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Date : 20150616


Dossiers : T-1389-14

T-1390-14

Référence : 2015 CF 756

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2015

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : T-1389-14

ENTRE :

JOGINDER SINGH SAHOTA

GURMEET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : T-1390-14

ET ENTRE :

JOGINDER SINGH SAHOTA

JAGMOHAN SINGH SAHOTA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire présentées en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de deux décisions en date du 12 mai 2014 par lesquelles une agente des visas [l’agente] a refusé d’octroyer la citoyenneté, au titre du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C‑29, à Gurmeet Kaur Sahota et à Jagmohan Singh Sahota, les enfants adoptifs de Joginder Singh Sahota [le père demandeur]. En raison des similitudes du contexte factuel, des décisions et des moyens de droit, un seul énoncé des motifs sera produit et versé dans le dossier T‑1389‑14 et dans le dossier T‑1390‑14.

II.                CONTEXTE

[2]               Gurmeet est née en Inde le 26 juillet 1991. Son père biologique est le frère de sa mère adoptive. Le père demandeur explique que lui et sa femme ont adopté Gurmeet au moyen d’une entente informelle verbale conclue avec les parents biologiques de Gurmeet alors que cette dernière était âgée d’un an.

[3]               Jagmohan est né en Inde le 16 février 1993. Son père biologique est le frère du père demandeur. Le père demandeur explique que lui et sa femme ont adopté Jagmohan au moyen d’une entente informelle verbale conclue avec les parents biologiques de Jagmohan alors que ce dernier était âgé de deux ans.

[4]               Le père demandeur, sa femme et leur fille biologique sont venus s’installer au Canada en tant que résidents permanents le 19 janvier 2002.

[5]               Le père demandeur et sa femme ont adopté officiellement Gurmeet et Jagmohan en Inde aux termes d’actes d’adoption datés du 7 janvier 2008. Un acte d’adoption corrigé a été enregistré dans le cas de Gurmeet le 11 janvier 2008.

[6]               Les demandeurs ont présenté une demande de citoyenneté pour Gurmeet et Jagmohan à la fin de 2010.

III.             LES DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[7]               Les demandes de citoyenneté ont été refusées le 12 mai 2014.

A.                Gurmeet

[8]               L’agente a déclaré qu’aux termes de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté, l’adoption devait créer un véritable lien affectif parent-enfant et être faite conformément au droit du lieu de l’adoption. L’agente a conclu que la Hindu Adoptions and Maintenance Act, 1956 [la HAMA] régissait les adoptions en Inde et que cette loi s’appliquait à l’adoption de Gurmeet en vertu de l’alinéa 2(1)b) qui assujettit les sikhs à l’application de la HAMA. Le paragraphe 5(2) prévoit que toute adoption faite en contravention de l’une quelconque des dispositions de la HAMA est nulle.

[9]               L’agente a expliqué que le sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA interdit d’adopter les personnes qui ont atteint l’âge de 15 ans, à moins qu’il n’existe une coutume ou un usage qui permette leur adoption à titre exceptionnel. L’agente a conclu que l’adoption de Gurmeet ne satisfaisait pas au sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA parce qu’elle était âgée de 16 ans au moment de son adoption.

[10]           L’agente a également fait observer que le sous‑alinéa 11(ii) prévoyait que le père adoptif ou la mère adoptive ne pouvaient adopter une fille hindoue s’ils avaient une fille vivante. L’agente a conclu que l’adoption de Gurmeet n’était pas conforme au sous‑alinéa 11(ii) de la HAMA parce que les sikhs sont assimilés à des « hindous » et que le père demandeur et sa femme avaient une fille vivante au moment de l’adoption.

[11]           L’agente n’était pas convaincue qu’une cérémonie du [traduction] « don et [de la] prise en adoption » avait eu lieu comme l’exigeait la loi indienne. Elle a fait observer ce qui suit (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 3) :

[traduction]

Au cours de l’entrevue, Gurmeet Kaur a appelé ses parents biologiques « papa » et « maman ». Même après l’adoption, tous ses documents scolaires étaient au nom de ses parents biologiques. Lors des entrevues, aucun d’entre vous ne pouvait se rappeler de grand‑chose au sujet de la cérémonie d’adoption et personne n’était capable de se rappeler la date de la cérémonie, ce qui implique qu’il ne s’agissait pas d’une cérémonie importante constatant la création d’un nouveau lien entre vous et Gurmeet Kaur et la rupture des liens avec ses parents biologiques. [sic

Par conséquent, l’agente a conclu que l’adoption n’était pas conforme à l’article 12 de la HAMA, qui prévoit que l’enfant adopté est réputé être l’enfant de son père adoptif ou de sa mère adoptive et que tous les liens de l’enfant avec ses parents biologiques sont réputés être coupés.

[12]           Par suite des conclusions qu’elle avait tirées en vertu des sous‑alinéas 10(iv) et 11(ii) et de l’article 12, l’agente a conclu que l’adoption était nulle en vertu du paragraphe 5(2) de la HAMA. L’agente a conclu que l’adoption ne satisfaisait pas aux exigences des alinéas 5.1(1)b) et 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

B.        Jagmohan

[13]           Pour examiner la demande de Jagmohan, l’agente a repris les mêmes facteurs énoncés à l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté et aux articles 2 et 5 de la HAMA. L’agente n’était pas non plus convaincue qu’une cérémonie du « don et [de la] prise en adoption » avait eu lieu et qu’elle avait créé de nouveaux liens entre Jagmohan et ses parents adoptifs tout en rompant les liens entre lui et ses parents biologiques. L’agente a fait observer ce qui suit (DCT, aux pages 2 et 3) :

[traduction]

Au cours de l’entrevue, Jagmohan Singh vous a appelé « mon oncle » et « ma tante » et il a appelé ses parents biologiques « maman » et « papa ». Même après l’adoption, tous ses documents scolaires étaient au nom de ses parents biologiques. Même les documents scolaires de 2012 sont faits au nom des parents biologiques. Lors de l’entrevue, ni Jagmohan Singh ni vous, ni les parents biologiques ne pouviez vous rappeler grand‑chose au sujet de la cérémonie d’adoption et aucun d’entre vous n’était en mesure de se rappeler la date de la cérémonie d’adoption. En Inde, dans les familles élargies, il est très courant qu’un frère plus à l’aise paie les études de ses neveux et nièces ainsi que leurs frais de subsistance, ce qui ne suffit pas pour créer un lien de filiation. De plus, les parents biologiques de Jagmohan Singh ont déclaré lors de l’entrevue qu’ils conservaient des liens solides avec lui malgré l’accord verbal par lequel il l’avait donné en adoption, ce qui implique qu’il ne s’agissait pas d’une cérémonie importante constatant la création de nouveaux liens entre vous et Jagmohan Singh et la rupture des liens avec ses parents biologiques.

L’agente n’était donc pas convaincue que l’adoption était conforme à l’article 12 de la HAMA et elle a conclu que l’adoption ne satisfaisait pas aux exigences des alinéas 5.1(1)b) et 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[14]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes dans les présentes demandes :

1.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur en n’appliquant pas la présomption de validité et d’exactitude des documents étrangers?

