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Date : 20150320


Dossier : IMM‑8146‑13

Référence : 2015 CF 354

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

JIAJIE LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de la décision du 25 novembre 2015 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.                Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine). Il affirme qu’il craint d’être persécuté par les autorités chinoises, et plus particulièrement par le Bureau de la sécurité publique (le BSP), du fait de son association perçue avec le Falun Gong.

[3]               Les parents du demandeur dirigeaient une librairie dans leur région, et vendaient secrètement des livres sur le Falun Gong. Le 11 février 2012, alors qu’il aidait ses parents à la librairie, le demandeur (à l’époque âgé de 15 ans) a vendu un livre sur le Falun Gong intitulé « Zhuan Falun ». Il est ensuite allé jouer avec un ami et il a été averti par son frère que leurs parents avaient été arrêtés par le BSP.

[4]               Le demandeur et son frère sont entrés dans la clandestinité, le BSP les aurait accusés eux aussi d’être des prosélytes du Falun Gong. Le BSP se serait présenté pour arrêter le demandeur et son frère, et aurait remis à leur grand‑père des citations à comparaître à leur nom. Craignant d’être arrêté et emprisonné, le demandeur a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur. Il est arrivé au Canada le 1er août 2012 et a présenté une demande d’asile le 27 août suivant.

III.             La décision

[5]               La décision contestée souligne les doutes de l’agent quant à la crédibilité du demandeur. La SPR a conclu qu’il n’était pas crédible pour les motifs suivants :

  1. Compte tenu de la preuve documentaire et du fait que le BSP est censé s’être rendu à de nombreuses reprises (au moins 21 fois) chez le demandeur et ses proches, un mandat d’arrestation aurait été délivré contre lui en pareilles circonstances. Le demandeur a déclaré durant son témoignage qu’il ignorait si c’était le cas et que son grand‑père (à qui il parle toutes les deux semaines) ne lui avait pas parlé d’un tel mandat. De plus, l’absence prolongée du demandeur aurait dû rendre les agents du BSP plus insistants. Celui‑ci n’a pas non plus été informé d’un tel état de fait.
  2. Le demandeur n’a présenté aucun document qui confirme que ses parents étaient des adeptes du Falun Gong; la photocopie des mandats d’arrestation dont ils ont fait l’objet indiquait qu’ils étaient détenus pour [traduction« prosélytisme », plutôt que comme adeptes du Falun Gong.
  3. Les dimensions des citations à comparaître produites par le demandeur ne sont pas conformes à celles dont fait état la preuve documentaire pour de tels documents.
  4. La carte d’identité de résidant (CIR) du demandeur a été délivrée par le BSP le même jour que les citations à comparaître. Le BSP n’aurait pas délivré au demandeur une pièce d’identité qui l’aiderait à fuir les autorités alors qu’elles le recherchaient pour l’arrêter.
  5. La SPR a accordé peu de force probante au mandat d’arrestation délivré contre les parents du demandeur, pour les motifs suivants :

a)      quoique le demandeur ait déclaré durant son audience devant la SPR que ses parents avaient été arrêtés dans la librairie familiale, les mandats d’arrestation indiquent plutôt que le BSP avait envoyé des agents chez lui;

b)      le demandeur n’a fourni que des copies des mandats d’arrestation, et non des originaux comme il l’avait fait pour les citations à comparaître, ce qui n’a pas permis à la SPR d’en vérifier l’authenticité;

c)      il semble qu’il y ait des inscriptions sur le timbre qui « scelle » le document;

d)     les mandats n’ont pas été signés;

e)      la preuve documentaire indique qu’à peu près tous les documents peuvent être contrefaits en Chine;

f)       le demandeur a reconnu qu’il s’était servi de faux documents (un passeport et un visa canadien) pour quitter la Chine, ce qui démontre qu’il est en mesure de s’en procurer.

  1. Lorsqu’il a quitté la Chine à l’aide d’un faux passeport, le demandeur ignorait les renseignements de base qu’il aurait eu à fournir s’il avait été questionné. Il ne savait rien des informations contenues dans son passeport ou dans son visa canadien, et le passeur ne l’a que très peu renseigné. Comme le BSP l’aurait recherché pour l’arrêter, « il est très difficile de croire que le demandeur n’aurait pas été découvert dans ces circonstances ». La SPR poursuit : « Cette action mine le fondement de la crainte que le [demandeur] aurait d’être appréhendé par les autorités … ».

[6]               Subsidiairement, la SPR a d’ailleurs conclu que même s’il avait utilisé la librairie familiale pour distribuer des livres du Falun Gong, le demandeur aurait violé une loi d’application générale. La SPR a donc estimé que les mesures prises par le gouvernement chinois à l’encontre du demandeur d’asile consistent à appliquer une loi ordinaire d’application générale, ce qui signifie que ce gouvernement exerce simplement des poursuites et non des actes de persécution.

IV.             Question en litige

[7]               La présente affaire soulève la question suivante :

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[8]               Compte tenu de mes conclusions à cet égard, il n’est pas nécessaire que je me penche sur la conclusion subsidiaire de la SPR.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[9]               La norme de la décision raisonnable s’applique à l’appréciation de la crédibilité du demandeur (Ndokwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 22, au paragraphe 20).

B.                 Questions liées à la crédibilité

1)                  Absence de mandat d’arrestation

[10]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de tirer une inférence du fait que le BSP n’avait pas délivré de mandat d’arrestation contre lui, ou du fait que ses agents ne s’étaient pas montrés plus insistants après s’être rendu chez lui à au moins 21 reprises. Il renvoie à des documents d’après lesquels le maintien de l’ordre en Chine est irrégulier, et soutient que de s’attendre à un comportement particulier de la part du BSP relève de la pure conjecture et constitue une erreur susceptible de contrôle.

