Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150622


Dossier : T-1205-14

Référence : 2015 CF 775

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

JASYN EVERETT WALSH

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le chef d’état-major de la défense (CEMD), à titre d’autorité de dernière instance dans le cadre de la procédure de grief, conformément à la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5, a rejeté le grief déposé par le demandeur concernant sa libération à la suite d’un examen administratif de son inconduite sexuelle répétée. Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du CEMD.

[2]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que la décision du CEMD était à la fois raisonnable et conforme aux principes d’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

I.                   Les faits

[3]               Le demandeur s’est joint à la Première réserve en janvier 1998, et il a servi au sein de diverses unités, de façon sporadique à temps partiel et à temps plein, jusqu’au moment de sa libération des Forces canadiennes (FC) en mars 2010.

[4]               En octobre 2001, le demandeur a été accusé d’avoir commis un acte indécent. Les accusations ont été suspendues et le demandeur a ensuite participé à un programme médico-légal de traitement des délinquants sexuels d’une durée de six mois, suivi de séances mensuelles de suivi pour délinquants sexuels. Le demandeur n’a pas signalé l’arrestation à sa chaîne de commandement et l’arrestation n’a été découverte qu’en janvier 2008, lors de la tenue d’une enquête au sujet d’une autre infraction.

[5]               Le 27 janvier 2008, le demandeur a été arrêté par le service de police de Vancouver et il a été accusé d’avoir commis un acte indécent au sens de l’alinéa 173(1)a) du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Il a été déclaré coupable de cette infraction en juin 2008, et s’est vu accorder une libération conditionnelle assortie de deux ans de probation et d’autres conditions.

[6]               En mai 2008, le Directeur – Administration (Carrières militaires) (DACM) a fait parvenir aux militaires de la chaîne de commandement du demandeur, un message les informant de leur responsabilité de mener une enquête en vue d’établir si le demandeur avait enfreint l’ordonnance administrative des Forces canadiennes (OAFC) 19-36 (Inconduite sexuelle), et de présenter un rapport avec des documents à l’appui.

[7]               En septembre 2009, alors qu’il était toujours en probation, le demandeur a été placé en détention et mis en garde par le service de police de Vancouver pour avoir commis un autre acte indécent. Aucune accusation n’a été portée. Peu de temps après, les membres du personnel du DACM ont achevé leur examen administratif du dossier du demandeur et ont conclu que celui‑ci avait enfreint la Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 5019‑5 (Inconduite sexuelle et troubles sexuels), qui a remplacé l’ancienne OAFC 19‑36. Le personnel du DACM a recommandé la libération du demandeur conformément au numéro 5f) du tableau ajouté à l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).

[8]               En octobre 2009, des documents concernant l’examen administratif ont été communiqués au demandeur et il a été invité à présenter des observations.

[9]               En novembre 2009, le demandeur a répondu à cette communication et il a demandé que la recommandation de libération soit changée pour un maintien en poste avec mise en garde et surveillance. Le demandeur a présenté en appui à sa requête des déclarations fournies par deux psychiatres et par son agent de probation, ainsi qu’un certain nombre de ses rapports d’évaluation du rendement (RER).

[10]           En décembre 2009, le commandant (cmdt) du demandeur a présenté des commentaires détaillés au sujet de la situation du demandeur, de son rendement et des rapports médicaux. En tenant compte de tous ces facteurs, le commandant a souscrit à l’avis selon lequel le demandeur devrait être libéré des FC.

[11]           En février 2010, le DACM a rendu la décision de libérer le demandeur des FC conformément au numéro 5f) des ORFC (Inapte à continuer son service militaire). En mars 2010, le demandeur a été libéré des FC conformément au numéro 5f) des ORFC.

[12]           Le 8 février 2010, le demandeur a déposé un grief à l’encontre de la décision du DACM de le libérer. Le 1er juin 2010, le Directeur général – Carrières militaires (DGCM), en qualité d’autorité initiale, a rejeté ce grief.

[13]           Le 2 septembre 2010, le demandeur a envoyé au CEMD une lettre (qui renfermait un avis de son conseiller juridique) demandant une réintégration au sein des FC. Plusieurs experts en la matière (EM) ont ensuite été consultés au sujet des questions soulevées dans le grief du  demandeur, et des documents ont été communiqués au demandeur lors de ce processus et il a été en mesure de présenter plusieurs observations.

