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Date : 20150625


Dossier : IMM‑2833‑14

Référence : 2015 CF 794

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

MAJEED BEHARY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 26 mars 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité. Comme le demandeur n’avait pas établi son identité, la SPR a estimé qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur le fond de sa demande d’asile et de décider s’il avait la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). De plus, la SPR a conclu, au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR, à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.

Contexte

[2]               Le demandeur affirme être un citoyen de l’Iran. Dans son premier formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) il alléguait notamment avoir fui l’Iran en juin 2013 et être arrivé au Canada en transitant par la Turquie, la France et l’Espagne. Il a demandé l’asile le 11 octobre 2013. Le 4 décembre 2013, le ministre est intervenu dans le dossier et a soumis un rapport de la Conférence des cinq nations (CFC) du 20 novembre 2013 qui provenait du Royaume‑Uni (le R‑U). Ce rapport, qui était fondé sur une comparaison d’empreintes digitales, confirmait que les données biométriques du demandeur correspondaient à celles figurant au dossier présenté au R.‑U. par Majid Bahari, alias Moussa Mosavi, né le 31 décembre 1971, dont les empreintes digitales avaient été prélevées au R.‑U. en février 2005, puis de nouveau le 16 juin 2010, en vue de la présentation d’une demande d’asile. Sa demande d’asile a été rejetée et il a été renvoyé en Allemagne.

[3]               Le 3 février 2014, le demandeur a déposé une version considérablement modifiée de son formulaire FDA dans laquelle vingt‑cinq des quarante et un paragraphes de son formulaire FDA initial avaient été biffés et vingt‑deux nouveaux paragraphes avaient été ajoutés. Dans son FDA révisé, le demandeur affirmait qu’il avait fui l’Iran muni d’un faux passeport en septembre 2004 avec l’aide d’un agent. Après que son faux passeport eut été découvert, il avait été détenu en Allemagne, où il avait demandé l’asile. Il allègue avoir été maltraité en Allemagne et y avoir été victime de racisme. Il a donc recouru quelques mois plus tard au service d’un agent pour l’aider à se rendre au R.‑U. en transitant par la France. Il a présenté une demande d’asile au R.‑U. en février 2005, mais a été expulsé vers l’Allemagne, où il est demeuré quelques mois, pour ensuite décider de revenir au R.‑U. en passant par la France. Il a vécu au R.‑U. pendant cinq ans. Un agent lui a dit qu’il pouvait présenter une autre demande d’asile au R.‑U. après cinq ans puisque les autorités britanniques ne conservaient pas les dossiers relatifs aux empreintes digitales au‑delà d’une certaine période de temps. L’agent lui a conseillé de ne pas révéler le fait qu’il avait vécu au R.‑U. ou en Europe ou qu’il avait demandé l’asile en Allemagne. Il a de nouveau demandé l’asile au R.‑U. en 2010, mais il a été découvert et il a été renvoyé en Allemagne. Le jour même de son arrivée en Allemagne, il est retourné en France. Il a passé six ou sept mois en France pour ensuite regagner le R.‑U., où il a vécu environ deux ans. Comme il lui pesait d’être sans statut et qu’il craignait d’être renvoyé en Allemagne puis en Iran, d’autant plus qu’il s’était depuis converti au christianisme, il a de nouveau retenu les services d’un agent qui l’a cette fois‑ci aidé à se rendre au Canada en transitant par la France et l’Espagne. L’agent lui a conseillé de ne pas divulguer qu’il avait présenté une demande d’asile en Allemagne parce que, sinon, il y serait expulsé de nouveau.

[4]               La SPR a conclu que la question déterminante était celle de l’identité, identité que le demandeur n’avait pas établie. La SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR.

Questions en litige

[5]               On peut formuler comme suit les questions en litige dans la présente affaire :

        i.            Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

      ii.            La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité?

    iii.            La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile?

Norme de contrôle

[6]               Le demandeur affirme que la SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant la demande qu’il avait présentée en vertu de l’article 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (Règles de la SPR), en vue de transmettre après l’audience, mais avant que la décision prenne effet, des documents à admettre en preuve, et en ne lui accordant pas la possibilité de répondre aux préoccupations de la SPR au sujet des documents en question. Notre Cour a déjà statué qu’il s’agit là d’une question d’équité procédurale qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Mannan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 144, au paragraphe 41; Farkas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 542, aux paragraphes 10 et 11 [Farkas]; Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1220, au paragraphe 18 [Cox]).

[7]               La norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de crédibilité de la SPR, y compris celles relatives à l’appréciation des pièces d’identité, est la norme de la décision raisonnable (Berhane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 510, aux paragraphes 23 et 24; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 NR 315 (CAF)).

Dispositions législatives applicables

[8]               Voici les dispositions applicables de la LIPR :

Étrangers sans papier

Claimant Without Identification

Crédibilité

Credibility

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[9]               Voici les dispositions applicables des Règles de la SPR :

Document établissant l’identité et autres éléments de la demande

Documents Establishing Identity and Other Elements of the Claim

Documents

Documents

11. Le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

11. The claimant must provide acceptable documents establishing their identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they did not provide the documents and what steps they took to obtain them.

Documents supplémentaires

Additional Documents

Documents après l’audience

Documents after hearing

43. (1) La partie qui souhaite transmettre à la Section après l’audience, mais avant qu’une décision prenne effet, un document à admettre en preuve, lui présente une demande à cet effet.

43. (1) A party who wants to provide a document as evidence after a hearing but before a decision takes effect must make an application to the Division.

Demande

Application

(2) La partie joint une copie du document à la demande, faite conformément à la règle 50, mais elle n’est pas tenue d’y joindre un affidavit ou une déclaration solennelle.

(2) The party must attach a copy of the document to the application that must be made in accordance with rule 50, but the party is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration.

