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Date : 20150622


Dossier : IMM‑343‑14

Référence : 2015 CF 774

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

YASMEN AL ATAWNAH

DIANA ELATAWNA

KARAM ELATAWNA

RETAL AISHA ELATAWNA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Yasmen Al Atawnah et trois de ses enfants ont demandé l’asile au Canada, affirmant craindre la persécution en Israël aux mains de membres de leur famille. Mme Al Atawnah allègue que ses frères veulent la tuer parce qu’elle a joué un rôle dans la dénonciation de ses frères à la police israélienne en ce qui concerne le crime d’honneur dont sa sœur a été victime.

[2]               Il n’a cependant jamais été statué au fond sur les demandes d’asile de la famille, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant conclu au désistement des demandes. Les demanderesses affirment qu’elles n’entendaient pas se désister de leurs demandes d’asile et que ce désistement est survenu parce que Mme Al Atawnah maîtrisait mal la langue anglaise, que le système de reconnaissance du statut de réfugié ne lui était pas familier et qu’elle n’était pas représentée par un avocat.

[3]               Les demanderesses n’ont pu obtenir avant leur renvoi du Canada un examen des risques avant renvoi, en raison de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Il s’agit d’une nouvelle disposition qui interdit au ressortissant d’un pays d’origine désigné qui s’est désisté de sa demande d’asile de présenter une demande d’ERAR si moins de 36 mois se sont écoulés depuis que la Section de la protection des réfugiés a conclu au désistement.

[4]               Par la demande de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie, les demanderesses affirment qu’il y a eu violation des droits qu’elles tirent de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, c 11 (R.‑U.), parce qu’elles ont été renvoyées du Canada sans qu’un décideur compétent n’ait jamais procédé à un examen complet des risques auxquels elles disent être exposées en Israël. Elles voudraient aussi que soit rendu un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est inopérant dans les circonstances de l’espèce parce qu’il porte atteinte aux droits qu’elles tirent de l’article 7 de la Charte. À titre de redressement, les demanderesses prient la Cour de délivrer un bref de mandamus enjoignant au ministre de les faire revenir au Canada aux frais des défendeurs.

[5]               Pour les motifs qui suivent, je suis arrivée à la conclusion que les demanderesses n’ont pas établi qu’il a été porté atteinte aux droits que leur confère l’article 7 de la Charte. Leur demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

I.                   Contexte

[6]               Mme Al Atawnah, une Israélienne de souche bédouine, est la mère de quatre enfants. Ses trois filles l’ont accompagnée au Canada le 9 février 2012, tandis que son fils et son mari sont restés en Israël.

[7]               Selon Mme Al Atawnah, sa sœur Zahar était mariée à un homme violent. Après des années de violence familiale, Zahar a dénoncé son mari à la police israélienne en décembre 2011. La police a détenu le mari de Zahar en attendant l’issue de l’enquête. Zahar et sa fille sont restées chez Mme Al Atawnah durant quelques jours, mais sont ensuite retournées au domicile familial sur l’insistance du père et des frères de Mme Al Atawnah, qui jugeaient nécessaire de préserver l’« honneur » de la famille.

[8]               Mme Al Atawnah dit que, lorsqu’une autre sœur, Shahira, s’est rendue chez Zahar à la recherche de celle‑ci, leur frère, Ahmed, lui a d’abord indiqué que Zahar était partie avec un autre homme. Ayant remarqué que le matelas et la couverture avaient disparu de la chambre de Zahar, Shahira a mis en doute cette explication. Ahmed a plus tard avoué à Shahira et au fils de Mme Al Atawnah qu’il avait tué Zahar et qu’un autre frère et deux cousins l’avaient aidé à se débarrasser du corps.

[9]               Mme Al Atawnah affirme qu’Ahmed a menacé de tuer ses sœurs si elles s’avisaient de rapporter à la police ce qu’il avait fait. Mme Al Atawnah a quand même pu persuader Shahira qu’elles devraient signaler à la police l’aveu d’Ahmed. Elle a vaincu les réticences de sa sœur à s’adresser à la police en l’assurant que c’est elle qui déposerait le rapport en son propre nom. Cependant, la police n’a pas accepté le rapport de Mme Al Atawnah et a insisté pour qu’il soit déposé au nom de Shahira puisque c’est à elle que l’aveu avait été fait.

[10]           La police a plus tard interrogé les frères, le père et les cousins de Mme Al Atawnah et a détenu certains d’entre eux. Elle soupçonnait fortement Ahmed et un autre frère appelé Sliman d’avoir bel et bien assassiné Zahar, mais elle les a finalement relâchés. Les autorités policières ont informé Mme Al Atawnah qu’elle ne pouvait rien faire de plus parce que le corps de Zahar était introuvable.

[11]           Mme Al Atawnah eut tôt fait d’apprendre que son père et ses frères lui reprochaient d’avoir déposé le rapport auprès de la police et qu’ils avaient signalé à des membres de la famille leur intention de tuer Mme Al Atawnah et ses enfants. Les demanderesses n’ont pas cherché à obtenir la protection de la police israélienne devant de telles menaces. Mme Al Atawnah et ses trois filles ont plutôt quitté le pays et elles sont arrivées au Canada le 9 février 2012.

[12]           Le fils de Mme Al Atawnah est d’abord resté en Israël, où il a continué de vivre avec son père. Tous deux sont cependant arrivés au Canada en août 2012. Le mari de Mme Al Atawnah, venu en visite, est retourné en Israël peu après. Le fils est resté au Canada avec sa mère parce qu’il craignait pour sa sécurité à lui. Après huit mois au Canada, il est retourné en Israël parce qu’il avait le mal du pays et que son père lui manquait.

[13]           Le mari et le fils de Mme Al Atawnah ont quitté leur village pour s’installer à un autre endroit en Israël, où ils continuent de vivre cachés. Le mari ne fait pas état de nouvelles menaces dans son affidavit, mais Mme Al Atawnah a informé l’agent d’exécution que ses frères avaient continué de menacer son mari par téléphone même après que lui et son fils eurent quitté leur village.

[14]           Mme Al Atawnah écrit dans son affidavit que son fils a été heurté par une voiture et que la famille croit que l’agression est imputable aux frères de Mme Al Atawnah. Or, Mme Al Atawnah a dit aux fonctionnaires de l’ASFC que ses frères avaient sauvagement battu son fils et que celui‑ci avait dû être hospitalisé. L’affidavit de son mari ne jette aucune lumière sur la question, puisqu’on y lit simplement que [traduction« la famille de [m]on épouse a tenté de nuire à [m]on fils au moins une fois et peut‑être deux ».

[15]           Shahira continue elle aussi de vivre en Israël, dans un village situé à environ 25 kilomètres de ses frères. Mme Al Atawnah dit que la famille du mari de Shahira la protège.

II.                Les demandes d’asile déposées par les demanderesses

[16]           Mme Al Atawnah a deux sœurs qui vivent au Canada – Suzan et Enas. Suzan a obtenu le statut de réfugiée après s’être déclarée victime de violence familiale, et Enas a été admise comme résidente permanente au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire.

