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Date : 20150629


Dossier : IMM‑4258‑14

Référence : 2015 CF 790

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2015

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ZHUHAO CAO

(ALIAS ZHU HAO CAO)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie, au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 28 avril 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a rejeté, pour absence de minimum de fondement, la demande d’asile présentée par le demandeur, Zhuhao Cao, ayant conclu qu’il n’avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs formulés ci‑après.

Rappel des faits

[3]               Monsieur Cao, citoyen de la République populaire de Chine, a exposé les faits suivants. La ferme piscicole qu’il exploitait en coentreprise avec son oncle a été expropriée, et l’indemnisation offerte était insuffisante. Il a protesté avec son oncle et d’autres personnes contre cette décision. Il a lui-même pu s’échapper lorsque la police est arrivée, mais son oncle a été arrêté. Toujours selon le demandeur, son oncle a été condamné à quatre années d’emprisonnement pour incitation à protester. Le demandeur affirme qu’il a lui aussi été accusé d’incitation à protester et qu’on a laissé à son domicile familial une assignation lui enjoignant de se présenter à la police. Il a ensuite quitté la Chine pour se rendre au Canada, en passant par Hong Kong, San Francisco et Seattle, puis a demandé l’asile à Toronto.

La décision attaquée

[4]               La Commission a conclu que la demande d’asile était dénuée d’un minimum de fondement : le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi établissant qu’il courrait un risque sérieux de persécution s’il rentrait en Chine.

[5]               La Commission a relevé des contradictions dans le témoignage du demandeur concernant son départ de Chine, son voyage vers le Canada, sa carte d’identité de résident [CIR], la délivrance de son passeport, la question de savoir s’il avait obtenu irrégulièrement son visa pour les États‑Unis, ainsi que l’identité et le rôle de son ou ses passeurs.

[6]               La Commission a conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait pu utiliser sa CIR pour obtenir un permis de sortie sans être découvert, puis partir sans incident, s’il était recherché par le Bureau de la sécurité publique [le BSP] comme il le prétendait. Elle a aussi relevé le fait que, par coïncidence, son passeport lui avait été délivré le jour même où il avait reçu l’avis d’expropriation, et elle a rejeté son explication selon laquelle il avait demandé un passeport parce qu’il prévoyait faire un voyage pour fêter le Nouvel An, mais qu’il avait changé d’idée quand avaient commencé ses ennuis relatifs à l’expropriation.

[7]               La Commission a relevé le caractère embrouillé et évasif du témoignage du demandeur au sujet de ses passeurs, ainsi que la modification qu’il apportée à son formulaire de renseignements personnels [FRP] selon laquelle Mme He, sa passeuse, l’avait rencontré à Seattle et l’avait accompagné jusqu’au Canada, alors que, selon la version antérieure, Mme He lui avait obtenu son billet et l’avait emmené de la Chine continentale à Hong Kong, et qu’une autre passeuse, Mme Jin, l’avait accompagné à Hong Kong et avait franchi avec lui les contrôles de l’aéroport. La Commission a également fait observer que l’emploi du pronom « nous » par le demandeur donnait à penser qu’il n’avait pas voyagé seul. Elle a conclu en conséquence que le demandeur n’était pas sorti de Chine avec l’aide d’un passeur.

[8]               En plus de constater le caractère embrouillé des réponses du demandeur au sujet de sa CIR, la Commission n’a pas jugé crédible qu’il ait pu obtenir un permis de sortie sans produire cette carte, qu’il ait ou non reçu l’aide d’un passeur.

[9]               La Commission a souligné que le demandeur avait passé quatre mois dans la clandestinité avant de quitter la Chine, ce qui était incompatible avec l’existence d’une crainte subjective. Ce fait, ainsi que les contradictions dans le témoignage du demandeur et la preuve documentaire relative aux CIR, ont amené la Commission à conclure que le demandeur n’était pas recherché par le BSP pour incitation à protester. La Commission a conclu selon la prépondérance des probabilités que, bien que la CIR désigne le demandeur comme citoyen chinois, que son passeport indique qu’il est parti de Chine en décembre 2011 et que l’avis d’expropriation tende à attester l’expropriation de sa ferme piscicole, ces documents ne prouvent pas que le BSP le recherche.

[10]           La Commission a ensuite procédé à un examen subsidiaire du bien-fondé de la demande d’asile.