Éléments à considérer

Factors

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(3) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la pertinence et la valeur probante du document;

(a) the document’s relevance and probative value;

b) toute nouvelle preuve que le document apporte aux procédures;

(b) any new evidence the document brings to the proceedings; and

c) la possibilité qu’aurait eue la partie, en faisant des efforts raisonnables, de transmettre le document aux termes de la règle 34.

(c) whether the party, with reasonable effort, could have provided the document as required by rule 34.

Question 1 : Y a‑t‑il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

Demande présentée en vertu de l’article 43 des Règles

[10]           Le demandeur a déposé sa demande le 11 octobre 2013 et l’audience était prévue pour le 10 décembre 2013. Le ministre est intervenu le 4 décembre 2013 et l’avocate du demandeur a demandé que l’audience soit remise au 17 décembre 2013, ce qui lui a été accordé. L’affaire a finalement été entendue le 27 février 2014. Le jour de l’audience, la SPR a, conformément au paragraphe 10(6) des Règles de la SPR, limité à l’identité les questions à aborder à l’audience. À la clôture de l’audience, l’avocate a demandé la permission de soumettre d’autres documents après l’audience, ce à quoi la SPR lui a répondu qu’elle devait présenter sa demande en vertu de l’article 43 des Règles de la SPR. La SPR a reçu des observations écrites le 17 mars 2014, ainsi que d’autres documents censés établir l’identité du demandeur. La SPR a mentionné l’article 43 des Règles de la SPR ainsi que les facteurs dont, selon elle, il fallait tenir compte, mais elle a conclu que, même si les documents étaient pertinents étant donné qu’ils étaient liés à l’identité du demandeur, leur valeur probante n’était pas suffisante pour justifier leur admission. De plus, la SPR a estimé que ces documents ne constituent pas de nouveaux éléments de preuve parce qu’ils existaient tous au moment de l’audience et qu’ils auraient alors pu être soumis. De plus, ils n’avaient pas été présentés en temps utile. Pour ces motifs, la SPR a rejeté la demande présentée en vertu de l’article 43 des Règles de la SPR et elle n’a pas admis en preuve ni examiné les documents relatifs à l’identité que le demandeur tentait de présenter après l’audience.

Thèse du demandeur

[11]           Le demandeur fait valoir que son avocate lui avait expliqué qu’elle croyait que les pièces d’identité soumises avant l’audience, c’est‑à‑dire le shenasnameh original du demandeur, une lettre de son père à laquelle était jointe une copie de la propre carte d’identité nationale de ce dernier, ainsi qu’une lettre de son neveu à laquelle était jointe une copie de la carte d’identité nationale de celui‑ci, étaient suffisantes pour établir son identité. La SPR ne l’a pas avisée avant l’audience que le shenasnameh avait été refusé et, si l’avocate en avait été informée, elle et le demandeur auraient pu consacrer leur énergie exclusivement à la question de l’identité plutôt qu’à tous les autres aspects de la demande d’asile. De plus, comme les formulaires d’examen initial ne sont plus utilisés, alors qu’auparavant, ils informaient les parties des questions juridiques et des documents précis exigés, les nouveaux dossiers sont traités différemment des anciens dossiers, il s’agit également là d’un manquement à l’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 28; Sarker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1168, aux paragraphes 14, 17 et 19).

[12]           Le demandeur affirme que la SPR a cerné plusieurs questions soulevées par les pièces d’identité présentées après l’audience et qu’elle a pourtant refusé de reprendre l’audience pour soumettre ces questions au demandeur, le privant ainsi de son droit à une défense pleine et entière et de la possibilité de présenter l’intégralité de sa cause. Si l’audience avait été reprise, le demandeur aurait pu fournir des explications pour répondre aux préoccupations de la SPR, ce qui aurait assuré le respect de l’équité procédurale (Afzal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 RCF 708, aux paragraphes 37 à 40 (1re inst.); Maniero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 776; Kozlowski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 506, au paragraphe 10).

[13]           La SPR s’est également fondée sur des renseignements qui étaient censés être contenus dans la carte de service militaire du demandeur pour remettre en question d’autres pièces d’identité. Il était déraisonnable de la part de la SPR d’écarter tous les documents présentés après l’audience pour établir l’identité et de se fonder plutôt sur un seul document qui n’avait même pas été porté à son attention. De plus, la SPR a mal interprété le témoignage du demandeur au sujet de sa date de naissance et de l’orthographe de son nom. La SPR a également critiqué les documents soumis après l’audience étant donné qu’il ne s’agissait pas d’originaux; pourtant, les documents scolaires étaient des originaux, tout comme le certificat de naissance impérial, et les pièces d’identité des membres de sa famille étaient toutes des copies certifiées conformes. La SPR a eu tort d’imposer au demandeur un critère trop strict pour établir son identité. Elle n’a par ailleurs pas expliqué la raison pour laquelle elle avait refusé son shenasnameh original (Nika c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 656, au paragraphe 12) et elle a commis une erreur en refusant l’autorisation de soumettre après l’audience des éléments de preuve pour établir son identité (Gulamsakhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 105, au paragraphe 25).

Thèse du défendeur

[14]           Le défendeur soutient que la SPR a analysé chacun des facteurs énumérés à l’article 43 des Règles de la SPR et qu’elle a raisonnablement refusé la demande présentée par le demandeur en application de cette disposition. La valeur probante des documents soumis était discutable et le manque de diligence dont le demandeur a fait preuve en ce qui concerne leur production a joué un rôle déterminant. L’article 43 des Règles de la SPR ne reconnaît pas le droit d’exiger la reprise de l’audience et notre Cour a jugé que cette mesure n’est pas nécessaire pour assurer au demandeur la possibilité de soumettre des observations après l’audience, s’agissant d’éléments de preuve obtenus après l’audience (Zavalat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1279, aux paragraphes 74 à 78; Santillan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1297, au paragraphe 55 [Santillan]; Farkas).