2.      L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en exigeant que les demandeurs démontrent que le lien affectif parent‑enfant entre l’enfant adoptif et ses parents biologiques avait effectivement été rompu?

3.      Une adoption est‑elle conforme aux lois du lieu de l’adoption si elle n’est pas nulle, mais annulable?

4.      L’agente a‑t‑elle manqué à l’équité procédurale en ne faisant pas part au demandeur de ses préoccupations au sujet des divergences entre les dates des cérémonies d’adoption des demandeurs?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a décidé qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de façon satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour chargée du contrôle doit entreprendre l’examen des quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

A.                Le défendeur

[16]           Le défendeur affirme que les décisions prises en vertu de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Satnarine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 91, au paragraphe 9; Asad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 921, au paragraphe 8). Quant aux conclusions tirées par un agent au sujet du contenu du droit étranger, il s’agit de conclusions de fait assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Cheshenchuk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 33, aux paragraphes 17 et 18 [Cheshenchuk].

B.                Observations présentées par les demandeurs après l’audience

[17]           Dans les observations qu’ils ont présentées après l’audience, les demandeurs ont fait valoir que les conclusions tirées par l’agente au sujet du droit étranger étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Ils ont fait valoir cela malgré le fait qu’ils reconnaissaient que le contenu du droit étranger constitue une conclusion de fait qui doit être étayée par la preuve. Toutefois, les demandeurs affirment qu’en raison des compétences en interprétation des lois qu’elle possède, la Cour fédérale jouit de connaissances spécialisées supérieures à celles des agents des visas lorsqu’il s’agit d’interpréter le droit étranger. Ils soutiennent en outre que les questions relatives au droit étranger ne sont pas des questions de droit qui sont soulevées en vertu de la loi habilitante de l’agent des visas et que ces questions présentent une importance pour le système juridique.

[18]           Les demandeurs soutiennent en outre que le défendeur ne peut se contenter d’invoquer la décision Cheshenchuk, précitée, pour résoudre la question de la norme de contrôle applicable, car ce jugement reposait sur des décisions qui n’étaient pas fondées sur une analyse exhaustive de la norme de contrôle applicable. En revanche, les demandeurs affirment que la Cour fédérale a jugé, dans Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 720, que la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. Les demandeurs reconnaissent que la décision Kim prête quelque peu à confusion, parce que sa conclusion suivant laquelle la norme applicable est celle de la décision correcte était fondée sur une décision qui incorporait les normes de contrôle applicables en appel à une instance en contrôle judiciaire (au paragraphe 5, citant l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 126, aux paragraphes 19 à 23).

[19]           Les demandeurs reconnaissent que la Cour a procédé à une analyse exhaustive de la norme de contrôle dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Choubak, 2006 CF 521 [Choubak] et qu’elle a conclu que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Toutefois, les demandeurs affirment que cette décision ne fait plus jurisprudence parce qu’elle a été rendue avant l’arrêt General Motors Acceptance Corp of Canada, Ltd c Town and Country Chrysler Ltd (2007), 88 OR (3d) 666 [General Motors] de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans l’arrêt General Motors, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que la décision rendue par un juge de première instance au sujet du droit étranger était assujettie, en appel, à la norme de contrôle de la décision correcte.

[20]           Les demandeurs affirment enfin que, si la Cour estime que l’arrêt Choubak est bien fondé, la décision a droit à un degré de déférence moins élevé (Dunmsuir, précité, aux paragraphes 139 à 141; Vasquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 782, aux paragraphes  21 à 27 [Vasquez].

C.                Observations présentées après l’audience par le défendeur

[21]           Le défendeur affirme par ailleurs qu’aucune des questions en litige dans la présente instance ne concerne les conclusions tirées par l’agente au sujet du contenu du droit indien. Toutefois, si la Cour conclut que le contenu du droit étranger est à la base de toute question soumise à la Cour, il est alors de jurisprudence constante que la question est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[22]           La Cour fédérale s’est constamment fondée sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Saini, 2001 CAF 311, au paragraphe 26 [Saini] de la Cour d’appel fédérale pour contrôler les conclusions tirées par les agents au sujet du droit étranger selon la norme de la décision raisonnable. Même si cet arrêt concernait les normes de contrôle applicable en appel, la Cour fédérale s’est fondée sur cette décision pour déclarer que le contenu du droit étranger était une question de fait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Sharma, 2004 CF 1069 [Sharma]; Sicuro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 461; Magtibay c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 397). Les questions de fait sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[23]           Le défendeur souligne que selon la Cour fédérale les conclusions relatives à l’état du droit étranger sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable, même lorsqu’elles ne se fondent pas sur l’arrêt Saini, précité (Nur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 636; Aung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 82; Buttar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1281 [Buttar]). De plus, la Cour fédérale a déclaré à plusieurs reprises que les personnes appelées à rendre des décisions en matière d’immigration et de citoyenneté ont droit à la déférence lorsqu’elles déterminent si une adoption effectuée à l’étranger est conforme au droit du lieu d’adoption (Sharma, précitée; Dhindsa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1362 [Dhindsa]; Kisimba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 252).

[24]           Le défendeur reconnaît que les demandeurs ont été en mesure de citer une affaire dans laquelle la Cour a appliqué la norme de contrôle de la décision correcte. Le défendeur cite également la décision Dufour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 340 dans laquelle la Cour a également procédé au contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Le défendeur affirme toutefois que la Cour ne devrait se fonder sur aucune des deux décisions parce qu’elles citent des affaires qui ne s’appliquent pas à la question en litige ou dans lesquelles la norme de contrôle de la décision raisonnable a été effectivement appliquée.

[25]           Le défendeur affirme que l’arrêt General Motors de la Cour d’appel de l’Ontario ne s’applique pas aux décisions rendues en matière d’immigration et de citoyenneté. En premier lieu, il est de jurisprudence constante que les conclusions tirées au sujet de l’état du droit étranger sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Deuxièmement, la Cour fédérale a continué à appliquer la norme de la décision raisonnable au cours des sept années qui ont suivi l’arrêt General Motors. Troisièmement, l’arrêt General Motors porte sur les normes de contrôle applicable en appel et non sur les normes de contrôle judiciaire. Malgré cela, la Cour fédérale a tenu compte de l’arrêt General Motors dans l’affaire Vasquez, précitée. La Cour a statué que l’arrêt General Motors n’avait rien changé à la norme de contrôle judiciaire compte tenu de la longue série de décisions judiciaires dans lesquelles la norme de la décision raisonnable avait été appliquée.

D.                Analyse

[26]           Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il est de jurisprudence constante que les conclusions tirées par un agent au sujet de l’état du droit étranger sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Cheshenchuk, précitée, au paragraphe 18; Bhagria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1015, au paragraphe 39). Les tribunaux ont été avisés que les normes de contrôle établies peuvent être réévaluées « si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire » (Agraira, précité, au paragraphe 48). Je ne vois aucune raison de revenir sur cette jurisprudence. Le législateur a accordé aux agents de citoyenneté le pouvoir et l’obligation de décider si les adoptions effectuées à l’étranger ont été faites conformément au droit du lieu de l’adoption (Loi sur la citoyenneté, alinéa 5.1(1)c)). Il s’agit d’une conclusion de fait dont la preuve incombe aux demandeurs et qui relève de la loi habilitante de l’agent.