[17]           Avec l’aide d’Enas, Mme Al Atawnah a déposé les demandes d’asile de sa famille le 10 février 2012, le lendemain de leur arrivée au Canada. Elles ont alors déposé des Formulaires de renseignements personnels pour la famille le 8 mars 2012, là encore sans l’assistance d’un avocat.

[18]           Enas a par la suite emmené Mme Al Atawnah voir l’avocat qui l’avait représentée dans son propre dossier d’immigration. Cet avocat a expliqué à Mme Al Atawnah la manière de s’y prendre pour obtenir l’aide juridique, mais elle a semble‑t‑il fait une erreur dans sa demande, de sorte que le traitement de la demande d’aide juridique déposée par la famille a été retardé.

[19]           Dans l’intervalle, Mme Al Atawnah a reçu de la Commission un avis l’informant que l’audience relative aux demandes d’asile aurait lieu le 6 mai 2013. Enas a alors communiqué avec l’avocat, qui lui a expliqué que la famille n’avait pas encore retenu ses services et que, de toute manière, il n’était pas libre à la date fixée pour l’audience. L’avocat a offert d’écrire à la Commission pour demander le report de l’audience.

[20]           Dans sa lettre à la Commission, l’avocat expliquait la situation et proposait plusieurs dates pour la tenue de l’audience. Il offrait aussi de comparaître brièvement le 6 mai pour fournir des explications, si cela était nécessaire.

[21]           Le 1er mai 2013, la Commission a rejeté la demande de report de l’audience. Elle a jugé que les demanderesses s’étaient montrées peu empressées de faire avancer leurs demandes d’asile, et fait observer qu’elles avaient eu plus d’un an pour engager un avocat et prendre leurs dispositions en vue de l’audience. Le président de l’audience a aussi conclu que les demanderesses n’avaient pas invoqué de circonstances exceptionnelles susceptibles de justifier un report.

[22]           Les demanderesses n’ont produit aucun affidavit de l’avocat qui avait sollicité le report en leur nom, ni n’ont prétendu qu’il ne les avait pas informées en temps opportun que leur demande de report avait été refusée. Rien ne donne non plus à penser que l’avocat ait dit aux demanderesses qu’il n’était pas nécessaire qu’elles se présentent le 6 mai 2013 à l’audience relative à leurs demandes d’asile.

[23]           Ce que disent les demanderesses, c’est que, se fondant sur ce que lui avait indiqué Enas, Mme Al Atawnah avait cru comprendre que la date de l’audience serait modifiée et qu’il ne lui était pas nécessaire de se présenter devant la Commission le 6 mai 2013. Ce n’est que peu après le 6 mai, date prévue de l’audience, que Mme Al Atawnah a reçu par la poste une copie de la décision de la Commission du 1er mai 2013 refusant le report de l’audience. Cette correspondance informait Mme Al Atawnah que la Commission tiendrait le 27 mai 2013 une audience sur le désistement.

[24]           Une audience sur le désistement a pour objet de « de déterminer, compte tenu de l’ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, si le comportement du demandeur suggérait clairement un désir ou une intention de ne pas poursuivre sa revendication » : Gonzalez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1248 au paragraphe 21, [2009] ACF no 1600; Sarran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 62 au paragraphe 4, [2014] ACF no 235.

[25]           Mme Al Atawnah s’est présentée à l’audience du 27 mai 2013 sur le désistement, sans être assistée d’un conseil, et a tenté d’expliquer pourquoi la Commission ne devrait pas conclure au désistement des demandes d’asile déposées par sa famille. L’avocat actuel des demanderesses affirme que Mme Al Atawnah avait informé le commissaire qu’elle était alors prête à donner suite aux demandes d’asile. Cependant, l’affidavit de Mme Al Atawnah est silencieux sur ce point, et les motifs de la Commission ne donnent nulle part à penser que tel était le cas.

[26]           Le commissaire n’a pas accepté les raisons données par Mme Al Atawnah pour justifier son absence à l’audience du 6 mai et a conclu au désistement des demandes d’asile de la famille. La Commission a remis à Mme Al Atawnah une copie de sa décision, qui l’informait du droit de la famille de présenter une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de désistement. Toutefois, les demanderesses n’ont pas sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, et il s’est passé quelque huit mois sans qu’elles prennent la moindre mesure.

III.             Les événements postérieurs à la décision de désistement rendue par la Commission

[27]           Mme Al Atawnah écrit dans son affidavit que, même après avoir reçu la décision de désistement, elle n’avait pas encore compris que les demandes d’asile de sa famille ne seraient pas examinées. Elle dit aussi que, si elle n’a pas cherché à consulter l’avocat à propos de la décision de désistement, c’est parce qu’il lui avait expliqué clairement que ses services n’avaient pas été retenus pour la représenter, elle et ses enfants.

[28]           Les demanderesses n’ont toutefois donné aucune information sur le sort de leur demande d’aide juridique. Elles n’ont pas non plus donné à entendre qu’elles s’étaient efforcées de savoir où en était cette demande d’aide juridique relative à leurs demandes d’asile, lesquelles, d’après ce que croyait Mme Al Atawnah, demeuraient actives. Il n’apparaît pas non plus que les demanderesses se sont efforcées de trouver un autre avocat pour les représenter.

[29]           Mme Al Atawnah dit que ce n’est qu’en décembre 2013, quand elle a reçu du Centre d’exécution de la loi du Grand Toronto un avis de convocation pour une entrevue avant renvoi, qu’elle s’est finalement rendu compte de ce qui se passait. Même là, il semble qu’elle n’a pas cherché à se renseigner sur ce qu’il en était de sa demande d’aide juridique ou à se faire représenter par un avocat.

[30]           À sa deuxième entrevue avant renvoi tenue le 8 janvier 2014, Mme Al Atawnah a fait part aux fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada du sentiment de peur qu’elle éprouvait à l’idée de retourner en Israël, ce qui a conduit l’ASFC à la détenir au motif qu’elle n’allait probablement pas se présenter pour son renvoi. L’ASFC lui a aussi remis une convocation l’informant qu’elle‑même et sa famille seraient renvoyées du Canada le 26 janvier 2014.

[31]           Après le dépôt d’un cautionnement par des membres de la communauté, Mme Al Atawnah a été relâchée. Elle a alors engagé son avocat actuel, qui a déposé une demande de report du renvoi de la famille jusqu’à ce que les risques que la famille disait courir en Israël puissent être [traduction« examinés comme il convient par un décideur compétent ». L’avocat a aussi déposé une demande d’ERAR urgente, et introduit la présente demande de contrôle judiciaire contestant le régime établi par la loi, ainsi qu’une deuxième demande à l’encontre du présumé rejet de la demande de report. Ces demandes étaient accompagnées de requêtes en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre les demanderesses.

[32]           Les documents déposés par les demanderesses à l’appui des requêtes en sursis d’exécution font état d’une autre requête visant la réouverture des demandes d’asile. Il semble toutefois qu’aucune requête du genre n’ait été déposée, et les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi elle cela n’a pas été fait.