[15]           En tout état de cause, une reprise de l’audience n’aurait pas permis de répondre aux préoccupations exprimées par la SPR au sujet du manque de diligence du demandeur à produire des pièces d’identité (Julien c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 351, au paragraphe 33 [Julien]). L’explication suivant laquelle le demandeur et son avocate croyaient que l’identité du demandeur avait été établie ne décharge pas le demandeur du fardeau qui lui incombait de soumettre des documents acceptables, d’autant plus que le ministre était intervenu sur la question de l’identité. De plus, le demandeur avait été avisé que son identité était mise en cause par suite de la lettre du 24 octobre 2013 qu’il avait reçue de la SPR et de l’intervention du 4 décembre 2013 du ministre.

Analyse

[16]           L’article 106 de la LIPR dispose que la SPR prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer, L’article 11 des Règles de la SPR prévoit que le demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, le demandeur en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents.

[17]           J’estime mal fondé l’argument du demandeur suivant lequel la SPR était tenue de l’aviser que l’identité était la principale question en litige et plus précisément qu’elle avait des doutes au sujet des pièces d’identité qu’il avait soumises, et qu’elle a manqué à cette obligation.

[18]           La question de l’identité du demandeur se pose systématiquement dans le cadre des audiences prévues aux articles 96 et 97 (Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126, aux paragraphes 12 et 13; Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 4), et l’avocate du demandeur devait être au courant de ce fait. De plus, par la lettre que la SPR lui a adressée, le 24 octobre 2013, l’avocate du demandeur a été expressément informée que le commissaire qui présidait l’audience lui avait demandé de [traduction« soumettre tout document pouvant corroborer l’identité du demandeur d’asile en tant que ressortissant de l’Iran », ainsi que tout autre élément. De plus, l’avis d’intention d’intervenir déposé par le ministre précisait que celui‑ci avait l’intention d’intervenir quant à la crédibilité et à l’intégrité du programme et qu’il avait reçu des renseignements qui entachaient sérieusement la crédibilité du demandeur. Le ministre a répondu que, suivant les renseignements énoncés dans l’avis, il y avait de sérieux motifs de mettre en doute les éléments de preuve soumis par le demandeur au sujet de son identité, du fondement de sa demande d’asile, des lieux où il avait résidé et de l’itinéraire qu’il avait suivi pour arriver au Canada. L’avocate aurait dû savoir que, si le demandeur n’était pas en mesure de convaincre la SPR de son identité, cette dernière n’était alors pas tenue de se prononcer sur le fond de sa demande d’asile (Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 878, au paragraphe 3; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 831, au paragraphe 18; Ibnmogdad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 321, au paragraphe 24). Vu ce qui précède, on ne saurait de façon crédible laisser entendre que le demandeur et son avocate ont été pris au dépourvu par la question de l’identité.

[19]           La SPR n’est pas non plus tenue de fournir au demandeur un « résultat intermédiaire » de son appréciation de ses pièces d’identité avant l’ouverture de l’audience (Santillan, au paragraphe 54; Talukder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 668, au paragraphe 20). Cette question a été analysée à fond à l’audience et le demandeur n’avait pas le droit d’obtenir une décision anticipée de la SPR au sujet de son évaluation des pièces d’identité qu’il avait soumises, car une telle décision anticipée aurait probablement entraîné elle‑même un manquement à l’équité procédurale, et il n’avait pas droit non plus à un autre avis explicite l’informant que les documents qu’il avait soumis posaient problème. Si, comme le demandeur le prétend, son avocate a agi en croyant que les pièces d’identité soumises avant l’audience étaient suffisantes pour établir son identité, elle s’est fondée sur une hypothèse que la SPR n’avait pas l’obligation de retenir et on ne peut reprocher à la SPR de ne pas avoir retenu cette hypothèse.

[20]           Pour ce qui est de l’absence de formulaire d’examen initial, rappelons que la SPR a le droit de modifier sa façon de procéder (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 568 et 569; Ren c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 766, au paragraphe 9), dès lors que cela ne cause pas d’iniquité procédurale. Le demandeur n’a pas démontré que l’abolition de ce formulaire était inéquitable ou injuste. En tout état de cause, vu mes conclusions précitées au sujet de la notification de la question de l’identité, le demandeur n’a nullement été lésé par l’absence de ce formulaire. Le demandeur soutient également que, s’il s’était rendu compte que la SPR allait limiter ses questions à la crédibilité, il se serait concentré exclusivement sur cette question au lieu de se préparer à aborder tous les autres aspects de sa demande d’asile. La SPR avait toutefois le droit de limiter les questions qu’elle allait poser au demandeur en prenant en considération la nature et la complexité des points litigieux et la pertinence des questions (paragraphe 10(6) des Règles de la SPR). Et, comme nous l’avons déjà mentionné, l’identité est toujours une question préliminaire.

[21]           Le demandeur affirme également que le SPR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne reprenant pas l’audience afin de pouvoir aborder la question des préoccupations qu’elle avait au sujet des documents que le demandeur tentait de lui fournir après l’audience par le biais de sa demande fondée sur l’article 43 des Règles de la SPR.

[22]           L’article 43 des Règles de la SPR n’oblige pas la SPR à ordonner la tenue d’une nouvelle audience pour aborder la question des préoccupations qu’elle peut avoir quant aux documents que le demandeur cherche à faire admettre en preuve après l’audience. Il prévoit cependant que, pour statuer sur la demande, la SPR « prend en considération tout élément pertinent, notamment » les trois éléments qui y sont ensuite énumérés (voir également le jugement Cox).

