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Date : 20150611


Dossier : T‑709‑14

Référence : 2015 CF 734

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

HENRY DOUCETTE

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demande de contrôle judiciaire du demandeur est formulée comme suit :

[traduction]

            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7 (ci‑après la Loi sur les Cours fédérales), qui vise une décision prise par le ministre des Pêches et des Océans (Canada) (ci‑après le MPO), le ou vers le 9 décembre 2013, et qui touche les intérêts du demandeur (ci‑après le demandeur) en sa qualité de pêcheur commercial exerçant ses activités dans la région administrative du Golfe du MPO. Le ministre a rejeté la recommandation faite par l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique (ci‑après l’Office) de redélivrer au demandeur le permis de pêche au crabe des neiges no 008529 (ci‑après le permis). Le ministre a rejeté l’appel fait par le demandeur et a refusé de lui redélivrer le permis.

            Avant que le ministre ne prenne sa décision, le ou vers le 9 décembre 2013, le demandeur avait tenté auprès tant du MPO que du ministre de se faire redélivrer le permis, conformément aux conditions d’une transaction conclue en 1999 entre lui et le précédent titulaire du permis. Le MPO a systématiquement refusé de redélivrer le permis au demandeur. Après des années de délais et de longues procédures introduites par le MPO, de recours en justice et de demandes faites au ou à la ministre (selon le cas pendant l’époque en cause) pour qu’il ou qu’elle révise son cas, on a autorisé le demandeur à faire appel auprès de l’Office de la décision du MPO de lui refuser expressément la redélivrance du permis. L’appel a été instruit le 15 avril 2011. L’Office a décidé de recommander clairement et sans équivoque la redélivrance du permis au demandeur (ci‑après la décision de l’Office). Le MPO a tardé à faire part de la décision de l’Office au demandeur et a recouru à diverses tactiques dilatoires ou longues procédures pour tenter d’induire encore davantage le demandeur en erreur. En fin de compte, le MPO et le ministre ont fait abstraction de la recommandation de l’Office et ont rejeté l’appel fait par le demandeur pour obtenir la redélivrance du permis, sans disposer du moindre fondement juridique ou factuel ou de la moindre justification, faisant ainsi preuve de totale mauvaise foi dans le traitement du dossier du demandeur.

[2]               Le demandeur sollicite les mesures de réparation suivantes :

1.                  une déclaration portant que la décision du ministre de ne pas redélivrer le permis de pêche au crabe des neiges au demandeur était nulle ou illégale, en application des alinéas 18(1)a), 18(1)b), 18.1(3)a), 18.1(3)b) et 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi], et/ou

2.                  un bref de mandamus enjoignant au ministre de se conformer à son affirmation et à ses engagements, en application des alinéas 18(1)a), 18(1)b) et 18.1(3)a) de la Loi, et/ou

3.                  un bref de mandamus enjoignant au ministre de respecter les recommandations de l’Office, en application des alinéas 18(1)a), 18(1)b), 18.1(3)a) et 18.1(3)b) de la Loi, et/ou

4.                  subsidiairement, si la Cour estime qu’on ne peut redélivrer le permis au demandeur, une ordonnance déclarant que ce dernier a droit à des dommages‑intérêts en compensation de la confiance qu’il a eue, à son détriment, envers le ministre et du traitement inéquitable par le ministre et le MPO de toutes les questions liées au transfert du permis, ainsi qu’une ordonnance attribuant des dommages‑intérêts, en application des alinéas 18(1)a), 18.1(3)a) et 18.1(3)b) de la Loi, et/ou

5.                  subsidiairement en outre, si la Cour souscrit à la position exprimée par le ministre dans la lettre du 2 mars 2012 selon laquelle l’Office aurait fait abstraction de certaines décisions des cours du Nouveau‑Brunswick, une ordonnance de la Cour portant que cette question précise soulevée par le ministre soit renvoyée pour réexamen à l’Office, de manière à ce que le demandeur puisse s’exprimer valablement sur le sujet, en conformité avec les principes et exigences de la justice naturelle, en application des alinéas 18(1)a), 18(1)b), 18.1(3)a),18.1(3)b) et 18.4b) de la Loi, et

6.                  les dépens de la présente demande sur la base d’une indemnisation complète, en application des paragraphes 400(1), (2), (3) et (6) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, et

7.                  les autres mesures de réparation ou de redressement que la Cour estime justes et raisonnables.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur est un pêcheur commercial. En 1998, il a vendu son permis de pêche délivré par l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Il voulait déménager au Nouveau‑Brunswick et y pratiquer la pêche.

[4]               Le demandeur a communiqué avec le bureau du MPO à Moncton, au Nouveau‑Brunswick. Selon ses dires, on l’a informé qu’il devait résider deux ans et pratiquer la pêche six mois au Nouveau‑Brunswick pour être admissible à la redélivrance du permis.

[5]               La défenderesse soutient, pour sa part, que le demandeur a communiqué au moins à cinq reprises avec les bureaux du MPO à Tracadie et à Moncton, au Nouveau‑Brunswick, et à Charlottetown, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Elle invoque le témoignage en contre‑interrogatoire de M. Jenkins, le chef, Gestion des ressources, chargé de la délivrance des permis à Charlottetown avant sa retraite, selon lequel il aurait expliqué comme suit les politiques du MPO au demandeur : premièrement, le demandeur doit [traduction] « être admissible comme nouveau participant du groupe de noyau, en étant inscrit comme pêcheur professionnel commercial au cours des deux années précédentes, en ayant pratiqué la pêche au moins dix semaines pendant l’une et l’autre années et en étant reconnu comme pêcheur commercial dans la collectivité », « [p]uis, pour être admissible à l’obtention d’un permis de remplacement, il lui faudrait résider six mois dans l’est du Nouveau‑Brunswick ».

[6]               En janvier 1999, le demandeur a déménagé à Moncton pour satisfaire à l’obligation de résidence de deux années, conformément à l’information prétendument erronée qu’il avait reçue. Le demandeur et sa société, 508428 N.B. Limited, ont conclu un accord en vue de l’achat à Vincent Jones, pour 1 500 000 $, de son permis de pêche et de son actif commercial. M. Jones devait détenir le permis en fiducie pour le demandeur jusqu’à ce que ce dernier satisfasse aux conditions prescrites pour être admissible à sa redélivrance (l’accord de fiducie). Le demandeur a commencé l’année même à pratiquer la pêche.

[7]               L’accord de fiducie n’imposait pas à M. Jones l’obligation de demander la redélivrance du permis avant le paiement intégral du prix d’achat. Au printemps 2002, le demandeur n’avait toujours pas versé intégralement le prix d’achat à M. Jones.

