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Date : 20150624


Dossier : IMM-6759-14

Référence : 2015 CF 788

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 juin 2015

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ARASH NADERIKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui vise une décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente au Canada présentée par M. Naderika au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF] [la décision].

II.                Les faits

[2]               M. Naderika est un citoyen de l’Iran. En janvier 2010, il a présenté une demande simplifiée de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie TQF, et a ensuite été prié de présenter une demande complète, ce qu’il a fait autour de juin 2010.

[3]               Dans le but de recevoir cinq points additionnels pour la capacité d’adaptation, du fait d’être uni à une personne vivant au Canada, M. Naderika a inclus dans sa demande des documents concernant l’oncle de son épouse, notamment la carte de citoyenneté de l’oncle, ainsi que des extraits de factures de ce parent pour des services publics et le téléphone cellulaire.

[4]               Le 14 décembre 2011, le dossier de M. Naderika a fait l’objet d’un examen et une décision préliminaire a été rendue à l’égard de la sélection, indiquant que M. Naderika obtiendrait probablement les cinq points additionnels pour la capacité d’adaptation s’il fournissait une preuve récente selon laquelle son parent vivait toujours au Canada, et qu’il obtiendrait somme toute un nombre suffisant de points.

[5]               Le 15 janvier 2014, le bureau des visas à Varsovie a fait parvenir à la représentante de M. Naderika un courriel, dans lequel on lui demandait de fournir un certain nombre de documents supplémentaires, documents précisés dans le courriel lui-même [la demande de janvier 2014]. Les documents demandés comprenaient, entre autres, une preuve récente selon laquelle le parent de M. Naderika résidait actuellement au Canada.

[6]               La consultante agissant pour le compte de M. Naderika a répondu à la demande de janvier 2014 dans une lettre datée du 11 mars 2014 [la lettre de mars 2014] qui comprenait une trousse de documents et dans laquelle il était indiqué ceci : [traduction] « [V]euillez trouver ci-joint [sic] le document demandé [sic], les formulaires et les frais relatifs au droit de résidence permanente (980 $). » La demande de janvier 2014 était jointe à la lettre de la consultante, ainsi que les documents présentés pour le compte de M. Naderika. Le bureau des visas à Varsovie a reçu la lettre et la trousse de documents le 14 mars 2014.

[7]               Il existe des renseignements contradictoires quant à savoir si cette trousse de documents jointe à la lettre de mars 2014 comprenait des documents concernant le parent de M. Naderika, c’est-à-dire l’oncle de son épouse. M. Naderika se fonde sur l’affidavit de sa consultante, dans lequel il est indiqué que la trousse de documents incluait des avis d’évaluation foncière et de paiement de taxes pour l’année 2014, un chèque de paye remontant à janvier 2014, des extraits de factures de services publics et des relevés bancaires montrant des opérations bancaires au Canada, tous au nom de l’oncle de son épouse. Le défendeur, par contre, s’appuie sur l’affidavit de l’agent, dans lequel il est indiqué que la consultante de M. Naderika n’a pas joint à la lettre de mars 2014 des documents permettant de confirmer la résidence du parent de M. Naderika. Selon les notes consignées le 8 avril 2014 et le 6 mai 2014 dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], ces documents n’ont pas été reçus au bureau des visas à Varsovie.

III.             La décision contestée

[8]               Le 17 juin 2014, l’agent a rejeté la demande de M. Naderika au motif que celui-ci n’avait obtenu que 63 points sur les 67 points exigés pour être admissible à l’immigration au Canada. Dans sa lettre de décision, l’agent a écrit qu’il n’était pas en mesure d’accorder à M. Naderika des points à l’égard du facteur de la capacité d’adaptation du fait d’avoir un parent au Canada, parce que M. Naderika ne [traduction] « s’était pas conformé » à la demande de janvier 2014 du bureau des visas, par laquelle on lui demandait de présenter une preuve récente de résidence de son parent ou du parent de son épouse au Canada. À ce titre, l’agent n’était pas convaincu que M. Naderika ou son épouse avait un parent qui vivait au Canada.

