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Date : 20150709


Dossier : IMM‑5603‑14

Référence : 2015 CF 840

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

XIA LI

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’encontre d’une décision rendue le 27 juin 2014 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a fait droit à l’appel du défendeur, a annulé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) et a statué que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La demanderesse soutient que cette décision est déraisonnable et que la SAR aurait dû faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR, étant donné que celles‑ci étaient fondées sur la crédibilité.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Le contexte

[3]               La demanderesse est Mme Xia Li, une citoyenne de la République populaire de Chine. Elle dit avoir commencé à fréquenter une maison‑église chrétienne en mars 2013 dans le Hebei, en Chine. Le 4 août 2013, le Bureau de la sécurité publique a fait une descente dans la maison‑église. Mme Li a réussi à s’échapper, et elle s’est cachée. Elle a quitté la Chine puis est entrée au Canada clandestinement, arrivant au pays le 17 novembre 2013. Elle a présenté une demande d’asile, que la SPR a entendue le 31 janvier 2014. Malgré qu’elle ait conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible, la SPR a statué, dans une décision prononcée de vive voix, que la demanderesse avait qualité de réfugié au sens de la Convention parce qu’elle était une chrétienne pratiquante au Canada, et il y avait donc plus qu’une simple possibilité qu’elle soit victime de persécution en Chine.

[4]               Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, a interjeté appel de cette décision favorable auprès de la SAR, en soutenant que celle‑ci devrait annuler la décision de la SPR et lui substituer une décision portant que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Subsidiairement, le ministre a demandé à ce que l’affaire soit renvoyée à la SPR pour que celle‑ci rende une nouvelle décision. La SAR a fait droit à l’appel et a substitué à la décision de la SPR sa décision selon laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

II.                La décision de la SAR

[5]               La SAR a noté que, malgré que la SPR ait conclu que la demanderesse n’était pas un témoin crédible, elle avait conclu que la demanderesse avait participé à des activités chrétiennes au Canada et qu’elle ne pourrait pas continuer à participer à ces activités si elle retournait au Hebei, en Chine. Pour ce motif, la SPR a statué que la demanderesse avait qualité de réfugié au sens de la Convention.

[6]               La SAR a suivi la décision Iyamuremye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 494 (Iyamuremye) pour statuer que la norme de contrôle qu’elle devait appliquer était celle de la décision raisonnable à l’égard des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit et la norme de la décision correcte à l’égard des questions de droit.

[7]               La SAR a affirmé que la question déterminante était celle de savoir si la SPR avait apprécié incorrectement la preuve des activités chrétiennes de la demanderesse au Canada à la lumière de ses conclusions défavorables concernant la crédibilité. Autrement dit, la SPR avait‑elle un motif raisonnable de conclure que la demanderesse continuerait de pratiquer le christianisme en Chine ou qu’elle serait raisonnablement perçue comme étant une chrétienne en Chine? La SAR a noté que la SPR avait tiré de nombreuses conclusions défavorables concernant la crédibilité et que la demanderesse n’avait contesté aucune de ces conclusions. La SPR a conclu que la demanderesse avait menti, qu’elle avait fabriqué des éléments de preuve et qu’elle avait tenté d’induire le tribunal en erreur. La SPR a également tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité du témoignage de la demanderesse au sujet de ses activités chrétiennes au Canada. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas été un témoin crédible tout au long de son témoignage.

[8]               La SAR a trouvé ces conclusions convaincantes lorsqu’elle a évalué l’authenticité des activités chrétiennes de la demanderesse au Canada et de son intention de continuer sa pratique du christianisme en Chine. Bien que la SAR ait convenu, comme la SPR l’avait affirmé, qu’un demandeur d’asile peut être à la fois un menteur et un réfugié, la SPR a omis d’expliquer comment la participation à des activités chrétiennes au Canada permettait de passer outre à toutes ses conclusions défavorables convaincantes concernant la crédibilité pour étayer la conclusion selon laquelle la demanderesse continuerait à pratiquer le christianisme si elle retournait en Chine.