[8]               En février 2001, la province du Nouveau‑Brunswick a informé le MPO qu’elle se souciait du fait que certains permis de pêche au crabe des neiges étaient vendus sans que personne ne les utilise. Le MPO a commencé un examen des permis, y compris celui de M. Jones.

[9]               Le 4 avril 2001, le MPO a procédé au gel du permis, tout en en empêchant le transfert, même s’il a continué à le renouveler année après année en faveur de M. Jones.

[10]           Le 16 janvier 2002, M. Jones a retiré sa déclaration d’intention de solliciter la redélivrance du permis au demandeur.

[11]           Le 6 février 2002, le MPO a reçu une demande faite par le demandeur en vue d’être reconnu comme nouveau participant.

[12]           Le 27 mars 2002, le MPO a approuvé la demande du demandeur, l’approbation étant valable pendant une année civile. Par la suite, le demandeur a aussi été reconnu nouveau participant en 2003 et en 2004.

[13]           Le 9 avril 2002, le MPO a révoqué la qualité de membre du noyau de M. Jones et a conclu que ce dernier n’était pas le chef de l’entreprise de noyau. Le MPO a aussi informé M. Jones qu’il ne donnerait suite à aucune demande de délivrance de permis de remplacement à d’autres pêcheurs admissibles.

[14]           Le MPO a aussi informé M. Jones qu’il devait mettre fin à l’accord de fiducie conclu avec le demandeur s’il voulait avoir un permis de pêche illimitée. M. Jones a agi de la sorte et il a pris le contrôle du permis sans en rendre le prix d’achat au demandeur.

[15]           Le 14 mai 2002, le demandeur a demandé au MPO de lever les restrictions assortissant le permis de M. Jones, et de lui transférer le permis des mains de ce dernier conformément aux dispositions de l’accord de fiducie.

[16]           Le 26 juin 2002, le ministre des Pêches et des Océans, Robert G. Thibault, a rejeté cette demande.

[17]           Le demandeur a intenté contre M. Jones une action en violation de l’accord de fiducie; le procès s’est déroulé les semaines du 13 décembre 2004 et du 14 mars 2005.

[18]           Le 2 décembre 2004, M. Jones a demandé en bonne et due forme au MPO de transférer le permis au demandeur. Le demandeur soutient qu’il n’a jamais signé cette demande de transfert et qu’il en ignorait totalement l’existence au moment du procès l’opposant à M. Jones.

[19]           Le 3 décembre 2004, le MPO a rejeté la demande de transfert.

[20]           Le 11 avril 2005, le juge Roger Savoie, dans Doucette c Jones, 2005 NBBR 144, a jugé légalement valide l’accord de fiducie conclu entre le demandeur et M. Jones, mais il a reconnu que le MPO n’était pas lié par les dispositions de tels accords entre particuliers. Ayant conclu que l’accord était devenu impossible à exécuter, le juge Savoie a rejeté la demande du demandeur en vue de son exécution en nature; cela a été confirmé en appel. La question restant à trancher des dommages‑intérêts a été renvoyée pour nouveau procès et, le 6 août 2012, les parties sont parvenues à un règlement à l’amiable sur ce point.

[21]           En date du 6 juillet 2007, il a été jugé que M. Jones se conformait aux politiques du MPO.

[22]           En décembre 2008, le demandeur a rencontré la ministre Gail Shea, à qui il s’est plaint de ce que le MPO n’appliquait pas ses politiques de manière cohérente. Le MPO a révisé le dossier de M. Jones. Le 16 avril 2009, le ministère a informé le demandeur qu’aucune incohérence n’avait pu être relevée.

[23]           Le 24 avril 2009, le demandeur a demandé à faire appel auprès de l’Office. L’Office peut faire des recommandations au ministre, mais il ne dispose d’aucun pouvoir en matière d’octroi de permis.

[24]           Le 28 août 2009, le demandeur a rencontré la ministre Shea à son bureau de Summerside, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Il soutient que lors de cette rencontre, la ministre Shea a convenu de saisir l’Office directement de l’affaire, en court‑circuitant l’étape de l’appel régional, et de suivre toute recommandation que l’Office pourrait faire.

[25]           Le 6 janvier 2010, la ministre a accédé à la demande d’appel auprès de l’Office.

[26]           M. Jones est décédé en février 2010.

[27]           Le 16 septembre 2010, la succession de M. Jones a demandé que le permis de ce dernier soit redélivré à un tiers à titre de permis de remplacement.

[28]           Le 15 avril 2011, l’Office a instruit l’appel du demandeur. L’Office a recommandé dans sa décision que le permis soit redélivré au demandeur, à la condition qu’il soit alors admissible à l’obtenir. La recommandation s’appuyait sur des circonstances atténuantes : le MPO avait fourni des renseignements erronés au demandeur quant au moment où il serait admissible au transfert du permis, et le MPO avait retiré à M. Jones sa qualité de membre de noyau alors qu’il faisait l’objet d’une évaluation.

[29]           L’Office a jugé que, si le demandeur avait été correctement informé, M. Jones et lui auraient pu obtenir la redélivrance du permis avant que le MPO n’en impose le gel.

[30]           Le 18 mai 2011, M. Keith Ashfield est devenu nouveau ministre des Pêches et des Océans.

II.                Décision du ministre Ashfield

[31]           Le 2 mars 2012, le ministre Ashfield a rejeté la recommandation de l’Office et il a refusé la demande faite par le demandeur que le permis lui soit redélivré à titre de permis de remplacement. Le ministre a exposé ses motifs comme suit :

[traduction]

Pêches et Océans Canada, en prenant des décisions concernant les permis, applique la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada ‑ 1996. Le paragraphe 16(2) de cette politique prévoit que, pour qu’un permis de remplacement soit délivré (ce que l’on désigne aussi communément la « redélivrance » d’un permis), le titulaire actuel du permis doit en faire la demande. Dans le présent cas, la succession de M. Vincent Jones n’a pas demandé qu’un permis de remplacement vous soit délivré.

Lorsqu’il a recommandé que les permis de la succession de M. Vincent Jones vous soient redélivrés, l’Office a fait abstraction des jugements rendus par la Cour du Banc de la Reine du Nouveau‑Brunswick (le 11 avril 2005) et la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick (le 11 avril 2006) dans le différend vous opposant à M. Jones. Or, selon ce que je comprends, ces cours ont conclu que l’accord de fiducie conclu entre vous et M. Jones en vue de la redélivrance de ses permis était impossible à exécuter et qu’ainsi, il était inexécutoire. […]

[32]           En avril 2012, le permis de feu M. Jones a été redélivré à un tiers, avec l’approbation du MPO.

[33]           À l’automne 2012, le ministre Ashfield est tombé malade et la ministre Shea est devenue ministre par intérim des Pêches et des Océans.

[34]           Le 29 octobre 2012, le demandeur a demandé que lui soit communiquée une copie des recommandations de l’Office.