[9]               Le même jour, après réception de la lettre de refus de l’agent, la consultante de M. Naderika a envoyé un courriel au bureau des visas à Varsovie dans lequel elle affirmait que les documents fournissant une preuve récente de résidence du parent au Canada avaient été joints à la lettre de mars 2014 et elle demandait un nouvel examen. Dans ce courriel, la consultante a affirmé que si M. Naderika avait obtenu les cinq points additionnels auxquels il avait droit parce qu’il avait un parent au Canada, son nombre total de points aurait été de 68 et il aurait satisfait aux exigences en matière de résidence permanente. La consultante a par ailleurs affirmé qu’elle envoyait à nouveau les documents concernant le parent de M. Naderika qui avaient déjà été présentés en mars 2014.

[10]           Les documents en question ont été présentés au bureau des visas à Varsovie le lendemain, soit le 18 juin 2014, et comprenaient, avec le bordereau de livraison par messagerie de la trousse de documents de mars 2014, les documents suivants provenant du parent de M. Naderika : son avis d’évaluation foncière pour 2014, un extrait de sa facture des services publics pour janvier 2014, un extrait de la facture de ce parent pour janvier-février 2014 concernant un pont à péage, des documents bancaires montrant des opérations effectuées au Canada, ainsi qu’un avis de changement ayant trait au paiement d’impôts fonciers.

[11]           Le 18 juin 2014, l’agent a envoyé un courriel dans lequel il informait M. Naderika qu’il avait choisi de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir son dossier, puisqu’il estimait qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour ce faire. L’agent a souligné qu’aucun renseignement à jour concernant la résidence du parent de M. Naderika au Canada n’avait été reçu avant la décision du 17 juin 2014, et que la demande avait été examinée sur le fond et selon les renseignements contenus dans le dossier au moment de la décision. Dans un affidavit, l’agent a précisé qu’il avait examiné la [traduction] « demande de réexamen [de M. Naderika], mais qu’il avait estimé qu’une décision différente n’était pas justifiée ».

[12]           Après de nombreuses demandes infructueuses en vue d’obtenir le réexamen de sa demande, M. Naderika a présenté à la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, après réception d’un courriel définitif du bureau des visas à Varsovie, le 18 août 2014, confirmant qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs pour rouvrir le dossier, compte tenu de l’absence de renseignements à jour concernant la résidence du parent de M. Naderika au Canada.

IV.             Les questions en litige

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

1.      L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale en n’accordant pas à M. Naderika la possibilité de dissiper ses préoccupations concernant l’absence de preuve de résidence du parent avant de rendre une décision définitive?

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en refusant de faire droit à la demande de réexamen présentée par M. Naderika?

V.                La norme de contrôle applicable

[14]           La question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, de sorte qu’il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers le décideur (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 855, au paragraphe 24; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Talpur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 25, au paragraphe 20 [Talpur]). Bien qu’il n’y ait pas lieu de faire preuve de déférence envers les agents à cet égard, le contenu de l’obligation d’équité procédurale est souple et peut varier selon le contexte.

[15]           En ce qui a trait à la décision de l’agent de ne pas réexaminer la demande de M. Naderika, deux normes de contrôle entrent en jeu. La question de savoir si l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est une question d’équité procédurale assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 879, au paragraphe 13 [Ali]; Khosa, au paragraphe 43). La décision même est toutefois assujettie à la norme de contrôle de la raisonnabilité (Talpur, au paragraphe 19; Ali, au paragraphe 14; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 53).

VI.             Analyse

A.                L’agent a-t-il commis une erreur en n’accordant pas à M. Naderika la possibilité de dissiper ses préoccupations concernant l’absence de preuve de résidence de son parent?

[16]           La question déterminante en l’espèce est de savoir si l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale en omettant de donner à M. Naderika la possibilité de présenter les documents ayant trait à la résidence de son parent au Canada, lorsque l’agent a réalisé que ces documents ne faisaient pas partie de la trousse de documents jointe à la lettre de mars 2014 par la consultante de M. Naderika.