[27]           Je répète ce que j’ai dit dans la décision Vasquez, précitée, au sujet des contraintes avec lesquelles la Cour doit composer lorsqu’il s’agit d’offrir la « bonne » interprétation en ce qui concerne le contenu du droit étranger (au paragraphe 24) :

[…] Il s’ensuit de l’application de la norme de contrôle de la décision correcte que je dois tirer une conclusion définitive au sujet de l’interprétation qu’il convient de donner au droit étranger, mais la Cour doit composer avec les mêmes contraintes que celles qui sont imposées aux tribunaux administratifs en ce sens que son aptitude à interpréter le droit étranger (en l’occurrence, le droit criminel de l’État de la Floride) est tributaire de la qualité de la preuve qui lui est soumise. Dans ces conditions, il serait fallacieux pour la Cour de supposer qu’elle offre la « bonne » interprétation. La Cour doit examiner la preuve et décider si la Commission a interprété de façon raisonnable le droit étranger et si elle l’a appliqué de façon raisonnable aux faits de l’affaire.

[28]           À mon avis, il en va de même en l’espèce. La Cour ne peut offrir la « bonne » interprétation en ce qui a trait à l’état des lois d’adoption en Inde. La Cour doit se contenter de déterminer si l’interprétation que l’agente a donnée aux lois d’adoption indiennes est étayée par le dossier, c’est‑à‑dire si elle est justifiée, transparente et intelligible.

[29]           La question de l’équité procédurale est toujours assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Exeter c Canada (Procureur général), 2014 CAF 251, au paragraphe 31).

[30]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[31]           Les dispositions suivantes de la Loi sur la citoyenneté s’appliquent en l’espèce :

Cas de personnes adoptées — mineurs

Adoptees — minors

5.1 (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne adoptée par un citoyen le 1er janvier 1947 ou subséquemment lorsqu’elle était un enfant mineur. L’adoption doit par ailleurs satisfaire aux conditions suivantes :

5.1 (1) Subject to subsections (3) and (4), the Minister shall, on application, grant citizenship to a person who was adopted by a citizen on or after January 1, 1947 while the person was a minor child if the adoption

[…]

b) elle a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adoptant et l’adopté;

(b) created a genuine relationship of parent and child;

c) elle a été faite conformément au droit du lieu de l’adoption et du pays de résidence de l’adoptant;

(c) was in accordance with the laws of the place where the adoption took place and the laws of the country of residence of the adopting citizen; and

[…]

[32]           Les dispositions suivantes de la HAMA s’appliquent à la présente instance :

[traduction]

2. Application de la loi – (1) La présente loi s’applique :

[…]

b) à toute personne de religion bouddhiste, jaina ou sikh […]

[…]

(3) Le terme « hindou », tel qu’utilisé dans la présente loi, s’entend notamment de toute personne qui, bien que n’étant pas de religion hindoue, est néanmoins une personne visée par la présente loi en vertu des dispositions du présent article.

5. Adoption régie par le présent chapitre – (1) Après l’entrée en vigueur de la présente loi, toutes les adoptions effectuées par des hindous doivent se faire conformément aux dispositions du présent chapitre, et toute adoption effectuée en violation des dispositions en question est frappée de nullité. 

[…]

10. Candidats à l’adoption - Aucune personne ne peut être adoptée si les conditions suivantes ne sont pas remplies :

[…]

(iv) elle n’a pas atteint l’âge de 15 ans, à moins qu’il n’existe une coutume ou un usage applicables aux parties qui permette l’adoption de personnes qui ont atteint l’âge de 15 ans.

[…]

11. Autres conditions de validité de l’adoption – Dans tous les cas d'adoption, les conditions suivantes doivent être respectées :

[…]

(ii) si l'adoption vise une fille, le père adoptif ou la mère adoptive ne doit pas avoir de fille hindoue, ou de petite-fille (que ce soit par un lien de sang légitime ou par adoption) qui soit vivante au moment de l'adoption;

[…]

(vi) l’enfant à adopter doit effectivement être remis et pris en adoption par les parents ou le tuteur concernés ou sous leur autorité dans le but de transférer l’enfant de la famille où il est né (ou dans le cas d’un enfant qui a été abandonné ou dont les parents sont inconnus, de l’endroit ou de la famille où il a été élevé) à la famille qui l’adopte;

[…]

12. Conséquences de l’adoption - À compter de la date d’adoption, l’enfant adopté est réputé être l’enfant de son père adoptif ou de sa mère adoptive et tous les liens de l’enfant avec sa famille naturelle sont réputés être coupés et être remplacés par ceux créés par l’adoption avec sa famille adoptive.

[…]

16. Présomption - Dans tous les cas où un document enregistré aux termes d’une loi en vigueur à l’époque considérée est soumis à un tribunal qui est censé inscrire une adoption qui a été faite, et qu’il est signé par la personne qui donne l’enfant et celle qui l’adopte, le tribunal doit présumer que l’adoption s’est faite en conformité avec les dispositions de la loi, tant et aussi longtemps que la preuve du contraire n’est pas apportée.

VII.          PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

A.                Les demandeurs

(1)               Gurmeet

[33]           Les demandeurs affirment que les documents étrangers sont présumés valides et que leur contenu est présumé exact (Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, aux paragraphes 19 et 20 [Rasheed]; Bouyaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1042, au paragraphe 11). Cette présomption obligeait l’agente à accepter les actes comme preuve des adoptions sauf s’il existait une raison valable de douter de leur validité. Cette présomption comporte également une présomption réfutable suivant laquelle la cérémonie « du don et de la prise en adoption » a eu lieu. L’agente a déplacé à tort sur les demandeurs le fardeau de démontrer l’existence d’un « don » et d’une « prise en adoption ». L’agente a également fait défaut d’expliquer les raisons pour lesquelles elle considérait qu’elle n’était pas convaincue qu’une cérémonie « du don et de la prise en adoption » avait eu lieu.

[34]           Les demandeurs reprochent également à l’agente d’avoir tenu pour acquis qu’il n’y avait eu qu’une seule cérémonie d’adoption pour Gurmeet et Jagmohan. Ils reconnaissent que la preuve était contradictoire, mais ils font valoir qu’il ressort de la preuve qu’il y a eu deux cérémonies d’adoption distinctes. Les demandeurs reconnaissent que la lettre relative au gurdwara énonce que les cérémonies d’adoption ont eu lieu deux mois plus tard que ce que les parents avaient indiqué lors de l’entrevue. Toutefois, la présomption de validité des documents étrangers ne peut s’appliquer à la lettre parce que celle‑ci [traduction« n’émanait pas d’un fonctionnaire compétent étranger ». Les demandeurs affirment également qu’il était injuste de la part de l’agente de ne pas les informer de l’existence de cette lettre et de ne pas leur donner l’occasion d’expliquer cette contradiction.

