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Date : 20150713


Dossier : T-193-14

Référence : 2015 CF 853

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

DODSON HENDERSON WEEKES

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’encontre d’une décision de Transports Canada rejetant la demande du demandeur pour une habilitation de sécurité en matière de transports (l’habilitation) nécessaire pour travailler à l’Aéroport international Lester B. Pearson à Toronto, en Ontario (l’aéroport).

II.                Le contexte factuel

[2]               Le demandeur a été employé à l’aéroport par Servisair, à titre de bagagiste. Ce poste exige l’accès à des zones d’accès restreint de l’aéroport. À l’origine, le demandeur avait obtenu en 1997 une habilitation qui devait être renouvelée tous les cinq ans. Le plus récent renouvellement a été accordé le 11 juin 2012.

[3]               Le 13 août 2013, la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) a communiqué à Transports Canada un rapport sur la vérification des antécédents criminels (le rapport de la GRC) concernant le demandeur. Ce rapport indiquait ce qui suit :

  • Le demandeur est associé à trois autres personnes employées à l’aéroport et identifiées seulement comme étant les sujets A, B et C (les sujets), qu’on croit être des complices dans un réseau d’importation de drogues à l’aéroport;
  • L’Unité de renseignements de l’aéroport YYZ a reçu d’une source humaine fiable, le 7 mai 2007, des renseignements indiquant que le demandeur et les sujets se rendaient à l’aéroport lors de leurs jours de congé pour recueillir des substances désignées provenant de vols internationaux;
  • Le 14 mai 2007, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a observé le sujet A en train de débarquer des bagages sur un tapis roulant au terminal 3. Il a été découvert que l’une des valises débarquées contenait vingt briques de cocaïne dissimulées dans deux petits sacs à dos;
  • Le demandeur et les deux autres sujets ont été vus au terminal 3 ce jour-là, bien qu’ils n’aient pas été inscrits à l’horaire de travail;
  • La stratégie d’emballage observée par l’ASFC est une [traduction] « sérieuse indication » de complot interne et de corruption d’employés;
  • Un rapport de l’Unité de renseignements de l’aéroport YYZ, daté du 25 janvier 2008, révélait qu’on croyait que le demandeur et les sujets faisaient partie d’un groupe soupçonné de contrebande de stupéfiants à partir de l’aéroport. Aussi, selon le rapport, il existait des données électroniques indiquant que le demandeur et le sujet A se trouvaient à l’aéroport lors de leurs jours de congé et qu’ils utilisaient leurs cartes d’identité de zones réglementées pour accéder à des portes sécurisées au sein de l’aéroport;
  • Le Groupe de lutte antidrogue de la GRC à l’aéroport de Toronto a reçu des renseignements d’une source humaine fiable et confidentielle, selon lesquels le demandeur pourrait comploter et complote bel et bien pour importer des drogues avec des personnes autres que le sujet A, à l’aéroport;

[4]               Dans une lettre datée du 22 août 2013 (la lettre), le directeur du Programme de filtrage de sécurité (le PFS) a avisé le demandeur que le PFS avait reçu des renseignements défavorables quant à aux qualités qu’il possédait pour conserver son habilitation et que celle-ci serait examinée par l’Organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’Organisme consultatif) qui fournirait, par la suite, ses recommandations au ministre des Transports (le ministre). La lettre comprenait les allégations contenues dans le rapport de la GRC, énoncées presque textuellement.

[5]               La lettre invitait le demandeur à consulter la Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transports (la politique) et l’encourageait à fournir des renseignements supplémentaires ou des explications, y compris toute circonstance atténuante. Le demandeur n’a pas répondu à la lettre.

[6]               L’Organisme consultatif s’est réuni le 19 novembre 2103 et a recommandé l’annulation de l’habilitation du demandeur. Cette recommandation se fondait sur les renseignements au dossier, qui amenaient l’Organisme consultatif à croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était sujet ou susceptible d’être incité à commettre un acte ou à aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile.

[7]               La décision définitive d’annuler l’habilitation a été rendue au nom du ministre par madame Erin O’Gorman, directrice générale de la sécurité aérienne, et a été communiquée au demandeur dans une lettre datée du 13 décembre 2013. Essentiellement, la décision réitérait les facteurs dont l’Organisme consultatif avait tenu compte, de même que ses préoccupations quant aux qualités possédées par le demandeur pour l’habilitation.

III.             La question en litige

[8]               Dans le cadre de la présente demande, la seule question en litige est de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

IV.             La norme de contrôle

[9]               En ce qui concerne l’équité procédurale dans le contexte des habilitations de sécurité en matière de transport, la norme de contrôle est la décision correcte (Sylvester c Canada (Procureur général), 2013 CF 904 (Sylvester), au paragraphe 11, citant Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323 (Clue)).

