a déposé la plainte;

(a) the person who made the complaint,

b) le responsable de l’institution fédérale concernée;

(b) the head of the government institution concerned, and

c) un tiers, s’il est possible de le joindre sans difficultés, dans le cas où le Commissaire à l’information a l’intention de recommander, aux termes du paragraphe 37(1), la communication de tout ou partie d’un document qui contient ou est, selon lui, susceptible de contenir des secrets industriels du tiers, des renseignements visés aux alinéas 20(1)b) ou b.1) qui ont été fournis par le tiers ou des renseignements dont la communication risquerait, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

(c) a third party if (i) the Information Commissioner intends to recommend the disclosure under subsection 37(1) of all or part of a record that contains — or that the Information Commissioner has reason to believe might contain — trade secrets of the third party, information described in paragraph 20(1)(b) or (b.1) that was supplied by the third party or information the disclosure of which the Information Commissioner can reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of the third party, and (ii) the third party can reasonably be located.

However no one is entitled as of right to be present during, to have access to or to comment on representations made to the Information Commissioner by any other person.

[…]

[…]

Conclusions et recommandations du Commissaire à l’information

Findings and recommendations of Information Commissioner

37. (1) Dans les cas où il conclut au bien-fondé d’une plainte portant sur un document, le Commissaire à l’information adresse au responsable de l’institution fédérale de qui relève le document un rapport où :

37. (1) If, on investigating a complaint in respect of a record under this Act, the Information Commissioner finds that the complaint is well-founded, the Commissioner shall provide the head of the government institution that has control of the record with a report containing

a) il présente les conclusions de son enquête ainsi que les recommandations qu’il juge indiquées;

(a) the findings of the investigation and any recommendations that the Commissioner considers appropriate; and

b) il demande, s’il le juge à propos, au responsable de lui donner avis, dans un délai déterminé, soit des mesures prises ou envisagées pour la mise en oeuvre de ses recommandations, soit des motifs invoqués pour ne pas y donner suite.

(b) where appropriate, a request that, within a time specified in the report, notice be given to the Commissioner of any action taken or proposed to be taken to implement the recommendations contained in the report or reasons why no such action has been or is proposed to be taken.

Compte rendu au plaignant

Report to complainant and third parties

(2) Le Commissaire à l’information rend compte des conclusions de son enquête au plaignant et aux tiers qui pouvaient, en vertu du paragraphe 35(2), lui présenter des observations et qui les ont présentées; toutefois, dans les cas prévus à l’alinéa (1)b), le Commissaire à l’information ne peut faire son compte rendu qu’après l’expiration du délai imparti au responsable de l’institution fédérale.

(2) The Information Commissioner shall, after investigating a complaint under this Act, report to the complainant and any third party that was entitled under subsection 35(2) to make and that made representations to the Commissioner in respect of the complaint the results of the investigation, but where a notice has been requested under paragraph (1)(b) no report shall be made under this subsection until the expiration of the time within which the notice is to be given to the Commissioner.

[…]

[…]

Révision par la Cour fédérale

Review by Federal Court

41. La personne qui s’est vu refuser communication totale ou partielle d’un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l’information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

41. Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

[…]

[…]

Secret

Confidentiality

62. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Commissaire à l’information et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que leur confère la présente loi.

62. Subject to this Act, the Information Commissioner and every person acting on behalf or under the direction of the Commissioner shall not disclose any information that comes to their knowledge in the performance of their duties and functions under this Act.

Divulgation autorisée

Disclosure authorized

63. (1) Le Commissaire à l’information peut divulguer, ou autoriser les personnes agissant en son nom ou sous son autorité à divulguer, les renseignements :

63. (1) The Information Commissioner may disclose or may authorize any person acting on behalf or under the direction of the Commissioner to disclose information

a) qui, à son avis, sont nécessaires pour :

(a) that, in the opinion of the Commissioner, is necessary to

(i) mener une enquête prévue par la présente loi,

(i) carry out an investigation under this Act, or

(ii) motiver les conclusions et recommandations contenues dans les rapports et comptes rendus prévus par la présente loi;

(ii) establish the grounds for findings and recommendations contained in any report under this Act; or

b) dont la divulgation est nécessaire, soit dans le cadre des procédures intentées pour infraction à la présente loi ou pour une infraction à l’article 131 du Code criminel (parjure) se rapportant à une déclaration faite en vertu de la présente loi, soit lors d’un recours en révision prévu par la présente loi devant la Cour ou lors de l’appel de la décision rendue par celle-ci.