[9]               La SAR a noté que la demanderesse avait produit en preuve devant la SPR un certificat de baptême et une lettre de son église au Canada pour corroborer ses activités religieuses au Canada, mais la SAR a estimé que la fréquentation d’une église ne témoignait pas des convictions d’une personne et n’attestait pas de la motivation de la demanderesse à continuer à pratiquer le christianisme en Chine. La SAR a estimé que les documents produits par la demanderesse ne permettaient pas de passer outre aux conclusions défavorables convaincantes de la SPR concernant la crédibilité. La SAR a également statué que, chose plus importante, la SPR avait conclu que la demanderesse manquait de crédibilité dans son témoignage au sujet de ses activités chrétiennes au Canada. La SAR a statué que cette conclusion concernant la crédibilité sapait directement l’authenticité de ces activités, tout particulièrement à la lumière des conclusions importantes concernant la crédibilité générale de la demanderesse.

[10]           La SAR a conclu que la décision générale de la SPR omettait de traiter des importants problèmes de crédibilité au dossier et était donc déraisonnable. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, la SAR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse ne continuerait pas à pratiquer le christianisme dans une église de son choix à son retour en Chine. Par conséquent, la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau d’établir qu’il existait une possibilité sérieuse qu’elle s’expose à un risque de persécution ou qu’elle soit personnellement exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou d’être soumise à la torture par quelque autorité que ce soit en Chine. La SAR a fait droit à l’appel et elle a substitué à la décision de la SPR sa propre décision selon laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

III.             Les questions à trancher

[11]           Je formulerais comme suit les questions que soulève la présente demande de contrôle judiciaire :

A.    La SAR a‑t‑elle appliqué la bonne norme de contrôle?

B.     La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a fait droit à l’appel et a substitué sa propre décision à celle de la SPR?

IV.             Analyse

A.                La SAR a‑t‑elle appliqué la bonne norme de contrôle?

[12]           Avant de traiter des positions des parties au sujet de la norme de contrôle, il est utile de passer en revue certaines des décisions récentes de la Cour sur cette question.

[13]           Comme le juge Fothergill l’a noté dans la décision Ngandu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 423, le droit n’est pas encore fixé quant à la norme de contrôle que cette Cour doit appliquer à la décision de la SAR concernant la norme de contrôle qu’elle‑même doit appliquer. Certaines décisions de la Cour ont appliqué la norme de la décision correcte (voir, par exemple, les motifs du juge Phelan dans la décision Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, aux paragraphes 25 à 34 (Huruglica)). Dans d’autres décisions, la Cour a conclu qu’elle devrait appliquer la norme de la décision raisonnable lorsqu’elle examinait la décision de la SAR concernant la norme de contrôle qu’elle‑même devait appliquer (voir, par exemple, les motifs de la juge Gagné dans la décision Akuffo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1063, aux paragraphes 17 à 26).

[14]           Toutefois, comme le juge Martineau l’a souligné dans la décision Djossou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1080, au paragraphe 37 (Djossou), la Cour peut parfois adopter une approche pragmatique à l’égard de cette question, dans des circonstances où la décision de la Cour d’appliquer la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte à la décision de la SAR concernant la norme de contrôle qu’elle‑même doit appliquer n’a pas un caractère déterminant à l’égard de l’issue d’une demande de contrôle judiciaire. La présente affaire en est une où l’approche pragmatique peut être appliquée. Comme je l’expliquerai plus en détail plus loin dans les présents motifs, le choix de la norme de la décision raisonnable par la SAR ne s’accorde pas avec les précédents applicables (dont certains sont susmentionnés), mais cela est indifférent. La SAR a retenu une norme exigeant plus de retenue que le prescrit la jurisprudence, mais elle a tout de même conclu que la décision de la SPR ne pouvait pas résister au contrôle en appel.