[23]           Avant l’audience, le demandeur avait soumis les deux documents susmentionnés pour établir son identité. Après l’audience, il a soumis les pièces d’identité de son père et de sa mère, et notamment leur shenasnameh (ou certificat de naissance), dans lesquels son nom était indiqué, les pièces d’identité de dix de ses frères et sœurs, son premier certificat de naissance délivré sous le régime du gouvernement impérial du Shah, neuf documents scolaires (certains avec des photographies du demandeur) et des photos de lui en compagnie de membres de sa famille.

[24]           La SPR a abordé chacun des facteurs énumérés à l’article 43 des Règles de la SPR à tour de rôle. En ce qui concerne le premier facteur – la pertinence et la valeur probante –, la SPR a conclu que les documents étaient incontestablement pertinents, mais elle s’est interrogée sur leur valeur probante pour ce qui était d’établir l’identité du demandeur. Elle a fait observer ce qui suit :

        Le demandeur avait déposé que le shenasnameh de sa mère était disponible, mais que celui de son père avait été soumis à une compagnie d’assurances qui l’avait conservé. De plus, son nom n’apparaissait pas sur l’un des shenasnamehs de ses parents, mais il ne se souvenait plus duquel. Toutefois, à peine quelques semaines plus tard, les documents qu’il a soumis comprenaient le shenasnameh de son père, et son nom, qui était orthographié « Majeed Behary », était inscrit sur les documents de son père et de sa mère. La SPR a également relevé des incohérences entre les pièces d’identité de ses frères et sœurs, mais a conclu que, comme ces documents ne mentionnaient pas le demandeur, ils revêtaient peu de valeur probante pour ce qui était d’établir son identité;

        Le demandeur s’est montré vague sur sa capacité d’obtenir d’autres pièces d’identité et il semblait incertain pour ce qui était de savoir s’il lui serait possible ou non de produire des documents et, à plus forte raison de le faire rapidement. Toutefois, deux semaines plus tard, il a produit dix pièces d’identité personnelle et 21 pièces d’identité pour les membres de sa famille, toutes traduites. La SPR a déclaré :

Le tribunal ne sait que penser de cette véritable avalanche de documents que le demandeur d’asile a soudainement réussi à produire, y compris un autre shenasnameh pour le demandeur d’asile, alors qu’il n’avait auparavant déposé pratiquement aucun document. Les documents mis à la disposition du tribunal ne sont pas des originaux et aucune explication n’a été fournie au tribunal pour ce qui est de savoir comment le demandeur d’asile a pu assembler une telle collection de documents en l’espace de deux semaines. Qui plus est, le fait de détenir des pièces d’identité de personnes ayant un lien de parenté prétendu avec le demandeur d’asile ne permet pas d’établir l’identité personnelle du demandeur d’asile. Par ailleurs, en ce qui concerne les pièces d’identité personnelle qu’il a soumises, il s’agit principalement de documents scolaires, de photographies et du shenasnameh du demandeur d’asile. Compte tenu des préoccupations en matière de crédibilité liées à la preuve offerte par le demandeur d’asile et dont il sera question un peu plus loin et étant données les préoccupations liées aux documents comme tels que le demandeur d’asile désire déposer après l’audience, le tribunal conclut que ces documents ont peu de valeur probante.

[25]           Il existe toutefois une raison pour laquelle ces documents n’avaient pas été soumis : il semble que c’était parce que le demandeur croyait que les documents déjà présentés seraient suffisants pour établir son identité. De plus, lorsqu’il a été interrogé par la SPR au sujet des documents scolaires, le demandeur a déclaré qu’ils étaient en la possession de ses parents et qu’il le leur demanderait au besoin. Le demandeur a également expliqué qu’il faudrait du temps pour les obtenir. Comme son nom apparaissait sur ces documents, il ne serait pas prudent de les faire envoyer par messagerie et sa famille pourrait peut‑être les faire numériser avec un appareil personnel et les transmettre par courriel ou les faire envoyer par la société de transport d’un membre de sa famille. Il a également expliqué que son père avait présenté une demande d’assurances à un organisme gouvernemental ou à un bureau de pension et qu’il avait dû soumettre à cette fin le shenasnameh du demandeur. Ce processus devait prendre environ cinq semaines et le document était entre les mains des autorités depuis environ trois semaines, de sorte qu’il pouvait le récupérer dans deux semaines ou peut‑être un peu plus tôt.

[26]           Quant au deuxième facteur – la nouvelle preuve que le document apporte aux procédures –, la SPR a conclu que tous les nouveaux documents existaient au moment où le demandeur et son avocate avaient été informés que l’identité du demandeur soulevait des doutes. Ainsi, aucun de ces documents n’était « nouveau », car ils existaient tous au moment de l’audience et ils auraient pu être produits en temps utile.

[27]           S’agissant du troisième facteur, la SPR a conclu qu’en faisant des efforts raisonnables, le demandeur aurait pu produire ces documents à l’audience. Comme nous l’avons déjà expliqué, la question de l’identité se pose systématiquement dans les audiences portant sur une demande d’asile. Toutefois, le demandeur savait, au plus tard le 4 décembre 2013, que son identité était remise en cause. Le 5 décembre 2013, l’avocate du demandeur a réclamé une remise de l’audience en faisant valoir qu’elle ne disposait pas de suffisamment de temps pour examiner les documents du ministre avec le demandeur avant l’audience prévue pour le 4 décembre 2013. Une des nouvelles dates d’audience qu’elle a proposée était le 17 décembre 2013. Cette date a été acceptée par la SPR, mais, en raison d’autres facteurs, l’affaire n’a été entendue que le 27 février 2014. Le demandeur a donc eu environ deux mois et demi pour se préparer et pour obtenir d’autres pièces d’identité avant l’audience s’il le jugeait nécessaire ou souhaitable.