[11]           Cependant, même en admettant que le maintien de l’ordre en Chine soit irrégulier, il était tout à fait raisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que le BSP, après de nombreuses tentatives pour trouver le demandeur, fasse quelque chose d’autre que de revenir simplement le lendemain en escomptant le même résultat. Cette attente de la SPR était d’autant plus raisonnable compte tenu des mandats d’arrestation délivrés contre les parents du demandeur dans la même affaire.

[12]           J’estime qu’il est impossible qu’un mandat d’arrestation ait été délivré contre le demandeur et qu’il n’en ait jamais été informé. Son grand‑père l’aurait reçu et le lui aurait certainement fait savoir dans le cours de leurs conversations téléphoniques bihebdomadaires.

2)                  Absence d’un plan de sécurité au moment de quitter la Chine

[13]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que son passeur et lui (il n’avait que 15 ans lorsqu’il a quitté la Chine) se mettent d’accord sur un plan en cas d’imprévu au moment du départ, malgré les pots‑de‑vin payés aux fonctionnaires de la douane. Pour étayer cet argument, le demandeur cite des jugements où la Cour a affirmé qu’elle ne devrait conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, surtout lorsqu’il s’agit d’une autre culture (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749, au paragraphe 54).

[14]           Les faits ne m’auraient peut‑être pas amené à la même conclusion, mais je ne puis affirmer que la conclusion de la SPR était déraisonnable. Le demandeur s’interroge sur la finalité des conclusions de la SPR puisqu’il est clair qu’il a quitté la Chine pour le Canada. Une réponse possible qui me vient à l’esprit est qu’en fait les autorités chinoises n’étaient peut‑être pas forcément à sa recherche, et qu’il a peut‑être quitté la Chine dans des circonstances qui ne rendaient pas nécessaires un faux passeport, un passeur, ou un plan de sécurité.

3)                  Mandats d’arrestation visant les parents

[15]           Le demandeur critique un certain nombre de motifs pour lesquels la SPR n’a accordé que peu de force probante aux mandats d’arrestation visant les parents. Plus précisément, le demandeur fait valoir que la SPR a eu tort

  1. de tirer des conclusions du fait que les mandats d’arrestation désignent les parents comme des prosélytes plutôt que comme des adeptes du Falun Gong (il fait remarquer que les autorités chinoises qualifient souvent les pratiquants du Falun Gong de prosélytes);
  2. de conclure qu’il y avait des différences entre l’adresse figurant sur les mandats d’arrestation (le domicile des parents) et le lieu de leur arrestation (leur librairie) (le demandeur fait remarquer que l’adresse figurant sur les mandats indique le lieu de résidence des parents et non celui de leur arrestation);
  3. de se préoccuper du fait que les mandats d’arrestation n’étaient pas signés alors qu’aucun document ne laisse penser qu’il devait nécessairement y avoir une signature et que l’absence de signature remet en cause leur authenticité;
  4. de tirer des conclusions de la présence d’inscriptions sur les timbres figurant sur les mandats d’arrestation.

[16]           À mon avis, il n’y a pas lieu d’aborder ces questions, car elles sont éclipsées par les préoccupations raisonnables de la SPR liées au fait que seules des copies des mandats d’arrestation ont été fournies, alors que des originaux étaient semble‑t‑il disponibles. Les éléments de sécurité des documents n’ont pas pu, de ce fait, être vérifiés. Le demandeur n’affirme pas qu’il est déraisonnable de s’attendre à ce que les originaux de documents importants soient produits.

[17]           Le demandeur affirme qu’il n’a pas obtenu les originaux de la part de son grand‑père, ce dernier lui ayant assuré qu’ils n’étaient pas nécessaires. Il fait valoir qu’il est jeune et qu’il s’est fié à l’avis de son grand‑père. Je souscris à la réponse qu’oppose le défendeur à ces observations : le demandeur était assisté d’un avocat et d’un tuteur, et il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de se préoccuper de l’absence de documents originaux.

4)                  Dimensions de la citation à comparaître du demandeur

[18]           Le demandeur soutient qu’il existe trois différents types de citations à comparaître en Chine (les citations à comparaître en matière de sécurité publique, les citations à comparaître en matière criminelle et les citations à comparaître coercitives), et que la preuve n’offre des renseignements sur la taille de ces documents en Chine que dans le cas des citations à comparaître en matière criminelle. Celle dont le demandeur a fait l’objet est une citation à comparaître coercitive. D’après la preuve produite, les détails quant au format et à l’aspect de tels documents ne sont pas disponibles.

[19]           Le défendeur fait remarquer pour sa part que les préoccupations de la SPR concernant les dimensions de la citation à comparaître ont été portées à l’attention du demandeur durant l’audience et qu’aucune autre preuve ni information n’a été fournie sur le sujet. Le défendeur avance que le demandeur a été informé des préoccupations de la SPR et ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver ses arguments à cet égard.

[20]           Compte tenu des autres préoccupations raisonnables de la SPR en matière de crédibilité, j’estime qu’il était raisonnable qu’elle exige d’autres renseignements avant de reconnaître l’authenticité de la citation à comparaître visant le demandeur. Je tiens à souligner que la SPR doutait également de l’authenticité de ce document parce qu’il a été délivré le même jour que la CIR du demandeur. À mon avis, il était raisonnable que la SPR ne soit pas certaine que les autorités aient délivré la citation à comparaître et la CIR le même jour.

VI.             Conclusion

[21]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.
  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« George Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑8146‑13

 

INTITULÉ :

JIAJIE LI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Lev Abramovich

 

POUR LE demandeur

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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