[11]           La Commission, après examen de la preuve documentaire, a constaté qu’elle comportait des éléments contradictoires. Elle a pris acte de ce qu’on ne décerne pas un mandat d’arrêt dans tous les cas, mais elle a néanmoins conclu que le BSP aurait remis un tel mandat à la famille du demandeur s’il le recherchait, étant donné la déclaration de M. Cao selon laquelle des agents du BSP s’étaient présentés de nombreuses fois au domicile familial dans l’espoir de le trouver. La Commission a ensuite conclu que le témoignage du demandeur ne concordait pas avec la preuve documentaire relative à la nature impitoyable du BSP et n’était donc pas crédible.

[12]           La Commission n’a accordé que peu de poids au témoignage du demandeur selon lequel son oncle était encore emprisonné, et à la carte de visiteur de détenu, qui faisait état de la peine de quatre ans infligée audit oncle. Elle a fait observer que ce document était en fait une photocopie datée de février 2012.

[13]           En ce qui concerne la demande fondée sur l’article 97, la Commission a conclu à la possibilité que le demandeur risque d’être poursuivi pour incitation à protester contre son expropriation, mais que cela ne constituait pas de la persécution. Selon la Commission, rien ne prouvait que l’expropriation de la ferme piscicole avait un lien avec l’un des motifs prévus à la Convention. Après avoir exprimé des doutes sur l’authenticité de certains documents, la Commission a néanmoins conclu que le demandeur était recherché par le BSP pour un délit de droit commun, soit l’organisation d’une protestation contre l’insuffisance de l’indemnité offerte, et non parce qu’il professait une opinion politique particulière.

[14]           S’il était vrai que le demandeur pouvait être poursuivi et risquait jusqu’à trois années de travaux forcés, la Commission a conclu que ce risque était afférent aux sanctions légales infligées en Chine. Les peines chinoises, raisonnait la Commission, sont peut-être plus sévères que celles qu’on prononcerait au Canada, mais elles ne sont pas contraires aux normes internationales.

Les conclusions du demandeur

[15]           Le demandeur soutient que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables et inintelligibles sur la crédibilité et la vraisemblance, et que son analyse subsidiaire est également déraisonnable.

[16]           Le demandeur nie l’existence de contradictions dans son témoignage au sujet de la CIR. Il a donné une explication raisonnable et répondu à la question confuse de la Commission. Sa demande d’éclaircissements n’aurait pas dû donner lieu à une inférence défavorable. En outre, il n’a pas déclaré dans son formulaire d’examen initial que la CIR était en sa possession.

[17]           Il n’y a pas non plus de contradictions dans les déclarations du demandeur touchant son départ de Chine. Il a expliqué avoir eu du mal à quitter la Chine en raison de sa crainte, mais la Commission est tout de suite passée à une autre question. Cela n’a rien de contradictoire avec ses déclarations postérieures concernant le rôle de la passeuse qui l’avait aidé à sortir de Chine.

[18]           Le demandeur rappelle aussi que la modification apportée dans son FRP avait corrigé l’erreur selon laquelle il s’était rendu à Hong Kong en voiture; par conséquent, la Commission s’est trompée en voyant là une contradiction.

[19]           Le demandeur explique également son témoignage relatif à son visa pour les États‑Unis. Il avait d’abord déclaré avoir obtenu celui‑ci irrégulièrement parce qu’il avait donné de faux renseignements pour se le procurer, mais il s’était présenté en personne pour en recevoir délivrance.

[20]           Selon le demandeur, il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure, sans aucune preuve à l’appui, qu’il était invraisemblable que sa passeuse, n’étant pas un passager, ait pu franchir les contrôles de sécurité de l’aéroport et, subsidiairement, de conclure à l’absence de passeur.

[21]           En ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle il n’aurait pu obtenir de permis de sortie sans produire sa CIR, le demandeur avance qu’elle a commis là une erreur de fait, au motif que la Réponse à une demande d’information citée par elle (la RDI CHN103754.EF, datée du 7 juillet 2011) ne mentionne pas qu’il faille présenter sa CIR pour se faire délivrer un permis de sortie.

[22]           Le demandeur affirme également que les conclusions de la Commission concernant son absence de crainte subjective étaient déraisonnables. Il est resté quatre mois en Chine, dans la clandestinité, parce qu’il attendait son visa. Une fois celui‑ci délivré, il ne lui a fallu que quelques semaines pour partir. En ce qui concerne la question du moment où il a reçu son passeport, il a expliqué qu’il avait l’intention de partir en voyage pendant les fêtes du Nouvel An, ce qui constituait une explication raisonnable.