[35]           Le 15 juillet 2013, la ministre Shea a de nouveau été nommée ministre des Pêches et des Océans.

[36]           Le 18 octobre 2013, près d’un an après sa demande de communication, le demandeur a reçu une copie des recommandations de l’Office, ainsi qu’une lettre l’informant que le dossier était désormais considéré comme étant clos. Le demandeur a reçu les documents le 25 octobre 2013.

III.             Décision de la ministre Shea

[37]           Le 10 novembre 2013, le demandeur a rendu visite à la ministre Shea à son domicile, pour lui suggérer qu’un comité de trois personnes procède au réexamen de son cas. Le comité serait constitué de Charles Gaudet, du bureau du MPO à Moncton, de M. Jenkins, le conseiller du demandeur, et d’une autre personne impartiale choisie par la ministre. La ministre Shea s’est dite d’accord pour y réfléchir.

[38]           Dans une lettre datée du 27 novembre 2013, la ministre Shea a dit estimer que le cas du demandeur avait [traduction] « été étudié en profondeur, et que rien ne justifie d’effectuer une révision plus poussée ». Le demandeur a reçu cette lettre le 9 décembre 2013.

IV.             Questions en litige

[39]           Le demandeur demande à la Cour de se pencher sur les questions suivantes :

1.                  La décision de la ministre Shea était‑elle contraire à l’équité procédurale et aux principes élémentaires de justice naturelle?

                     Le pouvoir discrétionnaire

                     L’équité procédurale

                     L’attente légitime

                     La prise en considération de facteurs inappropriés

                     Le caractère déraisonnable et la mauvaise foi

                     L’inférence négative.

[40]           La défenderesse soulève deux questions préliminaires :

1.                  Quelle décision fait l’objet du contrôle judiciaire, et cette décision est‑elle susceptible de contrôle?

2.                  Des parties de l’affidavit du demandeur devraient‑elles être radiées?

[41]           La défenderesse soulève également sept questions de fond :

1.                  Quelle est la norme de contrôle applicable?

2.                  La Cour devrait‑elle conclure que la lettre de la ministre Shea constituait une décision (ce que nie la défenderesse) et, le cas échéant, cette décision était‑elle raisonnable?

3.                  La décision du ministre Ashfield était‑elle raisonnable?

4.                  La promesse alléguée pouvait‑elle entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la ministre?

5.                  La décision respectait‑elle les exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale?

6.                  Dans la négative, toute erreur commise était‑elle d’importance?

7.                  Le demandeur a‑t‑il droit à la réparation demandée?

[42]           À mon avis, six questions sont en litige :

A.                Quelle(s) décision(s) fait (font) l’objet du contrôle judiciaire?

B.                 Des parties de l’affidavit du demandeur devraient‑elles être radiées?

C.                 Quelle est la norme de contrôle applicable?

D.                Le ministre Ashfield ou la ministre Shea ont‑ils manqué à l’équité procédurale?

E.                 La décision visée par le contrôle judiciaire était‑elle raisonnable?

F.                  Quelle réparation peut être accordée?

V.                Observations écrites du demandeur

[43]           Quant à la norme de contrôle, le demandeur soutient que les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte.

[44]           Le demandeur fait premièrement valoir que c’est parce qu’il s’est fié à des renseignements inexacts donnés par le MPO, à son détriment, qu’il n’a pas demandé le transfert du permis lorsqu’il y était admissible, en août 1999, soit avant le gel du permis et son différend éventuel avec M. Jones. Le demandeur soutient que l’information inexacte du MPO l’a fait devenir [traduction] « victime d’un accord de fiducie impossible à exécuter ».

[45]           Deuxièmement, quant au pouvoir discrétionnaire ministériel, le demandeur soutient que la ministre Shea a pris une décision contraire aux règles de justice naturelle et a fait preuve de mauvaise foi dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Une décision discrétionnaire prise par un ministre disposant d’un large pouvoir discrétionnaire n’est susceptible de contrôle judiciaire que si le décideur a fait preuve de mauvaise foi, et que la décision enfreint les principes de justice naturelle et est fondée sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi (Maple Lodge Farms Ltd c Canada, [1982] 2 RCS 2, au paragraphe 7, 44 NR 354).

[46]           Le demandeur souligne que le pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis de pêche est énoncé à l’article 7 de la Loi sur les pêches, LRC, 1985, c F‑14. Ce pouvoir doit être exercé i) en conformité avec les exigences de la justice naturelle; ii) sur le fondement de considérations appropriées; iii) sans faire preuve d’arbitraire; iv) de bonne foi; v) conformément aux lois et règlements applicables; vi) conformément aux dispositions de la Charte (Comeau’s Sea Foods Ltd c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 RCS 12, aux paragraphes 30, 31, 36, 37 et 51, [1997] ACS no 5 [Comeau]).

[47]           Le demandeur soutient, en invoquant la doctrine de l’attente légitime mise en jeu par la réunion du 28 août 2009, que la décision de la ministre Shea enfreint les règles de justice naturelle et que la ministre a fait preuve de mauvaise foi dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[48]           Le demandeur soutient deuxièmement, quant à l’équité procédurale, que la ministre Shea ne s’est pas acquittée de son obligation en la matière. Le demandeur affirme qu’il a droit à ce qu’on respecte à son égard l’obligation d’équité procédurale. Il s’est fié, à son détriment, à la promesse faite par la ministre Shea. Il a contracté un emprunt pour acquérir le permis au départ et il a déménagé au Nouveau‑Brunswick pour y pratiquer la pêche, afin de tenter d’être admissible et d’obtenir un permis. Le défaut de lui redélivrer le permis lui a fait subir de graves difficultés financières. La décision de la ministre Shea était d’une grande importance pour le demandeur et pour sa famille. Il ressort de l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41, au paragraphe 18, [2001] ACS no 43, que même si le demandeur n’a pas « droit » au permis, il a néanmoins, dans l’issue de la décision de la ministre Shea, un intérêt financier direct suffisant pour déclencher une obligation d’équité procédurale.

[49]           Dans Bancarz c Canada (Transport), 2007 CF 451, [2007] ACF no 599, la Cour a statué qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale parce qu’en l’espèce, le demandeur n’avait pas eu l’occasion de s’exprimer avant la tenue d’un réexamen interne. La même chose s’est produite dans la présente affaire, soutient le demandeur, puisqu’il n’a pas eu l’occasion de s’exprimer au sujet de la prétendue incohérence, entre son témoignage au procès en 2005 et son témoignage devant l’Office, découverte par le MPO après l’audience de l’Office. De plus, le MPO reconnaît dans ses propres documents que l’Office aurait pu se réunir à nouveau pour examiner la question, mais qu’on ne lui a pas renvoyée, parce que le MPO a préféré répondre favorablement à la succession qui demandait la redélivrance du permis à un tiers. En outre, selon le demandeur, le MPO et la ministre ont élargi le champ de l’examen de l’Office en prenant en compte la teneur et la transcription, dont l’Office ne disposait pas, de son témoignage au procès de 2005. Ce sont là des manquements aux règles de justice naturelle et de l’équité procédurale.