[14]           Le 30 septembre 2010, le grief du demandeur a été soumis au Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité), appelé auparavant le Comité des griefs des Forces canadiennes. Le 17 décembre 2010, le Comité a présenté ses conclusions et recommandations relativement au grief du demandeur. Il a recommandé de faire droit au grief et que sa libération soit considérée nulle ab initio. Le Comité a recommandé en outre de placer le demandeur sous mise en garde et surveillance pour inconduite sexuelle.

[15]           Le 19 octobre 2011, le Directeur général – Autorité des griefs des Forces canadiennes (DGAGFC) a produit un sommaire de grief recommandant au CEMD de rejeter le grief au motif qu’il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale dans la décision de l’autorité initiale. Le 12 décembre 2011, le demandeur a présenté des observations en réponse au sommaire de grief.

[16]           Le 14 novembre 2013, le DGAGFC a produit un second sommaire de grief recommandant au CEMD de rejeter le grief au motif qu’il n’existait aucune preuve au dossier pour appuyer l’allégation du demandeur selon laquelle son sevrage du Paxil a causé une réaction indésirable qui a entraîné une récidive de sa part. Le 12 janvier 2014, le demandeur a présenté des observations en réponse au second sommaire de grief.

[17]           Le 17 mars 2014, le CEMD a rejeté le grief du demandeur.

II.                La décision contestée

[18]           Avant d’aborder les arguments principaux du demandeur, le CEMD a d’abord abordé quelques questions préliminaires. En premier lieu, il a soutenu que la Cour d’appel fédérale a établi dans l’arrêt McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181[McBride] qu’une audience de novo permet de remédier à un manquement à l’équité procédurale. À ce titre, l’avis du Comité selon lequel la libération du demandeur était nulle ab initio parce qu’il avait été privé de son droit à l’équité procédurale ne pouvait être accepté.

[19]           Le CEMD a reconnu, en outre, que le DACM n’a pas énoncé expressément les motifs de sa décision ni traité de manière adéquate des observations présentées par le demandeur. Le CEMD a toutefois annulé cette décision et s’est efforcé de répondre à toutes les préoccupations soulevées par le demandeur et d’expliquer pourquoi il est parvenu à une conclusion différente de celle du Comité.

[20]           Même si l’autorité de dernière instance n’est assujettie à aucun délai pour examiner et trancher un grief, le CEMD a reconnu qu’un retard considérable avait été observé dans le cas du grief du demandeur. Toutefois, puisque ce retard était dû à une combinaison de facteurs, le CEMD a jugé qu’il ne permettait pas d’établir l’existence de partialité. Dans un même ordre d’idées, le fait que les sommaires préparés par les analystes du DGAGFC n’aient pas fait renvoi à des publications de droit administratif ou à des affaires civiles ne constitue pas de la partialité, car les documents de politique pertinents au grief du demandeur sont les DOAD. Quoi qu’il en soit, les sommaires renferment des conseils; il ne s’agit pas des décisions de l’autorité de dernière instance.

[21]           En ce qui a trait au caractère raisonnable de la libération du demandeur, le CEMD a souligné les facteurs suivants : l’inconduite qui a entraîné l’examen administratif, le rendement professionnel du demandeur et la recommandation de son cmdt, les observations du demandeur et les évaluations concernant ses soins médicaux.

[22]           En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle ses trois infractions d’inconduite sexuelle étaient mineures, le CEMD a fait remarquer que le Comité n’a pas fourni d’explication quant à la raison pour laquelle il a déclaré que les transgressions commises par le demandeur, [traduction] « bien qu’elles soient importantes, ne figurent pas au même niveau que les cas habituels d’inconduite sexuelle ». Il a aussi fait remarquer que le demandeur n’a pas signalé l’incident d’inconduite sexuelle en octobre 2001, comme il était tenu de le faire.