[23]           Le demandeur soutient de plus que la décision attaquée est entachée de contradictions internes et que l’examen qualifié de subsidiaire dont elle rend compte n’est pas en fait subsidiaire puisque la Commission fonde ses conclusions relatives à la crédibilité sur celui-ci. En outre, la conclusion de la Commission selon laquelle le BSP ne se serait pas contenté de laisser une assignation à son domicile s’il était à sa recherche est conjecturale et entre en contradiction avec la preuve documentaire – notamment les RDI –, selon laquelle le BSP utilise rarement des mandats d’arrêt et que les modalités d’application de la loi varient d’une région à l’autre du pays.

[24]           Les conclusions de la Commission selon lesquelles les actions du BSP décrites par le demandeur ne sont pas conformes à ce à quoi on pourrait s’attendre sont fondées sur de pures conjectures.

[25]           Le demandeur prétend également qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure à la faible valeur probante de la carte de visiteur de détenu. Certes, l’original aurait été préférable, mais la carte dont il avait produit une photocopie, délivrée en 2012, faisait état de la peine de quatre ans prononcée contre son oncle.

[26]           Le demandeur soutient subsidiairement que la Commission s’est trompée en concluant à l’absence de lien entre sa crainte de rentrer en Chine pour y subir les conséquences de sa protestation contre l’expropriation de sa ferme et l’un des motifs prévus à la Convention. La Commission aurait dû examiner la question de savoir si sa résistance était assimilable à une dissidence politique imputée. Il n’existe pas en Chine de recours contre les expropriations forcées, explique le demandeur, et que tous actes de protestation, y compris ceux qui visent une insuffisance d’indemnisation, sont considérés dirigés contre les politiques de l’État.

[27]           Enfin, le demandeur affirme que la Commission s’est trompée en concluant qu’il n’avait pas qualité de personne à protéger. La preuve documentaire établit que les personnes arrêtées en Chine courent un risque de torture et de traitements inhumains. Par conséquent, il était abusif de la part de la Commission de conclure que le risque d’être condamné à trois ans ou plus de travaux forcés était simplement la conséquence des actes illégaux du demandeur.

Les conclusions du défendeur

[28]           Le défendeur soutient qu'il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n’était pas crédible; cependant, même si l’on devait conclure à sa crédibilité, il resterait qu’il craint d’être poursuivi pour incitation à protester et non d’être persécuté pour un motif prévu à la Convention.

[29]           Il est loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable de divergences entre le témoignage d’un demandeur d’asile et son FRP. Le demandeur a donné un récit confus des événements relatifs à son expropriation, de la recherche par le BSP dont il prétend avoir fait l’objet et de son voyage vers le Canada. La Commission a fondé de nombreuses conclusions relatives à sa crédibilité sur des contradictions et des invraisemblances entachant ce récit.

[30]           Le défendeur souligne que la Commission a rejeté la demande d’asile en raison de l’« absence de minimum de fondement ». Contrairement à l’argument du demandeur selon lequel la Commission aurait accepté qu’il eût été exproprié, elle a en fait conclu à la non-crédibilité de cette expropriation. Cependant, elle a effectué un examen subsidiaire dans l’hypothèse où celle‑ci aurait effectivement eu lieu.

[31]           En ce qui concerne le témoignage embrouillé du demandeur au sujet de la CIR, le défendeur souligne que la Commission avait le droit d’en tirer une inférence défavorable, même s’il existe une autre explication possible quant au caractère confus et contradictoire de ces déclarations.

[32]           En ce qui a trait aux déclarations contradictoires du demandeur sur la question de savoir s’il avait eu du mal à sortir de Chine, le défendeur attire l’attention sur la preuve objective, notamment la RDI CHN103133.EF, datée du 2 juillet 2009, où il est question de la rigueur du contrôle des sorties et du Bouclier d’or. Le Bouclier d’or est un système informatique intégré dont se sert le BSP, où sont stockées toutes les informations policières, y compris les données sur les passeports, ainsi que sur les entrées dans le pays et les sorties de celui‑ci. La preuve confirme aussi que l’administration des entrées et des sorties relève de la police.