[17]           M. Naderika prétend que l’agent a commis une erreur en omettant d’effectuer un suivi avec lui au sujet des documents manquants, puisque la lettre de mars 2014 incluait expressément en pièce jointe la demande de janvier 2014 envoyée par le bureau des visas de Varsovie, demande qui faisait elle-même mention de la nécessité de présenter des documents de résidence pour le parent de M. Naderika et qui énumérait les types de documents à fournir à cet égard. Cela constituait clairement une preuve pertinente à l’évaluation de la demande de M. Naderika, puisque l’agent a conclu que, sans celle-ci, M. Naderika ne satisferait pas aux exigences en matière de résidence. De plus, M. Naderika avait déjà fourni, dans le cadre de sa demande initiale, une preuve de résidence au Canada d’un tel parent à l’époque. La demande de janvier 2014 visait simplement à mettre à jour pareils renseignements.

[18]           Le défendeur fait essentiellement valoir que M. Naderika a le fardeau de produire la preuve nécessaire au soutien de sa demande. L’agent a donné une occasion à M. Naderika de présenter une liste de documents demandés, et il n’était pas tenu de lui en donner une autre. Selon l’agent, les documents concernant la résidence du parent de M. Naderika au Canada ne figuraient pas dans la réponse envoyée par la consultante de ce dernier le 11 mars 2014.

[19]           Comme il est mentionné ci-dessus, il existe en l’espèce une preuve contradictoire eu égard aux documents manquants concernant le parent de M. Naderika. M. Naderika et sa consultante affirment que les documents ont été présentés au bureau des visas à Varsovie avec la lettre de mars 2014, alors que l’agent affirme qu’ils n’ont pas été présentés.

[20]           Il est vrai que l’équité procédurale exige que le demandeur ait une réelle possibilité de présenter les divers types de preuve au soutien de ses arguments et que le décideur les examine en détail (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 28). Cependant, dans le contexte d’une demande de visa, l’obligation d’équité n’impose pas à l’agent des visas de communiquer au demandeur les réserves découlant directement des exigences de la loi ou d’un règlement, ni de donner au demandeur la possibilité d’y répondre et de les dissiper (Talpur, au paragraphe 21; Prasad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 453, au paragraphe 7, 34 Imm LR (2d) (C.F. 1re inst.)).

[21]           La préoccupation de l’agent, en l’espèce, concernant la documentation manquante découle directement de l’alinéa 83(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui est ainsi libellé :

 (1) Un maximum de 10 points d’appréciation sont attribués au travailleur qualifié au titre de la capacité d’adaptation pour toute combinaison des éléments ci-après, selon le nombre indiqué :

[…]

d) pour être uni à l’une ou l’autre des personnes vivant au Canada visées au paragraphe (5), ou pour avoir un époux ou un conjoint de fait uni à l’une d’elles, 5 points; […]

[22]           Puisque les préoccupations de l’agent découlent directement du Règlement, j’estime que l’agent n’était pas tenu d’informer M. Naderika qu’il n’avait pas reçu ces documents. Je suis conscient du fait que la lettre de mars 2014 envoyée par la consultante de M. Naderika incluait expressément en pièce jointe la demande initiale de janvier 2014 envoyée par le bureau des visas à Varsovie, et faisait expressément renvoi à la demande initiale en question eu égard aux documents joints à la réponse. Je pense qu’il pourrait être raisonnablement possible d’inférer de la réponse que la consultante avait l’intention de joindre les documents à jour concernant la résidence du parent de M. Naderika au Canada. En fait, dès que la consultante a reçu la lettre du 17 juin 2014 de l’agent refusant la demande de M. Naderika, elle a été en mesure, dans un délai d’un jour ou deux jours, d’envoyer les documents manquants au bureau des visas, étant donné qu’elle les avait sans doute dans le dossier concernant M. Naderika.

[23]           Je souligne toutefois que la lettre de mars 2014 n’énonçait pas précisément que la trousse de documents fournie comprenait la documentation se rattachant expressément au parent de M. Naderika, et qu’elle ne précisait pas non plus les documents fournis; elle faisait seulement renvoi à la demande de janvier 2014 du bureau des visas, qui renfermait une liste assez longue des documents usuels devant être fournis par le demandeur, parmi lesquels figuraient les documents de type général ayant trait aux exigences en matière de résidence canadienne applicables au parent de M. Naderika.