[33]           Le 21 janvier 2014, un agent d’exécution a conclu qu’un report d’exécution de la mesure de renvoi n’était pas justifié.

[34]           J’examinerai d’une manière assez détaillée les motifs de la décision de l’agent d’exécution étant donné que l’étendue des pouvoirs de l’agent est en cause dans la présente instance. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent, mais d’une contestation constitutionnelle du régime législatif. Les demanderesses n’ont jamais modifié leur demande de contrôle judiciaire du présumé refus de leur demande de report pour y englober la décision de l’agent d’exécution, ni n’ont mis en état leur demande de contrôle judiciaire du présumé refus, de sorte que la décision de l’agent d’exécution est maintenant définitive.

[35]           Il ressort clairement d’un examen des motifs de l’agent que celui‑ci doutait de la véracité de certains aspects du récit de Mme Al Atawnah, notamment de l’explication qu’elle avait donnée des circonstances ayant conduit la Commission à conclure au désistement des demandes d’asile déposées par la famille.

[36]           L’agent était conscient que les demanderesses [traduction« n’avaient pas bénéficié d’un examen des risques effectué par un décideur compétent », mais il a conclu que la famille avait néanmoins bénéficié d’une « application régulière du processus judiciaire », et que c’était les propres actes de Mme Al Atawnah, voire son inaction, qui avaient conduit la Commission à conclure au désistement des demandes d’asile de la famille.

[37]           L’agent a relevé qu’en vertu de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, les demanderesses n’allaient être admissibles à un ERAR qu’en mai 2016. Il a aussi fait observer qu’il ne lui appartenait pas de procéder à un [traduction« ERAR complémentaire ». Cependant, il a ensuite examiné d’une manière assez détaillée les risques allégués par les demanderesses.

[38]           Il s’est demandé pourquoi le mari et le fils de Mme Al Atawnah étaient restés en Israël s’il existait une grave menace pour la sécurité de la famille. Il a aussi relevé que le rapport de police déposé comme preuve des risques allégués par les demanderesses était signé par la sœur de Mme Al Atawnah, et non par Mme Al Atawnah. Il s’est aussi demandé pourquoi Mme Al Atawnah prétendait craindre d’être tuée à l’aéroport à son arrivée en Israël, puisque ses frères n’auraient aucun moyen de connaître la date de son retour du Canada à moins qu’elle ne la leur révèle elle‑même.

[39]           L’agent a fait observer que son [traduction« pouvoir discrétionnaire [était] extrêmement restreint » et qu’il « ne lui appartenait pas d’évaluer le fond d’une décision de la SPR ». Il a aussi jugé [traduction« insuffisantes les preuves nouvelles et tangibles » censées montrer que les demanderesses risquaient la mort, ou seraient exposées des sanctions excessives ou à un traitement inhumain si elles devaient être renvoyées en Israël.

[40]           L’agent avait connaissance de l’affirmation de Mme Al Atawnah selon laquelle elle n’a jamais voulu se désister des demandes d’asile de sa famille. Cependant, il a relevé que c’était à elle qu’il incombait de faire preuve de diligence raisonnable, et il n’était pas persuadé que la barrière linguistique constituait une explication satisfaisante du fait que Mme Al Atawnah ne comprenne pas ce qu’il en était des demandes d’asile de sa famille. La demande de report du renvoi de la famille a donc été refusée.

[41]           Le 24 janvier 2014, la Cour a rejeté les requêtes des demanderesses en sursis d’exécution de la mesure de renvoi, le juge McVeigh ayant jugé que ni l’une ni l’autre de leurs demandes de contrôle judiciaire ne soulevaient une question sérieuse. La famille a été renvoyée du Canada le 26 janvier 2014. Les demanderesses affirment avoir vécu dans la clandestinité depuis leur retour en Israël et être exposées à une menace constante pour leurs vies.

[42]           Le 27 janvier 2014, leur demande visant à ce que soit effectué sans délai un ERAR a été retournée à leur avocat, accompagnée d’une lettre les informant que la famille n’était pas admissible à un ERAR en raison de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR.

[43]           La demande de contrôle judiciaire déposée par les demanderesses à l’encontre du présumé refus de l’agent de reporter leur renvoi a été rejetée le 28 mars 2014 parce que les demanderesses avaient négligé de mettre la demande en état. Toutefois, les demanderesses ont par la suite mis cette demande en état, et la Cour a accordé la demande d’autorisation le 9 janvier 2015. Un avis de question constitutionnelle contestant l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR a plus tard été signifié par les demanderesses conformément aux dispositions de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

[44]           Mme Al Atawnah persiste à dire qu’elle n’a jamais voulu se désister des demandes d’asile de sa famille et que le processus l’avait déconcertée parce qu’elle n’était pas à l’aise en anglais, qu’elle n’était pas représentée par un avocat, et qu’elle s’était fiée à l’avis de sa sœur.

[45]           Comme indiqué précédemment, la Commission et l’agent d’exécution ont tous deux conclu que Mme Al Atawnah avait montré peu d’empressement à faire avancer les demandes d’asile de sa famille, et ces deux décisions sont maintenant définitives. Il est cependant important de faire observer que ni l’un ni l’autre des décideurs n’ont conclu que Mme Al Atawnah avait compris que son absence à l’audience du 6 mai 2014 risquait d’avoir pour résultat le renvoi de sa famille sans qu’un décideur compétent n’examine pleinement les risques qu’elle courait. Ni l’un ni l’autre des décideurs n’ont conclu non plus que Mme Al Atawnah avait, de façon délibérée, voulu se désister des demandes d’asile de sa famille.

IV.             Le redressement sollicité par les demanderesses

[46]           Par la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisie, les demanderesses sollicitent le redressement suivant :

1.                  un jugement déclaratoire portant que leur renvoi du Canada vers Israël, un pays où elles disent être exposées à un risque, contrevient à l’article 7 de la Charte, à l’article 3 de la LIPR, et aux obligations internationales du Canada parce qu’un décideur compétent n’a pas effectué un examen des risques conforme aux exigences de la justice fondamentale;

2.                  un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR [traduction« est inopérant dans la présente espèce, en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 », parce qu’il porte atteinte aux droits qu’elles tirent de l’article 7 de la Charte, du fait qu’il les prive d’un examen des risques adéquat, effectué par un décideur compétent, conformément aux exigences de la justice fondamentale, ce qui a pour effet de les exposer à un risque d’être soumises à la torture, à des traitements cruels, inhumains et dégradants et à une menace pour leurs vies;

3.                  un bref de mandamus enjoignant au ministre de faire revenir les demanderesses au Canada, aux frais des défendeurs, dans l’exercice du pouvoir de réparation que le paragraphe 24(1) de la Charte ou le paragraphe 52(2) de la LIPR confère à la Cour.

V.                Norme de contrôle

[47]           Dans un cas comme celui‑ci, la norme de contrôle est présumée être celle de la décision correcte : Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129 au paragraphe 30, [2015] ACF no 638; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 58, [2008] 1 RCS 190.