[33]           Le défendeur prétend que les conclusions d’invraisemblance tirées par la Commission concernant le fait que le demandeur aurait pu, aidé ou non d’un passeur, franchir sans encombre les contrôles de l’aéroport de Hong Kong si la police le recherchait étaient raisonnables. La Commission a renvoyé aux déclarations du demandeur comme quoi la passeuse ne l’avait pas accompagné pour se rendre à San Francisco, mais l’avait aidé à franchir les contrôles de sécurité à l’aéroport de Hong Kong. À la lumière de la RDI qui confirme l’existence des contrôles de sortie, il n’est pas vraisemblable qu’un non-passager ait pu franchir ces obstacles ou, subsidiairement, il n’est pas vraisemblable que le demandeur, s’il était recherché, ait pu sortir de Chine sans incident (même non accompagné d’un passeur).

[34]           En ce qui concerne l’analyse subsidiaire, le défendeur soutient que la conclusion de la Commission portant que le demandeur pourrait être poursuivi mais non pas persécuté est raisonnable et tranche la demande d’asile (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1454, aux paragraphes 7 et 8, [2012] ACF no 1552).

[35]           Le juge Phelan a conclu, aux paragraphes 20 à 25 de la décision You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 100, [2013] ACF no 108 [You], qu’il n’existe aucun lien entre des actes de protestation relatifs à une indemnisation et l’un des motifs prévus à la Convention. D’autres éléments de preuve doivent établir la motivation politique de l’opposition à une mesure étatique. Or, dans la présente espèce, comme c’était le cas dans l’affaire You, le demandeur ne s’opposait qu’à l’indemnisation offerte.

[36]           Le défendeur soutient enfin qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que le demandeur n’avait produit aucun élément crédible établissant que le BSP ou l’État eût l’intention de le persécuter. S’il est vrai que sa conduite l’expose en Chine à des conséquences plus graves qu’une conduite semblable ne le ferait au Canada, ce fait ne peut justifier le dépôt d’une demande d’asile au titre de l’article 97.

La norme de contrôle applicable

[37]           Les parties conviennent que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique aux deux questions en litige. La Cour doit donc établir si la décision attaquée appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). La décision attaquée commande la retenue judiciaire, et la Cour n’appréciera pas à nouveau la preuve.

[38]           La Cour suprême du Canada a expliqué plus en détail les principes de l’arrêt Dunsmuir aux paragraphes 14 à 16 de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses], où elle affirme que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et […] doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles », et que la cour saisie « peut […], si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat ».

[39]           En outre, il est de droit constant que les commissions et les tribunaux administratifs jouissent d’une position idéale pour apprécier la crédibilité; voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF) [Aguebor]. Les conclusions de la Commission sur la crédibilité commandent une grande retenue judiciaire; voir Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13, [2008] ACF no 1329; Fatih c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 857, au paragraphe 65, 415 FTR 82; et Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 7, 228 FTR 43.

[40]           Rappelons à ce propos les observations formulées par la juge Mary Gleason (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) au paragraphe 42 de Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369 :

Premièrement — et il s’agit probablement du point le plus important — il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire [...]

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107, au paragraphe 2).

[41]           Je prends acte des observations du demandeur portant qu’on ne sait pas au juste où commence l’analyse subsidiaire – si vraiment elle est subsidiaire – et que les conclusions sur la crédibilité ont des répercussions sur cette analyse.

[42]           Cependant, lorsqu’on lit la décision attaquée en corrélation avec le dossier et dans le but d’apprécier le caractère raisonnable du résultat, conformément à l’arrêt Newfoundland Nurses, il appert que la Commission a procédé comme suit : elle a d’abord examiné la crédibilité du récit du demandeur; puis, après avoir conclu qu’il n’était pas crédible, du moins en ce qui concerne l’affirmation qu’il était recherché par le BSP, elle a évalué le risque de persécution qu’il courrait en Chine s’il y retournait, en supposant qu’il fût exproprié et qu’il eût protesté, pour conclure que ses actions n’avaient pas de motifs politiques et que, s’il risquait peut-être des poursuites, celles‑ci ne constituaient pas de la persécution.

Les conclusions sur la crédibilité sont raisonnables

[43]           Même s’il est vrai que les déclarations du demandeur quant à la question de savoir s’il était parti de Chine avec sa CIR ou se l’était fait envoyer après son arrivé ont été faites en réponse à une question embrouillée, et que la Commission a peut-être fait de l’excès de zèle en tirant de cette déclaration une inférence défavorable, celle-ci a formulé en matière de crédibilité de nombreuses autres conclusions qui justifiaient son appréciation d’ensemble selon laquelle le récit du demandeur n’était pas crédible. Or ces conclusions, nettement désignées comme telles et motivées, commandent la retenue judiciaire.

