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Date : 20150706


Dossier : IMM-6893-14

Référence : 2015 CF 824

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

RODOLFO VALDEZ SAURE

MILAGROS CAMANT SAURE

(alias MILAGROS CAMANTIGUE SAURE)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demandeurs, qui forment un couple marié, sont des citoyens des Philippines. En 2006, ils ont emprunté 1,7 million de pesos à Conchita et Benjamin Velenzuela. La dette portait intérêt au taux de 5 p. 100 par mois, et les intérêts étaient composés. Après la première année, ils n’ont plus été en mesure de faire leurs paiements.

[2]               En 2007, les prêteurs ont exigé le remboursement ou le domicile des demandeurs à titre de paiement pour les intérêts exigibles. Les demandeurs ont abandonné leur domicile et se sont enfuis au Canada en 2008.

[3]               Après l’expiration de leur visa de visiteur d’une durée de six mois, on leur en a refusé la prolongation. Après ce refus, les demandeurs sont restés au Canada pendant trois ans et demi avant de déposer une demande de résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Lorsque cette demande a été rejetée, les demandeurs ont présenté une demande d’asile. Ils ont affirmé qu’ils craignaient que leurs prêteurs usent de leur influence pour les faire déclarer coupables d’« estaffa » (qui semble s’apparenter à la fraude criminelle) et qu’ils soient emprisonnés dans des conditions inhumaines qui les exposeraient à la violence, à la maladie et à une mort possible.

[4]               La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a étudié et a rejeté la demande d’asile des demandeurs fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la LIPR]. L’article 96 de la LIPR n’a pas été pris en considération, parce que les demandeurs ont admis qu’il n’existait aucun lien avec un motif prévu par la Convention.

[5]               Pendant l’audience, la SPR a demandé aux demandeurs pourquoi ils n’avaient pas simplement fait faillite. Les demandeurs ont affirmé qu’il n’existait pas de loi sur la faillite aux Philippines. Ils n’ont présenté aucun élément de preuve documentaire à l’appui de cette allégation. Dans sa plaidoirie finale, leur conseil a affirmé qu’ils avaient raison de dire qu’il n’existait pas de loi sur la faillite aux Philippines. À l’issue de l’audience, la SPR a décidé de surseoir au prononcé de sa décision en précisant [traduction] « que je veux vérifier certaines choses qui se sont présentées pendant l’audience et au sujet desquelles l’avocat s’est prononcé ». La SPR a effectué une recherche sur Internet et a constaté qu’il existait des lois sur la faillite et l’insolvabilité aux Philippines et que ces lois ne prévoyaient aucune sanction en cas de faillite.

[6]               La SPR s’est ensuite penchée sur le pire scénario, l’emprisonnement, et elle s’est demandé s’il constituerait un traitement ou une peine cruel et inusité. La SPR, dont on a admis que l’analyse n’était pas un modèle de clarté, a conclu qu’il était raisonnable de penser que les demandeurs auraient dû savoir qu’ils ne seraient jamais capables de rembourser leur emprunt à des taux aussi usuraires. De plus, elle a conclu qu’ils avaient agi de manière déraisonnable en ne présentant pas une demande en vue d’obtenir un prêt bancaire sous prétexte que la démarche était trop longue et qu’ils avaient besoin d’argent rapidement. La SPR a conclu que même si elle avait jugé cette excuse raisonnable, ce qui n’était pas le cas, il était déraisonnable de ne pas avoir enclenché le processus d’emprunt bancaire afin de rembourser l’emprunt initial aux prêteurs à la conclusion de celui-ci.

[7]               En fin de compte, la SPR, [traduction] « ayant consulté la loi philippine sur l’insolvabilité ou la faillite, [a conclu] ces demandeurs d’asile ne seraient pas exposés au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient retourner aux Philippines ».

[8]               La SPR a conclu que la demande d’asile présentée par les demandeurs ne reposait sur aucun fondement crédible, au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR.

[9]               Les demandeurs font valoir que la SPR a commis un manquement à l’équité procédurale en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèque trouvés à l’aide d’Internet et en ne leur divulguant pas.

[10]           Dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CA), la Cour d’appel a jugé que les documents invoqués provenant de sources publiques relativement aux conditions générales en vigueur dans un pays n’ont pas à être divulgués à un demandeur s’ils étaient accessibles et s’il était possible pour le public de les consulter .  La recherche en ligne dans les lois des Philippines correspond à cette description. De plus, la question des lois sur la faillite aux Philippines avait été soulevée à l’origine par les demandeurs eux-mêmes avant d’être mentionnée par leur conseil. En outre, la SPR elle‑même a prévenu les demandeurs, quand elle a décidé de surseoir au prononcé de sa décision, qu’elle désirait vérifier certaines choses (comme les lois sur la faillite) qui avaient été mentionnées au cours de l’audience. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[11]           Dans un affidavit déposé à l’appui de la présente demande, les demandeurs font remarquer que l’alinéa 18g) de la loi étudiée par la SPR contient une exception à la protection en cas de faillite, selon laquelle [traduction] « nulle action criminelle à l’encontre d’un particulier débiteur ou un propriétaire, un administrateur ou un dirigeant n’est compromise par une instance introduite en vertu de la présente loi ». Ils font valoir que cela signifie que le prêteur peut toujours invoquer la procédure de l’estaffa pour les faire emprisonner. La SPR a conclu, après avoir pris connaissance des lois philippines en matière de faillite, qu’un tel emprisonnement n’était pas une possibilité.

[12]           À la lecture du dossier, il n’est pas facile de déterminer quelle interprétation du droit philippin, entre celle des demandeurs et celle de la SPR, est la bonne, car aucune preuve n’a été présentée quant à cette question et que celle-ci semble s‘être soulevée au cours de l’audience. De plus, il n’est pas certain que l’estaffa soit une action criminelle de la nature de celles dont la loi fait mention. Quoi qu’il en soit, compte tenu de cette incertitude, il est impossible pour la cour de statuer sur la question de savoir si l’opinion de la SPR était raisonnable ou non. Pour ce motif, il est imprudent de s’en remettre à la décision, et l’affaire doit être renvoyée à la SPR pour nouvelle décision, étant entendu que les demandeurs auront l’occasion de produire des éléments de preuve concernant la nature de l’estaffa et la possibilité que les lois sur la faillite des Philippines empêchent de l’invoquer.

[13]           Il se peut bien que le risque que courent ces demandeurs demeure tout à fait conjectural, même si une procédure d’estaffa était possible; toutefois, c’est à la SPR, et non à la Cour, qu’il revient de se prononcer sur cette question.

[14]           Ni l’une ni l’autre des parties n’ont soumis de question à des fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision de la SPR est annulée, que la demande d’asile fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est renvoyée à un autre commissaire pour nouvelle décision et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6893-14

 

INTITULÉ :

RODOLFO VALDEZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 JUIN 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 6 JUILLET 2015

COMPARUTIONS :

Belinda Bozinovski

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belinda Bozinovski

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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