VI.             Analyse

[48]           Le principe de non‑refoulement inscrit dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] 189 RTNU 137, RTCan. 1969 no 6 (entrée en vigueur le 22 avril 1954) interdit le renvoi de réfugiés vers des pays où ils risquent d’être victimes de violations des droits de la personne : Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56 au paragraphe 19, [2010] 3 RCS 281. Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 au paragraphe 44, [2002] 1 RCS 3, l’expulsion d’un réfugié vers un pays où il risque la torture peut aussi constituer une violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte.

[49]           L’article 7 de la Charte dispose que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ».

[50]           C’est aux demanderesses qu’il appartient de prouver qu’il y a eu atteinte à leurs droits constitutionnels : Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35 au paragraphe 30, [2005] 1 RCS 791. Cette atteinte doit être démontrée suivant la prépondérance des probabilités : (Premier ministre) c Khadr, 2010 CSC 3 au paragraphe 21, [2010] 1 RCS 44.

[51]           Selon ce que je comprends, les parties s’accordent pour dire que le critère à appliquer pour déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 7 de la Charte est le critère en deux volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans des précédents tels que Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84 aux paragraphes 75‑76, 81, [2002] 4 RCS 429, et R. c Malmo‑Levine, 2003 CSC 74 au paragraphe 83, [2003] 3 RCS 571. Plus précisément, les demanderesses doivent démontrer :

1.                  que la mesure étatique en cause a pour effet de les priver de leur droit à la vie, à la liberté et à la sécurité;

2.                  si tel est le cas, que cette privation va à l’encontre des principes de justice fondamentale.

[52]           Il ne me semble pas que les défendeurs nient que les droits que les demanderesses tirent de l’article 7 sont concernés par le régime législatif. Les défendeurs ne prétendent pas non plus que, en se désistant de leurs demandes d’asile, les demanderesses ont renoncé au droit qu’elles pouvaient avoir de faire évaluer, dans le cadre d’un ERAR, les risques qu’elles couraient. Je comprends d’ailleurs que les parties s’accordent pour dire que les principes de justice fondamentale requièrent que les étrangers au Canada qui affirment être exposés à un risque de mort, de subir la torture ou d’être soumis à des traitements cruels ou inhumains ou à des sanctions excessives se voient offrir l’occasion de faire examiner, avant leur renvoi, les risques qu’ils disent courir. L’aspect qui divise les parties concerne le point de savoir si le régime législatif, plus précisément l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, s’accorde avec les principes de justice fondamentale.

[53]           Selon les défendeurs il faut répondre par l’affirmative, puisque les demanderesses ont effectivement eu l’occasion de faire examiner par la SPR, avant leur renvoi, les risques qu’elles disaient courir, mais, qu’à cet égard, elles n’ont pas agi avec diligence raisonnable.

[54]           Les demanderesses soutiennent, quant à elles, que, selon les principes de justice fondamentale, un fonctionnaire compétent se devait, avant leur renvoi, d’effectuer un examen complet des risques qu’elles disaient courir, et de leur accorder le temps nécessaire pour leur permettre de lui exposer leur cas (y compris, si nécessaire, un sursis provisoire à l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre elles), et que leur crédibilité ne doit pas être mise en doute sans qu’une audience ait lieu.

[55]           Les demanderesses affirment que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est arbitraire et de portée excessive, ajoutant que son effet sur des personnes comme elles est totalement disproportionné par rapport aux intérêts étatiques que le texte législatif vise à protéger.

[56]           Une loi peut être considérée comme « arbitraire » lorsqu’il n’y a aucun lien direct entre son objet et les limites qu’elle pose à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne : Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 au paragraphe 111, [2013] 3 RCS 1101. Une loi peut être considérée « de portée excessive » lorsqu’elle « s’applique si largement qu’elle vise certains actes qui n’ont aucun lien avec son objet » : Bedford, précité, au paragraphe 112. Une loi est « totalement disproportionnée » si ses effets sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne sont « si totalement disproportionnés à ses objectifs qu’ils ne peuvent avoir d’assise rationnelle » : Bedford, précité, au paragraphe 120.

[57]           Bien qu’ils puissent y avoir un « chevauchement important » entre ces trois principes, en définitive, la question est de savoir s’il s’agit d’un cas où la loi [traduction] « n’est pas suffisamment liée à son objectif ou, dans un certain sens, […] va trop loin pour l’atteindre » : Bedford, précité, au paragraphe 107, citant Hamish Stewart, Fundamental Justice: Section 7 of the Canadian Charter of Rights and Freedoms (Toronto : Irwin Law, 2012), page 151.

[58]           L’alinéa 112(2)b.1) faisait partie d’un ensemble de modifications apportées à la LIPR à la suite de l’entrée en vigueur, le 29 juillet 2012, de la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés, LC 2010, c 8. Les parties conviennent que la promulgation de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR avait pour objet de simplifier le processus de reconnaissance du statut de réfugié, de faire barrage à une multiplicité d’examens des risques, de prévenir l’abus du système de protection des réfugiés et d’accélérer les renvois.

[59]           Les demanderesses soutiennent que le texte législatif a une portée excessive, puisque leur cas n’ouvrait pas la porte à une multiplicité d’examens des risques, étant donné qu’elles n’avaient jamais bénéficié d’un examen des risques avant que l’agent d’exécution n’étudie la demande de report de leur renvoi.

[60]           Les demanderesses concèdent toutefois que le fait de différer des renvois pour permettre que des personnes réputées s’être désistées de leurs demandes d’asile fassent l’objet d’un ERAR retarderait inévitablement le processus des renvois. Certes, elles affirment que ces examens des risques pourraient se faire dans un court laps de temps (de façon à éviter de retarder les processus de renvois), mais l’on ne saurait pour autant dire que l’interdiction relative à l’ERAR est sans rapport avec la volonté du législateur d’accélérer les renvois et de simplifier le processus. L’alinéa 112(2)b.1) n’a donc pas une portée excessive.

[61]           Les demanderesses affirment que l’interdiction d’une durée de 36 mois imposée à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est arbitraire. D’après elles, les délais de 12 mois et de 36 mois supposent que les conditions qui ont cours dans le pays et qui ont déjà été examinées ont peu de chance d’évoluer à l’intérieur de telles périodes. Cependant, si aucune évaluation des risques n’a été faite, les conditions qui ont cours dans le pays d’origine de l’intéressé seront probablement les mêmes le lendemain du désistement présumé de sa demande d’asile et dans 12 ou 36 mois.

[62]           Il ressort de ce qui précède que ce que contestent les demanderesses ce n’est pas la durée de l’interdiction relative à l’ERAR, mais l’existence même de l’interdiction. Il existe manifestement un lien rationnel entre l’interdiction faite aux personnes qui se sont désistées de leurs demandes d’asile de présenter une demande d’ERAR et les limites que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR impose aux droits que l’article 7 confère aux demanderesses.