[44]           La Commission a pris acte de la présomption de véracité qui s’attache au témoignage du demandeur d’asile tant qu’il n’existe pas de motifs de mettre cette véracité en doute, puis elle a souligné que de tels motifs existaient et a clairement exposé les conclusions qu’elle a tirées, selon la prépondérance des probabilités, quant à la crédibilité.

[45]           L’un de ces motifs de doute était le caractère embrouillé, contradictoire et pratiquement incompréhensible du témoignage du demandeur sur la participation d’un ou de plusieurs passeurs, et sur le rôle joué par Mme Jin à Hong Kong. Étant donné la preuve objective contenue dans la RDI, il était raisonnable de la part de la Commission de tirer une inférence défavorable des affirmations du demandeur selon lesquelles Mme Jin l’avait accompagné lorsqu’il avait franchi les contrôles de sécurité, mais ne l’avait pas accompagné dans son voyage à partir de Hong Kong.

[46]           La Commission a aussi agi raisonnablement en concluant qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait pu sortir de Chine sans incident et n’ait pas eu à produire sa CIR pour obtenir un permis de sortie. En prétendant que la Commission a commis une erreur de fait au motif que la RDI citée ne dit pas qu’il faille présenter une CIR pour obtenir délivrance d’un permis de sortie, le demandeur oublie qu’il s’agit seulement là d’une erreur dans une note de bas de page. La Commission renvoie ailleurs à la source exacte et autorisée de sa conclusion, à savoir les articles 14 et 15 de la loi chinoise sur les cartes d’identité de résident (la loi sur les CIR), qui confirment que la CIR est nécessaire, entre autres, pour l’obtention des autorisations d’entrée et de sortie (la procédure de sortie étant désignée [TRADUCTION] « formalités de départ du pays »). La Commission renvoie à la loi sur les CIR dans le même paragraphe et dans la note suivante de bas de page. La RDI à laquelle il a été renvoyé par erreur dans la note précédente de bas de page décrit la procédure d’obtention de la CIR, et précise que toutes les personnes de plus de 16 ans doivent se faire délivrer une telle carte.

[47]           En ce qui concerne sa conclusion selon laquelle on se serait attendu à ce que les agents du BSP produisent un mandat d’arrêt s’ils s’étaient présentés de nombreuses fois au domicile familial du demandeur, à la recherche de celui-ci, la Commission a bel et bien reconnu que la preuve comportait des éléments divergents et qu’on ne décerne pas toujours un tel mandat. Elle a néanmoins fait observer que, en l’espèce, on se serait attendu à la délivrance d’un mandat d’arrêt, étant donné les déclarations du demandeur comme quoi le BSP était revenu de nombreuses fois chez lui dans l’espoir de le trouver, y compris après son départ et jusqu’au Nouvel An chinois de 2014. La conclusion défavorable sur la crédibilité que la Commission a tirée de l’absence de mandat d’arrêt est raisonnable compte tenu du contexte général de la preuve du demandeur et compte tenu de la reconnaissance par elle de l’ambiguïté de la preuve objective.

[48]           Il était loisible à la Commission de n’accorder que peu de poids au témoignage du demandeur concernant son oncle et la carte de visiteur de détenu, après avoir souligné que cette pièce était une photocopie et qu’il est facile de se procurer de faux documents en Chine. La transcription des déclarations du demandeur sur la manière dont il aurait obtenu la carte de visiteur de détenu, ainsi que la CIR de son oncle, dont la Commission doutait qu’on puisse se la procurer, milite pour l’attribution d’une faible valeur probante à ces documents – encore que l’appréciation de la preuve appartienne entièrement à la Commission.

L’analyse subsidiaire est raisonnable : il n’existe de lien avec aucun de motifs prévus à la Convention

[49]           La Cour estime raisonnable l’analyse subsidiaire ayant mené à la conclusion que, dans l’hypothèse où le demandeur aurait été exproprié et aurait protesté, sa protestation ne se fondait pas sur ses opinions politiques et que, s’il risquait peut-être des poursuites, il ne serait pas exposé à la persécution.

[50]           Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure à l’absence d’éléments de preuve démontrant que la protestation en question ait été de nature politique. Le demandeur a déclaré que cette protestation était dirigée contre l’insuffisance de l’indemnisation. Il n’a pas établi de rapport entre son action et l’opposition au gouvernement.

[51]           Selon le témoignage du demandeur, la protestation avait pour objet d’obtenir un entretien avec le maire afin de négocier une indemnisation équitable, et elle faisait suite à une pétition visant la même fin. Le FRP du demandeur donnait aussi la réclamation d’une indemnisation équitable comme motif de la pétition et de la protestation.