[35]           L’agente a également commis une erreur en concluant que Gurmeet ne pouvait être adoptée parce qu’elle était âgée de seize ans au moment de l’adoption. La HAMA prévoit une exception si une coutume ou un usage permet l’adoption d’un enfant âgé de plus de 15 ans. La présomption de validité des documents étrangers permet de présumer qu’une coutume ou un usage s’applique à ce genre d’adoption. L’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’existence possible d’un tel usage ou d’une telle coutume.

[36]           L’agente a également commis une erreur en concluant que l’adoption n’était pas conforme à l’article 12 de la HAMA. Cet article présume simplement l’existence en droit de certains faits lorsqu’un enfant est adopté. Il importe peu que l’agente ait été convaincue que les liens de Gurmeet avec ses parents biologiques n’avaient pas été rompus et qu’un lien affectif parent‑enfant n’avait pas été créé avec ses parents adoptifs. L’erreur d’interprétation de l’agente entache sa conclusion que, comme l’adoption ne satisfaisait pas aux exigences de la HAMA, elle n’avait pas créé de lien affectif parent‑enfant au sens de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté. La Cour ne peut présumer que, parce que l’agente a tiré une conclusion de fait erronée en appliquant la HAMA, elle aurait tiré la même conclusion de fait erronée sous le régime de la Loi sur la citoyenneté. Les critères juridiques sont différents (Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246, par. 5.1(3)). Selon la Loi sur la citoyenneté, il n’est pas nécessaire qu’un enfant adoptif ait rompu les liens avec ses parents biologiques (Martinez Garcia Rubio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 272, au paragraphe 7; Adejumo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1485, aux paragraphes 12 à 14 [Adejumo]). Cela est d’autant plus vrai lorsque l’enfant adoptif a des liens de parenté avec sa famille adoptive. De plus, l’agente n’a pas expliqué pourquoi elle ne s’était pas fondée sur le Bulletin opérationnel 183 du 8 février 2010 du gouvernement du Canada intitulé « Directive opérationnelle supplémentaire concernant l’évaluation de la rupture du lien de filiation préexistant lors de l’attribution de la citoyenneté, en vertu du paragraphe 5.1(1) ou 5.1(2) de la Loi », qui prévoit que, dans les cas d’adoption par des membres de la parenté, « une relation continue avec le parent naturel et sa famille élargie peut toujours exister » (Adejumo, précitée, au paragraphe 14).

[37]           Enfin, les demandeurs affirment que l’agente n’a pas la capacité de déclarer l’adoption nulle en vertu de la HAMA. L’existence de faits remettant en question la validité de l’adoption rend l’adoption non pas nulle, mais annulable (Sinniah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 822, aux paragraphes 8 à 12 [Sinniah]; Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 37 (CA) [Singh 1990]). Les réserves exprimées par l’agente au sujet de la question de savoir si Gurmeet pouvait être adoptée alors que ses parents adoptifs avaient déjà une fille ne rendent pas son adoption nulle.

(2)               Jagmohan

[38]           En ce qui concerne Jagmohan, les demandeurs adoptent les mêmes arguments que dans le cas de Gurmeet pour ce qui est de la présomption de validité des documents étrangers, des conclusions tirées par l’agente au sujet de la cérémonie du « don et [de la] prise en adoption », de l’interprétation que l’agente a faite de l’article 12 de la HAMA et de la différence entre une adoption nulle et une adoption annulable.

B.                Le défendeur

(1)               Gurmeet

[39]           La présomption de validité ne vaut que pour les documents d’identité délivrés par un gouvernement étranger. L’acte d’adoption n’est pas un document d’identité et il n’est pas délivré par un gouvernement; il ne bénéficie pas d’une présomption de validité (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1302, au paragraphe 12 [Singh 2012]). La présomption de validité prévue par la HAMA ne vaut que pour les tribunaux indiens (Shergill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 149 FTR 157, au paragraphe 9 [Shergill]).

[40]           Il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils satisfaisaient aux exigences de l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté. Pour ce faire, il leur fallait démontrer qu’une cérémonie « du don et de la prise en adoption » avait eu lieu de sorte que l’enfant avait été adopté conformément au droit indien (Loi sur la citoyenneté, art. 5.1; Dhindsa, précitée, au paragraphe 22). L’hypothèse de l’agente suivant laquelle les cérémonies d’adoption avaient eu lieu le même jour était raisonnable compte tenu des photos des cérémonies identifiant les deux enfants en tant que « fille adoptive » et « fils adoptif ». Bien qu’ils se contredisent, les actes d’adoption et les lettres relatives au gurdwara portent également les mêmes dates. L’agente n’avait pas l’obligation de porter à la connaissance des demandeurs les divergences relevées au sujet de la date à laquelle les cérémonies d’adoption avaient eu lieu. Les divergences provenaient des divers documents que les demandeurs avaient déposés comme preuves des cérémonies d’adoption ainsi que des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs entrevues. L’équité n’oblige pas l’agent à indiquer au demandeur les contradictions relevées dans sa preuve (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 240, au paragraphe 12; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 620, au paragraphe 7). L’agente a conclu de façon raisonnable que les adoptions n’étaient pas légalement valides selon les lois sur l’adoption indiennes parce qu’aucun « don ou prise en adoption » n’avait eu lieu. L’adoption ne satisfaisait donc pas aux exigences de l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

[41]           Il incombait aux demandeurs de démontrer l’existence d’une coutume ou d’un usage applicable qui créait une exception aux exigences de la HAMA (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Taggar, [1989] 3 CF 576, à la page 583 (CAF) [Taggar]; Buttar, précité, au paragraphe 19). Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer qu’il existait une coutume ou un usage dans le cas de l’adoption de Gurmeet.

[42]           L’agente a également conclu de façon raisonnable que l’adoption de Gurmeet n’était pas conforme à l’interdiction frappant l’adoption d’une fille hindoue lorsque des parents ont déjà une fille vivante. La HAMA précise que sont assimilées aux hindous toutes les personnes à qui s’applique la HAMA et notamment les sikhs.

[43]           L’agente a conclu de façon raisonnable qu’elle n’était pas convaincue qu’un véritable lien affectif parent-enfant avait été créé. Le défendeur admet que l’agente a mal interprété l’article 12 de la HAMA. Toutefois, cette erreur ne tire pas à conséquence en ce qui concerne la décision en cause (Panossian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 255; Tahiyeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 651). La conclusion tirée par l’agente au sujet de l’authenticité du lien affectif parent‑enfant reposait également sur les conclusions qu’elle avait tirées au sujet des sous‑alinéas 10(iv) et 11(ii) et sur ses conclusions de fait relativement aux liens entre Gurmeet et ses parents biologiques et ses parents adoptifs.

(2)               Jagmohan

[44]           En ce qui concerne Jagmohan, le défendeur adopte les mêmes arguments que pour Gurmeet au sujet de la présomption de validité des documents étrangers, de l’interprétation que l’agente a faite de l’article 12 de la HAMA, des conclusions tirées par l’agente au sujet de la cérémonie « du don et de la prise en adoption », ainsi que de la différence entre une adoption annulable et une adoption nulle. Les conclusions de fait tirées par l’agente sont suffisantes pour conclure qu’un véritable lien affectif parent‑enfant n’a pas été créé.