(b) in the course of a prosecution for an offence under this Act, a prosecution for an offence under section 131 of the Criminal Code (perjury) in respect of a statement made under this Act, a review before the Court under this Act or an appeal therefrom.

[nos soulignements]

[emphasis added]

V.                Prétentions des parties

[19]           Les demandeurs soutiennent qu’ils auraient dû, à ce jour, recevoir les comptes rendus des conclusions de la Commissaire relativement aux plaintes déposées, et qu’il est manifestement déraisonnable et contraire aux règles de justice naturelle qu’ils ne les aient pas encore reçus. Selon les demandeurs, le défaut de la Commissaire de transmettre ces comptes rendus les empêche de pouvoir déposer une demande de contrôle judiciaire, aux termes de l’article 41 de la LAI, à l’encontre des décisions de l’ARC qui leur refusent la communication de certaines informations et documents sous le couvert d’exclusions législatives contenues à la loi.

[20]           En effet, suivant cet article 41 de la LAI, le dépôt d’une plainte auprès de la Commissaire et l’obtention d’un compte rendu de sa part sur les conclusions de son enquête constituent une condition préalable pour pouvoir faire une demande de contrôle judiciaire à l’encontre du refus d’une institution fédérale de communiquer totalement ou partiellement certains documents (Statham c Société Radio-Canada, 2010 CAF 315; Whitty c Canada (Procureur général), 2013 CF 595). Les demandeurs affirment que, si la Commissaire devait disposer d’un délai supplémentaire pour transmettre ses comptes rendus, il pourrait en résulter une transmission de documents à un moment où ceux-ci deviendraient dénués de toute pertinence pour les demandeurs. Dans de telles circonstances, prétendent les demandeurs, il s’agit d’un cas clair permettant l’émission d’une ordonnance de mandamus puisque les conditions établies par la jurisprudence sont alors satisfaites (Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex]; Nautica Motors Inc c Canada (Ministre du revenu national), 2002 CFPI 422).

[21]           Plus particulièrement, les demandeurs soutiennent qu’ils ont établi l’existence de leur droit et ont déjà accordé un délai plus que raisonnable à la Commissaire, que la nature du pouvoir dont est investie la Commissaire aux termes de la LAI est un pouvoir lié et non discrétionnaire, qu’ils ne disposent d’aucun recours autre que la présente demande en mandamus, et que la balance des inconvénients penche en leur faveur.

[22]           Dans leurs représentations orales devant la Cour, les demandeurs ont aussi fait valoir que le délai écoulé pour recevoir les comptes rendus des conclusions de la Commissaire est déraisonnable par rapport au délai normalement inhérent dans ce type de dossiers. La présente situation rencontre donc, aux dires des demandeurs, les critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 [Blencoe] pour établir qu’un délai encouru devant un organisme administratif est déraisonnable. En fait, les demandeurs soulignent que le silence de la Commissaire les empêche même de savoir où en est rendu le traitement de leurs plaintes et qu’aucune justification n’a été fournie par la Commissaire pour expliquer la lenteur dans la progression de ses enquêtes sur les plaintes des demandeurs.

[23]           La Commissaire affirme en revanche que les demandeurs n’ont pas démontré que les conditions nécessaires pour la délivrance d’une ordonnance de mandamus, telles que celles-ci ont été énumérées dans l’affaire Apotex, sont réunies en l’espèce. En effet, selon la Commissaire, ces critères doivent être strictement remplis et sont cumulatifs (Rocky Mountain Ecosystem Coalition c Canada (Office national de l’énergie) (1999), 174 FTR 17 [Rocky Mountain]). Or, la Commissaire souligne ne pas avoir refusé, expressément ou implicitement, d’enquêter sur les plaintes des demandeurs ou de leur transmettre ses comptes rendus; il s’agit tout simplement d’une situation où ses enquêtes sont toujours en cours et ne sont pas encore bouclées. Compte tenu de la nature du processus d’enquête exigé par la LAI, et des différentes étapes que la loi lui impose, la Commissaire soutient que les délais encourus en l’espèce ne sont pas déraisonnables.