[23]           En l’absence de déclarations de victimes ou de collègues du demandeur, il n’a pas été possible d’établir l’étendue des répercussions néfastes que les gestes du demandeur ont pu avoir. De plus, l’absence d’implication des médias ne veut pas dire que les FC n’ont pas été dénigrées aux yeux du public qui comportait, entre autres, des policiers civils, du personnel de probation, des médecins praticiens et des victimes. Ce qui est le plus important, c’est que la question de la publicité n’est pas pertinente et que les FC ne déterminent pas la nature de la conduite d’un membre en vérifiant tout d’abord si le comportement a oui ou non retenu l’attention des médias. Bien que les infractions commises par le demandeur puissent être mineures selon le Code criminel, ce n’est pas le seul critère de mesure du bien et du mal pour un membre des FC. Voici ce que le CEMD a déclaré :

[traduction]

Le Code de valeurs et d’éthique des FAC régit la conduite au sein des FAC et il ne peut y avoir aucune erreur relativement au fait que le respect des principes et des valeurs ainsi que des comportements attendus constituent un ordre pour l’ensemble des membres des FAC. Tel qu’il a déjà été mentionné, nous sommes tenus de respecter une norme rigoureuse et d’accepter les conséquences de nos décisions et gestes. Je conclus, de manière globale, que vos trois incidents d’inconduite sexuelle ne sont pas mineurs dans le contexte militaire et que la poursuite de l’inconduite pendant une période qui s’est étalée sur environ huit ans, en dépit d’une aide médicale, d’un traitement et de temps pour maîtriser votre tendance à adopter un comportement ou une conduite si inappropriés, a jeté le discrédit sur les FAC et ne peut être tolérée par une personne qui porte l’uniforme des FAC.

Dossier certifié du tribunal, page 7.

[24]           Le CEMD a également tenu compte du fait que le demandeur semblait avoir reconnu la gravité de sa conduite et qu’il avait exprimé des remords. Il a passé en revue les rapports annuels sur le rendement du demandeur, et a mentionné que le demandeur a toujours été évalué comme étant une personne dévouée ayant fourni un excellent rendement pendant toute sa carrière, et qu’il était un matelot-chef ayant un rendement au-dessus de la moyenne. Contrairement à l’observation formulée par le demandeur, le CEMD a toutefois conclu que le cmdt du demandeur n’a pas été indifférent à l’égard du rendement du demandeur, mais qu’il a exercé une diligence raisonnable et qu’il a présenté une recommandation exhaustive et mûrement réfléchie. Le CEMD a ajouté que le demandeur, en ne signalant pas à sa chaîne de commandement son arrestation survenue en octobre 2001, a en fait privé les FC d’une occasion de lui donner des conseils et de l’appuyer au début de sa carrière.

[25]           En ce qui a trait au rapport psychiatrique selon lequel l’exhibitionnisme est généralement considéré comme un comportement nuisible et qu’il existe une perspective favorable de changer à long terme, le CEMD a déclaré que le demandeur a commis un troisième acte indécent alors qu’il était en probation, malgré les nombreux traitements reçus de médecins praticiens civils et des FC. Par ailleurs, le fait qu’un membre des FC souffre d’une maladie n’empêche pas les FC de prendre des mesures administratives ou disciplinaires de ce genre qu’elles jugent appropriées en les circonstances. Il convient de souligner que les FC n’ont pas pris de mesure disciplinaire militaire contre le demandeur, mais qu’elles ont plutôt amorcé un processus administratif qui a donné lieu à une libération.

[26]           L’avocat du demandeur avait également allégué que le personnel médical de l’unité du demandeur n’avait pas surveillé de près sa progression après qu’il a cessé de prendre son médicament, ce qui a donné lieu à une réaction indésirable ayant contribué à son arrestation le 29 septembre 2009. Le CEMD a conclu qu’il n’y avait aucune preuve permettant de corroborer l’allégation du demandeur selon laquelle ses médecins praticiens ont fait preuve de négligence en l’arrêtant de prendre son médicament ou autrement. Le traitement du demandeur était conforme à la norme de soins et il a reçu un traitement approprié dispensé par les services en santé mentale. En outre, selon les propres observations du demandeur, un certain nombre de facteurs ont contribué à l’incident d’inconduite sexuelle survenu en septembre 2009, et le sevrage du médicament constituait au mieux un facteur marginal.