VIII.       ANALYSE

A.                Présomption de validité des actes d’adoption

[45]           Les demandeurs affirment qu’il existe [traduction« une présomption en faveur de la validité des documents étrangers et de l’exactitude de leur contenu », de sorte qu’il [traduction] « n’incombait pas aux demandeurs de démontrer la validité de l’adoption. L’agente devait accepter que l’acte d’adoption était valide et exact, sauf s’il existait une bonne raison de mettre en doute sa validité et son exactitude ».

[46]           Les décisions invoquées par les demandeurs à l’appui de ce principe général concernaient toutes des documents qui émanaient d’un [traduction« officier public étranger compétent » et qui équivalaient à un [traduction« acte de gouvernement » tel qu’un passeport, un acte de naissance ou une ordonnance d’adoption émanant d’un tribunal étranger.

[47]           Les actes d’adoption en cause en l’espèce ne sont pas de tels documents. Ni la Cour ni l’agente ne disposaient d’éléments de preuve quant à leur origine. Il semble qu’il s’agisse de contrats qui ont été enregistrés auprès du registraire adjoint à Bhopal, dans l’État du Madhya Pradesh. Rien ne permet de penser que, par l’enregistrement, l’État a entériné le contenu des documents ou a transformé ceux‑ci en documents émanant du gouvernement, faisant ainsi jouer la présomption légale de validité. L’enregistrement porte la mention explicite [traduction« non judiciaire », ce qui donne à penser qu’il s’agissait d’un acte administratif et non d’une mesure légale ou judiciaire.

[48]           Il semble qu’un acte d’adoption semblable ait déjà été soumis à la Cour dans l’affaire Singh, 2012, précitée, où, au paragraphe 17, la Cour expose l’origine et la nature de l’« acte d’adoption » et conclut que l’on ne peut le qualifier de document légal valablement délivré par un tribunal étranger parce que rien n’indiquait que le processus d’enregistrement impliquait « une prise de décision indépendante » et qu’il s’agissait « simplement d’un processus administratif pour lequel la cour exige des frais nominaux ».

[49]           En tout état de cause, même si les actes d’adoption faisaient suffisamment preuve de leur contenu, la jurisprudence prévoit que cette présomption est réfutée si l’officier a des motifs de mettre en doute la validité du document étranger (Rasheed, précitée, au paragraphe 19; Berhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 510, au paragraphe 32; Ru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 935, au paragraphe 42). La jurisprudence prévoit plusieurs raisons pour lesquelles la validité et l’exactitude des actes d’adoption n’étaient pas suffisamment fiables en l’espèce pour créer une adoption valide. Ainsi, l’agente a déclaré que l’authenticité des actes pouvait être remise en question parce qu’ils prévoyaient que l’adoption prenait effet à compter de cette date, alors que la lettre relative au gurdwara indiquait que les cérémonies d’adoption n’avaient eu lieu que deux mois plus tard.

[50]           Les demandeurs citent également l’article 16 de la HAMA, qui, suivant les demandeurs, renferme une présomption qui s’applique en l’espèce :

[traduction]

16. Présomption - Dans tous les cas où un document enregistré aux termes d’une loi en vigueur à l’époque considérée est soumis à un tribunal qui est censé inscrire une adoption qui a été faite, et qu’il est signé par la personne qui donne l’enfant et celle qui l’adopte, le tribunal doit présumer que l’adoption a été faite en conformité avec les dispositions de la loi, tant et aussi longtemps que la preuve du contraire n’est pas apportée.

[51]           Se fondant sur ces dispositions, les demandeurs font valoir ce qui suit (dossier du demandeur T‑1390‑14, aux pages 123 à 126) :

[traduction]

61. Le tribunal est une cour indienne au sens de la Hindu Adoptions and Maintenance Act. Les tribunaux canadiens n’ont pas compétence pour statuer sur le fond en ce qui concerne les adoptions indiennes.

62. L’acte d’adoption a été enregistré en l’espèce. Il est censé enregistrer une adoption. Il est signé par la personne ayant procédé au don en adoption et par celle ayant pris l’enfant en adoption.

63. Cette présomption a pour effet de conférer à cette adoption la validité en Inde à moins que sa validité soit réfutée devant un tribunal indien, ce qui jusqu’à maintenant n’a pas été fait. Le demandeur affirme que cette présomption de validité est suffisante pour satisfaire à la condition suivant laquelle l’adoption a été faite conformément aux lois du lieu de l’adoption.

[…]

70. De plus, en l’espèce, compte tenu du fait qu’il existe un acte d’adoption enregistré et que la Hindu Adoptions and Maintenance Act prévoit que l’adoption est présumée valide compte tenu de cet acte, l’adoption a été faite « conformément au droit » de l’Inde. L’existence des faits permettant de remettre en question la validité de l’adoption rend l’adoption non pas nulle, mais annulable.

71. L’incapacité de soumettre des éléments de preuve permettant de convaincre l’agente des visas que les faits sous‑jacents nécessaires pour établir qu’il y a eu une adoption, en l’espèce « le don et la prise en adoption », ne sauraient d’aucune manière invalider l’adoption. Prétendre le contraire reviendrait à conférer au bureau des visas un rôle juridique qui est réservé exclusivement aux tribunaux indiens.

72. Cette présomption de validité de l’adoption et de conformité au droit indien du fait de l’enregistrement de l’acte est fondée tant en raison de l’existence d’une fille vivante au moment de l’adoption que du « don et [de la] prise en adoption ». Tant que l’adoption n’est pas annulée, c’est‑à‑dire tant qu’elle n’est pas déclarée invalide par un tribunal indien, l’adoption est « faite conformément au droit » de l’Inde.

[52]           Les demandeurs tablent fortement sur la décision Sinniah, précitée, mais il convient de se rappeler que, dans cette affaire, il existait une ordonnance d’adoption émanant d’un tribunal indien. Il était peut‑être « manifestement déraisonnable » dans l’affaire Sinniah de ne pas conclure à la validité de l’adoption prononcée conformément au droit du Sri Lanka alors qu’il existait une ordonnance valide prononcée par une cour du Sri Lanka. En l’espèce, il n’existe aucune ordonnance semblable, ce qui explique pourquoi les demandeurs se rabattent sur la présomption prévue à l’article 16 de la HAMA. Cette présomption ne lie toutefois ni l’agente ni la Cour (Singh 1990, précitée; Shergill, précitée). Les demandeurs soutiennent cependant que tant que l’adoption enregistrée n’a pas été déclarée nulle en Inde, elle demeure valide au sens de l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté canadienne.

[53]           Il me semble toutefois que l’alinéa 5.1(1)c) de la Loi sur la citoyenneté obligeait l’agente à déterminer si, dans le cas qui nous occupe, les adoptions avaient été faites conformément aux lois indiennes applicables. La logique de l’argument des demandeurs obligerait le Canada à accepter toute adoption bidon qui n’a pas été contestée en Inde pour la seule raison qu’un acte d’adoption a été enregistré auprès du tribunal sans avoir fait l’objet d’un examen de la part des autorités gouvernementales ou judiciaires. À mon avis, le législateur ne pouvait avoir cette intention lorsqu’il a édicté la Loi sur la citoyenneté, qui oblige les agents à déterminer si l’adoption a été faite en conformité avec, en l’espèce, le droit indien. Contrairement à la situation qui existait dans l’affaire Sinniah, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente, en l’espèce, de s’interroger sur la légalité d’un acte d’adoption qui avait simplement été enregistré auprès d’un registraire adjoint.