[24]           Au surplus, selon la Commissaire, les demandeurs disposent d’un autre recours (aux termes de la Loi de l’impôt) pour obtenir directement de l’ARC la communication des documents qu’ils requièrent en vertu de la LAI, et ils n’ont pas démontré que la balance des inconvénients milite en faveur de l’émission de l’ordonnance demandée.

[25]           Par ailleurs, la Commissaire fait observer qu’à l’égard des sept plaintes sur les présomptions de refus, la demande de contrôle judiciaire logée par les demandeurs est manifestement prématurée puisqu’elle a été introduite avant même la réception, par les demandeurs, de l’accusé de réception de ces plaintes envoyé par la Commissaire. Enfin, la Commissaire soutient qu’aux termes des dispositions de la LAI, les demandeurs n’ont pas un droit acquis à recevoir des comptes rendus de ses conclusions d’enquête, mais que leur droit se limite à demander, par le biais d’une plainte, la tenue d’une enquête par la Commissaire suite au refus d’une institution fédérale de communiquer certains documents.

VI.             Analyse

[26]           Les conditions que doit satisfaire un demandeur pour convaincre la Cour qu’une ordonnance de mandamus peut être rendue ont été établies par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex. Ces conditions peuvent se résumer comme suit en ce qui concerne l’exercice d’un pouvoir lié et non discrétionnaire comme celui de la Commissaire en vertu de la LAI :

  1. Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;
  2. L’obligation doit exister envers le demandeur;

3.      Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a.       Le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b.      Il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) un refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

  1. Le demandeur n’a aucun autre recours;
  2. L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;
  3. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime qu’en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;
  4. Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[27]           Le mandamus est un recours extraordinaire. Les critères à satisfaire pour l’émission d’une ordonnance de mandamus sont cumulatifs et toutes les conditions exposées dans l’arrêt Apotex doivent donc être strictement remplies pour qu’un bref de mandamus puisse être délivré (Rocky Mountain, au para. 30).

[28]           Compte tenu du caractère cumulatif de ces conditions, il suffit, pour disposer de la demande de contrôle judiciaire dans le cas qui nous occupe, de traiter du troisième critère mentionné plus haut, à savoir l’existence « d’un droit clair d’obtenir l’exécution d’une obligation », lequel comprend la nature raisonnable ou déraisonnable du délai d’exécution de l’obligation. En effet, je suis d’avis que, dans la présente affaire, les demandeurs ne satisfont pas cette condition nécessaire pour permettre l’émission d’une ordonnance de mandamus contre la Commissaire : la Commissaire n’a pas fait défaut d’exécuter une obligation imposée par la LAI, et aucun délai déraisonnable ne s’est écoulé dans le traitement des plaintes des demandeurs.

[29]           Je rappelle qu’en ce qui a trait aux cinq plaintes sur l’application d’exceptions, la première a été déposée le 2 avril 2014 tandis que la dernière date du 11 août 2014. De leur côté, les sept plaintes sur les présomptions de refus portent toutes la date du 8 septembre 2014. Au moment du dépôt de la demande de contrôle judiciaire par les demandeurs le 12 septembre 2014, le délai écoulé depuis la date de la première plainte sur l’application d’exceptions était donc d’un peu plus de cinq mois, et d’à peine quatre jours pour les plaintes les plus récentes sur les présomptions de refus. En date du présent jugement, le délai qui s’est écoulé depuis le dépôt des différentes plaintes des demandeurs à la Commissaire varie pour sa part d’un minimum d’un peu plus de 9 mois pour la plus récente à un maximum d’un peu plus de 14 mois et demi pour la plus ancienne.

A.                Absence de refus de la part de la Commissaire

[30]           La preuve au dossier révèle que la Commissaire a effectivement amorcé une enquête sur les plaintes des demandeurs, tel que le prescrit l’article 30 de la LAI, et qu’il n’y a pas eu de refus d’exécuter cette obligation de la part de la Commissaire. En effet, les enquêtes de la Commissaire sur les plaintes des demandeurs sont toujours en cours et ne sont pas encore conclues, que ce soit pour les plaintes sur l’application d’exceptions ou pour celles sur les présomptions de refus. Et rien n’indique ou ne suggère que la Commissaire ne poursuit pas ses enquêtes.