[27]           Le CEMD a résumé ses conclusions en ces termes :

[traduction]

Afin d’établir si votre libération obligatoire en vertu du numéro 5f) était raisonnable et justifiée, j’ai pris en compte les facteurs suivants pour en arriver à ma décision : l’inconduite sexuelle ayant entraîné l’arrestation; votre rendement professionnel; la recommandation de votre cmdt; vos observations; ainsi que vos évaluations médicales. Je tiens également compte du fait que vous avez reçu de l’aide dans le cadre de votre réadaptation, au  moyen de deux programmes éducatifs, à la suite de votre déclaration de culpabilité en 2001. Par conséquent, je suis parvenu à ma propre conclusion selon laquelle votre rendement professionnel au-dessus de la moyenne, votre aveu de culpabilité et les facteurs médicaux associés à votre traitement ne suffisent pas pour faire contrepoids à la recommandation de votre cmdt à l’appui d’une libération en vertu du numéro 5f) et au poids que les FAC attribuent à la gravité de votre inconduite sexuelle. Je conclus, par conséquent, que votre libération des FAC était une issue raisonnable eu égard à la nature de votre inconduite répétée.

Dossier du demandeur, page  p. 19

III.             Les questions en litige

[28]           Le demandeur a abordé un certain nombre de questions relatives au caractère raisonnable de la décision ainsi qu’à l’équité procédurale. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, le demandeur a fait valoir que le CEMD n’a pas tenu compte de tous les principaux points qu’il a soulevés tout au long de la procédure de règlement des griefs militaires, notamment de son observation selon laquelle ses problèmes de santé ou son état psychologique n’ont pas gravement compromis son utilité au sein des FC. En outre, le CEMD n’a pas fourni de motifs suffisants et ne disposait pas d’éléments de preuve lui permettant de rejeter l’avis médical selon lequel son arrêt des médicaments a joué un rôle important dans le troisième incident survenu le 29 septembre 2009.

[29]           Quant à l’aspect équité procédurale de la décision, le demandeur soulève deux questions. D’abord, il tente de faire une distinction par rapport à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McBride et s’appuie sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] pour faire valoir qu'un examen de novo ne remédie pas au manquement à l’équité procédurale. Deuxièmement, il soutient que le retard dans le processus de décision a entraîné un manquement à l’équité procédurale et/ou un abus de procédure.

[30]           Je vais maintenant examiner chacune de ces questions. Au préalable, cependant, je présenterai brièvement le cadre légal et stratégique et déterminerai la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

A.                Le cadre légal et stratégique

[31]           Les articles 29 à 29.15 de la Loi sur la défense nationale déterminent la procédure de règlement des griefs des FC. Selon le paragraphe 29(1), tout officier qui s’estime lésé par une décision dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la Loi sur la défense nationale. Suivant l’article 29.11, le CEMD est l’autorité de dernière instance en matière de griefs. En outre, suivant l’article 29.12, avant d’étudier et de régler tout grief d’une catégorie prévue par règlement du gouverneur en conseil, le CEMD le soumet au Comité des griefs pour que celui-ci lui formule ses conclusions et recommandations. Il peut également renvoyer tout autre grief à ce comité.

[32]           Le CEMD n’est pas lié par les conclusions et recommandations du Comité (paragraphe 29.13(1)), mais il doit motiver sa décision s’il s’écarte de ces conclusions et recommandations (paragraphe 29.13 (2)). Les décisions d’une autorité de dernière instance (le CEMD peut déléguer ses attributions conformément à l’article 29.14) sont définitives et exécutoires et, sous réserve du contrôle judiciaire par la Cour, ne sont pas susceptibles d’appel ou de révision en justice (article 29.15).

[33]           Quant aux DOAD, il s’agit d’ordonnances visant les membres des FC. Selon les DOAD 5019‑0, [traduction] « les membres des FC sont tenus pour responsables de tout manquement aux normes de conduite et de rendement qui les concernent ». Les DOAD 5019‑2 décrivent la procédure d’examen administratif. Les DOAD 5019‑5 traitent de l’inconduite sexuelle et des troubles sexuels. Selon ces ordonnances, l’[traduction] « inconduite sexuelle » consiste en un ou plusieurs actes qui, [traduction] « sont soit de nature sexuelle, soit posés dans l’intention de commettre un ou plusieurs gestes de nature sexuelle » et qui , [traduction] « constituent une infraction en vertu du Code criminel ou du Code de discipline militaire ». Plus précisément, l’inconduite sexuelle comprend des infractions, [traduction] « tels l’agression sexuelle, l’outrage à la pudeur, le voyeurisme et les actes liés à la pornographie juvénile ». Les principes généraux énoncent l’engagement suivant des FC :

[traduction]

L’inconduite sexuelle détruit les valeurs sociales et militaires fondamentales en plus de miner la sécurité, le moral, la discipline et la cohésion au sein des FC. Elle jette aussi le discrédit sur les FC et, par conséquent, ne peut être tolérée par celles-ci.