[15]           Les décisions de la Cour ont exprimé de différentes façons la norme de contrôle que la SAR devrait appliquer lorsqu’elle instruit les appels de décisions de la SPR. Le juge Shore a traité de cette question dans une trilogie de décisions, soit Iyamuremye, Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 702 (Alvarez) et Eng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 711. Dans Alvarez, au paragraphe 33, le juge Shore a exprimé ses conclusions en ces termes :

La Cour est d’accord que la SPR, étant le tribunal de première instance, doit se voir accorder une certaine déférence à l’égard de ses conclusions de fait, et de fait et droit. La SPR est la mieux placée pour tirer ces conclusions parce qu’elle est le tribunal de première instance, le tribunal des faits, possédant l’avantage d’avoir entendu les témoignages à vive voix (Housen, ci‑dessus). Cependant, la SAR doit néanmoins effectuer sa propre évaluation de l’ensemble de la preuve afin de déterminer si la SPR s'est fondée sur un mauvais principe de droit ou a mal apprécié les faits au point de commettre une erreur manifeste et dominante. L'idée selon laquelle la SAR pourrait substituer une décision attaquée pour celle qui aurait dû être rendue sans premièrement évaluer la preuve est complètement incompatible avec l'objet de la LIPR et la jurisprudence traitant du libellé presque identique du paragraphe 67(2). La Cour estime que la SAR a mal interprété son rôle en tant qu’instance d’appel en statuant que son rôle n’était que d’évaluer si la décision de la SPR appartenait aux issues possibles acceptables selon la norme de la décision raisonnable.

[16]           Le juge Phelan a traité comme suit de la norme de contrôle que la SAR devait appliquer, aux paragraphes 54 et 55 de la décision Huruglica :

Après avoir conclu que la SAR avait commis une erreur en examinant la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, j’ai conclu en outre que, pour les motifs qui précèdent, la SAR doit instruire l’affaire comme une procédure d’appel hybride. Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et en arriver à sa propre conclusion quant à savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger. Lorsque ses conclusions diffèrent de celles de la SPR, la SAR doit y substituer sa propre décision.

Lorsque la SAR effectue son examen, elle peut reconnaître et respecter la conclusion de la SPR sur des questions comme la crédibilité et/ou lorsque la SPR jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion, mais elle ne doit pas se borner, comme doit le faire une cour d’appel, à intervenir sur les faits uniquement lorsqu’il y a une « erreur manifeste et dominante ».

[17]           Toutefois, comme le juge Martineau l’a noté dans l’affaire Djossou, au paragraphe 37, de telles décisions s’accordent pour conclure (sans égard à la norme de contrôle adoptée par cette Cour) que la SAR ne devrait pas adopter elle‑même une norme de contrôle judiciaire lorsqu’elle exerce ses fonctions d’appel.

[18]           Dans les décisions Alvarez et Huruglica, la norme de contrôle exprimée est caractérisée par un certain degré de retenue dont la SAR doit faire preuve à l’égard des conclusions de fait de la SPR, en particulier lorsque des questions de crédibilité se posent, mais également par l’importance que la SAR effectue son propre examen indépendant.

[19]           Pour ce qui concerne maintenant les observations des parties, la demanderesse renvoie à la jurisprudence de la Cour selon laquelle la SAR ne devrait pas effectuer un contrôle judiciaire, mais devrait plutôt instruire un [traduction] « appel hybride » en examinant tous les aspects de la décision de la SPR et en procédant à un examen indépendant de la question de savoir si le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger, sauf lorsque la crédibilité des témoins est cruciale ou déterminante, auquel cas la SAR doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la SPR. La demanderesse soutient qu’en l’espèce, la question déterminante était purement la crédibilité et la SAR aurait dû faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la SPR.

[20]           Le défendeur n’est pas en désaccord avec la position de la demanderesse selon laquelle la SAR devrait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité. Selon le défendeur, c’est exactement ce que la SAR a fait en l’espèce, et, compte tenu des conclusions défavorables concernant la crédibilité, la décision de la SPR ne résisterait pas au contrôle en appel peu importe la norme de contrôle appliquée par la SAR. La SAR avait choisi la norme de la décision raisonnable en s’appuyant sur la décision Iyamuremye, et la décision Huruglica prescrivait une démarche empreinte d’encore moins de retenue. Par conséquent, l’issue serait identique, quelle que soit la norme de contrôle.