[54]           Les demandeurs soutiennent que l’agente est liée par la présomption en question parce qu’elle n’a pas le pouvoir de déclarer l’adoption indienne nulle. Je suis du même avis. L’agente ne peut annuler une adoption indienne. Son rôle consiste simplement à déterminer si l’adoption était valide au sens des lois canadiennes. Sa conclusion suivant laquelle l’adoption était invalide au sens de la Loi sur la citoyenneté n’a aucun effet sur le statut de l’adoption en Inde.

[55]           Il me semble donc que l’agente n’avait pas à reconnaître et à appliquer une présomption de validité des actes d’adoption et de leur contenu dans le cas des présentes demandes et qu’elle était tenue d’examiner la validité des adoptions en tenant compte de l’ensemble du contexte. Il incombait aux demandeurs de démontrer la validité des adoptions.

B.                Don et prise en adoption

[56]           Les demandeurs soutiennent que [traduction« un rejet fondé sur la conclusion que l’agente n’est pas convaincue qu’un don et une prise en adoption a eu lieu fait fi de la présomption de validité et d’exactitude de l’acte d’adoption ».

[57]           Comme nous l’avons déjà expliqué, les actes d’adoption ne constituent pas une preuve par présomption de la véracité de leur contenu. La conclusion de l’agente suivant laquelle le droit indien exige la tenue d’une cérémonie de don et de prise en adoption pour constituer une adoption valide est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. On ne trouve au dossier aucun élément de preuve réfutant la conclusion de l’agente suivant laquelle le droit indien exige la tenue d’une cérémonie de don et de prise en adoption. Le sous‑alinéa 11(iv) de la HAMA prévoit que [traduction« l’enfant doit effectivement être donné et pris en adoption par les parents ou le tuteur concernés ou sous leur autorité dans le but de le transférer de la famille où il est né ». L’agente a également cité la décision suivante Laksmahn Singh c Rup Kanwar, AIR 1961 LC 1378, suivant lequel cette exigence est également essentielle (DCT, à la page 3) :

[traduction]

« [...] L’adoption n’est valide que si l’adopté est transféré d’une famille à une autre et que le transfert est concrétisé par la cérémonie de don et de prise en adoption. L’objet de la cérémonie solennelle de don et de prise en adoption est de toute évidence d’obtenir la publicité attendue. Pour atteindre cet objet, il est essentiel de procéder à une cérémonie officielle. Aucune formalité précise n’est prescrite pour la cérémonie, mais la loi exige que les parents naturels remettent physiquement l’enfant adopté dans les bras des parents adoptifs et que ceux-ci reçoivent l’enfant des bras des parents naturels. La nature de la cérémonie peut varier selon les circonstances de chaque cas, mais une cérémonie doit être célébrée durant laquelle ont lieu le don et la prise en adoption de l’enfant.

[58]           À défaut d’autres éléments de preuve, la conclusion de l’agente suivant laquelle les demandeurs avaient l’obligation de démontrer qu’une cérémonie valide de don et de prise en adoption avait eu lieu était raisonnable. Il incombait aux demandeurs de démontrer qu’une cérémonie valide de « don et [de] prise en adoption » avait eu lieu conformément au droit indien. Les demandeurs semblent du même avis parce qu’ils ont soumis à l’agente des photographies de la cérémonie du don et de la prise en adoption.

[59]           L’agente n’était pas convaincue qu’une cérémonie valide de don et de prise en adoption avait eu lieu. Les demandeurs demandent à la Cour de réexaminer les éléments de preuve concernant la cérémonie de don et de prise en adoption et de déclarer que les conclusions de l’agente étaient déraisonnables. À mon avis, les demandeurs demandent simplement à la Cour de réexaminer les éléments de preuve relatifs à cette cérémonie et de tirer une conclusion qui leur est favorable. La Cour ne peut substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de l’agente (Khosa, précité, aux paragraphes 59 et 61; Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307, aux paragraphes 85 et 91). Les conclusions de l’agente et le raisonnement qu’elle a exposé dans les notes du SMGC sont intelligents et transparents et les conclusions qu’elle a tirées appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par exemple, en ce qui concerne Jagmohan, l’agente a fait observer que nul n’avait été en mesure de donner la date de la cérémonie lors de son entrevue. De plus, la date de la lettre relative au gurdwara contredisait celle indiquée dans l’acte d’adoption.

[60]           Les demandeurs affirment que [traduction« l’agente suppose qu’une seule cérémonie a eu lieu pour les deux adoptions le même jour. Ce n’est toutefois pas nécessairement le cas ». Les demandeurs semblent dire que l’agente a « peut‑être » fait une erreur et qu’il y a peut‑être eu deux cérémonies qui ont été célébrées à deux dates différentes. Il semblerait, suivant la preuve, que les membres de la famille qui ont été interrogés n’ont pas dit qu’il y avait eu des cérémonies différentes à des dates différentes, mais que les demandeurs invitent maintenant la Cour à spéculer que tel a pu être le cas, de sorte que l’agente a pu commettre une erreur à ce sujet. Toutefois, la preuve dont disposait l’agente étayait pleinement ses conclusions que les cérémonies avaient eu lieu le même jour. Les photographies indiquent que les deux adoptions ont eu lieu en même temps et que la cérémonie et les actes d’adoption portent les mêmes dates (le 7 janvier 2008) et indiquent qu’elles prenaient effet [traduction« à compter d’aujourd’hui ». De plus, la lettre relative au gurdwara indique que les deux adoptions ont eu lieu au même gurdwara le même jour (le 27 mars 2008). Je ne crois pas qu’il y ait lieu en l’espèce de laisser entendre que les hypothèses tirées par l’agente au sujet de la cérémonie étaient déraisonnables.

C.            Équité procédurale

[61]           Les demandeurs soutiennent que la [traduction« lettre relative au gurdwara n’a pas été portée à la connaissance de la mère naturelle ou des parents adoptifs » et qu’il était [traduction] « injuste pour toutes les personnes concernées qu’on ne leur ait pas accordé la possibilité d’expliquer cette divergence ».

[62]           Cette affirmation est étrange étant donné que la documentation en question a été fournie aux demandeurs et qu’ils ont eu amplement l’occasion d’expliquer toute contradiction de dates qu’on pouvait y trouver. En tout état de cause, l’agente a interrogé les personnes concernées et les a interrogées au sujet de la date de la cérémonie. Elles ont eu amplement la possibilité de préciser la date exacte dans leur témoignage, mais n’ont pas donné de réponse cohérente.

[63]           Les demandeurs se rendent peut‑être compte maintenant qu’ils ont commis des erreurs lorsqu’ils ont témoigné, mais il ne s’ensuit pas pour autant qu’ils ont été traités de façon inéquitable ou que l’agente n’a pas tiré de conclusion raisonnable en se fondant sur le témoignage qu’elles ont donné.