[31]           Quant à l’obligation de rendre compte des conclusions de ses enquêtes, prévue à l’article 37(2) de la LAI, celle-ci n’est déclenchée que dans les cas où, aux termes de l’article 37(1) de la LAI, la Commissaire « conclut au bien-fondé d’une plainte portant sur un document », ce qui ne peut survenir qu’une fois complétée l’enquête de la Commissaire sur la plainte en question.

[32]           Signalons que la LAI ne précise ou n’impose aucun délai à la Commissaire pour compléter ses enquêtes et pour délivrer les comptes rendus de ses conclusions d’enquête aux termes de l’article 37 de la loi. De plus, aucune disposition de la LAI ne contraint la Commissaire à un devoir de diligence dans la conduite de ses enquêtes ou dans la délivrance de ses comptes rendus. Enfin, l’article 34 de la LAI prévoit expressément que la Commissaire est maître de sa procédure dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions.

[33]           Non seulement la Commissaire n’a-t-elle pas refusé d’exécuter les obligations que lui impose la LAI mais elle a également suivi, eu égard aux plaintes des demandeurs, la procédure et les exigences prescrites par la LAI pour la conduite de ses enquêtes.

[34]           Le processus d’enquête mis en place par la LAI suite au dépôt de plaintes comme celles des demandeurs comporte de nombreuses étapes et assujettit la Commissaire à plusieurs obligations comme celles d’assurer la nature secrète de l’enquête (article 35) ou de permettre au plaignant et à l’institution fédérale de faire des représentations (article 35), pour éventuellement formuler des conclusions et en discuter au besoin avec l’institution fédérale (article 37). Ce n’est qu’au  terme de tout ce processus que la Commissaire peut clore son enquête et transmettre le compte rendu de ses conclusions au plaignant aux termes de l’article 37 de la LAI.

[35]           La Cour d’appel fédérale a incidemment qualifié ces pouvoirs d’enquête de la Commissaire de « pierre angulaire » du régime d’accès à l’information au Canada (Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la défense nationale) (1999), 240 N.R. 244, au para. 27; Statham c Société Radio-Canada, 2009 CF 1028, au para. 18).

[36]           Il ressort donc à l’évidence que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est prématurée car la Commissaire a encore besoin de temps pour compléter son enquête sur leurs plaintes avant d’être en mesure de produire les comptes rendus de ses conclusions.

[37]           Cette Cour a d’ailleurs affirmé, dans le contexte d’une demande de résidence permanente aux termes de la législation canadienne en matière d’immigration, qu’un délai raisonnable doit être accordé à un organisme administratif pour permettre aux décideurs d’examiner et d’analyser les faits et de compléter leur enquête (Hechavarria c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la protection civile), 2010 CF 767, au para. 16). Lorsque la demande qui fait l’objet d’un recours en mandamus est toujours en cours de traitement et que le dossier progresse, comme c’est le cas ici, il est indéniable que l’une des conditions pour l’émission d’un bref de mandamus n’est pas rencontrée puisqu’il n’y a alors pas un refus catégorique de la part de l’organisme administratif de traiter la demande du demandeur.

[38]           Je note enfin que, non seulement les plaintes des demandeurs sont-elles toujours en cours de traitement au niveau de la Commissaire, mais le délai de traitement des plaintes n’aura aucunement pour effet de priver les demandeurs de leur droit d’intenter un recours en révision judiciaire, aux termes de l’article 41 de la LAI, à l’encontre de toute décision éventuelle de l’ARC de leur refuser la communication de certains documents suite au rapport d’enquête de la Commissaire. En effet, ce n’est qu’à compter de la réception du compte rendu des conclusions de la Commissaire que commence à courir le délai pour intenter le recours prévu à l’article 41.