[63]           La question plus difficile est celle de savoir si l’effet de l’alinéa 112(2)b.1) sur des personnes telles que les demanderesses est totalement disproportionné par rapport aux intérêts étatiques que la disposition vise à protéger.

[64]           Selon les demanderesses, l’effet de cette disposition est totalement disproportionné, car les risques auxquels elles sont exposées l’emportent sur les modestes gains d’efficacité qu’a pu apporter la promulgation de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR.

[65]           Les demanderesses font remarquer que, dans la décision Ragupathy c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370 au paragraphe 27, 303 FTR 178, la Cour faisait observer qu’« un examen des risques effectué en temps opportun est une mesure adoptée par le Canada afin d’éviter que des personnes soient expulsées vers un pays où elles seraient torturées ou maltraitées ». La Cour ajoutait que « l’examen des risques avant renvoi est le moyen par lequel il est donné effet à l’article 7 de la Charte et à différents instruments internationaux de défense des droits de la personne auxquels le Canada est partie » : paragraphe 27.

[66]           Cependant, ni la Convention sur les réfugiés, ni la jurisprudence relative à l’article 7 de la Charte n’imposent une structure ou une procédure particulière pour l’examen des demandes d’asile fondées sur l’existence de risques : Toth c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1051 au paragraphe 2, 417 FTR 279. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 au paragraphe 20, [2007] 1 RCS 350, « [l’]article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause ». Toutefois, l’équité procédurale n’exige pas un processus parfait : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37 au paragraphe 43, [2014] 2 RCS 33.

[67]           La question qui se pose est donc celle de savoir si les processus auxquels pouvaient recourir les demanderesses étaient suffisants pour protéger les droits qu’elles tirent de l’article 7 de la Charte. Je partage l’avis des défendeurs selon lequel, pour répondre à cette question, nous ne pouvons considérer isolément l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR, et que nous devons plutôt prendre en compte le système dans son entier : Németh, précité, au paragraphe 51.

[68]           Les demanderesses affirment que, puisqu’il n’y a pas eu d’examen des risques auparavant, elles étaient fondées à faire examiner les risques qu’elles couraient par un « décideur compétent », tel un agent d’ERAR. L’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR leur refuse le droit à un ERAR, et les agents d’exécution n’ont pas le mandat d’examiner les risques allégués, ni ne sont formés pour cela, et ils ne sont pas non plus en position de se prononcer sur la vraisemblance de tels risques.

[69]           Au soutien de leur argument, les demanderesses signalent le Bulletin opérationnel de l’ASFC, qui prévoit que l’agent d’exécution « NE doit PAS procéder à un examen approfondi du risque allégué, ni décider si la personne court ou non un risque » [souligné dans l’original]. Au lieu de cela, les agents doivent plutôt considérer et examiner, s’agissant des risques, les éléments de preuve présentés, et ils doivent décider si le report du renvoi est justifié en vue de permettre un examen complet des risques.

[70]           Les demanderesses font observer que les décisions consécutives aux demandes de report doivent souvent être prises à l’intérieur de délais très serrés, les agents d’exécution ayant peu de marge de manœuvre pour considérer les importants intérêts en jeu. Il en est ainsi en partie depuis la modification apportée au paragraphe 48(2) de la LIPR, qui oblige maintenant les agents d’exécution à procéder au renvoi « dès que possible », plutôt que « dès que les circonstances le permettent », comme c’était auparavant le cas.

[71]           Les demanderesses ne donnent toutefois pas à entendre qu’elles ont manqué de temps pour préparer la demande de report de leur renvoi, et elles n’ont pas non plus signalé d’éléments de preuve ou d’arguments qu’elles n’auraient pas, faute de temps, été en mesure de présenter à l’agent d’exécution.

[72]           Elles reconnaissent aussi que la Cour a déjà jugé que l’« interdiction relative à l’ERAR » prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est valide au plan constitutionnel : voir la décision Peter c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 1073, [2014] ACF no 1132, où il s’agissait d’une contestation constitutionnelle de l’alinéa 112(2)b.1), présentée dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision d’un agent d’exécution qui avait refusé à M. Peter le report de son renvoi vers le Sri Lanka.

[73]           Les demanderesses affirment que la présente affaire est très différente de l’affaire Peter, car il n’y a eu, en ce qui les concerne, aucun examen des risques qu’elles disent courir, tandis que la demande d’asile du demandeur, dans l’affaire Peter, avait déjà été entendue, et que la question à laquelle devait répondre l’agent d’exécution était de savoir [traduction« s’il exist[ait] une preuve nouvelle, concluante et suffisante que le demandeur serait exposé à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitements inhumains » : Peter, paragraphe 254.

[74]           Toutefois, une lecture de la décision Peter montre que, au moment d’examiner si l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR portait atteinte aux droits conférés à M. Peter par l’article 7, la Cour s’est attardée sur le rôle exercé par les agents d’exécution lorsqu’ils évaluent la preuve nouvelle d’un risque allégué au stade du renvoi, notamment celle se rapportant à des risques qui n’avaient pas jusque‑là fait l’objet d’un examen des risques en bonne et due forme : voir par exemple les paragraphes 246‑247, 254, 262 et 266.

[75]           L’un des points à décider dans l’affaire Peter était de savoir si l’évolution de la situation au Sri Lanka après la fin de la guerre civile avait fait naître un risque nouveau et différent, plus élevé que celui qu’avait examiné la Section de la protection des réfugiés. La question était donc de savoir si le demandeur était exposé à un risque au Sri Lanka en raison des conditions qui avaient cours à ce moment‑là dans le pays. Certes, M. Peter avait eu droit à une audience sur sa demande d’asile, mais la SPR n’avait pas étudié la situation des Tamouls au Sri Lanka à la date de la demande de contrôle judiciaire.

[76]           Qui plus est toutefois, pour ce qui nous concerne, M. Peter avait aussi, dans sa demande de report de son renvoi, fait état d’un facteur de risque qu’il n’avait pas soulevé devant la SPR et qui n’avait donc pas été examiné par la Commission. Plus précisément, M. Peter affirmait pour la première fois dans sa demande de report qu’il serait exposé à un grave préjudice au Sri Lanka parce qu’il avait travaillé comme chauffeur pour une organisation non gouvernementale. Prétendument sur les conseils de son interprète, M. Peter n’avait pas, dans son FRP ni au cours de l’audience, évoqué son emploi au sein de l’ONG ni les difficultés qu’il avait rencontrées en conséquence de cet emploi : Peter, précité, au paragraphe 14.

[77]           Ainsi, contrairement à ce qu’ont affirmé les demanderesses devant moi, le juge Annis a bel et bien considéré un scénario où un agent d’exécution agirait comme l’unique examinateur d’un facteur de risque. La SPR avait examiné certains des risques allégués par le demandeur dans l’affaire Peter, mais il n’y avait jamais eu, avant que la question ne soit soulevée devant l’agent d’exécution, d’examen du risque auquel M. Peter disait être exposé au Sri Lanka en conséquence de son travail de chauffeur pour une ONG.