[50]           De plus, le demandeur affirme que le ministre Ashfield et la ministre Shea ont aussi élargi le champ de l’audience de l’Office en se fondant sur le défaut de ce dernier de prendre en compte les jugements du Nouveau‑Brunswick, et que ces jugements ne sont pas pertinents pour la présente affaire.

[51]           Par conséquent, soutient le demandeur, la ministre Shea a manqué à l’équité procédurale.

[52]           En ce qui concerne troisièmement l’attente légitime, le demandeur soutient que la ministre Shea aurait dû suivre la recommandation de l’Office et, qu’à défaut, elle aurait dû justifier suffisamment son rejet.

[53]           Le demandeur soutient que les attentes légitimes d’une personne peuvent déterminer la portée de l’obligation d’équité dans une circonstance donnée, et que cela peut donner naissance à des droits plus étendus que ceux dont disposerait sinon l’intéressé (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 26, [1999] ACS no 39 [Baker]). Il fait valoir qu’en l’espèce la ministre Shea a affirmé à la réunion du 28 août 2009 qu’elle suivrait la recommandation de l’Office, et que malgré cela elle ne l’a pas fait. Le demandeur s’est fié à ce que la ministre, dans le traitement de l’affaire, fasse preuve de la bonne foi attendue dans pareil cas. Le demandeur soutient que, par conséquent, il avait droit à ce que la recommandation de l’Office soit suivie.

[54]           Étant donné les attentes légitimes soulevées par son affirmation, la ministre Shea doit aussi satisfaire en l’espèce à une obligation d’équité procédurale plus rigoureuse lorsqu’il s’agit de justifier sa décision de ne pas suivre la recommandation de l’Office. Le demandeur estime qu’une lettre de rejet ne suffit pour s’acquitter de cette obligation. En outre, comme la ministre Shea avait connaissance de sa prétendue incohérence, le demandeur aurait dû avoir l’occasion de s’en expliquer.

[55]           Le demandeur demande à la Cour de rendre une ordonnance de mandamus enjoignant à la ministre de suivre la recommandation de l’Office, soutenant que les diverses exigences énoncées dans Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742, 162 NR 177, pour la délivrance d’un mandamus sont respectées. En l’espèce, la ministre Shea a entravé son propre pouvoir discrétionnaire et avait une certaine obligation envers le demandeur.

[56]           Quatrièmement, selon le demandeur, la ministre Shea s’est fondée sur des considérations inappropriées et étrangères. Pour ce qui est du refus, le ministre Ashfield, et par extension la ministre Shea, se sont fondés sur le défaut de la succession de demander la redélivrance du permis pour refuser l’appel au demandeur, faisant ainsi obstacle à toute contestation juridique éventuelle par la succession. Le demandeur fait valoir que la succession n’a pas droit au permis, puisque la défenderesse a adopté comme position qu’un permis n’était pas un droit ou une propriété de l’intéressé, mais bien un privilège. Ces facteurs pris en considération sont ainsi inappropriés selon le demandeur.

[57]           Le demandeur soutient, cinquièmement, que la décision de la ministre Shea était déraisonnable et a été prise de mauvaise foi.

[58]           En sixième et dernier lieu, le demandeur soutient que la Cour devrait tirer une inférence négative des deux faits suivants : 1) la défenderesse n’a pas contredit ses observations, et 2) la défenderesse ne lui a pas transmis les documents qu’il avait demandés, notamment les dossiers de la ministre Shea et les dossiers du MPO faisant mention de l’Office et de la réunion du 28 août 2009.

VI.             Observations écrites de la défenderesse

[59]           La défenderesse soutient premièrement qu’en vertu de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision. La défenderesse précise que, même si le demandeur affirme demander le contrôle judiciaire de la décision du 27 novembre 2013 de la ministre Shea, il renvoie plutôt dans ses observations à la décision du 2 mars 2012 du ministre Ashfield. La défenderesse soutient que la lettre du 27 novembre 2013 informait simplement le demandeur du fait que l’affaire avait été étudiée en profondeur et qu’il n’existait aucun fondement pour une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi. Il n’y a pas eu nouvel exercice de pouvoir discrétionnaire de la part de la ministre Shea, ni réexamen d’une décision antérieure à la lumière de faits ou d’éléments de preuve nouveaux (Philipps c Bibliothécaire et Archiviste du Canada, 2006 CF 1378, au paragraphe 32, 157 ACWS (3d) 232 [Philipps]).

[60]           Deuxièmement, selon la défenderesse, l’affidavit du demandeur, souscrit le 11 février 2014, renferme des ouï‑dire, des hypothèses, des opinions, des arguments et des conclusions de droit. En vertu du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, les affidavits doivent se limiter dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. Les paragraphes 21, 53, 56, 57, 59, 60, 78, 79, 82, 83 et 85 de l’affidavit enfreignent cette règle et, par conséquent, devraient être radiés en totalité ou en partie.

[61]           Troisièmement, soutient la défenderesse, les décisions discrétionnaires prises par le ministre des Pêches appellent la norme de contrôle de la raisonnabilité (Malcolm c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2014 CAF 130, aux paragraphes 33 à 35, [2014] ACF no 499 [Malcolm]; Mainville c Canada (Procureur général), 2007 CF 251, au paragraphe 8, [2007] ACF no 323 [Mainville]). Pour leur part, les questions concernant l’équité procédurale, la justice naturelle ou les attentes légitimes sont assujetties à la norme de la décision correcte.

[62]           La défenderesse soutient quatrièmement que la lettre de la ministre Shea n’était pas une « décision » susceptible de contrôle judiciaire. Cette lettre visait à informer le demandeur qu’il n’y avait aucun motif pour réétudier son dossier. Le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve ou renseignement nouveau qui aurait justifié le réexamen de son cas.

[63]           La défenderesse fait valoir, cinquièmement, le caractère raisonnable de la décision du ministre Ashfield. Selon elle, la véritable décision de fond en cause a été rendue par le ministre Ashfield le 2 mars 2012. Le ministre Ashfield a alors pris en compte la recommandation de l’Office, mais a néanmoins rejeté la demande de redélivrance d’un permis de remplacement faite par le demandeur parce que cette demande ne provenait pas du titulaire du permis ni de sa succession. Le ministre a aussi fait remarquer que l’Office n’avait pas pris en considération l’issue du litige ayant opposé le demandeur à M. Jones. La loi ne conférant aucun pouvoir décisionnel à l’Office, il était loisible au ministre Ashfield de rejeter ses recommandations. En l’espèce, la décision du ministre se fondait valablement sur la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada ‑ 1996 [la politique sur les permis de pêche], et elle était raisonnable.

