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Date : 20150706


Dossier : IMM-4216-14

Référence : 2015 CF 823

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

YANLING CHEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SPR] qui a statué qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger, parce qu’elle n’avait pas réussi à établir qu’elle était membre du Falun Gong en Chine ni qu’elle était recherchée par le Bureau de la sécurité publique [BSP].

[2]               Cette décision était fondée sur l’évaluation par la SPR de « l’invraisemblance générale du récit de la demandeure d’asile ».

[3]               Mme Chen est une citoyenne de la Chine âgée de 53 ans qui dit avoir été initiée au Falun Gong par une amie en mai 2010 après avoir contracté un rhume quelques mois auparavant. Mme Chen affirme qu’elle a été attirée par le Falun Gong parce que les médecins étaient incapables de la guérir du rhume et d’autres problèmes de santé (insomnie). Le 10 mai 2010, elle a commencé à fréquenter un groupe clandestin de pratiquants du Falun Gong. Elle prétend l’avoir fait même si elle était consciente que la pratique était interdite en Chine. Après avoir commencé la pratique du Falun Gong, ses symptômes se sont atténués progressivement et elle a commencé à présenter d’autres personnes à son groupe de pratique.

[4]               Le 18 juillet 2011, elle affirme que le BSP a fait une descente dans son groupe clandestin de pratique du Falun Gong. Elle dit qu’elle a été en mesure d’éviter d’être repérée par le BSP et d’aller se cacher dans la maison d’un ami. Le lendemain, son mari l’a informée que deux personnes avaient été emmenées à la suite de la descente du BSP. Elle ajoute que le 20 juillet 2011, le BSP s’est présenté chez elle à sa recherche en l’accusant d’être mêlée au Falun Gong et qu’il lui a ordonné de se livrer aux autorités. Le 3 juillet 2011, les agents sont revenus et ont demandé à son mari pourquoi elle ne s’était pas livrée.

[5]               Craignant d’être persécutée en tant que pratiquante du Falun Gong, Mme Chen a quitté la Chine le 29 octobre 2011. Elle est arrivée au Canada le 5 novembre 2011 et elle a demandé l’asile trois jours plus tard.

[6]               La SPR a passé en revue la preuve documentaire sur la Chine en ce qui concerne le Falun Gong. À son avis, étant donné que les adeptes du Falun Gong faisaient face à la persécution en Chine depuis son interdiction en 1999, il serait raisonnable de s’attendre à ce que Mme Chen ait eu une raison impérieuse de se joindre au Falun Gong. Toutefois, la SPR n’a pas considéré convaincante la motivation de Mme Chen, étant donné qu’elle s’était jointe au Falun Gong parce qu’elle « avait un rhume et souffrait d’insomnie ». Aux yeux de la SPR, étant donné que ces maladies auraient pu être traitées par la médecine occidentale et chinoise et que le fondateur du mouvement avait déclaré que la pratique n’était pas une méthode pour guérir la maladie, la SPR s’est dite d’avis qu’un rhume ne justifiait pas la décision extraordinaire de se joindre au Falun Gong. Elle a également souligné que, pendant son témoignage, Mme Chen n’a pas fait preuve d’une connaissance approfondie, d’une passion ou d’une intensité de nature à justifier le risque qu’elle a pris d’adhérer au mouvement Falun Gong.

[7]               La SPR a également remarqué que Mme Chen n’avait produit aucun document médical pour corroborer son allégation selon laquelle elle s’était adressée à des médecins pour guérir de son rhume et de son insomnie. La SPR a rejeté l’explication de Mme Chen qui affirmait que les dossiers se trouvaient en Chine et que son mari ne pouvait pas les retrouver, étant donné qu’elle était d’avis qu’on s’attendrait à ce que des dossiers de cette nature soient précieusement conservés. La SPR a donc conclu que le contenu des documents médicaux n’aurait pas corroboré les allégations de Mme Chen.

