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Date : 20150619


Dossier : IMM-5796-14

Référence : 2015 CF 771

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 juin 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ZHAOHUI CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               À l’issue de l’audition de la présente demande, les parties ont été informées que la demande serait accueillie malgré les observations formulées par l’avocat des défendeurs.

[2]               Le demandeur, Zhaohui Chen, est citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada en 2007 en tant que personne à charge inscrite sur la demande de résidence permanente de son père.

[3]               En janvier 2012, le demandeur a été déclaré coupable d’homicide involontaire et condamné à cinq ans de prison. Le 13 novembre 2012, il a été déclaré interdit de territoire au titre de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27, et a fait l’objet d’une mesure d’expulsion le 27 janvier 2014.

[4]               Le demandeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR], dans laquelle il invoquait sa crainte d’être persécuté en Chine parce qu’il est de confession baptiste, parce qu’il craint la vengeance de la famille de celui qu’il a tué et parce que le droit pénal chinois permet d’engager la responsabilité pénale de personnes condamnées à l’étranger [risque d’une double incrimination]. La demande d’ERAR a été rejetée, car l’agent a conclu que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités en Chine.

[5]               Selon le demandeur, l’agent a eu tort (1) d’évaluer le risque auquel il pourrait être exposé en se basant sur sa qualité de protestant et non sur son appartenance précise à la confession baptiste, (2) de ne pas tenir compte du fait que le prosélytisme est un élément essentiel de sa pratique religieuse et (3) de se fonder, pour évaluer le risque de double incrimination, sur des éléments de preuve recueillis à la suite d’une recherche sur Internet, sans en informer le demandeur et lui offrir l’occasion d’y répondre.

[6]               La Cour s’interroge sur la manière dont l’agent a évalué le risque encouru par le demandeur du fait de sa religion. La Cour est notamment troublée par le fait que, selon l’agent, le demandeur ne risquerait pas d’être persécuté en raison de sa religion s’il fréquentait une église protestante officiellement reconnue. L’agent, qui a jugé le demandeur crédible, n’a pas adéquatement et suffisamment tenu compte de l’affidavit du demandeur, dans lequel il affirme ne pas reconnaître les églises parrainées par l’État.

[traduction] Je crains de ne plus pouvoir pratiquer ma foi et manifester ouvertement mes croyances. Non seulement je ne crois pas à l’égalité de Dieu et du gouvernement, mais je suis contre les églises parrainées par l’État. Je ne pense pas pouvoir recevoir le message de Dieu à travers une église soumise à la censure du gouvernement. Je ne pourrais pas non plus exercer certaines activités qui, comme le prosélytisme, sont selon moi des éléments essentiels de la foi.

[7]               Selon la Cour, il appartenait à l’agent de justifier comment, malgré le témoignage non contredit du demandeur affirmant le contraire, ce dernier pourrait très bien fréquenter une église parrainée par l’État.

[8]               Quoi qu’il en soit, la décision soulève une sérieuse difficulté, car, en se fondant pour prendre sa décision sur des renseignements qu’il tenait d’une source extérieure et auxquels le demandeur n’a pas eu l’occasion de répondre, l’agent a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale.

[9]               Sur le fondement des recherches qu’il a lui‑même effectuées sur Internet, l’agent a jugé peu probable que le demandeur s’expose à une deuxième condamnation. L’agent s’est appuyé sur la décision du Upper Tribunal de l’Angleterre dans l’affaire YF, [2011] UKUT 32(IAC) [YF], et a affirmé que [traduction] « entre autres conclusions », le tribunal a estimé qu’il était plus probable que quelqu’un soit puni à nouveau en Chine pour un crime qui lui avait déjà valu d’être condamné dans un autre pays si « le crime en question avait eu en Chine un fort retentissement, si les victimes avaient en Chine des relations influentes, si le crime avait une dimension politique ou s’il s’agissait de certains types de crimes que les autorités souhaitaient châtier pour créer un précédent ». En fonction de ce critère, l’agent a effectué une recherche sur Internet axée sur le nom du demandeur, « Zhaohui Chen », mais n’a pu trouver aucun site faisant état de sa condamnation. Il a conclu que le risque de double incrimination était peu probable.

[10]           Le demandeur fait remarquer à juste titre qu’une recherche axée sur son nom correctement épelé « Zhoa‑hui Chen » aurait révélé qu’[traduction] « au Canada, les principaux médias ont presque tous évoqué son cas ». Il ajoute que si l’agent avait effectué une recherche basée sur le nom de la victime écrit en caractères chinois, il aurait trouvé de nombreux articles auxquels les autorités chinoises auraient, selon lui, eu accès.