[28]           Comme la SPR l’a fait remarquer, après l’audience, les nouveaux documents ont été recueillis et traduits dans un délai de deux semaines, ce qui permet de penser qu’ils auraient pu être produits plus tôt. C’est également ce que le témoignage du demandeur laisse entendre, à l’exception peut‑être du shenasnameh de son père.

[29]           Bien que je ne sois pas convaincue de la solidité de l’appréciation que la SPR a faite de l’absence de valeur probante des documents que le demandeur a tenté de produire à l’appui de sa demande fondée sur l’article 43 des Règles de la SPR, j’estime que la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que les documents existaient déjà avant l’audience et qu’ils auraient pu être produits en temps utile.

[30]           La SPR n’est pas tenue d’accepter d’éléments de preuve ou de recevoir des arguments après l’audience (Farkas, au paragraphe 12). Tout comme dans le cas d’une demande d’ajournement, il n’existe pas de droit absolu à la réparation réclamée. En tant que tribunal administratif, la SPR a le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de refuser une demande fondée sur l’article 43 des Règles de la SPR. Par conséquent, lorsqu’elle refuse une telle demande, il faut examiner les circonstances propres à l’affaire pour déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale (Julien, au paragraphe 28).

[31]           À cet égard, la SPR avait l’obligation de tenir compte des facteurs énumérés à l’article 43 des Règles de la SPR, ainsi que de tout autre facteur pertinent, pour rendre sa décision, et c’est ce qu’elle a fait. Par conséquent, aucun manquement à l’équité procédurale n’a été commis à cet égard (SEB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CF 791). Comme elle a tenu compte des facteurs prescrits, la SPR a rendu une décision qui appartenait aux issues possibles acceptables. De plus, comme la Cour l’a déclaré dans le jugement Santillan :

[55]      La SPR n’était donc (sic) tenue de faire part aux demandeurs de ses préoccupations découlant des observations présentées après l’audience. Ce serait là un fardeau très lourd pour la SPR. Il faut se rappeler qu’il appartenait aux demandeurs de présenter une preuve crédible et corroborante au soutien de leur demande.

[32]           L’identité est une question préliminaire fondamentale. Dans un cas comme celui qui nous occupe, la SPR ne devrait pas être tenue de rouvrir l’audience, alors que les éléments de preuve que le demandeur tente de présenter après l’audience auraient pu être produits avant l’audience, ce qui aurait permis à la SPR d’interroger le demandeur au sujet de ces documents, et à l’avocate et au demandeur de répondre aux questions que la SPR aurait pu leur poser. Cette façon de voir est également conforme à l’article 106 de la LIPR et à l’article 11 des Règles de la SPR.

Question 2: La SPR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité?

[33]           Le demandeur affirme que l’analyse de la crédibilité de la SPR comporte des lacunes. Il lui avait expliqué que, compte tenu de l’expérience qu’il avait déjà vécue lorsqu’il avait été renvoyé en Allemagne, il n’avait pas révélé le fait qu’il avait présenté une demande d’asile en Allemagne. Il craignait que, si jamais les autorités canadiennes découvraient qu’il y avait déjà demandé d’asile, elles le retournent en Allemagne, d’où il serait expulsé vers l’Iran. Son agent lui avait conseillé de mentir à ce sujet (Sobhesedgh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 570; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 11), et la SPR aurait dû accepter ses explications.

[34]           Le défendeur affirme que la SPR a raisonnablement conclu que les problèmes sérieux de crédibilité que soulevait l’identité du demandeur minaient la crédibilité tout entière de celui‑ci.

[35]           À cet égard, je tiens à signaler que la SPR a tenu compte de plusieurs facteurs dans son examen de l’identité et de la crédibilité du demandeur. Nous les aborderons sous peu.

[36]           Le demandeur a affirmé que, de toute sa vie, il n’a jamais eu que deux pièces d’identité : son shenasnameh, qu’il avait soumis à la SPR, et sa carte de service militaire. Il a déclaré qu’il n’avait pas de carte d’identité nationale, parce qu’il avait été absent trop longtemps et que l’on avait commencé à délivrer ce type de carte juste après son départ. L’Iran ne lui avait jamais délivré de passeport.

[37]           La SPR a relevé le fait que différentes dates de naissance étaient inscrites sur le shenasnameh du demandeur et sur les données biométriques reçues du R.‑U. Suivant la transcription, après une certaine confusion, le demandeur avait déclaré qu’au R.‑U, il avait indiqué aux autorités la date de naissance figurant sur sa carte militaire, en l’occurrence le 13e jour du mois de dey de l’année 1350, ce que l’interprète à l’audience a fait correspondre au 3 janvier 1971. Il avait ensuite déclaré qu’il avait remis sa carte militaire aux autorités du R.‑U., qui avaient converti sa date de naissance du calendrier persan au calendrier grégorien. Or, le document dans lequel se trouvaient les données géométriques britanniques indiquait le 31 décembre 1971 comme date de naissance. Il a déclaré qu’avant d’arriver au Canada, il croyait, suivant cette conversion, que selon le calendrier grégorien, sa date de naissance était le 31 décembre 1971. Interrogé quant à savoir pourquoi il avait donné une date différente au Canada, il a répondu qu’il avait fourni la date indiquée sur son shenasnameh. Je tiens à signaler que son FDA indique comme date de naissance le [traduction« 1972/01/03 (date du calendrier persan : 1350/10/13) » et qu’à l’ouverture de l’audience, il avait déclaré que sa date de naissance était le 3 janvier 1972.