[78]           Ayant conclu que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR ne portait pas atteinte aux droits visés à l’article 7 de la Charte, la Cour a fait observer dans la décision Peter que les agents d’exécution pouvaient examiner une preuve nouvelle de risque et que [traduction« de façon générale, l’existence des processus de renvois apporte une réponse définitive à la contestation de la validité constitutionnelle de l’alinéa 112(2)b.1) » : précité, au paragraphe 86.

[79]           Cette conclusion s’accorde avec la jurisprudence relative au rôle que jouent les agents d’exécution lorsqu’ils examinent des risques allégués qui n’ont pas déjà été examinés. Ainsi, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 aux paragraphes 43‑44, [2012] 2 RCF 133, la Cour d’appel fédérale a jugé que les agents d’exécution étaient tenus d’examiner les risques qui ne l’avaient pas déjà été si tels risques exposaient le demandeur « à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » : voir aussi la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148 au paragraphe 48, [2001] 3 CF 682.

[80]           La Cour d’appel fédérale relevait, dans l’arrêt Shpati, que le demandeur n’avait pas apporté la preuve d’un risque nouveau qui n’avait pas été examiné dans l’ERAR. Elle en a déduit que « si M. Shpati avait présenté de nouveaux éléments de preuve, l’agent se serait demandé si ces éléments de preuve justifiaient un report et […] il aurait exercé son pouvoir discrétionnaire en conséquence » : paragraphe 41. Elle a fait observer qu’une telle approche s’accordait avec son arrêt antérieur, Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 RCF 311, et qu’il s’agissait là « d’un énoncé exact du droit » : Shpati, précité, au paragraphe 42.

[81]           La Cour d’appel fédérale a donc conclu qu’il incombait aux agents d’exécution d’évaluer la suffisance des éléments de preuve produits par un demandeur d’asile souhaitant le report de son renvoi, de manière à permettre un examen intégral des risques dans les cas où est allégué un risque nouveau qui n’a pas été déjà examiné. D’ailleurs, comme le juge Zinn le faisait observer dans la décision Etienne c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2015 CF 415, [2015] ACF no 408, le risque que l’agent d’exécution doit examiner ne se limite à un « nouveau » risque, c’est‑à‑dire un risque allégué après une décision relative à la demande d’asile ou après une autre instance. L’agent d’exécution « est également tenu de prendre en compte […] les risques qui n’ont jamais été examinés par un organe compétent » : paragraphe 54. Voir aussi la décision Toth, précitée, au paragraphe 23.

[82]           L’agent d’exécution peut donc reporter un renvoi pour permettre un examen complet des risques lorsqu’un demandeur sur le point d’être renvoyé apporte une preuve suffisante de l’existence d’un risque sérieux dans son pays d’origine et que ce risque n’a pas déjà été examiné. En revanche, si l’agent d’exécution refuse de reporter le renvoi et que le demandeur estime qu’il s’est fourvoyé dans son évaluation de la preuve d’un risque nouveau, ou qu’il l’a par ailleurs traité injustement de telle sorte qu’il y a eu violation des droits qu’il tire de l’article 7 de la Charte, il peut introduire devant la Cour une procédure de contrôle judiciaire de la décision de l’agent et déposer une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire.

[83]           Cette approche est maintenant intégrée dans le Bulletin opérationnel de l’ASFC, PRG‑2014‑22, intitulé Procédures relatives à la considération de nouvelles allégations de risque par un agent dans le cadre d’une demande pour reporter un renvoi. Selon ce bulletin, l’agent d’exécution ne doit pas procéder à un examen approfondi du risque allégué, mais plutôt examiner les éléments de preuve qui lui ont été présentés, pour décider si un report est nécessaire afin de permettre un examen fondé sur des raisons d’ordre humanitaire aux termes de l’article 25.1 de la LIPR.

[84]           La preuve sera difficile à apporter pour la plupart des demandeurs cherchant à faire reporter leur renvoi, car les risques qu’ils invoqueront auront déjà été examinés d’une manière approfondie par la Section de la protection des réfugiés (et peut‑être aussi par la Section d’appel des réfugiés), ou par un agent d’ERAR, ou les deux : Peter, précitée, au paragraphe 256. La preuve d’une importante évolution de la situation ou de l’apparition d’un risque entièrement nouveau sera donc en général requise pour que soit établie la nécessité d’un examen complet des risques.

[85]           Toutefois, ceux dont les risques allégués n’ont jamais été examinés (telles les demanderesses dans la présente espèce) n’auront pas autant de difficulté à démontrer que les faits qu’ils invoquent constituent un risque nouveau. Lorsqu’un examen des risques n’a pas déjà été effectué, quasiment tout risque allégué par un tel demandeur pourrait être considéré comme « nouveau ». C’est à l’agent d’exécution qu’il appartiendra de dire si la preuve de ce risque est « suffisante ».

[86]           L’examen par un agent d’exécution d’une demande de report n’est pas non plus la seule voie qui s’offre aux personnes qui se trouvent dans la position des demanderesses. Elles peuvent aussi compter sur le pouvoir de surveillance que la Cour exerce par le biais de la procédure de sursis d’exécution. Comme le faisait observer le juge Annis dans la décision Peter, précitée, [traduction« la fonction de surveillance exercée par la Cour fédérale rend d’autant plus fiables les décisions de l’agent d’exécution » : paragraphe 271. Le juge Annis a conclu que cette fonction de surveillance [traduction« atténue dans une grande mesure les doutes que peut avoir le demandeur en ce qui concerne la compétence ou les normes juridiques » : Peter, précitée, au paragraphe 271. Comme le faisait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shpati, précité, au paragraphe 51, la Cour est souvent en mesure d’étudier une demande de sursis d’exécution d’une manière plus approfondie qu’un agent d’exécution ne sera en mesure d’étudier une demande de report.

[87]           En outre, comme le faisait observer le juge Annis dans la décision Peter, le rôle de la Cour fédérale [traduction« s’étend non seulement à l’examen de points de droit, telle la nature théorique de la procédure introduite, ou encore des questions relatives à la Charte, mais aussi, de toute évidence, à la question de savoir si la décision de l’agent concernant le risque est ou non raisonnable » : paragraphe 175.

[88]           Comme le juge Zinn le faisait également observer dans la décision Toth, précitée, au paragraphe 24, si des preuves claires et convaincantes que le demandeur court un risque réel de préjudice ont été présentées au soutien d’une demande de report, le demandeur « peut persuader un juge de la Cour du fait que sa demande de contrôle judiciaire visant le rejet de sa demande de report est susceptible d’être accueillie ». Subsidiairement, le demandeur « peut convaincre un juge qu’il dispose d’une preuve prima facie établissant que son renvoi portera atteinte à son droit à la liberté, à la sécurité et peut‑être à la vie qui est garanti à l’article 7 de la Charte ». Le juge Zinn concluait qu’« aucune de ces options n’implique que la limitation du droit à un ERAR prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est inconstitutionnelle ». À son avis, « le fait qu’un demandeur qui ne peut se prévaloir du processus d’ERAR à cause de l’interdiction de 12 mois [ou de 36 mois dans le cas qui nous occupe] dispose de ces autres solutions permet fortement de croire au contraire que l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR n’est pas inconstitutionnel » : paragraphe 24 (italiques ajoutés).