Les FC s’engagent à ce que tous les incidents d’inconduite sexuelle soient signalés, qu’ils fassent l’objet d’une enquête et soient sanctionnés le plus rapidement possible.

Dossier du demandeur, p. 288

B.                 La norme de contrôle

[34]           Les parties conviennent que les décisions du CEMD portent sur des questions mixtes de fait et de droit et sont donc assujetties à la norme de la décision raisonnable : Snieder c Canada (Procureur général), 2013 CF 218, au paragraphe 20. En conséquence, la Cour n’interviendra que si les décisions du CEMD ne font pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ou si le processus décisionnel semble dénué de justification ou manquer de transparence et d’intelligibilité; voir Dunsmuir, au paragraphe 47. Le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans le cadre de l’analyse : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], aux paragraphes 14 et 15.

[35]           En ce qui concerne les questions soulevant des préoccupations en matière d’équité procédurale, elles sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte : Smith c Canada (Défense nationale), 2010 CF 321, aux paragraphes 34-37; McBride, au paragraphe 32.

IV.             Analyse

A.                 Le caractère raisonnable de la décision

[36]           L’avocat du demandeur a soutenu que le CEMD avait écarté les conclusions du Comité sans fournir de motifs adéquats. En particulier, il a fait valoir que le CEMD n’avait pas tenu compte des avis médicaux confirmant que l’état du demandeur était soignable et que ce dernier avait suivi avec succès les programmes de réadaptation recommandés avant sa libération. De plus, l’avocat du demandeur était d’avis que le CEMD avait omis d’expliquer pourquoi il avait choisi la libération, la sanction la plus sévère, au lieu de la mise en garde et surveillance, comme l’avait recommandé le Comité.

[37]           Cet argument est dénué de fondement. Aux pages 9 et 10 de ses motifs, le CEMD aborde explicitement les évaluations médicales du demandeur et fait renvoi aux rapports du Dr Eaves, le psychiatre du demandeur, et du Dr Robinow, un autre psychiatre qui a soigné le demandeur. Le CEMD cite le Dr Eaves selon qui [traduction] « habituellement, le pronostic pour les exhibitionnistes n’est pas favorable », mais il y avait, dans le cas du demandeur, la possibilité d’une évolution favorable à long terme. Le CEMD signale aussi le rapport du Dr Robinow en date de novembre 2009 selon lequel le pronostic du demandeur pour ce qui est de fonctionner et se comporter de manière appropriée au sein des FC [traduction] « demeure très favorable dans la mesure où il continue de suivre son traitement »; toutefois, il souligne que ce pronostic vise la dépression du demandeur, et non les causes sous-jacentes de son inconduite sexuelle.

[38]           Le demandeur conteste la conclusion du CEMD selon laquelle le pronostic du Dr Robinow avait trait à la dépression du demandeur, et non à son inconduite sexuelle. Le demandeur fait renvoi aux billets du Dr Robinow en mai, juillet et août 2008 concernant la dose de Paxil du demandeur, qui tendraient à confirmer que l’état pathologique auquel il renvoyait dans son billet médical de novembre 2009 était effectivement l’exhibitionnisme.