[64]           Sixièmement, soutient la défenderesse, la prétendue promesse faite par la ministre Shea lors de la rencontre du 28 août 2009 n’était pas exécutoire parce que cette dernière ne disposait pas du pouvoir d’entraver son propre pouvoir discrétionnaire ni celui du ministre Ashfield. Toute affirmation restreignant ou contraignant l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le Parlement serait manifestement incompatible avec la Loi sur les pêches puisqu’elle constituerait une entrave au pouvoir du ministre de gérer la pêche (Pacific National Investments Ltd c Victoria (Ville), 2000 CSC 64, aux paragraphes 71 à 74, [2000] 2 RCS 919 [Victoria]; Andrews c Canada (Attorney General), 2009 NLCA 70, aux paragraphes 64 à 84, [2009] NJ no 361 [Andrews]). La défenderesse cite l’arrêt Andrews pour étayer sa prétention selon laquelle [traduction] « un pouvoir discrétionnaire ne peut être restreint pour l’avenir » (au paragraphe 83).

[65]           En l’espèce, même si la ministre Shea a promis de suivre les recommandations de l’Office, il n’était pas en son pouvoir d’entraver l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire ni celui de tout ministre subséquent.

[66]           La défenderesse soutient, septièmement, qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans la présente affaire. La doctrine de l’attente légitime est une composante de la doctrine – de justice naturelle – de l’équité procédurale; toutefois, l’attente légitime ne peut être la source ni fonder l’exécution de droits matériels (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection publique), 2013 CSC 36, au paragraphe 97, [2013] 2 RCS 559 [Agraira]). La défenderesse avance que la réparation recherchée par le demandeur n’est pas d’ordre procédural; elle est plutôt d’ordre matériel. Qui plus est, le demandeur n’a pas expliqué les incohérences entre ses témoignages au procès et devant l’Office. Enfin, les décisions du ministre Ashfield et de la ministre Shea ne se fondaient pas principalement sur l’existence de déclarations contradictoires. La décision, par conséquent, respectait les exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale.

[67]           La défenderesse fait valoir huitièmement que, même si la Cour concluait que le demandeur a été privé du droit de s’exprimer sur ses témoignages contradictoires, il n’en demeure pas moins que l’issue de l’affaire – fondée sur la politique sur les permis de pêche – n’aurait pas été modifiée par l’exercice de ce droit par le demandeur. Il en est ainsi parce que l’erreur ainsi commise serait sans importance : à aucun moment le demandeur n’a eu droit au permis et à aucun moment soit M. Jones, soit sa succession, n’a demandé la redélivrance du permis au demandeur alors que celui‑ci et M. Jones y étaient ensemble admissibles.

[68]           La défenderesse soutient, neuvièmement, que le demandeur n’a pas droit à la réparation recherchée. Tout d’abord, les exigences pour la délivrance d’un mandamus ne sont pas respectées. Parmi les huit exigences énumérées dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Arsenault, 2009 CAF 300, au paragraphe 32, [2009] ACF no 1306 [Arsenault], le ministre, en particulier, n’était pas obligé de suivre les recommandations de l’Office. Le ministre n’avait aucune obligation envers le demandeur, et si une obligation avait bel et bien existé, le titulaire du permis en aurait été le bénéficiaire. Également, le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches au ministre d’accorder un permis de pêche avait un caractère absolu. Le demandeur ne dispose pas du droit de contraindre l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière. De plus, le demandeur n’a pas acquis le droit à un permis ou à la redélivrance d’un permis. L’equity fait aussi obstacle au demandeur, car celui‑ci n’était pas sans reproche lorsqu’il s’est présenté à la Cour, comme en atteste l’existence de contradictions entre ses témoignages devant la Cour du Banc de la Reine et devant l’Office. Le facteur de la prépondérance des inconvénients penche de même en faveur du ministre, puisque le demandeur ne dispose pas d’un droit acquis au permis.

[69]           Ensuite, selon la défenderesse, il est de droit constant que des dommages‑intérêts ne peuvent être accordés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire sous le régime de l’article 18.1 (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc, 2010 CSC 62, [2010] ACS no 62 [TeleZone]). Enfin, puisque l’Office est un organisme non législatif tenu, par une politique, de formuler des recommandations, et que sa recommandation n’est pas l’objet du contrôle judiciaire, la Cour n’a pas compétence en vertu du paragraphe 18.1(3) pour lui renvoyer l’affaire.

[70]           La défenderesse soutient, par conséquent, que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est sans fondement.

VII.          Analyse et décision

A.                Question 1 – Quelle(s) décision(s) fait (font) l’objet du contrôle judiciaire?

[71]           À mon avis, tant la décision de la ministre Shea que celle du ministre Ashfield sont susceptibles de contrôle judiciaire.

[72]           L’article 302 des Règles des Cours fédérales restreint à une seule décision la portée d’un contrôle judiciaire : « Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée. » Dans la présente affaire, le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la lettre de la ministre Shea.

[73]           La défenderesse soutient que cette décision constitue une lettre de politesse, qui n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, et que le demandeur renvoie plusieurs fois, par contre, dans ses observations à la décision du ministre Ashfield.

[74]           Dans Philipps, au paragraphe 32, la Cour a conclu qu’une lettre de politesse n’était pas susceptible de contrôle judiciaire :

[…] cette Cour a clairement établi qu’une lettre de politesse écrite en réponse à une demande de révision ou de réexamen ne constitue pas une décision ou une ordonnance au sens de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F‑7, et par conséquent, ne peut pas être contestée par voie de contrôle judiciaire (Dhaliwal c. Canada (M.C.I.),[1995] A.C.F. no. 982; Moresby Explorers c. Réserve du Parc National de Gwaii Haanas, [2000] A.C.F. no. 1944; Hughes c. Canada, 2004 CF 1055, para. 6). […]

[Non souligné dans l’original.]

[75]           À mon avis, la lettre de la ministre Shea ne constitue pas une « lettre de politesse », mais plutôt un refus de réexamen. Le demandeur a rendu visite à la ministre Shea le 10 novembre 2013, et il lui a alors demandé de manière informelle de réexaminer son dossier et d’envisager à cette fin le recours à un comité de trois personnes. La ministre a répondu par la suite, par lettre, que l’affaire avait été étudiée en profondeur et que rien ne justifiait de procéder à une révision plus poussée. Cela, faisant suite à la demande informelle, constitue une décision de refus de réexamen. Elle est donc susceptible de contrôle judiciaire au sens de la Loi.