[39]           De plus, tel que le mentionne la Commissaire, il se peut que, suite à la conclusion de son enquête et la transmission de ses comptes rendus et recommandations à l’ARC, l’institution fédérale décide de remettre les documents dont les demandeurs ont demandé la communication. En cas contraire, les demandeurs pourront alors demander le contrôle judiciaire du refus de l’ARC de communiquer ces documents. Dans chaque cas de figure, il est clair que le délai encouru dans le traitement des plaintes des demandeurs et l’émission des comptes rendus de ses conclusions d’enquête par la Commissaire ne cause aucun préjudice aux demandeurs.

[40]           Il ne s’agit pas d’une situation où le délai écoulé cause un préjudice important au demandeur, permettant alors de qualifier ce délai de déraisonnable (Vaziri c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 1159, au para. 52 [Vaziri]; Blencoe, au para. 101).

B.                 Absence de délai déraisonnable

[41]           Reste toutefois à déterminer si le temps écoulé jusqu’à maintenant pour compléter les enquêtes sur les plaintes des demandeurs et émettre les comptes rendus des conclusions de la Commissaire peut être considéré comme un délai déraisonnable.

[42]           Dans l’affaire Conille c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 C.F. 33, au para. 23 [Conille], la Cour fédérale a établi que les trois conditions suivantes doivent être réunies pour qu’un délai soit jugé déraisonnable : le délai a été plus long que le délai nécessaire normalement exigé par la nature du processus et pour la conduite des procédures en question; le demandeur et son conseiller juridique n’en sont pas responsables; et le tribunal administratif ne peut justifier de façon satisfaisante le délai écoulé.

[43]           Ajoutons que, comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Blencoe, au para. 122, la question de savoir si un délai est devenu excessif dépend notamment de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, ainsi que de l’objet et de la nature des procédures.

[44]           Il n’est pas contesté que les demandeurs et leurs conseillers juridiques ne sont pas responsables du délai écoulé.

[45]           Cependant, je suis d’avis, suite à l’analyse de la preuve au dossier et considérant les dispositions de la LAI, que les demandeurs n’ont pas démontré que le délai encouru pour le traitement des plaintes des demandeurs excède le délai exigé pour la conduite d’une enquête par la Commissaire. De plus, la Commissaire a justifié, de façon satisfaisante, le délai écoulé dans le traitement des plaintes des demandeurs.

[46]           En effet, un délai maximal d’un peu plus de cinq mois à la date où la présente demande de contrôle judiciaire a été initiée (ou d’un peu plus de 14 mois et demi à la date du présent jugement) ne saurait constituer un délai qui excède ce que la nature du processus prévu par la LAI exige de façon prima facie. Compte tenu de l’ensemble des étapes exigées par le processus d’enquête de la LAI, je suis d’avis que le délai écoulé pour compléter l’enquête sur les plaintes des demandeurs et formuler les comptes rendus de conclusions n’est aucunement déraisonnable.

[47]           Selon la preuve apportée par la Commissaire, la durée des enquêtes sur les plaintes des demandeurs n’est pas plus longue que les délais usuellement encourus par la Commissaire dans ce type de dossiers. Les rapports  déposés par la Commissaire indiquent notamment qu’en 2013-2014, 63% des plaintes reçues avaient été réglées dans les neuf mois suivant leur dépôt, ce qui signifiait donc que 37% des plaintes avaient nécessité une enquête allant au-delà de neuf mois. Dans l’ensemble, le délai de règlement médian d’une plainte était d’environ six mois et demi à compter de la date de son dépôt. Je reconnais que les données statistiques invoquées par la Commissaire sont d’ordre général et ne contiennent pas de données précises portant plus particulièrement sur le délai de traitement des plaintes relatives aux activités de l’ARC; cependant, rien dans la preuve ou dans les soumissions des demandeurs ne suggère que la situation concernant l’ARC puisse être différente de la réalité globale vécue par l’ensemble des institutions fédérales au sujet desquelles la Commissaire reçoit des plaintes.