[38]           La SPR lui a demandé si la carte militaire indiquait son véritable nom et sa véritable date de naissance et il a confirmé que c’était effectivement le cas. Il a ensuite déclaré qu’il croyait que la date de naissance indiquée sur la carte militaire était le 10e jour du mois de dey de l’année 1350, que l’interprète avait fait correspondre au 31 décembre 1971. La SPR lui a ensuite demandé si le certificat de naissance qu’il avait fourni aux autorités canadiennes indiquait une date de naissance différente de celle indiquée sur sa carte militaire. Il a déclaré qu’il n’en était pas certain, mais que c’était possible et, prié de s’expliquer, il a répondu qu’il ne savait pas, mais que ce genre de situation n’était pas inhabituel en Iran. Il a confirmé que sa carte de service militaire et son certificat de naissance auraient dû indiquer des renseignements cohérents.

[39]           Dans ses motifs, la SPR n’a pas accepté les explications fournies par le demandeur pour justifier les différences de dates de naissance, et il lui était raisonnablement loisible de faire, dans les circonstances (Allinagogo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 545, au paragraphe 7; Ma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 417, au paragraphe 39; Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 10). La SPR a estimé que, puisque les explications données au sujet de cette différence ne pouvaient être retenues et que le demandeur n’avait pas communiqué d’autres renseignements pour confirmer son identité ou pour justifier ses explications, elle ne pouvait que conclure qu’au moins une des pièces d’identité était frauduleuse et que c’était probablement celle qui lui avait été soumise. Ce facteur minait également la crédibilité du demandeur d’asile.

[40]           Le demandeur affirme également que la SPR a accordé une grande importance à la carte de service militaire, qui n’avait pas été déposée en preuve devant elle, pour remettre en question sa date de naissance et l’authenticité de son shenasnameh. Je suis d’accord pour dire qu’il n’était pas loisible à la SPR de conclure qu’un document qui n’avait pas été porté à sa connaissance était probablement frauduleux, ou encore de se fonder sur ce document pour attaquer l’authenticité du shenasnameh. Toutefois, il n’en demeure pas moins que le demandeur a lui‑même affirmé que sa date de naissance était le 3 janvier 1972, ce qui contredit les autres dates, et qu’il n’a fourni aucune explication claire à ce sujet. Le demandeur a expliqué que la différence de dates était probablement attribuable à un problème de traduction, mais il n’a offert aucun élément de preuve à l’appui de cet argument.

[41]           Je tiens également à signaler que la SPR a également interrogé le demandeur au sujet des documents iraniens qu’il aurait pu obtenir, et notamment son permis de conduire. Le demandeur a déclaré que la police avait saisi son permis de conduire après qu’il eut grillé un feu rouge et que lorsqu’il s’était présenté pour le récupérer, on lui avait dit que son permis avait été égaré et qu’il devait faire une demande pour en obtenir un nouveau. Toutefois, après n’avoir obtenu que des réponses évasives, il en avait eu assez et il avait abandonné ses démarches. Il a néanmoins expliqué que le numéro de son permis de conduire était inscrit sur son shenasnameh. Pourtant, après avoir examiné le document, la SPR n’a trouvé aucune mention en ce sens.

[42]           La SPR a également relevé que les données biométriques du R.‑U. indiquaient une graphie du nom du demandeur (Majid Behari) qui était différente de celle qu’il avait donnée au Canada (Majeed Behary). Le demandeur a expliqué que le passeur lui avait dit d’orthographier son nom différemment à son arrivée au Canada. De plus, la graphie habituelle de son nom est celle qu’il avait utilisée au R.‑U. [traduction« mais il pouvait s’écrire différemment aussi ». La SPR a signalé que ce facteur soulevait des doutes quant à l’authenticité du shenasnameh du demandeur parce que c’était la graphie « canadienne » de son nom qui était inscrite sur ce document (Majeed Behary), graphie qui, comme le demandeur l’avait lui‑même confirmé, n’était pas celle de son nom véritable. Ce facteur a miné sa crédibilité.

[43]           La SPR a également fait observer qu’à l’audience, les documents qui avaient été soumis pour confirmer l’identité du demandeur étaient des copies non certifiées par un traducteur. Le premier document était une lettre dans laquelle Mohammad Hossein Behary déclarait qu’il était le père de Majeed Behary et à laquelle était jointe une copie de la carte d’identité nationale du père. Ce document avait été envoyé par Ali Kurdy, qui se disait être le neveu du demandeur et à qui le grand‑père, Mohammad Hossein Behary, avait demandé d’envoyer sa lettre par courriel. Il avait également joint une copie de sa propre carte d’identité nationale. Il y avait également une lettre d’appui de Mohammad Reya Karimi, un ami du demandeur, qu’il avait rencontré en Angleterre en 2011. En plus du shenasnameh, il y avait également un certificat de baptême daté du 3 novembre 2013.

[44]           La SPR a accordé peu de poids à ces lettres parce qu’elles ne permettaient pas d’établir l’identité du demandeur. Elle a également déclaré que le cartable national de documentation (CND) sur l’Iran indiquait que le shenasnameh comportait peu d’éléments de sécurité, voire aucun. De plus, selon le CND, la photo figurant sur le shenasnameh était simplement apposée au document et pouvait être facilement remplacée. Compte tenu du peu d’éléments de sécurité que comportait ce document et des contradictions entre le shenasnameh et la carte de service militaire, la SPR a conclu que ce document était frauduleux. Quant au certificat de baptême délivré par une église canadienne, la seule autre pièce d’identité produite par le demandeur, comme ce document avait été produit au Canada et que la SPR ne disposait d’aucun élément lui permettant de savoir par quel moyen l’église avait établi l’identité du demandeur, la SPR lui a accordé peu de poids.