[39]           Il se peut fort bien que le demandeur ait consulté le Dr Robinow au moins en partie pour un traitement des causes de son exhibitionnisme. Toutefois, comme l’a signalé le défendeur, le demandeur affirme lui-même, dans ses observations en date du 12 janvier 2014, qu’il avait consulté le Dr Robinow en septembre 2009 en raison de sa dépression. À ce moment-là, il a affirmé qu’il s’était remis à prendre du Paxil parce qu’il se sentait légèrement déprimé. De plus, dans l’évaluation psychologique du Dr Stein en date du 26 juin 2013, il y a une note selon laquelle le Dr Robinow a signalé que le demandeur souffrait de dysthymie depuis 2002 et qu’il suivait un traitement incluant une thérapie de soutien, des mesures comportementales et le Paxil, un antidépresseur. Dans le rapport du Dr Eaves en date du 31 mai 2008, il est clairement noté que le demandeur avait récemment préféré consulter un psychiatre, le Dr Robinow, pour soigner sa dépression. À la lumière de toutes ces considérations, et compte tenu de la nature énigmatique du rapport du Dr Robinow en date de novembre 2009, le CEMD pouvait raisonnablement conclure que le pronostic favorable avait trait à la dépression du demandeur.

[40]           Par conséquent, il est clair que le CEMD a tenu compte des avis médicaux versés au dossier. Pour ce qui est des motifs pour lesquels il a décidé de ne pas suivre la recommandation du Comité, il est clair qu’ils se trouvent au paragraphe qui suit immédiatement l’examen des rapports médicaux. Premièrement, le demandeur a commis un troisième acte indécent pendant qu’il était en période de surveillance, malgré les soins importants qu’il avait reçus. Deuxièmement, son inconduite sexuelle est grave et pas seulement [traduction] « un comportement indésirable » comme l’a qualifié le DEaves.

[41]           Ces motifs sont tout à fait intelligibles et précisent clairement pourquoi le CEMD n’a pas souscrit aux recommandations du Comité. Il en est de même dans chaque cas où le point de vue du CEMD différait de celui du Comité. Contrairement aux observations du demandeur, le CEMD a expliqué en quoi une audience de novo peut remédier à un manquement important à l’équité procédurale. De l’avis du demandeur, sa situation est nettement différente de celle examinée dans l’arrêt McBride, essentiellement parce que le manquement à l’équité procédurale dans cette affaire était moins grave que dans le cas du demandeur. Le CEMD n’était pas du même avis, soulignant que l’arrêt McBride portait également sur un militaire qui avait été libéré avant l’examen de son grief. Il a également souligné que c’est l’examen de novo du dossier du plaignant aux diverses étapes de la procédure de griefs qui remédie un manquement antérieur à l’équité procédurale. Le CEMD était en droit d’arriver à cette conclusion et il a expliqué de manière tout à fait adéquate les raisons pour lesquelles il n’a pas donné suite à la recommandation du Comité de considérer la libération du demandeur comme étant nulle ab initio.

[42]           Lorsqu’un tribunal se penche sur un argument contestant le caractère adéquat des motifs, il doit garder à l’esprit qu’un tel argument ne suffit pas, à lui seul, pour casser une décision. Une décision ne sera pas cassée uniquement parce qu’elle aurait pu être mieux formulée ou exposée de manière plus approfondie. Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union au paragraphe 16 :

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale [...]. En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[43]           Je n’hésite aucunement à conclure que la décision du CEMD tient la route lorsqu’elle est examinée dans cette optique. Il se peut que ce ne soit pas la décision que la Cour aurait rendue, il se peut même que la décision soit un peu sévère, mais il ne s’agit certainement pas d’une décision qui soit inintelligible ou qui n’ait aucune assise dans la preuve. Je note, en passant, que le demandeur a été libéré suivant le numéro 5f) (Inapte à continuer son service militaire), et non le numéro 2a) (Conduite non satisfaisante), en reconnaissance de l’ensemble de ses états de service. L’autorité de dernière instance jouit d’une grande latitude lorsqu’elle se penche et se prononce sur des griefs, particulièrement lorsqu’elle établit les mesures de redressement appropriées dans les circonstances, en raison de sa connaissance approfondie du milieu et des activités militaires. Il faut faire preuve d’une grande retenue judiciaire à l’égard de ce genre de décisions et je ne suis pas convaincu que la mesure choisie (la libération au lieu de la mise en garde et surveillance) n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».  

[44]           De plus, le demandeur soutient que le CEMD n’a pas tenu compte de certains points qu’il a soulevés tout au long de la procédure de griefs, notamment son observation selon laquelle son problème médical ou psychologique ne compromettait pas grandement son utilité aux FC (soit le critère entraînant la libération suivant le numéro 5f)). Il soutient que son cas doit être comparé à celui d’un autre militaire des FC qui a violé une fille de 14 ans et qui n’a suivi aucun programme de traitement, mais qui s’est néanmoins vu imposer une mise en garde et surveillance.