V.                Analyse

[10]           Il a été dit que, dans les dossiers liés à l’habilitation en matière de sécurité, le niveau d’équité se limite « au droit de connaître les faits reprochés contre [le demandeur] et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits » (Salmon c Canada (Procureur général), 2014 CF 1098 (Salmon) , au paragraphe 27; Sylvester, au paragraphe 11, citant Pouliot c Canada, 2012 CF 347; Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175 (Rivet), au paragraphe 25).

[11]           Le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, en ce qu’il n’a pas eu d’occasion valable de répondre directement aux allégations faites contre lui, puisque la lettre n’indiquait pas l’identité des sujets, les dates précises auxquelles le demandeur se serait trouvé à l’aéroport alors qu’il était en congé et aurait accédé à des zones d’accès restreint, ni les zones précises du terminal 3 où sa présence aurait été observée.

[12]           Le demandeur s’appuie exclusivement sur la décision récente du juge Rennie dans Meyler c Canada (Procureur général du Canada), 2015 CF 357, 250 ACWS (3d) 542 (Meyler). Dans cette affaire, une décision similaire du ministre a été annulée pour des motifs d’équité procédurale. Dans l’affaire Meyler, la demanderesse comptait parmi trois sujets mentionnés dans un rapport de la GRC et, tout comme le demandeur en l’espèce, elle avait perdu son habilitation de sécurité.

[13]           Résumant la position difficile dans laquelle se trouvait la demanderesse dans Meyler, le juge Rennie a déclaré ce qui suit :

[35]      En somme, la demanderesse a perdu son emploi à cause d’allégations selon lesquelles, peut-être quelque part entre 2007 et 2009, ou peut-être après 2009 et 2013, elle s’était associée, sans que l’on sache comment, avec une certaine personne non précisée, dans un important réseau d’importation de drogue à l’aéroport Pearson. Hormis une accusation mineure portée il y a de nombreuses années pour le vol d’un flacon de Tylenol pour enfant dans une pharmacie, la demanderesse n’a pas de casier judiciaire. Elle n’a jamais été questionnée sur la supposée activité criminelle évoquée dans la lettre de décision. Elle n’a jamais été accusée en marge de cette activité.

[36]      De quoi la demanderesse devait-elle répondre? Était-ce de son implication dans un complot entre 2007 et 2009, comme l’indiquait la lettre de décision, ou était-ce de son implication dans une enquête en cours, comme l’avait insinué la GRC? Pourquoi le ministère des Transports avait-il attendu plus de trois ans avant de donner suite à l’information, qu’il disait détenir de sources dignes de foi? Ce dont la demanderesse devait répondre n’était qu’un fatras d’allégations imprécises se résumant à l’idée voulant que, quelque part entre 2007 et 2013, elle se soit associée à une personne non identifiée qui était impliquée dans des activités de contrebande de drogue à l’aéroport Pearson. On ne sait toujours pas comment elle s’est ainsi associée, ni le rôle qu’elle-même a pu jouer dans les activités de contrebande, ne serait-ce que dans ses aspects les plus élémentaires, à savoir la date, l’heure et l’endroit.

[14]           Le défendeur admet que la décision du juge Rennie devrait servir de guide pour décider du résultat en l’espèce. Il soutient cependant que la Cour doit prendre en considération les tentatives sérieuses faites par la demanderesse dans Meyler pour obtenir des renseignements supplémentaires sur les allégations, lesquelles furent toutes rejetées, alors que le demandeur en l’espèce n’a aucunement réagi à la lettre d’équité. Le défendeur est d’avis que cette différence factuelle est importante.

[15]           Cependant, le demandeur a souligné que toutes les demandes formulées par Mme Meyler avaient été refusées au cours de la période même pendant laquelle il aurait demandé les mêmes précisions et il fait valoir que, comme on peut le voir d’après les faits décrits dans Meyler, l’argument du défendeur n’a pas de fondement dans la réalité.

[16]           Je conviens que l’argument du défendeur est, en réalité, trop artificiel. Il n’y avait aucune chance pour que le demandeur reçoive une réponse positive s’il avait formulé une demande. Par conséquent, j’applique la décision Meyler en l’espèce et j’accueillerai la demande visant l’annulation de la décision du ministre qui a révoqué l’habilitation de sécurité du demandeur. De même, l’ordonnance exigera que la nouvelle décision soit rendue conformément aux motifs énoncés dans Meyler.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  la demande de révision judiciaire est accueillie, et la décision de révoquer l’habilitation de sécurité du demandeur est annulée;

2.                  le dossier est renvoyé au ministre pour nouvelle décision, conformément aux motifs énoncés dans Meyler c Canada (Procureur général), 2015 CF 357, 250 ACWS (3d) 542;

3.                  les dépens sont adjugés au demandeur.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -193-14

 

INTITULÉ :

DODSON HENDERSON WEEKES c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Annis

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2015

COMPARUTIONS :

Gregory Lafontaine et Jason Au

Pour le demandeur

 

Laura Tausky

Pour le DéFEndeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gregory Lafontaine

Lafontaine & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le DéFEndeur

 

 

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