[76]           À mon avis, on ne peut pas procéder au contrôle judiciaire exhaustif d’une décision relative à un réexamen sans se pencher aussi sur la décision originelle, soit en l’espèce la décision du ministre Ashfield.

B.                 Question 2 ‑ Des parties de l’affidavit du demandeur devraient‑elles être radiées?

[77]           Je conviens partiellement avec la défenderesse que certaines parties de l’affidavit du demandeur ne sont pas admissibles.

[78]           Le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que le contenu des affidavits doit se rapporter aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle :

Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

[Non souligné dans l’original.]

[79]           La défenderesse soutient qu’en l’espèce les paragraphes 21, 53, 56, 57, 59, 60, 78, 79, 82, 83 et 85 de l’affidavit du demandeur, souscrit le 11 février 2014, enfreignent cette règle puisqu’ils renferment des ouï‑dire, des hypothèses, des opinions, des arguments et des conclusions de droit. Je suis partiellement d’accord.

[80]           Le paragraphe 21 renferme une opinion du demandeur quant à la cause de la violation de l’accord de fiducie. Il doit donc être radié.

[81]           Le paragraphe 53 renferme une hypothèse quant à savoir si le demandeur a ou non été évalué en fonction des critères d’admissibilité pour l’obtention du permis de M. Jones. Il doit donc être radié.

[82]           Le paragraphe 56 comporte un ouï‑dire concernant ce que M. Jenkins a dit à l’audience devant l’Office. Il doit donc être radié.

[83]           Le paragraphe 57 comporte lui aussi un ouï‑dire, concernant des propos tenus devant l’Office. Il doit donc être radié.

[84]           Le paragraphe 59 expose une interprétation de l’interprétation faite par l’Office. Il doit donc être radié.

[85]           Le paragraphe 60 comporte un ouï‑dire concernant l’audience devant l’Office. Il doit donc être radié.

[86]           Le paragraphe 78 renferme une opinion sur la décision du ministère de ne pas redélivrer le permis. Il doit donc être radié.

[87]           Le paragraphe 79 comporte une conclusion juridique. Il doit donc être radié.

[88]           Le paragraphe 82 renferme une opinion. Il doit donc être radié.

[89]           Le paragraphe 83 présente des arguments concernant le refus de redélivrer le permis. Il doit donc être radié.

[90]           J’estime, finalement, que le paragraphe 85 n’enfreint pas le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales. Sa présence dans l’affidavit est par conséquent justifiée.

[91]           Pour les motifs exposés, je radierais les paragraphes 21, 53, 56, 57, 59, 60, 78, 79, 82 et 83 de l’affidavit du demandeur.

C.                 Question 3 ‑ Quelle est la norme de contrôle applicable?

[92]           Lorsque la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 57, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[93]           Dans l’arrêt Malcolm, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de la raisonnabilité s’appliquait au contrôle d’une décision discrétionnaire prise par le ministre des Pêches et des Océans (aux paragraphes 33 à 35). La norme de la raisonnabilité m’impose, dans de tels cas, d’examiner les éléments suivants :

35        La décision discrétionnaire stratégique prise de mauvaise foi ou en fonction de facteurs inappropriés ou étrangers à l’objet de la loi est par le fait même déraisonnable. Elle est également considérée comme déraisonnable si elle est jugée irrationnelle ou incompréhensible ou si elle découle de l’exercice abusif d’un pouvoir discrétionnaire. Dans le cadre d’une procédure en contrôle judiciaire visant la décision rendue par le ministre en l’espèce, au final, il faut rechercher si cette décision s’inscrit dans un éventail d’issues raisonnables, compte tenu du contexte dans lequel elle a été prise et du fait qu’elle porte sur des questions de politique générale à l’égard desquelles la cour réformatrice doit se garder d’intervenir pour substituer sa propre opinion à celle du ministre. C’est en ayant ces considérations à l’esprit qu’il convient d’apprécier le caractère raisonnable de la décision du ministre.

[94]           Quant aux questions liées à l’équité procédurale, à la justice naturelle ou à l’attente légitime, c’est la norme de la décision correcte qui leur est applicable (Baker).

D.                Question 4 – Le ministre Ashfield ou la ministre Shea ont‑ils manqué à l’équité procédurale?

[95]           D’un côté, le demandeur soutient qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu l’occasion de s’exprimer sur la prétendue incohérence de ses témoignages. Il prétend également qu’il avait une attente légitime par suite de la promesse faite par la ministre Shea d’adopter la recommandation de l’Office. Il ajoute que les ministres, en prenant leurs décisions, ont élargi injustement le champ des renseignements – en y incluant les jugements du Nouveau‑Brunswick – pris en considération. D’un autre côté, la défenderesse soutient que la réparation demandée n’est pas d’ordre procédural; elle est plutôt d’ordre matériel.

[96]           À mon avis, la question essentielle à trancher est de savoir si le ministre avait ou non l’obligation de fournir l’occasion au demandeur de s’exprimer sur la prétendue incohérence. Même si cette incohérence n’était pas le seul motif du refus du ministre Ashfield de redélivrer le permis, et de la confirmation de ce refus par la ministre Shea, il s’agit de ne pas confondre les droits procéduraux du demandeur et le caractère raisonnable de la décision.

[97]           Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a énoncé cinq facteurs qui ont une incidence sur le contenu de l’obligation d’équité (aux paragraphes 21 à 27). J’estime particulièrement pertinents le troisième et le quatrième facteurs en l’espèce, soit l’importance de la décision pour les personnes visées, et les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision.

[98]           Dans la présente affaire, le demandeur a dépensé beaucoup d’argent pour tenter d’obtenir la redélivrance du permis. Il a déménagé pour satisfaire à la condition de résidence prétendument erronée. On peut donc dire que la décision est d’une grande importance financière pour le demandeur.

[99]           Quant aux attentes légitimes, j’estime comme la défenderesse que la doctrine de l’attente légitime est une composante de la doctrine – de justice naturelle – de l’équité procédurale; toutefois, l’attente légitime ne peut être la source ni fonder l’exécution de droits matériels (Agraira, au paragraphe 97). En l’espèce, le demandeur soutient que la ministre Shea a promis de suivre la recommandation de l’Office. Or, si le demandeur a pu s’attendre à ce que la ministre redélivre le permis, il n’en découle pas pour autant la création d’un droit matériel à cette redélivrance.

[100]       Malgré tout, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que ce dernier bénéficiait de garanties procédurales, concernant notamment l’occasion d’être entendu et la justification de la décision.