D.                Sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA – Exception

[64]           Les demandeurs affirment que l’agente a commis une erreur justifiant notre intervention en ne cherchant pas à savoir s’il existait une exception applicable au titre de l’existence d’une coutume ou d’un usage permettant de soustraire Gurmeet à l’application du sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA. Gurmeet était âgée de 16 ans au moment de son adoption et le sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA dispose qu’elle ne pouvait être adoptée [traduction« à moins qu’il n’existe une coutume ou un usage applicables aux parties, qui permette l’adoption de personnes qui ont atteint l’âge de 15 ans ».

[65]           Les demandeurs n’ont pas laissé entendre dans les arguments qu’ils ont soumis à l’agente qu’il existait une coutume ou un usage qui aurait permis l’adoption de Gurmeet et ils n’ont pas laissé entendre devant moi que l’agente aurait dû envisager l’existence d’une telle coutume ou d’un tel usage.

[66]           Il semble que leur argument est que [traduction« la présomption de validité et d’exactitude des documents étrangers constitue, dans ce contexte, une présomption qu’il existe une coutume ou un usage applicables aux parties qui permette l’adoption de personnes qui ont atteint l’âge de 15 ans ».

[67]           Une telle présomption n’existe pas suivant les faits de l’espèce. Si une telle coutume existait, il incombait alors aux demandeurs de produire des éléments de preuve pour en établir l’existence devant l’agente. Or ils ne l’ont pas fait et ils ne peuvent maintenant prétendre que l’agente aurait commis une erreur justifiant notre intervention en ne tenant pas compte d’un élément qu’ils n’ont pas soulevé et qui, autant que la Cour le sache, n’existe peut‑être même pas (Taggar, précitée, à la page 583, Buttar, précité, au paragraphe 19).

E.                 Caractère raisonnable des décisions

(1)               Gurmeet

[68]           Nous discuterons des arguments invoqués par les demandeurs au sujet de l’interprétation donnée par l’agente à l’article 12 de la HAMA en ce qui concerne Jagmohan. Toutefois, l’agente a tiré deux autres conclusions en ce qui concerne Gurmeet que nous aborderons en premier lieu. Tout d’abord, comme nous l’avons déjà expliqué, l’agente a conclu de façon raisonnable que l’adoption de Gurmeet n’était pas conforme au sous‑alinéa 10(iv) de la HAMA, parce qu’elle avait atteint l’âge de 15 ans au moment de la présumée adoption. En second lieu, l’agente a conclu que l’adoption de Gurmeet n’était pas conforme au sous‑alinéa 11(ii) parce que les demandeurs avaient déjà une fille vivante au moment de l’adoption. Je ne décèle aucune erreur justifiant notre intervention dans cette conclusion. Ces conclusions peuvent être dissociées des questions d’interprétation et tranchent le sort de la décision en ce qui concerne l’adoption de Gurmeet.

(2)               Jagmohan

[69]           L’alinéa 5.1(1)b) de la Loi sur la citoyenneté exige que l’adoption ait « créé un véritable lien affectif parent‑enfant ». L’agente a examiné cette question en détail et a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi un lien véritable. Toutefois, dans sa décision, l’agente rattache cette question à l’article 12 de la HAMA, qui est une disposition déterminative et qui n’exige pas qu’il y ait eu dans les faits une rupture des liens. Les demandeurs soulignent que l’agente a mal appliqué l’article 18 de la HAMA en confondant les conséquences juridiques de l’adoption en Inde avec les exigences factuelles de la Loi sur la citoyenneté. En d’autres mots, ni l’article 12 de la HAMA, ni l’article 5.1 de la Loi sur la citoyenneté n’exigent que l’enfant adoptif ait effectivement rompu ses liens avec ses parents biologiques pour établir un lien de filiation avec ses parents adoptifs. Voici ce qu’ils soutiennent (dossier des demandeurs T‑1390‑14, aux pages 92 et 93) :

[traduction]

48.  Le fait qu’un enfant adoptif puisse maintenir un lien affectif avec ses parents biologiques peut constituer une preuve pertinente pour décider si les liens qu’il crée avec ses parents adoptifs sont authentiques. Toutefois, dans le cas qui nous occupe, l’agente des visas n’a pas examiné sous cet angle les liens créés entre l’enfant adoptif et ses parents biologiques.

49.  L’agente des visas a plutôt transformé ce qui constituait peut‑être des éléments de preuve pertinents en un critère juridique. Elle a refusé cette adoption parce qu’elle n’était pas convaincue que les liens étaient rompus avec les parents biologiques.

50.  En d’autres termes, l’agente des visas a exigé que les demandeurs démontrent qu’il y avait eu effectivement rupture des liens, un fardeau que la loi ne leur imposait pas. La preuve qui leur incombait était de démontrer uniquement l’authenticité de l’adoption.

51.  L’agente des visas pouvait légitimement refuser la demande si les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de l’obligation qui leur incombait de démontrer l’authenticité de l’adoption. Toutefois, l’agent des visas ne peut légitimement refuser une demande lorsque le demandeur ne réussit pas à démontrer un des nombreux faits éventuellement pertinents.

52.  Les parents adoptifs n’ont pas à démontrer qu’il y a eu effectivement rupture des liens avec les parents biologiques pour démontrer l’authenticité de l’adoption. Les parents doivent plutôt démontrer l’authenticité d’après l’ensemble des faits de l’espèce. Le fait de transformer un élément de preuve éventuellement pertinent en critère juridique rigide constitue une erreur de droit.

[70]           Le défendeur admet que l’agente a mal interprété l’article 12 de la HAMA, mais soutient que cette erreur n’invalide pas sa décision (dossier du défendeur T‑1390‑14, aux pages 31 et 32) :

[traduction]

51.  Le défendeur admet que l’agente a mal interprété l’article 12 de la HAMA en considérant qu’il créait une condition d’adoption. Plutôt que de créer une obligation, cet article prévoit que certaines choses sont présumées vraies dès lors qu’une adoption a eu lieu au sens de la HAMA. Dans la mesure où l’agente a conclu que les exigences de la HAMA n’avaient pas été satisfaites en raison du défaut de respecter l’article 12, elle a commis une erreur. Cette erreur est sans incidence sur la décision, tant parce que l’agente avait un autre motif raisonnable de conclure qu’aucun véritable lien affectif parent‑enfant n’avait été créé que parce que les autres conclusions qu’elle avait tirées en vertu des sous‑alinéas 10(iv) et 11(ii) de la HAMA (dont nous avons discuté) étayaient par ailleurs son refus de la demande.

[Renvois omis.]

[71]           La question à laquelle la Cour doit répondre dans le cas de Jagmohan est celle de savoir si la conclusion de non‑conformité avec les alinéas 5.1b) et 5.1c) de la Loi sur la citoyenneté suivant laquelle [traduction« l’adoption n’est pas conforme à l’article 12 de la Loi sur les adoptions », de sorte qu’elle est [traduction« nulle au sens du paragraphe 5(1) de la Loi en question » constitue une erreur susceptible de contrôle nécessitant le réexamen de la demande de Jagmohan.