[45]           Après avoir lu la décision contestée du CEMD dans son ensemble, je ne pense pas qu’il soit possible d’affirmer que les motifs ne tiennent pas compte des observations du demandeur. Il est clair que le CEMD s’est penché sur les directives régissant la libération des militaires des FC, telles qu’elles sont exposées au chapitre 15 des ORFC. Selon ces directives, le numéro 5f) « [s’]applique à la libération d’un officier ou militaire du rang qui, soit entièrement soit principalement à cause de facteurs en son pouvoir, manifeste des faiblesses personnelles ou un comportement ou a des problèmes de famille ou personnels qui compromettent grandement son utilité ou imposent un fardeau excessif à l’administration des Forces canadiennes ».

[46]           Tout au long de ses motifs, le CEMD précise très clairement que la gravité de l’inconduite sexuelle répétée du demandeur est la justification fondamentale de sa conclusion selon laquelle le demandeur est inapte à continuer son service militaire. Il a également examiné les évaluations médicales du demandeur, ainsi que son dossier professionnel, et a conclu que la conduite du demandeur était attribuable à des facteurs en son pouvoir et qu’il était entièrement responsable de ses gestes. Le CEMD a appuyé la recommandation du cmdt du demandeur, à savoir la libération suivant le numéro 5f), et a conclu que le sevrage du médicament n’était au mieux qu’une cause sous-jacente marginale de l’incident survenu en septembre 2009, en se fondant sur l’examen médical qu’il avait demandé au Directeur de la politique de santé et sur les explications du demandeur lui-même concernant sa conduite.

[47]           Pour ce qui est du refus par le CEMD de prendre en considération le dossier de grief que le demandeur avait présenté à titre comparatif, un tel refus était tout à fait approprié dans le contexte d’un examen administratif. Il est bien établi en droit administratif que chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres et qu’un décideur n’est lié par aucune décision antérieure.

[48]           Par conséquent, je suis d’avis que la décision rendue par le CEMD concorde avec les lignes directrices régissant la libération des militaires des FC et que les motifs suffisent à expliquer pourquoi le CEMD n’a pas choisi d’imposer une mise en garde et surveillance. Toutes les observations du demandeur ont été prises en considération et il n’y a pas d’ambiguïté quant aux motifs pour lesquels elles ont été rejetées. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le mandat de la Cour n’est pas de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve, mais d’examiner si la décision contestée est intelligible et étayée par la preuve et le droit. À mon humble avis, la décision du CEMD respecte ces critères.

B.                 L’argument concernant l’équité procédurale

[49]           Le Comité a conclu que le demandeur avait été privé de son droit à l’équité procédurale dans la mesure où le processus d’examen administratif était fondamentalement vicié. Plus précisément, le Comité a conclu que l’unité du demandeur n’avait pas donné suite au dossier du demandeur en temps opportun. Bien que le DACM ait lancé le processus d’examen administratif en mai 2008, le dossier est demeuré inactif jusqu’à ce que le demandeur soit impliqué dans un autre incident en septembre 2009. De plus, le Comité a conclu que le DAMC avait approuvé la recommandation de libérer le demandeur sans fournir de motifs pour cette décision, contrairement aux exigences des DOAD 5019-2. Selon le Comité, la procédure de griefs ne pouvait pas remédier à ces manquements à l’équité procédurale et, par conséquent, il a recommandé que le grief du demandeur soit accueilli.

[50]           Comme je l’ai signalé précédemment, le CEMD n’a pas souscrit à ces conclusions et recommandations et, se fondant sur l’arrêt McBride, a conclu qu’une audience de novo remédie effectivement à un manquement à l’équité procédurale. Le demandeur a tenté d’établir une distinction entre sa situation et l’affaire McBride en faisant valoir que le manquement à l’équité procédurale dans l’affaire McBride était moins grave que dans la sienne, et que M. McBride aurait pu lui-même remédier au manquement à l’équité procédurale en se procurant une copie de ses dossiers médicaux, à l’aide de la démarche décrite par les FC.