[21]           Ainsi, les positions des parties ne divergent pas quant aux principes relatifs à la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la crédibilité.

[22]           Toutefois, le défendeur a soutenu en outre que la décision de la SAR reposait en vérité sur une question de droit, que la SAR était pleinement habilitée à corriger en appel, cette erreur étant le défaut de la SPR d’appliquer correctement le droit relatif aux demandes d’asile sur place. Le défendeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que, bien qu’elle ne fût pas une véritable chrétienne, la demanderesse avait une demande d’asile sur place valide parce qu’elle fréquentait l’église au Canada.

[23]           La Cour note que la SAR a adopté la norme de la décision raisonnable suivant son interprétation de la décision Iyamuremye. Bien que la formulation de la norme par la SAR soit en porte‑à‑faux avec les principes énoncés dans la décision Iyamuremye et dans la jurisprudence subséquente examinée plus haut, la Cour conclut que cela est indifférent. La SAR a exprimé une norme qui commande davantage de retenue que ce que prescrit la jurisprudence, en particulier si l’on partage l’avis du défendeur selon lequel la SAR intervenait sur un point de droit, et pourtant elle a tout de même conclu que la décision de la SPR ne pouvait pas résister au contrôle en appel.

[24]           En concluant que le choix que la SAR a fait de la norme applicable est sans conséquence, je suis conscient de la divergence des positions des parties quant à savoir si la décision de la SAR repose sur une question de crédibilité, auquel cas une certaine retenue s’impose, ou sur une question de droit, auquel cas une norme moins déférente s’applique. Toutefois, comme je l’expliquerai plus loin, la Cour conclut que la décision de la SAR tient la route même si l’on adopte la position de la demanderesse selon laquelle il fallait faire preuve, à l’égard de la décision de la SPR, du degré de retenue associé aux conclusions concernant la crédibilité.

B.                 La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a fait droit à l’appel et a substitué sa propre décision à celle de la SPR?

[25]           La demanderesse soutient que la SPR a conclu que, même si Mme Li n’était pas crédible sur tous les fronts, elle était tout de même une réfugiée sur place compte tenu des preuves de ses activités chrétiennes au Canada. La demanderesse renvoie la Cour aux décisions Mohajery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 185, aux paragraphes 31 et 32 (Mohajery), Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, aux paragraphes 89, 90, 91 et 94 (Yin) et Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 205, aux paragraphes 31 et 32 (Huang) au soutien de ses prétentions. La SAR a instruit l’appel sur dossier sans tenir d’audience, et elle n’aurait pas dû substituer sa décision étant donné que la principale question en litige était la crédibilité de l’identité chrétienne de la demanderesse au Canada. La SAR aurait dû renvoyer l’affaire pour que celle‑ci fasse l’objet d’une nouvelle décision si elle estimait que la décision de la SPR était mal fondée, plutôt que de réévaluer les conclusions concernant la crédibilité et de les réappliquer à la demande d’asile sur place de la demanderesse.

[26]           Le défendeur soutient que la SAR a conclu avec raison que la décision de la SPR était déraisonnable, parce que la SPR avait omis de s’interroger quant à savoir si la demanderesse était une véritable chrétienne qui, à son retour au Canada, continuerait de pratiquer le christianisme d’une manière qui serait portée à l’attention des autorités, et le défendeur ajoute qu’en fait, toutes les conclusions défavorables concernant la crédibilité étaieraient la conclusion contraire.

[27]           La Cour a examiné les précédents invoqués par la demanderesse au soutien de sa prétention selon laquelle, même si une demandeure d’asile n’est pas considérée comme crédible relativement aux événements qui ont eu lieu dans son pays d’origine, des preuves crédibles d’activités au Canada, qui pourraient créer un risque que la demandeure d’asile soit persécutée à son retour dans son pays d’origine, peuvent tout de même fonder une demande d’asile sur place.