[72]           Avant d’examiner l’article 12 de la HAMA, l’agente a conclu qu’elle n’était pas [traduction« convaincue qu’un « don et une prise en adoption » concrets avait eu lieu relativement à [la] présumée adoption au moment de la rédaction de l’acte d’adoption » (DCT, à la page 3). Il semble que cette conclusion repose sur les conclusions antérieures de l’agente (DCT, aux pages 2 et 3) :

Au cours de l’entrevue, Jagmohan Singh vous a appelé « mon oncle » et « ma tante » et il a appelé ses parents biologiques « maman » et « papa ». Même après l’adoption, tous ses documents scolaires étaient au nom de ses parents biologiques. Même les documents scolaires de 2012 sont faits au nom des parents biologiques. Lors de l’entrevue, ni Jagmohan Singh ni vous, ni les parents biologiques ne pouviez vous rappeler grand‑chose au sujet de la cérémonie d’adoption et aucun d’entre vous n’était en mesure de se rappeler la date de la cérémonie d’adoption. En Inde, dans les familles élargies, il est très courant qu’un frère plus à l’aise paie les études de ses neveux et nièces ainsi que leurs frais de subsistance, ce qui ne suffit pas pour créer un lien de filiation. De plus, les parents biologiques de Jagmohan Singh ont déclaré lors de l’entrevue qu’ils conservaient des liens solides avec lui malgré l’accord verbal par lequel il l’avait donné en adoption, ce qui implique qu’il ne s’agissait pas d’une cérémonie importante constatant la création de nouveaux liens entre vous et Jagmohan Singh et la rupture des liens avec ses parents biologiques.

[73]           Le sous‑alinéa 11(vi) dispose dans les termes les plus nets que la cérémonie de don et de prise en adoption est une condition nécessaire de validité de l’adoption :

[traduction]

11. Autres conditions de validité de l’adoption – Dans tous les cas d’adoption, les conditions suivantes doivent être respectées :

[…]

(vi) l’enfant à adopter doit effectivement être remis et pris en adoption par les parents ou le tuteur concernés ou sous leur autorité dans le but de transférer l’enfant de la famille où il est né (ou dans le cas d’un enfant qui a été abandonné ou dont les parents sont inconnus, de l’endroit ou de la famille où il a été élevé) à la famille qui l’adopte; […]

[74]           L’agente cite également dans ses notes du SMGC des décisions suivant lesquelles un acte d’adoption ne constitue pas une preuve suffisante d’adoption à défaut de don et de prise en adoption effectifs (Raghunath Behera c Balaram Behera, AIR 1996 Ori 38).

[75]           Par conséquent, j’estime que la conclusion de l’agente suivant laquelle aucune cérémonie de don et de prise en adoption n’a eu lieu est déterminante quant à l’issue de la demande de Jagmohan.

[76]           Il est incontestable que l’agente a commis une erreur dans sa décision. Elle n’a pas établi de lien entre sa conclusion suivant laquelle aucune cérémonie de don et de prise en adoption n’avait eu lieu et sa conclusion. Elle se contente de déclarer : [traduction] « Comme l’adoption de Jagmohan Singh ne satisfait pas aux exigences de la loi sur les adoptions, elle est nulle et n’entraîne pas la création d’une relation parent-enfant. En conséquence, Jagmohan Singh n’est pas votre enfant adoptif au sens des alinéas 5.1(1) b) et c) de la Loi sur la citoyenneté. »

[77]           Toutefois, lorsque j’examine les notes du SMGC, lesquelles font partie des motifs de la décision, j’estime qu’il est évident que l’agente savait qu’une cérémonie de don et de prise en adoption était nécessaire pour qu’une adoption valide ait lieu et qu’elle n’était pas convaincue qu’une adoption valide avait eu lieu.

[78]           Les notes du SMGC révèlent également que l’agente a aussi conclu qu’elle n’était pas convaincue qu’un véritable lien affectif parent‑enfant avait été créé comme l’exige l’alinéa 5.1(1)b). Les demandeurs affirment que, comme l’agente avait tiré une conclusion au sujet de l’authenticité du lien dans le cadre de son analyse de l’article 12, la Cour ne peut pas deviner qu’elle aurait tiré la même conclusion en vertu de l’alinéa 5.1(1)b). Je suis d’accord pour affirmer que la Cour ne peut spéculer comment l’agente aurait tranché une question sur laquelle elle ne s’est pas penchée. Toutefois, la Cour n’a pas besoin de spéculer. L’agente a formulé une conclusion très claire dans les notes qu’elle a consignées au SMGC en déclarant qu’elle n’était pas convaincue qu’un lien véritable avait été créé et elle a exposé les motifs de sa conclusion (DCT, à la page 10) :

[traduction]

Bien que l’on ait déclaré que l’adoption de Gurmeet et de Jagmohan a été faite verbalement alors qu’ils étaient tous deux très jeunes, en 2002, lorsque les parents adoptifs sont arrivés au Canada, ils n’ont pas choisi de légaliser les adoptions. Je ne suis pas convaincue qu’un véritable lien parent‑enfant a été créé avant que les parents adoptifs ne quittent pour le Canada et je ne suis pas convaincue qu’un tel lien a été créé après l’adoption. Les deux enfants appelaient leurs parents biologiques « maman » et « papa » lors de l’entrevue et tous les documents scolaires étaient au nom de leurs parents biologiques, et ce, même après l’adoption. Qui plus est, les certificats de naissance des enfants étaient au nom des parents biologiques.

[79]           Cette conclusion et les motifs exposés à l’appui me semblent intelligibles, justifiés et transparents. Comme le critère énoncé au paragraphe 5.1(1) est cumulatif (Jardine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 565, au paragraphe 15), cette conclusion est également déterminante quant à l’issue de la demande.

[80]           Le problème est que, malgré l’existence de ces deux conclusions manifestement déterminantes, l’agente a pour une raison quelconque poursuivi son analyse, analyse qu’elle a embrouillée en interprétant de façon erronée la HAMA. Suivant mon interprétation, son analyse de la HAMA n’est pas pertinente, car elle avait déjà décidé qu’il n’y avait pas de véritable lien affectif parent‑enfant et qu’une cérémonie de don et de prise en adoption n’avait pas eu lieu. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas démontré que les adoptions satisfaisaient à l’alinéa 5.1(1)b) et à l’alinéa 5(1)c). Je crois que, selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, la décision peut résister à un examen rigoureux, compte tenu des conclusions claires contenues dans les notes du SMGC. À mon avis, l’interprétation erronée de l’article 12 de la HAMA n’a pas de conséquence sur la décision en raison des autres conclusions de fait tirées par l’agente au titre du paragraphe 5.1(1) de la Loi sur la citoyenneté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande présentée dans le dossier T‑1389‑14 est rejetée;
  2. La demande présentée dans le dossier T‑1390‑14 est rejetée;
  3. Aucuns dépens n’ont été sollicités dans l’un ou l’autre dossier et aucuns ne sont adjugés;
  4. Une copie du présent jugement sera versée dans chacun des deux dossiers.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1389-14

 

INTITULÉ :

JOGINDER SINGH SAHOTA, GURMEET KAUR

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

T-1390-14

 

INTITULÉ :

JOGINDER SINGH SAHOTA, JAGMOHAN SINGH SAHOTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Russell

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES demandeurs

 

Nalini Reddy

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE défendeur

 

 

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