[8]               De plus, la SPR a constaté une disparité entre l’exposé des faits et le témoignage de Mme Chen. Dans son exposé des faits, Mme Chen a prétendu qu’après la descente du BSP, elle s’était rendue chez un ami où on lui aurait permis de demeurer et d’appeler son mari. Toutefois, au cours de l’audience, elle a déclaré qu’on ne lui avait pas permis de demeurer à la maison de son ami et qu’elle était montée à bord d’un autobus pour se rendre à la maison d’un autre ami dans une ville différente après avoir parlé à son mari. Quand elle a été confrontée à cette contradiction, Mme Chen a indiqué que l’exposé des faits était exact et qu’elle avait des problèmes de mémoire. La SPR a rejeté cette explication, car Mme Chen n’avait eu aucune difficulté à se souvenir de toutes les dates dans son exposé des faits; elle a également fait remarquer que le témoignage de Mme Chen concernant son séjour à la maison de son ami prêtait à confusion.

[9]               De plus, la SPR a affirmé que d’autres aspects du témoignage de Mme Chen rendaient sa demande indigne de foi. Par exemple, rien dans la preuve ne démontre que le mari ou la famille de Mme Chen en Chine ont fait l’objet de persécution en raison de l’adhésion de celle-ci au Falun Gong. De plus, la SPR a attribué peu de valeur probante aux lettres produites à l’appui de la demande de Mme Chen, car elle était d’avis que ces lettres ne suffisaient pas à surmonter les problèmes de crédibilité.

[10]           Compte tenu de ce qui précède, la SPR a rejeté la demande de Mme Chen, sous prétexte qu’elle n’avait pas réussi à produire suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi.

[11]           Mme Chen soulève deux questions : 1) l’évaluation que la SPR a faite de sa crédibilité était-elle raisonnable? 2) La SPR a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de l’aspect « sur place » de sa revendication?

[12]           J’arrive à la conclusion que la décision faisant l’objet du présent contrôle doit être annulée en raison de la première question; il est donc superflu de traiter de la deuxième question soulevée par Mme Chen. Je dois toutefois signaler que si la conclusion de la SPR selon laquelle Mme Chen n’était pas membre d’un groupe de pratiquants du Falun Gong en Chine avait été raisonnable et avait été confirmée, il n’aurait existé aucune preuve de nature à obliger la Commission à analyser l’aspect « sur place ».

[13]           Je suis du même avis que le défendeur en ce qui concerne les incompatibilités et les contradictions dans la preuve de Mme Chen; toutefois, le principal motif justifiant la conclusion de la SPR au sujet de la crédibilité était le fait qu’elle trouvait improbables les raisons que Mme Chen a invoquées pour avoir adhéré au Falun Gong. À mon avis, c’est cette conclusion qui est déraisonnable. Il est impossible pour la Cour d’arriver à une conclusion claire quant à la question de savoir si le résultat aurait été le même si la SPR n’avait pas fait cette erreur; la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ou la demande de protection doit donc être tranchée par un tribunal différemment constitué.

[14]           La conclusion d’improbabilité dans cette décision est identique à celle de la décision contrôlée dans l’affaire Gan v Canada (Citizenship and Immigration), 2015 FC 693 [Gan]; dans cette affaire aussi, il avait été conclu qu’il n’était pas plausible que le demandeur risque les conséquences inhérentes à l’adhésion au Falun Gong, au lieu de trouver une autre solution moins dangereuse à ses ennuis de santé.

