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Date : 20150611


Dossier : IMM-8322-14

Référence : 2015 CF 736

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2015

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

Vanthan TOP

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de Vanthan Top [le demandeur] présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre d’une décision datée du 11 novembre 2014 d’un agent de Citoyenneté et Immigration Canada [l’Agent] rejetant la demande de résidence permanente du demandeur. Au début de l’audience, après avoir entendu les parties, et pour les motifs rendus séance tenante, j’ai ordonné que le nom de Sothea Say [Mme Say] soit radié comme partie au litige et qu’un affidavit conjoint non conforme aux Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, ni aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, ne soit pas admis en preuve.

II.                Faits allégués

[2]               Le demandeur est citoyen cambodgien. Mme Say est citoyenne canadienne. Le demandeur prétend avoir rencontré madame Say pour la première fois en 1993 au Cambodge. Ils disent s’être engagés dans une relation sérieuse en février 1995. Mme Say dit avoir laissé le demandeur en août 1997 et s’est mariée à un autre homme en décembre 1997. Elle a quitté le Cambodge pour le Canada le 21 décembre 1998. Le 5 mars 2008, ils prétendent s’être rencontrés par hasard au Cambodge alors que madame Say était mariée à son second mari. Elle est retournée au Canada le 13 avril 2008.

[3]               Le 12 décembre 2009, lors d’une conversation sur internet, le demandeur prétend que Mme Say lui aurait demandé s’il voulait toujours l’épouser, ce à quoi il aurait dit oui. Mme Say aurait dit au demandeur qu’elle l’épouserait sous la condition qu’il ne pose jamais de question sur ses anciens maris. Ils se sont mariés au Cambodge le 5 avril 2010.

[4]               Le 2 juillet 2010, le demandeur a fait une demande de résidence permanente à l’ambassade canadienne à Bangkok, en Thaïlande. Cette demande a été rejetée le 9 octobre 2012. En novembre 2011, le demandeur est venu au Canada en tant que visiteur. Le 26 novembre 2012, il a déposé une seconde demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, avec Mme Say agissant en tant que parraine. Cette demande a été rejetée le 11 décembre 2014 par l’agent. Ceci est la décision contestée.

III.             Décision contestée

[5]               L’Agent a rejeté la demande de parrainage parce que le demandeur a répondu à plusieurs reprises qu’il ne connaissait pas la réponse aux questions de l’Agent, démontrant alors une méconnaissance en ce qui a trait à plusieurs éléments de la vie de Mme Say. Le manque de connaissance du demandeur portait sur les raisons des deux derniers divorces de Mme Say, l’entente entre Mme Say et ses sœurs quant au paiement du loyer, l’entente entre Mme Say et ses employés de son restaurant quant à leur hébergement, entre autres. L’Agent a également noté que Mme Say avait omis de mentionner que son ancien mari habitait avec elle, ses sœurs, son mari et deux autres employés de son restaurant.

[6]               L’Agent a également pris connaissance du rapport de Santé et Services sociaux du Québec indiquant que Mme Say est enceinte. L’Agent accorde toutefois peu de poids à ce document, car il n’y a aucune mention relative au père de l’enfant.

[7]               L’Agent a conclu que le mariage n’était pas authentique et a par conséquent rejeté la demande de parrainage.

IV.             Prétentions du demandeur

[8]               Le demandeur soutient que l’Agent n’a pas tenu compte de la tradition cambodgienne en ce qui a trait à son analyse des réponses du mari aux questions posées lors de l’entrevue avec l’Agent. Il soutient que c’est pour cette raison que le demandeur n’était pas au fait avec le nom des banques avec lesquelles sa femme fait affaire et le nom de son premier ex-mari. Le demandeur soutient également que l’Agent a ignoré la preuve voulant que sa femme soit enceinte de quatre mois de lui.

[9]               Le demandeur soutient également que les critères Chavez, énumérés dans l’affaire Chavez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] DSAI no 353, no TA3-24409 au paragraphe 3 [Chavez], utilisé afin d’évaluer l’authenticité d’un mariage, sont satisfaits en l’espèce.

V.                Prétentions du défendeur

[10]           Le défendeur soutient que la décision de l’Agent est raisonnable. Il prétend que ce dernier a adéquatement noté que le demandeur n’était pas en mesure de répondre à plusieurs questions de nature sociale, financière et historique sur la vie de Mme Say. Le défendeur prétend également que l’Agent a noté que le demandeur avait contredit Mme Say à plusieurs occasions lors de son entrevue.

VI.             Question en litige

[11]           Après avoir révisé les prétentions des parties et leurs dossiers respectifs, je propose la question en litige suivante :

  • Est-ce que la décision de l’Agent, où il a conclu que le mariage entre le demandeur et Mme Say est non authentique et avait été conclu à la seule fin d'obtenir la résidence permanente au Canada, est déraisonnable dans les circonstances?