[101]       Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas eu l’occasion de s’exprimer sur sa prétendue incohérence. On ne l’a pas informé que le ministre Ashfield et la ministre Shea s’étaient appuyés, lorsqu’ils ont pris leurs décisions, sur des renseignements tirés de Doucette c Jones; il n’a pas ainsi eu l’occasion de s’exprimer sur la prétendue incohérence. Selon moi, il s’agissait d’un manquement à l’équité procédurale. Je conclus cependant que ce n’était pas là un manquement important.

[102]       La défenderesse soutient que, même si la Cour conclut que le demandeur a été privé du droit de s’exprimer sur ses témoignages contradictoires, l’erreur commise est sans importance puisque, même en son absence, l’issue de l’affaire – fondée sur la politique sur les permis de pêche – n’aurait pas changé. Elle soutient aussi qu’à aucun moment le demandeur n’a eu droit au permis et qu’à aucun moment soit M. Jones, soit sa succession, n’a demandé la redélivrance au demandeur alors que celui‑ci et M. Jones y étaient ensemble admissibles. Je suis du même avis.

[103]       La question de l’incohérence, que le demandeur ait pu ou non s’exprimer à son sujet, ne change rien au fait que le titulaire du permis n’a pas sollicité la redélivrance en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches.

[104]       Le demandeur avance également que la ministre Shea, compte tenu de sa promesse, aurait dû justifier davantage son refus de réexaminer l’affaire. Je ne suis pas d’accord. La justification de la ministre Shea, quoique brève, suffisait pour expliquer ce refus. Elle permettait aussi de comprendre pour quel motif, selon moi, la ministre n’avait pas suivi sa prétendue promesse : son prédécesseur s’était penché de manière approfondie sur le dossier.

[105]       Ainsi, même en concluant qu’on a manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas l’occasion au demandeur de s’exprimer sur la prétendue incohérence, j’estime que cette erreur n’a pas eu d’incidence sur les décisions des ministres.

E.                 Question 5 – La décision visée par le contrôle judiciaire était‑elle raisonnable?

[106]       Je traiterai d’abord de la décision du ministre Ashfield, puis de la décision de la ministre Shea de ne pas réexaminer l’affaire, qui fait l’objet du contrôle judiciaire.

(1)               Décision du ministre Ashfield

[107]       Le pouvoir discrétionnaire du ministre de délivrer des permis de pêche est prévu à l’article 7 de la Loi sur les pêches. On doit exercer ce pouvoir i) conformément aux exigences de la justice naturelle; ii) sur le fondement de considérations pertinentes; iii) sans arbitraire; iv) de bonne foi; v) conformément aux lois et règlements applicables; vi) conformément aux dispositions de la Charte (Comeau, aux paragraphes 30, 31, 36, 37 et 51).

[108]       Quant à la redélivrance d’un permis de pêche, le paragraphe 16(2) de la politique sur les permis de pêche prévoit que la demande doit en être faite par le titulaire actuel :

(2) Sous réserve du paragraphe (5), un permis de remplacement peut être délivré à un pêcheur admissible sur demande et recommandation du titulaire actuel.

[Non souligné dans l’original.]

[109]       Premièrement, la prétendue promesse faite par la ministre Shea de suivre la recommandation de l’Office ne crée aucun droit matériel à un certain résultat. Dans l’arrêt Victoria, la Cour suprême du Canada a déclaré que toute affirmation restreignant ou contraignant l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le Parlement serait manifestement une incohérence, puisqu’elle constituerait une entrave au pouvoir du ministre de gérer la pêche (Victoria, aux paragraphes 71 à 74; Andrews, aux paragraphes 64 et 84). Exercer le pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière, c’est entraver indirectement le pouvoir discrétionnaire du ministre de manière indue (Andrews, au paragraphe 84):

[traduction]

L’application de ces principes à l’appel interjeté devant la Cour conduit à conclure que, manifestement, les pêcheurs appelants ne peuvent pas avoir gain de cause. La loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis de pêche au crabe, et de les assortir d’une condition en matière de quota, pour « une gestion et une surveillance judicieuses » des pêches et pour « la conservation et la protection du poisson » (voir le paragraphe 66, ci‑dessus). Les permis de pêche au crabe délivrés chaque année donnent lieu à un exercice annuel du pouvoir discrétionnaire du ministre. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé dans l’intérêt public, sans entrave directe ou indirecte. Une demande de dommages‑intérêts pour défaut d’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une façon donnée équivaut à entraver indirectement, de manière indue, le pouvoir discrétionnaire du ministre. Par conséquent, le fait que le ministre ait pris un « engagement » envers les pêcheurs appelants des années plus tôt ne saurait fonder une demande de dommages‑intérêts. La même analyse s’applique et la même conclusion s’ensuit, qu’il s’agisse d’une demande en matière contractuelle ou délictuelle. Dans l’un et l’autre cas, il y a entrave indirecte au pouvoir ministériel discrétionnaire.

[Non souligné dans l’original.]

[110]       Deuxièmement, le titulaire du permis en l’espèce, que ce soit M. Jones ou la succession de M. Jones, n’a pas sollicité la redélivrance alors que ce titulaire et le demandeur y étaient ensemble admissibles. La demande du demandeur ne satisfaisait pas à la condition prévue au paragraphe 16(2) de la politique sur les permis de pêche. En rejetant cette demande, le ministre Ashfield a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi, sans faire preuve de mauvaise foi.

[111]       Troisièmement, je conclus que la preuve n’est pas suffisante pour démontrer que le MPO a induit le demandeur en erreur quant à l’obligation de résidence, et que même si ce fait était établi, le présent contrôle judiciaire n’est pas la voie appropriée pour trancher la question.

[112]       Le demandeur soutient que, s’il avait obtenu l’information correcte sur l’obligation de résidence, la demande de redélivrance aurait été effectuée avant qu’il n’y ait [traduction] « gel » du permis de M. Jones. Toutefois, on s’était déjà prononcé sur l’accord de fiducie intervenu entre le demandeur et M. Jones dans Doucette c Jones, et c’est dans cette affaire civile antérieure que l’information prétendument incorrecte du MPO aurait pu influer directement, quant à la redélivrance du permis, sur le résultat. Si le MPO avait été ajouté comme partie au litige, plutôt que de se dire non lié par les accords de fiducie entre des particuliers, le ministère aurait pu adopter une position différente tenant compte de l’information prétendument incorrecte, et cela aurait pu changer l’issue finale en ce qui concerne la redélivrance. Je ne peux pas deviner quel aurait été le résultat si la question avait été soulevée, ou si le MPO avait été joint comme défendeur au litige.

[113]       Selon moi, le présent contrôle judiciaire n’est pas le recours approprié pour l’examen et l’évaluation des répercussions de l’information prétendument erronée du MPO.

[114]       J’estime, par conséquent, que la décision du ministre Ashfield était raisonnable.