[89]           Biens que les commentaires du juge Zinn dans la décision Toth s’inscrivent dans le contexte d’une ordonnance rejetant une requête en sursis d’exécution et qu’ils doivent être considérés dans ce contexte, je suis d’avis que le raisonnement du juge Zinn est convaincant.

[90]           Comme le juge Annis le faisait observer dans la décision Peter, les agents d’exécution sont tenus d’évaluer la suffisance de la preuve fournie relativement au risque de préjudice auquel serait exposé le demandeur : paragraphes 247 et 266. Si un demandeur est en mesure d’apporter des preuves convaincantes d’un risque qui n’a pas été déjà fait l’objet d’un examen, un report du renvoi sera accordé afin que le risque en question puisse être dûment évalué.

[91]           C’est logique. On peut facilement imaginer les risques d’abus qu’engendrerait le fait que les demandeurs aient automatiquement le droit de faire reporter leur renvoi du Canada pour permettre la tenue d’un ERAR dès lors qu’ils allègueraient un risque nouveau qui n’a pas déjà fait l’objet d’un examen. Ce droit automatique aurait pour effet d’inciter les demandeurs d’asile à alléguer des risques à la pièce, plutôt que d’une manière globale au cours du processus de détermination du statut de réfugié, ou du processus d’ERAR, et cela pour retarder leur renvoi du Canada. Il est donc tout à fait raisonnable d’exiger que ceux qui allèguent des risques nouveaux à la toute dernière minute soient en mesure de fournir des preuves suffisantes avant que leur renvoi du Canada ne soit reporté.

[92]           Les demanderesses se plaignent également de la manière dont l’agent d’exécution a apprécié les preuves qu’elles ont apportées à propos du risque auquel elles disaient être exposées en Israël. Selon elles, l’agent n’a pas respecté les principes de justice fondamentale au cours des processus des renvois en ce qu’il a de façon voilée mis en doute la véracité de certains aspects de leur récit, et qu’il les a traitées injustement en leur refusant l’occasion de dissiper ses doutes.

[93]           Je reconnais avec les demanderesses que les agents d’exécution devraient se limiter à évaluer la suffisance des preuves qui leur ont été présentées et éviter de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur, de façon voilée ou non, sur le fondement d’observations écrites. La Cour suprême a jugé que, eu égard aux importants intérêts en jeu dans les demandes d’asile fondées sur l’existence de risques, lorsque se pose une question importante de crédibilité, « la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition » : Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 1 RCS 177 au paragraphe 59, [1985] ACS no 11.

[94]           Cela dit, il faut là encore garder à l’esprit que la présente demande n’est pas une demande de contrôle judiciaire du bien‑fondé de la décision de l’agent d’exécution de refuser le report du renvoi des demanderesses. La question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir s’il y a eu atteinte aux droits que les demanderesses tirent de l’article 7 de la Charte en raison de la manière dont l’agent d’exécution a évalué la preuve du risque qu’elles alléguaient, mais plutôt de savoir si l’interdiction relative à l’ERAR prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est invalide au plan constitutionnel.

[95]           Pour répondre à cette question, il faut examiner la structure législative tout entière, et se demander si les processus que la loi offre aux demanderesses suffisent à protéger les droits qui leur sont conférés par l’article 7 de la Charte. En prétendant que l’agent d’exécution a en l’espèce commis une erreur parce qu’il a refusé de les croire sans d’abord leur donner l’occasion de dissiper ses doutes, les demanderesses cherchent en réalité à contester indirectement la décision de l’agent d’exécution, qui est maintenant définitive.

VII.          Dispositif

[96]           Comme je l’écrivais plus haut, la Cour a déjà jugé, dans la décision Peter, que l’interdiction relative à l’ERAR établie par l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte. Les demanderesses affirment que l’affaire Peter se distingue de la présente espèce car, dans la première, la SPR avait déjà examiné les risques auxquels le demandeur était exposé, tandis que, dans l’affaire qui nous concerne ici, l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR autorisait le renvoi des demanderesses sans qu’un décideur compétent n’ait effectué un examen des risques auxquels elles étaient exposées dans leur pays d’origine.

[97]           Toutefois, de nouvelles allégations de risque peuvent de diverses manières être portées à l’attention des agents d’exécution. Comme c’est le cas en l’espèce, des allégations de risque peuvent être soulevées au stade du renvoi par des demandeurs d’asile n’ayant jamais fait l’objet d’un examen des risques. Subsidiairement, comme c’était le cas dans l’affaire Peter, des demandeurs d’asile déboutés dont la SPR a déjà examiné les risques pourront, au stade du renvoi, alléguer des risques entièrement nouveaux. Ou, comme c’était également le cas dans l’affaire Peter, un demandeur d’asile débouté pourra demander à un agent de reporter son renvoi en raison de nouvelles conditions dans son pays d’origine qui selon lui l’exposeraient à un risque plus sérieux que celui qu’il courait à l’époque où la situation a été examinée dans le cadre de sa demande d’asile.

[98]           Au bout du compte cependant, chacune de ces situations soulève au final la même question, celle de savoir si le renvoi d’un demandeur d’asile sans qu’un agent d’ERAR n’ait au préalable examiné un nouveau facteur de risque porte atteinte aux droits que lui confère l’article 7 de la Charte. La Cour a déjà jugé dans la décision Peter que tel n’est pas le cas, et, en dépit des observations habiles et bien pesées de l’avocat des demanderesses, je n’ai pas été persuadée que je devrais arriver à une conclusion autre dans la présente affaire, malgré les circonstances différentes dans lesquelles se pose la question relative à la Charte.

[99]           Certes, j’admets que la nature et l’importance des droits en jeu dans des affaires comme celle‑ci montrent la nécessité de sauvegardes procédurales solides. Je reconnais aussi que les agents d’exécution n’ont pas pour mandat d’effectuer des examens complets des risques, qu’aucune disposition ne prévoit la tenue d’une audience au stade du renvoi, et qu’il n’existe aucun droit d’en appeler d’une décision refusant le report d’un renvoi. Cela dit, l’une des responsabilités essentielles d’un agent d’exécution consiste à évaluer la suffisance des nouvelles preuves, le cas échéant, et à se demander s’il convient de recourir au processus d’examen des risques. Les demanderesses n’ont pas démontré qu’il y a des raisons de croire que les agents d’exécution ne sont pas en mesure de s’acquitter de cette tâche.

[100]       Par ailleurs, on ne saurait considérer isolément le processus des reports au moment de se demander si le régime législatif respecte les droits que la Charte confère aux demanderesses. Après examen du régime dans son ensemble, je conclus que le renvoi des demanderesses du Canada a été effectué selon un régime législatif qui respecte les droits que leur confère l’article 7 de la Charte et que, au plan constitutionnel, elles n’avaient pas droit à un ERAR avant d’être renvoyées.