VII.          Norme de révision

[12]           Les parties s’entendent pour dire que la norme de révision applicable à la décision de l’Agent est celle de la décision raisonnable. Effectivement, la question soulevée en l’espèce est une question mixte de droit et de fait (Huynh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 748 au para 6 [Huynh]; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 432 au para 18 [Zheng]; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417 au para 14 [Kaur]). Cette Cour n’interviendra donc que si la décision est déraisonnable, soit qu’elle tombe en dehors « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

VIII.       Analyse

[13]           Le paragraphe 12(1) de la LIPR explique que la sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien. Le paragraphe 13(1) de la LIPR précise, entre autres, que tout citoyen canadien peut, sous réserve des règlements, parrainer un étranger. L’article 123 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] dit que « la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada est une catégorie […] de personnes qui peuvent devenir résidents permanents […] en vertu de l’article 12 de la LIPR ». L’article 124 du Règlement vient préciser les conditions que doit remplir l’étranger pour faire partie de la catégorie des époux définis à l’article 123 du Règlement. Finalement, le paragraphe 4(1) du Règlement précise les conditions en vertu desquelles un étranger ne sera pas reconnu en tant qu’époux.

[14]           En vertu d’une analyse sous le paragraphe 4(1) du Règlement, un agent d’immigration doit déterminer si le mariage vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège sous le régime de la LIPR ou n'était pas authentique (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1077 au para 5 [Singh]). Un demandeur ne peut donc pas obtenir le visa nécessaire pour vivre avec sa femme ou conjointe au Canada si l'une de ces conclusions est tirée (Ibid). Le fardeau est sur le demandeur de démontrer que le mariage est authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR (Ouk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FC 891 au para 12 [Ouk]).

[15]           En l’espèce, le demandeur présente des affirmations non corroborées, qui ne sauraient l'emporter sur le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble (Attaallah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 522 au para 22). Le demandeur soutient premièrement que l’Agent n’a pas tenu compte de la tradition cambodgienne dans l’analyse des réponses données par le demandeur lors de son entrevue avec cet Agent. Cet argument est erroné. Dans les notes CAIPS de l’Agent il est noté que :

Unusual in Cambodia for a single male to want to marry a divorcee (twice divorced!) (Dossier certifié du tribunal [DCT] à la page 22)

[…]

Genesis of relationship, including the chance encounter, is not credible; it is not consistent with the local traditions and culture, especially them to go to a resort to and have sex while sponsor’s husband is in town (DCT à la page 27).

[16]           L’Agent a donc raisonnablement analysé les réponses données par le demandeur en tenant compte de la culture cambodgienne. De plus, le Dossier certifié du tribunal ne contient aucune preuve du demandeur sur la culture cambodgienne à propos de l’échange des informations financières ou personnelles entre les membres d’un couple.

[17]           Pour ce qui est de la preuve concernant le fait que Mme Say est enceinte, le document compris au Dossier certifié du tribunal confirme effectivement ce fait, mais comme l’a noté l’Agent, ce document ne comprend aucune information concernant le père de l’enfant (DCT à la page 34). Il était donc raisonnable pour l’Agent de n’accorder aucun poids à ce document.

[18]           Le demandeur soutient également que les critères Chavez sont remplis et donc, que la décision de l’Agent est déraisonnable. Cet argument est également erroné. Les critères Chavez ne sont que des facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’analyse de l’authenticité du mariage (Khan v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2015 CF 320 au para 22). Ils ne sont pas en soient déterminant. En l’espèce l’Agent a noté que le demandeur n’était pas en mesure de répondre à plusieurs questions de nature sociale, financière et historique sur la vie de Mme Say. Le demandeur n’avait effectivement pas pu répondre aux questions concernant le montant que les sœurs de Mme Say et les employés de son restaurant qui habitent avec elle contribuent au loyer, le coût de leur résidence, et à savoir pourquoi Mme Say avait divorcé ses deux premiers maris (DCT, notes CAIPS à la page 25, décision de l’Agent à la page 5). Le demandeur et Mme Say ont également donné des réponses contradictoires quant au paiement de la voiture. L’Agent a également noté qu’alors que le demandeur avait mentionné que l’ex-mari de Mme Say habitait avec eux, Mme Say a omis à plusieurs reprises de mentionner ce fait. Ce n’est que lors de l’entrevue commune, en présence du demandeur, que Mme Say, confronté aux questions de l’Agent a admis que son ex-mari habitait avec eux, en plus de travailler à son restaurant (DCT à la page 5).

[19]           Je note également que les notes CAIPS au dossier démontrent que Mme Say a elle-même été parrainée par son premier mari en 1998 (DCT à la page 21). Suite à son premier divorce, Mme Say a parrainé son deuxième mari en 2006 (DCT à la page 16). Elle a également tenté de parrainer sa famille à deux reprises; une de ces demandes a été refusée en 2004 et l’autre a été abandonné (DCT à la page 21). Le Dossier certifié du tribunal démontre également que Mme Say n’a déclaré que son deuxième mariage dans son formulaire de parrainage (DCT à la page 71). Ceci avait également été noté par l’Agent dans ses notes CAIPS (DCT à la page 21).

[20]           En l'espèce les motifs et les notes de l'Agent sont clairs et intelligibles, et permettent à la Cour de comprendre pourquoi il a rendu sa décision (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62 aux paras 14 à 16).

IX.             Conclusion

[21]           La décision de l’agent est raisonnable. Il a adéquatement évalué le dossier du demandeur et il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir.

[22]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-8322-14

 

INTITULÉ :

VANTHAN TOP  ET SOTHEA SAYc LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

oTTAWA (oNTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 MAI 2015

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Juan Cabrillana

 

pour le demandeur

Me Kirk G. Shannon

 

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Juan Cabrillana

Gatineau (Québec)

 

pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

pour le défendeur

 

 

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