[24]           Il ne s’agit pas d’une situation, comme dans la décision Miller c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 371 [Miller], où un agent des visas n’a pas fait preuve de vigilance lorsque le demandeur a spécifiquement indiqué dans sa lettre qu’il y joignait un document précis et que le demandeur n’avait aucun moyen de savoir que le document était manquant si l’agent ne le lui signalait pas. En l’espèce, la consultante n’a pas expressément énuméré dans sa lettre de mars 2014 des documents qui étaient réellement présentés relativement à la résidence canadienne du parent, ou fait mention de tels documents; elle a simplement joint la demande de janvier 2014 du bureau des visas.

[25]           Bien que la situation ressemble à celle survenue dans l’affaire Miller, elle est néanmoins différente, et il n’a pas été possible pour l’agent d’indiquer précisément quels documents n’avaient pas été fournis par la consultante de M. Naderika avec la lettre de mars 2014. Dans les circonstances particulières de l’espèce, je n’estime pas que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale.

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en refusant de faire droit à la demande de réexamen présentée par M. Naderika?

[26]           M. Naderika prétend que l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de dûment prendre en compte sa demande de réexamen, y compris la [traduction] « nouvelle » preuve relative à la résidence de son parent au Canada. De plus, M. Naderika affirme que la décision de l’agent de refuser la demande de réexamen était déraisonnable, puisque l’agent n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon pratique et selon une approche raisonnablement juste.

[27]           Le défendeur donne à penser que l’agent a bel et bien exercé son pouvoir discrétionnaire, soit celui de réexaminer la demande, mais qu’il a conclu, de manière raisonnable, qu’il n’était pas justifié de rendre une décision différente. Étant donné que M. Naderika devait fournir certains documents, qu’il a eu amplement le temps de le faire, et qu’il n’a pas prouvé que l’agent n’avait pas reçu ces documents au moment de rendre sa décision le 17 juin 2014, le défendeur affirme que M. Naderika n’a pas démontré l’existence d’une erreur dans le refus de l’agent de rendre une décision favorable à la suite d’un réexamen. Le défendeur prétend que la décision de l’agent était donc raisonnable.

[28]           À titre d’observation préliminaire, je souligne que, bien que M. Naderika a déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en l’espèce relativement à la décision initiale de refus rendue par l’agent en date du 17 juin 2014, M. Naderika a également fait des observations au sujet du refus de l’agent de réexaminer cette décision, refus qui a été confirmé par l’agent le 18 juin 2014, et plus tard, en août, par le bureau des visas à Varsovie. Le défendeur n’a pas contesté ce fait ni fait valoir que M. Naderika aurait dû déposer séparément une autre demande de contrôle judiciaire.

[29]           Quoi qu’il en soit, je suis convaincu que l’intérêt de la justice exige que la Cour examine la décision rendue à l’égard de la demande de réexamen dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision initiale de refuser la demande de résidence permanente de M. Naderika (Marr c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 367, au paragraphe 56 [Marr]; Thangappan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1266, au paragraphe 3). Le refus de réexaminer renvoie à la même décision, se rapporte au même dossier d’immigration et a été envoyé avant que M. Naderika ne dépose sa demande de contrôle judiciaire. De plus, la preuve produite auprès de l’agent avait permis de répondre de façon concluante à la préoccupation qui avait mené à la décision initiale. Il serait donc inutile d’exiger de M. Naderika qu’il présente une demande distincte de contrôle judiciaire et de scinder la procédure, et il serait également contraire à l’intérêt de la justice de le faire.

[30]           Bien qu’un agent d’immigration ne soit pas tenu de réexaminer une demande de résidence permanente, la jurisprudence énonce clairement, selon les principes de base de l’équité et du bon sens, que si, dans les jours qui suivent le prononcé d’une décision défavorable au sujet d’une demande qui est en suspens depuis bon nombre d’années, l’agent des visas reçoit une nouvelle preuve confirmant un fait important, il devrait réexaminer le dossier (Marr, au paragraphe 57; Mansouri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1242, au paragraphe 8 [Mansouri]; Ali, aux paragraphes 21-23).