[48]           Bien que les délais moyens de traitement ne permettent pas, à eux seuls, de trancher la question de savoir si un organisme administratif  a agi dans un délai raisonnable, ils n’en constituent pas moins un point de référence à partir duquel la Cour peut évaluer le retard invoqué dans un dossier précis (Tumarkin c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2014 CF 915, au para. 18). Or, dans le cas qui nous occupe, les délais encourus dans le traitement des plaintes des demandeurs, qui s’échelonnent d’un minimum de quelques jours à un peu plus de cinq mois à la date du dépôt de la demande de contrôle judiciaire par les demandeurs, sont en-deçà du délai de traitement médian expérimenté par la Commissaire pour le traitement des plaintes qu’elle reçoit. Au surplus, si on regarde la longueur de ces délais par rapport à la date du présent jugement (qui varient alors d’un peu plus de 9 mois à un maximum d’un peu plus de 14 mois et demi), ils se situent tout de même dans une catégorie (celles des enquêtes nécessitant plus de neuf mois) qui représente plus du tiers des plaintes reçues et traitées par la Commissaire.

[49]           La Commissaire a également fait référence au volume de plaintes qu’elle doit traiter au cours d’une année fiscale (lequel est en augmentation) et aux ressources limitées dont elle dispose pour s’acquitter de ses responsabilités (ce qui, selon les plans et priorités 2014-2015, devait résulter en un prolongement probable des délais d’exécution de ses enquêtes). Bien que ce soit là un facteur contextuel à considérer, je signale toutefois que les retards imputables aux ressources restreintes d’une institution fédérale ou encore au volume croissant des plaintes reçues ne peuvent pas être considérées comme une explication pouvant justifier un délai qui serait par ailleurs déraisonnable (Dragan c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), [2003] 4 C.F. 189, au para. 57 [Dragan]).

[50]           De plus, il importe aussi de situer le délai d’enquête plus long dans le contexte plus particulier des plaintes déposées par les demandeurs. En effet, plusieurs des plaintes visent l’application d’exclusions et d’exceptions par l’ARC, et les expurgations faites par l’institution fédérale sur les documents demandés. Or, de telles plaintes exigent un processus plus onéreux au terme duquel la Commissaire doit regarder les documents page par page, et avoir des discussions avec l’ARC, afin de déterminer si les exceptions invoquées par l’institution fédérale pour refuser la communication des renseignements expurgés ou retirés sont justifiées et conformes aux dispositions de la LAI. Il s’agit là d’un élément additionnel appuyant la conclusion à l’effet que le délai encouru n’est pas déraisonnable dans la présente affaire.

[51]           Toutes ces circonstances expliquent raisonnablement le délai écoulé dans le processus d’enquête de la Commissaire sur les plaintes des demandeurs et remplissent la troisième condition du critère juridique énoncé dans la décision Conille, soit la justification satisfaisante du délai par l’organisme administratif.

[52]           J’observe également que les délais encourus en l’espèce, soit une fourchette de quelques jours à un maximum d’un peu plus de 14 mois et demi dépendamment de la date de référence choisie, demeurent sensiblement moindres que plusieurs autres cas où cette Cour a reconnu, dans des affaires d’immigration et de citoyenneté, que le temps consacré au traitement des demandes par l’institution fédérale concernée était raisonnable (Vaziri, au para. 48; Dragan, au para. 57; Conille, au para. 23). En effet, dans ces affaires, les délais pour traiter les demandes reçues dépassaient trois et même quatre ans. De la même manière, dans Ashley c Canada (Commissaire de la concurrence), 2006 CF 459, les demandeurs cherchaient à obtenir une ordonnance de mandamus obligeant la Commissaire de la concurrence à conclure une enquête entreprise en vertu de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, ch C-34. Les demandeurs y alléguaient que la Commissaire avait tardé de manière déraisonnable à conclure son enquête. Or, le délai entre le début de l’enquête et le dépôt de l’avis de demande de contrôle judiciaire était de près de 17 mois dans cette affaire, et la Cour a néanmoins conclu que le demandeur n’avait pas démontré que la Commissaire avait tardé à mener son enquête.

[53]           Par ailleurs, la Commissaire a fait valoir dans ses représentations qu’accorder un bref de mandamus dans les présentes circonstances irait à l’encontre de l’intention du législateur et de toute l’économie de la LAI. Je suis d’accord. La LAI prévoit effectivement un processus à deux paliers indépendants pour réviser les décisions des institutions fédérales de refuser une communication de documents : la Commissaire est le premier palier et cette Cour n’intervient que dans un second temps, suite à l’enquête initiée par la Commissaire et à l’avis émis par elle sur la position prise par l’institution fédérale (Blank c Canada (Ministère de la justice), 2009 CF 1221, au para. 26).