[52]           Aucun élément de preuve n’étaye l’argument que la protestation du demandeur serait liée à une opinion politique imputée.

[53]           Dans Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, [2013] ACF no 687, le juge O’Keefe, après avoir conclu au caractère déraisonnable de conclusions sur la crédibilité, a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision de rejet d’une demande d’asile fondée sur des faits semblables à ceux de l’espèce. Il a en outre formulé les observations suivantes au paragraphe 34 :

Enfin, je souligne que la conclusion de la Commission selon laquelle la position du demandeur concernant l’expropriation de sa maison n’était pas politique. Cependant, je dois souligner que la manifestation portait sur quelque chose de plus que la valeur de la maison du demandeur. Si on tire la conclusion que le demandeur est crédible, il ressort clairement de son FRP qu’un grand nombre de personnes ont participé à la manifestation, qu’elles criaient des slogans tels que [traduction] « le gouvernement est injuste ». Pour moi, un tel comportement ressemble à une protestation contre le gouvernement.

[54]           La présente espèce se distingue de l’affaire Zhou en ce que M. Cao a rendu, aussi bien dans son FRP qu’à l’audience, un compte détaillé des propos échangés lors de la protestation, dont il a évalué la durée à une demi-heure. Ces propos portaient sur la nécessité pour les fermiers de produire des aliments et non sur l’injustice qu’aurait commis le gouvernement.

[55]           Dans Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 486, [2015] ACF no 453 [Jiang], le juge Phelan a rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision défavorable au demandeur, elle aussi fondée sur des faits semblables à ceux de la présente espèce. Laissant de côté les questions de crédibilité, il a formulé les observations suivantes aux paragraphes 14 à 16 :

Il ne fait aucun doute que le problème des demandeurs avec les autorités chinoises portait sur la somme de l’indemnité à laquelle ils avaient droit pour leur expropriation. Sans autres considérations, cette question pourrait difficilement cadrer dans celles qui font l’objet de la Convention. Cette conclusion est conforme à la décision You c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 100 :

[20] Le véritable différend avait trait à une question d’argent, et non à un motif prévu à la Convention. Le demandeur ne pouvait maquiller le différend financier en un différend politique, simplement parce que le différend en question se rapportait à une décision gouvernementale.

[21] Compte tenu de la nature du différend et des activités de protestation, il n’était pas déraisonnable de conclure à l’absence de lien avec les motifs prévus à la Convention.

Comme l’a jugé la Commission, le fait est que les demandeurs sont recherchés par la police en raison de leur participation à la perturbation d’une expropriation. Une infraction semblable existe au Canada et est prévue à l’article 129 du Code criminel.

Par conséquent, la conclusion de la Commission voulant que la Convention ne s’applique pas en l’espèce doit être confirmée.

[56]           Comme dans l’affaire Jiang, la Commission a agi de façon raisonnable dans la présente espèce en concluant que si le demandeur était bien recherché, c’était pour sa participation à une protestation réclamant une indemnisation équitable et non pour un motif prévu à la Convention.

[57]           La Commission, se référant à la preuve documentaire, a reconnu que la sanction punissant en Chine l’incitation à l’émeute est plus sévère qu’elle ne l’est au Canada, et que les conditions de détention dans de nombreux établissements carcéraux chinois sont dures et dégradantes. Elle a cependant conclu que cette conséquence possible des actes du demandeur ne portait pas atteinte aux normes internationales en matière de droits de la personne.

[58]           Je conviens que la peine que risque le demandeur pour incitation à l’émeute semble disproportionnée et je prends acte de ses conclusions renvoyant aux éléments de la preuve documentaire selon lesquels les conditions carcérales en Chine échappent à la surveillance internationale. Cependant, je ne puis nier que la conclusion de la Commission appartient aux issues possibles raisonnables.

[59]           La Commission fait observer que le demandeur n’a produit devant elle aucun élément de preuve établissant à quelle peine il serait exposé s’il était poursuivi à son retour en Chine. Rappelant que l’accusation (d’incitation à l’émeute) portée contre lui n’a pas trait à la dissidence politique, elle a conclu, sur le fondement de la preuve documentaire, qu’il serait traité en conséquence. Le rejet par la Commission de la demande fondée sur l’article 97 est raisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Il n’est pas proposé de question à la certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4258‑14

 

INTITULÉ :

ZHUHAO CAO (ALIAS ZHU HAO CAO) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 29 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sophia Karantonis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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