[45]           La SPR a également examiné les autres pseudonymes utilisés par le demandeur. Il a expliqué qu’il avait quitté l’Iran en 2004 muni d’un passeport grec. Lorsqu’il avait été arrêté en Allemagne en novembre 2004, il était en possession d’un passeport faisant état d’une double nationalité, italienne et argentine. Il avait présenté une demande d’asile en Allemagne sous le nom de Hamid Resa Mohebbi, un nom qu’il avait choisi [traduction« au hasard ». Il s’était fait délivrer une carte d’identité allemande sous ce nom, mais il s’en était depuis débarrassé parce qu’il avait détesté son expérience en Allemagne. Il prétendait que, lorsqu’il avait présenté sa demande d’asile en 2004 au R.‑U., il avait utilisé son vrai nom, Majeed Behary, mais il n’avait aucun document sous ce nom. Il avait de nouveau utilisé son véritable nom lorsqu’il avait présenté sa seconde demande d’asile au R.‑U. en 2010.

[46]           La SPR n’a pas trouvé raisonnables les explications fournies par le demandeur pour expliquer pourquoi il avait utilisé un faux nom en Allemagne, en l’occurrence que, s’il avait utilisé son vrai nom, il aurait été expulsé en Iran. Il avait déclaré qu’il provenait de l’Iran et il était à l’abri de ses agents de persécution présumés lorsqu’il était arrivé en Allemagne. Par conséquent, ce facteur a miné sa crédibilité.

[47]           Le fait que le demandeur n’avait pas fourni spontanément de renseignements concernant l’Allemagne ou le R.‑U. lorsqu’il avait entrepris des démarches afin d’obtenir l’asile avait également nui à sa crédibilité.

[48]           De plus, le demandeur avait expliqué qu’à son arrivée en France, il avait déclaré aux autorités françaises qu’il s’appelait Moussa Mousavi. Ce fait n’avait pas été divulgué dans la version initiale de son formulaire FDA ni dans sa version modifiée. Il a expliqué que personne ne lui avait posé de question sur son arrestation en France. La SPR a jugé cette explication déraisonnable compte tenu surtout du fait que le demandeur avait donné un faux nom pour éviter d’être renvoyé en Allemagne. Ce facteur a également porté atteinte à sa crédibilité tout comme le fait qu’il était prêt à s’inventer un nom chaque fois qu’il en avait besoin.

[49]           La SPR a également relevé les nombreux faux documents que le demandeur avait obtenus et utilisés au cours de sa vie. La SPR a reconnu que, dans certaines situations, des personnes pouvaient être forcées de fuir leur pays à l’aide de documents frauduleux. Elle a toutefois conclu que le demandeur possédait les ressources nécessaires pour obtenir et utiliser de faux documents afin de se déplacer d’un pays à l’autre même lorsqu’il s’agissait de pays où il était à l’abri de la persécution qu’il craignait en Iran. Cette constatation affaiblissait le poids que la SPR pouvait accorder aux éléments de preuve documentaire que le demandeur avait soumis pour établir son identité.

[50]           Enfin, la SPR a fait observer qu’elle avait demandé au demandeur d’asile s’il était conscient de l’importance de produire des documents authentiques devant une commission chargée d’examiner le statut de réfugié. Il avait répondu qu’en Europe les gens présentaient une demande d’asile sous n’importe quel nom et qu’une fois leur demande d’asile accueillie, ils obtenaient un changement de nom légal et reprenaient leur nom véritable. La SPR a jugé que cette explication n’était pas crédible et a estimé que ce facteur portait atteinte à la crédibilité du demandeur.

[51]           En somme, la SPR a conclu qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve convaincants établissant la nationalité du demandeur.

[52]           Bien que j’aie certaines réserves quant aux conclusions tirées par la SPR sur l’authenticité du shenasnameh produit par le demandeur, je conclus, vu l’ensemble de la preuve soumise au sujet de l’analyse de l’identité et de la crédibilité faite par la SPR, que la présente affaire ne justifie pas l’intervention de la Cour. Comme la Cour l’écrit dans le jugement Diarra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, aux paragraphes 31 à 33 :

[22]      La Cour a déterminé à de multiples reprises que la question de l’identité se situait au cœur de l’expertise de la SPR; par conséquent, la Cour doit se garder de simplement reconsidérer l’avis de la SPR. Comme l’affirme la juge Mary Gleason dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 :

[48]      […] Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. [Non souligné dans l’original]

[…]

[31]      La Cour conclut que la SPR a fondé sa décision sur l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Compte tenu de l’absence de documents d’identité valables, elle avait le loisir de rejeter les explications du demandeur et de mettre en doute sa crédibilité au motif qu’il n’avait pas fourni ces documents.

[32]      Il est bien établi en droit que dans les situations où le demandeur n’a pas établi son identité, une conclusion défavorable eu égard à la crédibilité sera presque inévitablement tirée et pourra en soi être déterminante (Uwitonze c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 61, 403 FTR 217, au paragraphe 32; Morka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 315, au paragraphe 10; Rahman v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1495, aux paragraphes 22 et 23).

[33]      En l’espèce, les documents d’identité du demandeur comportaient un certain nombre de lacunes qui ont été clairement établies. Celles‑ci ont eu une incidence importante sur la conclusion générale de la SPR concernant la crédibilité, et elles ont en fin de compte porté un coup fatal à la demande du demandeur. La décision de la SPR appartient aux issues possibles acceptables.

Question 3 : La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile?