[54]           La mécanique établie par la LAI prévoit donc que, suite à une décision d’une institution fédérale de refuser la communication de documents, c’est au Commissaire qu’il appartient de faire enquête pour déterminer si la position prise par l’organisme fédéral est conforme à la loi. L’émission d’un bref de mandamus alors que cette enquête est encore inachevée aurait pour effet de mettre fin à l’enquête de la Commissaire et de court-circuiter le processus prévu par la LAI avant même que la Commissaire n’ait pu émettre ses conclusions sur le refus de communication des renseignements. Il s’agit là d’un pouvoir dont le législateur a spécifiquement investi la Commissaire et il n’appartient pas à cette Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, de se substituer à la Commissaire au niveau de cette détermination. Dans un tel cas, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

[55]           Le recours en révision judiciaire devant cette Cour (aux termes de l’article 41 de la LAI) demeurera disponible pour les demandeurs si jamais il devait y avoir un refus ultime, par l’institution fédérale en cause, de communiquer les renseignements demandés suite à la réception du rapport d’enquête de la Commissaire.

[56]           La Commissaire ajoute qu’elle ne peut pas fournir plus de détails ou mettre en preuve des détails sur le statut du déroulement de ses enquêtes sur les plaintes des demandeurs en raison de l’article 62 de la LAI, lequel oblige la Commissaire à protéger la confidentialité des informations traitées et à garder secrets les renseignements dont elle prend connaissance dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions. Selon la Commissaire, cet article l’empêcherait de divulguer quelque information que ce soit sur ses enquêtes. Compte tenu de la conclusion à laquelle j’arrive sur le caractère raisonnable du délai dans la présente affaire, la Cour n’a pas à décider de la portée de cet article 62 pour conclure que la demande de mandamus des demandeurs doit être rejetée.

[57]           Je note toutefois que la Cour suprême a affirmé dans l’affaire Blencoe que le caractère raisonnable d’un délai doit s’apprécier par rapport « au délai inhérent à l’affaire dont est saisi l’organisme administratif », ce qui inclut la complexité juridique et factuelle de l’affaire (y compris « la nécessité de recueillir de grandes quantités de renseignements ou de données techniques ») (au para. 160). Dans la mesure où une analyse contextuelle doit être menée pour déterminer le caractère raisonnable d’un délai, des informations d’ordre général sur l’ampleur du travail d’enquête exigé dans un dossier particulier (en termes, par exemple, de nombre de documents ou de pages à traiter) pourraient donc devenir un élément important  pour expliquer ou justifier l’existence d’un délai plus long que la normale au niveau d’une enquête particulière.

VII.          Conclusion

[58]           Puisque la Commissaire n’a pas refusé d’exercer ses obligations d’enquêter et de produire des comptes rendus de ses conclusions d’enquête sur les plaintes des demandeurs, que les enquêtes sur ces plaintes sont toujours actives et en cours, et que le délai qui s’est écoulé pour compléter les enquêtes initiées par la Commissaire est raisonnable, je conclus que les conditions exigées pour la délivrance d’un bref de mandamus ne sont pas rencontrées par les demandeurs.

[59]           La Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire, n’est donc pas disposée à délivrer le bref de mandamus demandé et la présente demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.       La demande de contrôle judiciaire et de bref de mandamus est rejetée, avec dépens contre les demandeurs.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1954-14

INTITULÉ :

ROGER CODERRE, MADELEINE CODERRE, JOCELYN CODERRE, RICHARD CODERRE, ST-GERMAIN TRANSPORT LTÉE, LES IMMEUBLES S.G.T. LTÉE ET GESTION S.G.T. LTÉE c LA COMMISSAIRE À L'INFORMATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 avril 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 22 juin 2015

COMPARUTIONS :

Me Isabelle Théberge

Pour les demandeurs

Me Diane Therrien

Me Carolina Mingarelli

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernier Fournier Inc.

Avocat(e)s

Drummondville (Québec)

Pour les demandeurs

Commissaire à l'information du Canada

Gatineau (Québec)

Pour la défenderesse

 

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