[11]           Le critère sur lequel s’est fondé l’agent, et que le tribunal avait retenu, selon lui, dans l’affaire YF, n’est pas le critère qui avait été appliqué par le tribunal dans cette affaire. Le critère invoqué par l’agent est mentionné dans l’affaire YK, mais provient d’un document de source britannique qui fait état de ce qu’un certain M. Dillon a dit au sujet des pratiques des autorités chinoises. Or, au paragraphe 80 de la décision, le tribunal énumère [traduction] « un plus grand nombre de facteurs [en l’occurrence 10] pouvant revêtir de l’importance ».

[12]           Se fondant sur la décision Hassaballa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 499 [Hassaballa]; et la décision Nadarajah c Canada (Solliciteur général), 2005 CF 713 [Nadarajah], le défendeur soutient que [traduction] « pour trouver la décision, il suffit d’effectuer une recherche sur Internet » et « qu’on ne saurait affirmer qu’il s’agit d’une décision que “l’on ne trouve normalement pas” ou que cette décision est “inédite” ».

[13]           Selon moi, cette jurisprudence n’aide guère à évaluer les circonstances de l’espèce. Dans la décision Hassaballa, le demandeur reprochait à l’agent d’ERAR d’avoir consulté les versions mises à jour du rapport du Département d’État américain et de l’US Religious Freedom Report, alors qu’il s’était fondé sur des versions antérieures de ces deux rapports. L’agent avait en effet consulté la version la plus actuelle des rapports en question. La Cour a relevé que « ces rapports mis à jour font partie du domaine public, qu’ils proviennent de sources connues, qu’ils sont de nature générale et qu’ils sont fréquemment cités dans les affaires d’immigration par les avocats des deux parties ». Précisons que la Cour a en outre souligné que ces deux rapports se trouvaient dans la documentation sur la situation au pays sur laquelle s’étaient fondés les agents d’immigration et la CISR. Ces rapports étaient par ailleurs connus de l’avocate du demandeur puisqu’elle les avait cités et invoqués dans le cadre des observations formulées au nom de son client. Estimant que l’agent d’ERAR n’avait commis aucun manquement à l’équité procédurale en se fondant sur la version mise à jour de ces rapports, la Cour a fait remarquer que, compte tenu de son expérience, l’avocate du demandeur aurait dû savoir que l’agent d’ERAR se fonderait sur la version mise à jour de ces documents. On ne saurait en dire autant des renseignements sur lesquels s’est fondé l’agent en l’espèce.

[14]           Dans la décision Nadarajah, la Cour a examiné si le fait que l’agent se soit fondé sur l’exposé très détaillé de la situation au Sri Lanka contenu dans une décision de la Cour européenne des droits de l’homme l’obligeait à communiquer cette décision au demandeur. Selon la Cour, en ne la communiquant pas, l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale, car la situation au pays, telle qu’exposée dans la décision de la Cour, était celle‑là même qui prévalait à l’époque où le demandeur avait présenté sa demande d’ERAR. Appliquant le raisonnement retenu dans l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461 (CAF) [Mancia], la Cour a conclu que l’agent n’était pas tenu de communiquer cette décision au demandeur.

[15]           Dans l’arrêt Mancia, la Cour d’appel fédérale a jugé que s’agissant d’un document portant sur la situation au pays, « l’obligation de communiquer un document au demandeur se limite aux cas où un agent d’immigration s’appuie sur un documente important postérieur aux observations et où ce document fait état de changements survenus dans la situation générale du pays qui risquent d’avoir une incidence sur sa décision ». Le critère applicable repose donc sur la question de savoir si le document en question risque d’avoir une incidence sur la décision.

[16]           Il ressort clairement de sa décision que l’agent s’est fondé sur l’affaire YK ainsi que sur la recherche qu’il a effectuée à partir du nom du demandeur, et que ces deux sources de renseignements ont eu une incidence sur sa décision, puisqu’il s’est fondé sur elles pour conclure que le demandeur ne risquait pas d’être jugé deux fois pour les mêmes faits. L’agent avait peut‑être raison sur ce point, mais il était tenu, avant de rendre sa décision, de faire part au demandeur des renseignements qu’il avait trouvés afin que celui‑ci ait l’occasion de présenter ses observations. En omettant de le faire, il a enfreint la justice naturelle.

[17]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et il n’y en a aucune à certifier d’après les faits en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision de l’agent rejetant la demande d’examen des risques avant renvoi est annulée, la demande est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue de nouveau sur l’affaire et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5796-14

 

INTITULÉ :

ZHAOHUI CHEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JUIN 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Hillary Adams

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Long Mangalji LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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