[15]           Comme dans l’affaire Gan, la SPR s’en remet en partie à ma décision dans l’affaire Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067 [Jiang]. Tant dans l’affaire Gan que dans celle en l’espèce, la SPR cite la décision Jiang comme si elle avalisait la conclusion d’improbabilité qui y avait été formulée. Il n’en est rien. Quand elle cite des décisions de la Cour, la SPR doit le faire en tenant compte du fait que la Cour siège en contrôle judiciaire, et non en appel. En tant que tel, tout ce que signifie la décision Gan, c’est que la Cour n’a pas conclu que la décision faisant l’objet du contrôle était déraisonnable. Quand elle cite une décision de la Cour, la SPR doit également garder présents à l’esprit les faits pertinents à cette affaire. Le caractère raisonnable de toute décision est en grande partie déterminé par les faits, y compris par l’analyse qu’en fait la SPR.

[16]           Au paragraphe 9 de la décision dans l’affaire Gan, j’ai résumé l’affaire Jiang de la façon ci-dessous et j’ai fait remarquer à quel point les faits étaient différents de ceux de l’affaire Jiang :

[9]        Le défendeur s’appuie aussi sur la décision que j’ai rendue dans l’affaire Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1067 [Jiang], où la Cour était saisie du contrôle d’une décision visant une demandeure d’asile déboutée qui s’était tournée vers le Falun Gong plutôt que vers de l’aide médicale pour soigner sa dépression. En plus des autres conclusions qu’elle avait tirées, y compris une conclusion d’embellissement, il a semblé à la Commission qu’il était « raisonnable qu[e la demandeure d’asile] examine d’autres possibilités plutôt que de simplement s’exposer au risque associé à la pratique du Falun Gong ». Au paragraphe 16, j’ai fait observer ceci : « Je ne puis qualifier de déraisonnable l’opinion du commissaire selon laquelle une personne instruite tenterait d’abord de soigner la dépression dont elle est atteinte, laquelle peut se traiter par des soins médicaux (ce que la demanderesse n’a pas contesté), en ayant recours à des moyens légaux plutôt qu’en se tournant vers une pratique qui l’exposerait au risque de se faire arrêter et emprisonner ».

[17]           Il existe une distinction entre l’affaire Jiang et les faits en l’espèce. Mme Chen n’est pas « très instruite », car elle a une scolarité équivalant à la 10e année. Contrairement à Mme Jiang, Mme Chen avait essayé un traitement médical sans succès avant de s’en remettre au Falun Gong. Contrairement à la suggestion de la SPR, selon laquelle Mme Chen souffrait d’un simple rhume, son exposé des faits dans les fondements de sa revendication indique que ses problèmes de santé et leurs répercussions étaient plus graves :

[traduction] Je faisais souvent de l’oppression thoracique, j’avais le souffle court, je me sentais faible, etc. Les médecins n’ont pas pu trouver la cause de mes problèmes et ils n’avaient donc aucun moyen efficace de me guérir. Mon état de santé nuisait à mon travail et à ma vie; par exemple, je devais me reposer à la maison et je faisais des colères.

[18]           La situation devant la SPR en l’espèce ressemble beaucoup plus à celle de la décision Gan qu’à celle de la décision Jiang, en ce sens que la SPR avaient entendu le témoignage d’une femme instruite (mais pas très instruite) qui avait souffert de maladie chronique nuisible pour sa vie à la maison et au travail, qui avait cherché un traitement médical sans succès, dont l’état persistait et qui avait un ami membre du Falun Gong depuis des années sans incident qui l’avait persuadée que cela pourrait l’aider. Dans ce scénario, je ne réussis pas à concevoir que faire l’essai du Falun Gong pourrait être considéré comme peu plausible, même en sachant que le mouvement avait été déclaré illégal et qu’il pouvait faire courir un risque à une personne.

[19]           Par conséquent, comme je l’ai mentionné ci-dessus, la présente demande doit être accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il n’y en a aucune, compte tenu des faits devant la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, que la décision de la SPR rejetant la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ou de protection par la demanderesse est annulée, que sa demande doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4216-14

 

INTITULÉ :

YANLING CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 JUILLET 2015

 

COMPARUTIONS :

Matthew Oh

 

POUR La demanderesse

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUr La demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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