[28]           La demanderesse invoque la décision Mohajery, aux termes de laquelle le juge Blanchard a accueilli une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SPR qui avait rejeté une demande d’asile à cause du manque de crédibilité des éléments de preuve des demandeurs concernant des activités dans leur pays d’origine, mais avait complètement omis d’examiner la possibilité d’une demande d’asile sur place. La Cour a statué que la SPR aurait dû examiner la possibilité d’une demande d’asile sur place étant donné le fait que le demandeur d’asile avait produit des éléments de preuve documentaire relatifs à des activités religieuses au Canada.

[29]           En l’espèce, la Cour est d’avis que la décision Mohajery n’aide pas la demanderesse, puisque la SAR a examiné les éléments de preuve documentaire favorables à une demande d’asile sur place (le certificat de baptême de la demanderesse et une lettre de son église au Canada), mais elle a conclu que ces éléments de preuve témoignaient seulement de la participation de la demanderesse à des activités à l’église et non de sa motivation à continuer à pratiquer le christianisme en Chine. La SAR a examiné ces éléments de preuve, mais elle les a écartés en raison des conclusions défavorables que la SPR avait tirées concernant la crédibilité.

[30]           Dans le même ordre d’idées, dans la décision Huang, le juge Zinn a écrit ce qui suit au paragraphe 32 :

Même si la demanderesse principale ne pratiquait pas le christianisme en Chine, la preuve démontre qu’elle fréquente une église chrétienne au Canada et participe à ses activités. Peut‑être que, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, elle a eu une révélation et connu un éveil spirituel au Canada, ou peut‑être que ce n’est pas cas. Toutefois, pour parvenir à une décision quant à l’authenticité de ses croyances actuelles, la preuve doit faire l’objet d’une certaine analyse et, si sa preuve doit être complètement écartée, cette décision doit être étayée par des motifs. En l’espèce, il n’y a eu ni analyse ni justification.

[31]           Encore une fois, en l’espèce, la SAR n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve favorables à une demande d’asile sur place; elle les a examinés puis les a écartés pour des motifs liés à la crédibilité de la demanderesse.

[32]           Dans la décision Yin, le juge Russell a accueilli une demande de contrôle judiciaire en partie au motif que la SPR avait omis d’évaluer des preuves de la pratique du christianisme par le demandeur au Canada. Là encore, cette affaire se distingue de la présente espèce, car ici la SAR a pris en compte et évalué les éléments de preuve pertinents produits par la demanderesse.

[33]           Dans ces affaires, il est question d’éléments de preuve analogues aux éléments de preuve documentaire démontrant la participation de la demanderesse à des activités chrétiennes au Canada en l’espèce. C’est précisément le défaut d’évaluer ces éléments de preuve, de s’interroger quant à savoir s’ils étayaient une demande d’asile sur place, que la SPR a omis de faire en l’espèce, lorsqu’elle a admis de tels éléments de preuve comme établissant que la demanderesse était une chrétienne pratiquante à Toronto, mais sans examiner l’authenticité de ses croyances actuelles.

[34]           Même en admettant la position de la demanderesse selon laquelle la décision de la SPR implique une conclusion concernant la crédibilité relativement à l’authenticité de ses activités religieuses au Canada, cela est tout au plus implicite dans la décision de la SPR. Aussi, il était indiqué que la SAR exerce sa fonction d’appel en procédant à une évaluation indépendante de cet aspect de la décision de la SPR plutôt que de s’en remettre à la SPR sans autre forme d’analyse.

[35]           J’ai également examiné l’argument de la demanderesse selon lequel la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a annulé la décision de la SPR en raison de l’insuffisance des motifs, contraire à la directive de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. Il est bien établi que lorsqu’une cour exerce sa fonction de contrôle judiciaire dans une situation où les motifs d’un tribunal administratif paraissent insuffisants, elle devrait d’abord examiner le dossier pour chercher à compléter ces motifs avant de tenter de les contrecarrer.