[31]           Dans la décision Mansouri, la demanderesse s’était vue accorder 63 des 67 points exigés quant à sa demande au titre de la catégorie TQF, au motif qu’il n’y avait aucun document pour étayer la résidence de son parent au Canada. Dans les trois jours qui ont suivi la décision défavorable, le consultant de la demanderesse a soumis les documents exigés et il a demandé le réexamen de la décision, mais l’agente des visas a rejeté cette demande, au motif que la décision initiale avait été prise de façon équitable. Le juge Phelan a conclu que l’agente, en agissant ainsi, avait interprété trop étroitement son pouvoir discrétionnaire :

10. [...] De bonnes raisons, dont (notamment) l’équité envers des demandeurs plus diligents ou l’efficience et l’efficacité du système, peuvent certes être pertinentes pour ce qui est de décider de réexaminer ou non une décision initiale, mais aucune n’a été invoquée en l’espèce.

11. Il n’est nul besoin d’écrire un traité sur l’équité pour justifier le refus de rouvrir une demande, mais en l’occurrence l’agente des visas avait une perception trop restrictive de son pouvoir discrétionnaire.

[32]           De façon similaire, dans la décision Ali, l’agente avait refusé de rouvrir la demande, parce que la nouvelle preuve soumise lors de la demande de réexamen n’avait pas été versée au dossier lorsque la décision initiale avait été rendue. Il vaut la peine de citer de longs extraits du raisonnement exposé par le juge Manson dans cette décision, qui a conclu que le refus était déraisonnable dans les circonstances de l’espèce :

21. Bien que l’agente de réexamen puisse exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est délégué et choisir de ne pas réexaminer la demande, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon pratique et selon une approche juste.

22. Le motif pour ce faire a été formulé par le juge Russell Zinn au paragraphe 57 de la décision Marr c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 367 :

Les principes de base de l’équité et du bon sens suggèrent que si, dans les jours qui suivent le prononcé d’une décision négative au sujet d’une demande qui est en suspens depuis bon nombre d’années, l’agent des visas reçoit un document confirmant une information déjà portée à sa connaissance et ayant une incidence importante pour le dénouement de la demande, il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire afin de réexaminer sa décision. Il ne sert strictement à rien de forcer un demandeur à reprendre le processus depuis le départ et à attendre son aboutissement pendant des années alors que le souvenir de la demande et de la preuve est encore frais dans l’esprit de l’agent et que l’intention du demandeur n’est pas de soumettre des faits nouveaux qui n’ont pas été communiqués antérieurement.

23. Le juge Michael L. Phelan a souscrit à cette approche au paragraphe 8 de la décision Mansouri, précitée.

24. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas d’obligation générale de réexaminer une demande sur le fondement de nouveaux renseignements, et que l’obligation du DP de [traduction] « présenter sa cause sous son meilleur jour » dans la première demande devrait prévaloir. Bien que je souscrive à la position du défendeur selon laquelle il ressort du pouvoir discrétionnaire de l’agent des visas de réexaminer une demande de résidence permanente, et qu’une telle décision devrait généralement se voir accorder de la retenue, en l’espèce, il n’y a pas d’apparente justification raisonnable pour le rejet de la demande du DP.

25. Les documents présentés maintenant par le DP semblent lui permettre d’obtenir 67 points dans la grille de points d’un travailleur qualifié. Il serait déraisonnable de lui demander de reprendre le processus depuis le début. Bien que l’efficience du processus d’immigration soit une justification raisonnable pour le rejet d’une demande de réexamen, l’efficience n’est pas atteinte par le refus de la présente demande.

26. Par conséquent, cette décision fait défaut sur les plans du bon sens, des considérations pratiques et des principes de base de l’équité, critères extrinsèques qui ont été déclarés être des composantes de la décision raisonnable dans le contexte de l’immigration, à la fois dans la décision Mansouri et dans la décision Marr.

[33]           Les faits en l’espèce sont encore plus manifestes que ceux dans les décisions Marr, Mansouri et Ali. Dans la présente affaire, dès que la demande de M. Naderika a été rejetée, sa consultante a immédiatement envoyé un courriel à l’agent, le jour même, et elle lui a fourni, le lendemain, une copie des documents permettant de répondre aux préoccupations concernant la preuve à jour requise relativement à la résidence du parent de M. Naderika au Canada. Cette réponse comprenait de nombreux documents se rapportant à la résidence du parent que la consultante avait manifestement en sa possession, étant donné la rapidité à laquelle ils ont été fournis au bureau des visas. Les documents fournis semblent permettre à M. Naderika d’atteindre le pointage requis pour satisfaire aux exigences dans le cadre de sa demande présentée au titre de la catégorie TQF.