(2)               Décision de la ministre Shea

[115]       Comme je l’ai expliqué, si la ministre Shea a bel et bien promis tel qu’allégué de suivre la recommandation de l’Office, cette promesse n’a aucun effet juridique parce qu’elle entrave indirectement le pouvoir discrétionnaire de la ministre. La ministre n’est pas autorisée en droit non plus à entraver le pouvoir discrétionnaire de son successeur, le ministre Ashfield.

[116]       Dans l’arrêt Andrews, la Cour d’appel de Terre‑Neuve a déclaré ce qui suit (au paragraphe 83) :

[traduction]

Pour résumer, la jurisprudence précitée permet de fonder plusieurs conclusions. Tout d’abord, lorsqu’en vertu de la loi un ministre est autorisé à exercer un pouvoir discrétionnaire dans l’intérêt public, ce pouvoir ne peut être restreint pour l’avenir ni entravé, directement ou indirectement, sauf disposition législative contraire. L’entrave indirecte vise notamment le fait d’exposer le ministre ou le gouvernement au paiement de dommages‑intérêts ou d’une indemnité pour défaut d’exercice du pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière. Malgré la sévérité apparente du résultat, une entente, un engagement implicite ou une affirmation ayant pour effet d’entraver le pouvoir discrétionnaire du ministre n’est pas exécutoire et ne peut donner lieu à des dommages‑intérêts. Malgré tout, le ministre doit agir de bonne foi et sans arbitraire, et ne peut fonder sa décision sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi. Finalement, si des dommages‑intérêts ne peuvent être obtenus, un recours fondé sur l’enrichissement sans cause pourrait pour sa part être exercé.

[117]       Dans l’arrêt St Anthony Seafoods Limited Partnership c Newfoundland and Labrador (Minister of Fisheries and Aquaculture), 2004 NLCA 59, [2004] NJ no 336 (autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée), la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador a déclaré ce qui suit (au paragraphe 81) :

[traduction]

Je conclus par conséquent que la Fish Inspection Act énonce clairement, à titre de politique d’intérêt public, que le ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour le traitement des permis, un pouvoir que le ministre peut exercer à tout moment comme il le juge nécessaire. Cette politique serait compromise si des affirmations de son ou ses prédécesseurs empêchaient un ministre d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, cela pouvant gravement restreindre sa capacité de répondre aux préoccupations socio‑économiques du moment du secteur des pêches.

[118]       Bien que cet arrêt se rapporte à la Fish Inspection Act, les mêmes commentaires valent pour l’article 7 de la Loi sur les pêches. Dans l’arrêt Comeau, la Cour suprême a conclu que l’article 7 de la Loi conférait au ministre un pouvoir discrétionnaire absolu en vue de la délivrance ou de l’autorisation de délivrance de permis de pêche.

[119]       À la lumière de ce qui précède, la ministre Shea ne pouvait entraver ni son propre pouvoir discrétionnaire ni celui du ministre Ashfield.

[120]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[121]       Au vu de mes conclusions, je n’aurai pas à traiter de la question 6 qui porte sur la réparation.

[122]       La défenderesse demande que les dépens de la demande lui soient adjugés. En raison toutefois des difficultés rencontrées par M. Doucette dans la présente affaire et de l’historique des faits, je ne suis pas disposé à adjuger des dépens.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7

18. (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :

18. (1) Subject to section 28, the Federal Court has exclusive original jurisdiction

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

(a) to issue an injunction, writ of certiorari, writ of prohibition, writ of mandamus or writ of quo warranto, or grant declaratory relief, against any federal board, commission or other tribunal; and

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.

(b) to hear and determine any application or other proceeding for relief in the nature of relief contemplated by paragraph (a), including any proceeding brought against the Attorney General of Canada, to obtain relief against a federal board, commission or other tribunal.

(2) Elle a compétence exclusive, en première instance, dans le cas des demandes suivantes visant un membre des Forces canadiennes en poste à l’étranger : bref d’habeas corpus ad subjiciendum, de certiorari, de prohibition ou de mandamus.

(2) The Federal Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine every application for a writ of habeas corpus ad subjiciendum, writ of certiorari, writ of prohibition or writ of mandamus in relation to any member of the Canadian Forces serving outside Canada.

(3) Les recours prévus aux paragraphes (1) ou (2) sont exercés par présentation d’une demande de contrôle judiciaire.

(3) The remedies provided for in subsections (1) and (2) may be obtained only on an application for judicial review made under section 18.1.

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous‑procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

[…]

302. Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

[…]

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

a) le résultat de l’instance;

(a) the result of the proceeding;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

(c) the importance and complexity of the issues;

d) le partage de la responsabilité;

(d) the apportionment of liability;

e) toute offre écrite de règlement;

(e) any written offer to settle;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

g) la charge de travail;

(g) the amount of work;

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

(k) whether any step in the proceeding was

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299;

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(n.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

(i) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law,

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

(iii) la somme en litige;

(iii) the amount in dispute in the proceeding; and

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

(o) any other matter that it considers relevant.

[…]

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut :

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

a) adjuger ou refuser d’adjuger les dépens à l’égard d’une question litigieuse ou d’une procédure particulières;

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

b) adjuger l’ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu’à une étape précise de l’instance;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat‑client;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

(d) award costs against a successful party.

Loi sur les pêches, LRC, 1985, c F‑14

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans l’Est du Canada ‑ 1996

16. Changement de titulaire

16. Change of Licence Holder

(1) La loi actuelle précise que les permis ne sont pas transférables. Le Ministre peut cependant, "à son entière discrétion" et pour des raisons d’efficacité administrative, énoncer dans une politique les conditions ou exigences en vertu desquelles il peut délivrer un permis à un nouveau titulaire en "remplacement" d’un permis qui est rendu. Les conditions ou exigences qui s’appliquent alors sont énoncées dans le présent document.

(1) Current legislation provides that licences are not transferable. However, the Minister in "his absolute discretion" may for administrative efficiency prescribe in policy those conditions or requirements under which he will issue a licence to a new licence holder as a "replacement" for an existing licence being relinquished. These prescribed conditions or requirements are specified in this document.

(2) Sous réserve du paragraphe (5), un permis de remplacement peut être délivré à un pêcheur admissible sur demande et recommandation du titulaire actuel.

(2) Subject to subsection (5), a replacement licence may be issued upon request by the current licence holder to an eligible fisher recommended by the current licence holder.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑709‑14

 

INTITULÉ :

HENRY DOUCETTE c

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA REPRESENTÉE PAR LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Charlottetown (ÎLE‑DU‑Prince‑ÉDOUARD)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 DÉCEMBRE 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE 11 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Christian E. Michaud

S. Clifford Hood, c.r.

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lori Rasmussen

M. Paul Marquis

 

POUR LA Défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Avocats

Moncton (Nouveau‑Brunswick)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

POUR LA Défenderesse

 

 

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