[101]       En tirant cette conclusion, je tiens à souligner que le régime législatif offrait aux demanderesses les possibilités suivantes :

                     celle de présenter une demande d’asile et d’en saisir la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour audience. La Commission a jugé que les demanderesses avaient montré peu d’empressement à donner suite à leurs demandes d’asile et qu’elles n’avaient pas donné une explication raisonnable pour justifier leur non‑comparution à l’audience les concernant;

                     n’ayant pas comparu à l’audience les concernant, les demanderesses avaient droit à la tenue d’une audience sur le désistement devant la Section de la protection des réfugiés; cette audience a eu lieu, et au cours de celle‑ci elles ont eu l’occasion de démontrer qu’elles avaient, de façon constante, eu l’intention de donner suite à leurs demandes d’asile. Elles n’ont pas été en mesure de faire cette démonstration;

                     celle de contester la décision relative à leur désistement en saisissant la Cour d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les demanderesses ont choisi de ne pas tirer parti de cette possibilité;

                     celle de déposer une requête en réouverture de leurs demandes d’asile si elles estimaient que la Commission les avait traitées injustement. Les demanderesses ont choisi de ne pas exercer cette option;

                     si leur requête en réouverture de leurs demandes d’asile avait été refusée, les demanderesses auraient eu le droit de contester cette décision en déposant devant la Cour une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire;

                     celle de demander un report de leur renvoi afin de permettre un examen complet des risques auxquels elles étaient exposées en Israël. Les demanderesses pouvaient ainsi obtenir qu’un agent d’exécution évalue la suffisance des preuves qu’elles avaient produites concernant les risques qui n’avaient pas déjà été fait l’objet d’un examen, afin de pouvoir déterminer si elles se trouvaient exposées à un risque de mort, à des sanctions excessives ou un traitement inhumain en Israël. Les demanderesses ont sollicité un tel report, leur demande a été examinée par l’agent d’exécution, et les demanderesses ont pu prendre connaissance des motifs pour lesquels elle a été refusée;

                     celle de contester le refus de l’agent d’exécution d’accorder le report, par dépôt d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour. Les demanderesses ont déposé une demande connexe, mais elles ne sont pas allées plus loin;

                     celle de déposer une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi, requête dans laquelle elles avaient en outre la possibilité de recenser les erreurs qu’aurait commises l’agent d’exécution et de les soumettre à l’examen d’un juge de la Cour. Les demanderesses ont tiré parti de cette possibilité et ont présenté leurs arguments. Le juge McVeigh a refusé de surseoir au renvoi des demanderesses au motif qu’elles n’avaient pas prouvé l’existence d’une question sérieuse dans leur demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent.

[102]       Je reconnais avec les défendeurs que, eu égard à l’ensemble des processus dont les demanderesses pouvaient tirer parti aux termes des dispositions de la LIPR, l’effet sur les demanderesses de l’impossibilité pour elles d’obtenir un ERAR en raison de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi n’est pas exagérément disproportionné par rapport aux intérêts étatiques que le texte législatif vise à protéger.

[103]       En conséquence, les demanderesses n’ont pas établi qu’il y a eu violation des droits que leur confère l’article 7 de la Charte, et la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

VIII.       Question à certifier

[104]       La décision que je rends en l’espèce est dans une certaine mesure tributaire des faits. Je reconnais néanmoins avec les parties qu’elle soulève une question de droit qui mérite d’être certifiée. Les incidences sur le plan constitutionnel de l’interdiction relative à l’ERAR visant un demandeur d’asile qui est réputé s’être désisté de sa demande d’asile est une question de portée générale qui transcende les intérêts des parties à la présente procédure et qui aurait un effet déterminant sur l’issue de l’appel : Varela c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 145 au paragraphe 28, [2010] 1 RCF 129.

[105]       Les demanderesses proposent que les questions suivantes soient certifiées :

[traduction]

1.                  Dans les cas où il n’y a pas déjà eu un examen des risques avant renvoi, la possibilité de se voir accorder par un agent d’exécution au Canada (un agent chargé des renvois), dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, un report du renvoi suffit‑elle à remplir l’obligation du Canada d’examiner les risques avant le renvoi, et à prendre en compte les droits conférés à l’intéressé par l’article 7 de la Charte des droits et libertés?

2.                  L’interdiction faite au demandeur d’asile, durant une période de 12 ou de 36 mois, d’obtenir un examen des risques avant renvoi, selon ce que prévoit l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, contrevient‑elle à l’article 7 de la Charte des droits et libertés, étant donné que cet alinéa a pour effet d’empêcher le demandeur d’asile, avant son renvoi, de bénéficier d’un examen des risques qui satisfait aux exigences des principes de justice fondamentale?

[106]       Les défendeurs proposent que la question suivante soit certifiée :

[traduction]

1.                  L’interdiction prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contre la demande d’examen des risques avant renvoi, si moins de 36 mois se sont écoulés depuis le désistement de la demande d’asile, porte‑t‑elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

[107]       Je n’estime pas que les questions proposées par les demanderesses méritent d’être certifiées. La première question présume que le report du renvoi par l’agent d’exécution dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire est l’unique processus qui est pertinent pour l’analyse. Comme je l’ai déjà expliqué, pour savoir si l’application de l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR a entraîné en l’espèce une violation des droits que l’article 7 de la Charte confère aux demanderesses, on ne saurait considérer isolément le processus des reports; il faut plutôt examiner l’intégralité du régime législatif.

[108]       La deuxième question proposée par les demanderesses présuppose que le régime législatif ne permet pas un examen des risques qui satisfait aux exigences des principes de justice fondamentale. Mais c’est précisément là la question à laquelle il faut répondre.

[109]       La question que proposent les défendeurs est une version modifiée de l’une des questions qui a été certifiée dans la décision Peter, sauf que, dans la présente affaire, la période d’interdiction de présenter un ERAR est d’une durée de 36 mois plutôt que de 12 mois (comme c’était le cas dans l’affaire Peter), et que la Commission a conclu, en l’espèce, au désistement des demandes d’asile déposées par les demanderesses. Cette question permet la prise en compte du régime législatif dans son intégralité eu égard aux circonstances de la présente affaire, et, à mon avis, elle mérite d’être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La question suivante est certifiée :

1.                  [L]’interdiction prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contre la demande d’examen des risques avant renvoi, si moins de 36 mois se sont écoulés depuis le désistement de la demande d’asile, porte‑t‑elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑343‑14

 

INTITULÉ :

YASMEN AL ATAWNAH, DIANA ELATAWNA, KARAM ELATAWNA, RETAL AISHA ELATAWNA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AVril 2015

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

lE 22 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Samuel Plett

 

POUR LES demanderesses

 

Catherine Vasilaros

Aleksandra Lipska

 

POUR LES défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Desloges, Corporation professionnelle

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demanderesses

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES défendeurs

 

 

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