[34]           Il ne s’agit pas d’un cas, comme dans la décision Mansouri, où « il s’agissait d’un cas limite » parce que la demanderesse avait adopté diverses positions à l’égard du bureau des visas. Il s’agit par ailleurs d’une affaire où M. Naderika avait déjà présenté la preuve au sujet de la résidence de son parent au Canada dans le cadre de sa demande initiale, où la preuve nécessaire était une mise à jour, et où les documents requis ont été fournis dans un délai d’un jour suivant la décision du 17 juin 2014, après ce qui semble avoir été une compréhension erronée du contenu des documents reçus en mars 2014 au bureau des visas à Varsovie à la suite de la demande de janvier 2014.

[35]           La preuve à jour concernant le parent de M. Naderika, même si elle était considérée à titre de preuve nouvelle dont l’agent ne disposait pas au moment où la décision initiale a été rendue, permettait de répondre de façon concluante à la préoccupation qui avait mené à la décision du 17 juin 2014 de rejeter la demande de M. Naderika. Pour reprendre les propos formulés en conclusion par le juge Manson dans la décision Ali, je ne vois pas d’apparente justification raisonnable pour le rejet de la demande de réexamen de M. Naderika. Les documents fournis semblent être suffisants pour permettre à M. Naderika d’obtenir le nombre de points requis, et il ne serait d’aucune efficacité ni d’aucune utilité pratique de forcer M. Naderika à reprendre le processus à ce moment-ci, plus de quatre ans après avoir présenté sa demande initiale.

[36]           Pour l’ensemble des motifs ci-dessus, et dans les circonstances de l’espèce, je conclus que la décision de l’agent de ne pas réexaminer la demande de M. Naderika n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et qu’elle est déraisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47 et 53). Comme dans la décision Ali, la décision comportait des lacunes sur les plans du bon sens, des considérations pratiques et des principes de base de l’équité, lesquels sont tous des critères extrinsèques qui ont été déclarés être des composantes de la raisonnabilité.

[37]           Étant donné ma conclusion selon laquelle la décision de l’agent était déraisonnable, je n’ai pas besoin de trancher la question à savoir si l’agent a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de prendre en compte la demande de réexamen de M. Naderika. Toutefois, même si j’avais estimé que l’agent avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en omettant de dûment prendre en compte la demande de M. Naderika, je serais parvenu à une conclusion similaire et j’aurais conclu que l’agent avait la capacité d’examiner la [traduction] « nouvelle » preuve fournie par la consultante de M. Naderika le 18 juin 2014 (Marr, au paragraphe 54). Une décision qui découle d’une entrave au pouvoir discrétionnaire est déraisonnable en soi (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 20-24, 341 DLR (4th) 710)).

VII.          Conclusion

[38]      Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision de l’agent de rejeter la demande de réexamen était déraisonnable en les circonstances. L’agent a interprété trop étroitement son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande, et ce, au seul motif que la demande de M. Naderika avait été examinée sur le fond et selon les renseignements contenus dans le dossier au moment de la décision rendue le 17 juin 2014. 2014.

[39]      Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier et je conviens qu’il n’y en a aucune (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Liyanagamage, [1994] ACF n1637, au paragraphe 4).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est acceuillie.

2.      La décision de l’agent de rejeter la demande de visa de résident permanent présentée par M. Naderika au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) et la demande de réexamen de sa demande est annulée.

3.      La demande de M. Naderika est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision; l’agent doit accepter les points attribués initialement et doit, lors de l’évaluation finale du nombre de points devant être attribués, examiner la preuve de résidence au Canada de l’oncle de l’épouse de M. Naderika présentée en son nom le 18 juin 2014.

4.      Cette nouvelle décision doit être rendue au plus tard dans les six mois suivant la date du présent jugement.

  1. Aucune question n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6759-14

INTITULÉ :

ARASH NADERIKA c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 juin 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 24 juin 2015

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

pour le demandeur

Asha Gafar

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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