[51]           Je conviens avec l’avocate du défenseur que l’idée centrale de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt McBride est qu’un examen de novo suffira pour remédier à un manquement à l’équité procédurale lorsque la procédure, examinée dans son ensemble, était équitable. Il s’agit clairement de la situation en l’espèce. Non seulement le CEMD a examiné le dossier dans son intégralité, mais en outre le demandeur a eu la possibilité de présenter ses observations à toutes les étapes du processus. Toute la documentation se rapportant à l’examen administratif de sa libération lui a été communiquée et il a soumis des observations sur cette documentation tout au long de l’analyse de son grief. Le CEMD a examiné attentivement les observations du demandeur et s’est penché sur chacune de ces observations dans ses motifs. Il a également reconnu que l’autorité de première instance (le DACM) n’avait pas énoncé explicitement les motifs de sa décision, ni répondu de manière suffisante aux observations du demandeur; toutefois, il est clair que la décision et la démarche qu’il a suivie pour y arriver ont remédié aux lacunes antérieures. Je n’hésite aucunement à conclure que, examiné dans son ensemble, le processus d’examen administratif était équitable.

[52]           Enfin, l’avocat du demandeur a soutenu que le retard inexpliqué avec lequel le CEMD a rendu sa décision avait entraîné un manquement à l’équité procédurale et/ou un abus de procédure. Manifestement, il est malheureux que la procédure entière pour le règlement du grief ait pris plus de quatre ans (de février 2010 à mars 2014), et le CEMD l’a reconnu dans sa décision. Le CEMD a fait valoir que plusieurs spécialistes avaient été consultés et que le dossier était complexe, mais il a néanmoins reconnu que ce très long processus avait vraisemblablement imposé un stress additionnel au demandeur pendant que son dossier restait en suspens – une situation pour laquelle le CEMD a présenté ses excuses.

[53]           Malheureusement, les retards dans le cadre des procédures administratives sont courants et la Cour suprême du Canada a expliqué, dans l’arrêt Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307, que les retards n’engendrent pas tous des manquements à l’équité procédurale. La Cour suprême a admis que des retards inacceptables peuvent aboutir à un abus de procédure dans certaines circonstances, même lorsque le caractère équitable de l’instruction n’est pas compromis. Dans le contexte d’une plainte de harcèlement sexuel devant une commission provinciale des droits de la personne, la Cour suprême a exposé les lignes directrices suivantes pour décider si un délai est inacceptable (aux paragraphes 121 et 122) :

Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause. Bien que je sois disposé à reconnaître que le stress et la stigmatisation résultant d’un délai excessif peuvent entraîner un abus de procédure, je ne suis pas convaincu que le délai écoulé en l’espèce était « excessif ».

La question de savoir si un délai est devenu excessif dépend de la nature de l’affaire et de sa complexité, des faits et des questions en litige, de l’objet et de la nature des procédures, de la question de savoir si la personne visée par les procédures a contribué ou renoncé au délai, et d’autres circonstances de l’affaire. Comme nous l’avons vu, la question de savoir si un délai est excessif et s’il est susceptible de heurter le sens de l’équité de la collectivité dépend non pas uniquement de la longueur de ce délai, mais de facteurs contextuels, dont la nature des différents droits en jeu dans les procédures.

Voir également : Moodie c Canada (Procureur général), 2014 CF 433; Dockstader c Canada (Procureur général), 2008 CF 886.

[54]           En l’espèce, le demandeur ne m’a présenté aucun élément de preuve démontrant que le délai était inacceptable « au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause ». De plus, rien ne montre que le demandeur ait subi un préjudice susceptible de compromettre l’équité de l’instruction de son grief. Manifestement, il y a eu un retard inopportun dont les causes n’ont peut-être pas fait l’objet d’explications satisfaisantes; toutefois, ce retard ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale pouvant justifier l’annulation de la décision rendue par le CEMD.

V.                Conclusion

[55]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision rendue par le CEMD, à savoir la libération du demandeur des FC, est raisonnable et ne porte pas atteinte aux principes de l’équité procédurale.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1205-14

 

INTITULÉ :

JASYN EVERETT WALSH c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey B. Johnston

 

POUR Le demandeur

 

Helen Park

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey B. Johnston

Avocat

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR Le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.