[53]           Le demandeur affirme que le simple fait de conclure que son témoignage n’est pas crédible n’emporte pas ipso facto une conclusion d’« absence de minimum de fondement » (Foyet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16312, aux paragraphes 23 à 26 (CF) [Foyet]). Une conclusion d’« absence d’un minimum de fondement » comporte de graves conséquences pour un demandeur car elle le prive de la suspension automatique de son renvoi pendant la durée du contrôle judiciaire. Pour cette raison, les conditions minimales à respecter pour pouvoir conclure à l’absence de minimum de fondement sont strictes. La SPR doit examiner des éléments de preuve documentaire objectifs avant de pouvoir tirer une telle conclusion. Ce n’est que s’il n’y a aucun élément de preuve documentaire indépendant ou crédible ou que si ces éléments de preuve ne permettent pas de rendre une décision favorable que la SPR peut tirer une telle conclusion (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89, aux paragraphes 19, 28 et 51 [Rahaman]; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314, au paragraphe 19 [Levario]; Sinko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 903, au paragraphe 21; Sadeghi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1083, au paragraphe 24). En l’espèce, la SPR disposait d’éléments de preuve documentaire portant sur la persécution dont sont victimes les musulmans qui se convertissent au christianisme. La SPR devait évaluer ces éléments de preuve avant de conclure à une absence de minimum de fondement.

[54]           Le défendeur affirme que l’histoire du demandeur était à ce point peu crédible qu’aucune conclusion ne pouvait être tirée sur la véracité de quelque partie de cette histoire. Une conclusion générale de manque de crédibilité du demandeur peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (CA) [Sheikh]). Il est également loisible à la SPR de mettre en doute la sincérité de l’identité religieuse d’un demandeur d’asile si elle estime que le reste de sa demande n’est pas crédible (Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067, au paragraphe 27; Xuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 673, au paragraphe 20). Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur justifiant l’infirmation de sa décision en concluant à l’absence de minimum de fondement.

[55]           Le paragraphe 107(2) de la LIPR dispose :

Décision sur la demande d’asile

Decision on Claim for Refugee Protection

Décision

Decision

107. (1) La Section de la protection des réfugiés accepte ou rejette la demande d’asile selon que le demandeur a ou non la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

107. (1) The Refugee Protection Division shall accept a claim for refugee protection if it determines that the claimant is a Convention refugee or person in need of protection, and shall otherwise reject the claim.

Preuve

No credible basis

(2) Si elle estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demande.

(2) If the Refugee Protection Division is of the opinion, in rejecting a claim, that there was no credible or trustworthy evidence on which it could have made a favourable decision, it shall state in its reasons for the decision that there is no credible basis for the claim.

[56]           Le demandeur invoque le jugement Foyet à l’appui de la proposition suivant laquelle le jugement Sheikh doit être interprété de telle sorte que, lorsque la seule preuve reliant le demandeur au préjudice invoqué émane du témoignage du demandeur et que celui‑ci est jugé non crédible, la SPR peut, après une analyse de la preuve documentaire, en venir à une conclusion générale d’absence d’un minimum de fondement. Toutefois, lorsqu’il existe une preuve documentaire indépendante et crédible, la SPR ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement (paragraphes 19, 22 à 26). Je tiens toutefois à signaler que l’affaire Foyet ne portait pas sur une situation dans laquelle le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité.

[57]           Dans l’affaire Levario, le demandeur alléguait que la SPR ne pouvait conclure à l’absence de minimum de fondement que s’il n’existait pas d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi appuyant la demande d’asile et que la conclusion que le demandeur n’était pas crédible n’était pas suffisante à cette fin (Rahaman, au paragraphe 51). De plus, comme elle avait accepté qu’il était bisexuel, la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve documentaire portant sur la persécution des minorités sexuelles puisqu’il s’agissait d’éléments de preuve crédibles susceptibles d’appuyer sa demande d’asile (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 732).

[58]           Le juge Rennie a convenu, avec le demandeur, que la conclusion d’absence de minimum de fondement était déraisonnable. Même si la SPR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible en ce qui concerne les autres éléments, elle avait accepté qu’il était bisexuel. Le demandeur alléguait qu’il était exposé à un risque en raison de sa bisexualité et il avait produit des preuves documentaires à l’appui. Le juge Rennie avait fait observer que, pour pouvoir conclure à l’absence de minimum de fondement d’une demande d’asile, le critère à satisfaire était très strict (Rahaman, au paragraphe 51). S’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi quelconque qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la SPR de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités (paragraphes 15 à 19).

[59]           À mon avis, le problème auquel le demandeur est confronté en l’espèce, contrairement à l’affaire Levario, est le fait que la SPR n’a accepté aucun aspect de sa demande. La SPR a conclu qu’il n’avait pas établi son identité. Par conséquent, il n’avait pas établi qu’il était de nationalité iranienne. À défaut de cette preuve, la preuve documentaire portant sur les personnes exposées à un risque en Iran n’avait aucun lien avec le demandeur.

[60]           Ainsi que la Cour le déclare dans la décision Rahaman :

[28]      En outre, le paragraphe 69.1(9.1) prévoit que la Commission ne peut conclure à l’« absence de minimum de fondement » que s’il n’a été présenté à l’audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel le commissaire aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. En d’autres termes, le commissaire ne peut conclure à l’ « absence de minimum de fondement » s’il dispose d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui peuvent lui permettre de reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, même si la Commission décide, en se fondant sur la preuve dans son ensemble, que la revendication est dénuée de fondement.

[29]      Cependant, comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.

[61]           Le demandeur ne cite aucun précédent appuyant son argument que, même lorsque l’identité n’a pas été établie, la demande peut quand même avoir un minimum de fondement. Les circonstances de l’espèce ressemblent davantage à celles dans lesquelles la Cour a conclu que, lorsque l’identité n’a pas été établie, il n’est pas nécessaire d’analyser davantage la preuve et la demande (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, au paragraphe 15; Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 296, au paragraphe 8; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1369, au paragraphe 3).

[62]           Par conséquent, la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant, dans ces conditions, à l’absence de minimum de fondement de la demande.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.      Il n’y a pas d’adjudication de dépens;

3.      La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale et les parties n’en ont proposé aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2833‑14

 

INTITULÉ :

MAJEED BEHARY c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE STRICKLAND

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 25 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Lina Anani

 

pour le demandeur

 

Meva Motwani

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lina Anani

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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