[36]           Le défendeur soulève la question de savoir comment ce principe s’applique à la SAR lorsque celle‑ci exerce sa fonction d’appel. Toutefois, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question, puisqu’il est évident aux yeux de la Cour que la décision de la SAR en l’espèce ne reposait pas sur le caractère insuffisant des motifs. Bien que la SAR écrive dans sa décision que la SPR a omis d’expliquer en quoi le fait de participer à des activités chrétiennes au Canada permettait de passer outre aux conclusions défavorables convaincantes que la SPR avait tirées concernant la crédibilité, la SAR formulait cette remarque dans le cadre de sa propre analyse de la question de savoir si les éléments de preuve étayaient la demande d’asile sur place de la demanderesse.

[37]           Étant donné que la SAR n’a pas renvoyé l’affaire à la SPR pour que celle‑ci rende une nouvelle décision, mais a plutôt choisi de substituer sa propre décision, lors de l’audition de la présente affaire, j’ai invité les avocats à faire des observations sur les principes qui devraient guider la SAR lorsqu’elle décide de choisir ou non cette solution. L’avocat de la demanderesse a cité une décision récente de la juge Simpson qui traitait de la compétence de la SAR pour substituer sa propre décision. Puisque ce précédent a été cité en réponse à ma question et qu’il n’avait pas été inclus parmi les précédents déposés auprès de la Cour, j’ai invité les avocats à faire des observations écrites additionnelles sur l’application de cette décision.

[38]           L’avocat de la demanderesse a donné suite à cette invitation en renvoyant la Cour à la décision de la juge Simpson dans Jianzhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 551, au paragraphe 12 (Jianzhu), où la juge a statué que la SAR n’avait pas compétence en vertu de l’alinéa 111(1)b) de la Loi pour substituer sa propre décision sur la question de la demande d’asile sur place lorsque la SPR ne s’était pas prononcée elle‑même sur la demande d’asile sur place.

[39]           Je suis reconnaissant envers l’avocat de m’avoir signalé cette décision, mais je dois me ranger à l’avis exprimé dans les observations écrites additionnelles du défendeur selon lequel l’affaire Jianzhu peut être distinguée de la présente espèce, parce que la conclusion d’absence de compétence dans la décision Jianzhu reposait sur le fait que la SPR n’avait pas statué sur la question de la demande d’asile sur place. Par contraste, bien qu’elle n’emploie pas l’expression « sur place », la SPR en l’espèce a rendu une décision favorable sur cette question, et elle a accordé le statut de réfugié sur le fondement des activités religieuses de la demanderesse au Canada. La demanderesse souligne la conclusion de la SAR selon laquelle la SPR a omis d’évaluer l’intention de la demanderesse de participer à des activités chrétiennes si elle retourne en Chine. Toutefois, cela ne veut pas dire que la SPR n’a pas rendu de décision sur la question de la demande d’asile sur place, mais seulement qu’elle a omis de procéder à l’analyse nécessaire en ce faisant.

[40]           Étant donné que la SAR a substitué sa propre décision, j’ai également examiné la décision de la SAR au regard des principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Les conclusions défavorables que la SPR a tirées concernant la crédibilité n’ont pas été contestées devant la SAR. La SAR a pris en compte ces conclusions non contestées et les éléments de preuve que la demanderesse avait produits à l’appui de ses activités chrétiennes au Canada, et elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse ne continuerait pas à pratiquer le christianisme dans une église de son choix à son retour en Chine et qu’elle ne serait pas perçue comme une chrétienne en Chine. Comme dans la décision Jing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 609, aux paragraphes 21 à 23, la Cour conclut que la décision visée par le présent contrôle judiciaire est une décision raisonnable, justifiée, transparente, intelligible et qui appartient aux issues acceptables.

[41]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier aux fins d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5603‑14

INTITULÉ :

XIA LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Matthew Oh

POUR LA DEMANDERESSE

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Oh

Lewis & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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