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Date : 20150610


Dossier : IMM‑2278‑14

Référence : 2015 CF 732

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

NIRUJAN SIVARAJA

(ALIAS NIRUJAN SIVARAJAH)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision en date du 24 février 2014 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger au sens des art. 96 et 97 de la Loi.

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka. Il demande l’asile parce qu’il craint l’armée sri‑lankaise, la police et les groupes paramilitaires.

[3]               Le demandeur affirme qu’il a été arrêté, mis en détention et extorqué par la police, le groupe Karuna et le Parti démocratique populaire de l’Eelam (PDPE). Il a été également été accusé d’être un partisan des Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (TLET).

[4]               Le demandeur a quitté le Sri Lanka pour la Thaïlande en mars 2010. Il est arrivé au Canada en août 2010, à bord du MS Sun Sea. Il dit que l’armée sri‑lankaise continue de le rechercher chez sa mère et chez sa tante.

III.             DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[5]               Le 24 février 2014, La Commission a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[6]               La Commission a estimé que le demandeur n’était pas un témoin crédible, car il a parlé dans son témoignage des événements qui ne figuraient ni dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) ni dans son formulaire de renseignements personnels modifié. Par ailleurs, sa crédibilité a été minée par les incohérences présentes dans l’exposé circonstancié accompagnant son FRP, par le fait que le motif de son départ du Sri Lanka reposait sur des hypothèses, ainsi que par l’absence de pièces justificatives à l’appui de ses allégations.

[7]               La Commission a d’abord examiné un billet du médecin que le demandeur avait présenté trois jours avant l’audience, lequel était daté de six jours avant la tenue de l’audience et indiquait que [traduction] « [le demandeur] souffre de troubles de mémoire probablement en raison du stress lié à un diagnostic récent de maladie grave » (DCT, à la page 329). La Commission a accordé peu de poids au billet du médecin parce qu’il n’y était pas indiqué si la conclusion du médecin reposait sur les propres déclarations du demandeur ou sur un diagnostic médical. La Commission a pris acte du fait que le demandeur avait suivi des traitements de chimiothérapie au Canada, mais a estimé que les éléments de preuve documentaire n’indiquaient pas que celui‑ci souffrait d’une incapacité mentale ou de troubles de mémoire par suite de ces traitements. De plus, dans le billet du médecin il était précisé que les troubles de mémoire du demandeur étaient survenus après le diagnostic de cancer, ce qui n’explique pas les contradictions entre le FRP initial du demandeur et les déclarations lors de ses entrevues avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). 

[8]               La Commission a également déclaré que la difficulté éprouvée par le demandeur à livrer un témoignage ne semblait pas manifeste de troubles de mémoire. Par exemple, en réponse à une question particulière, le demandeur a donné une liste de cinq éléments détaillés. Lorsque la Commission lui a demandé comment il avait pu se souvenir de ces cinq éléments, le demandeur a répondu qu’il avait mémorisé la liste. Selon la Commission, cela indiquait que la mémoire du demandeur n’était pas défaillante et que celui‑ci n’était allé consulter le médecin de famille qu’aux fins de sa demande d’asile.

[9]               La Commission a examiné plusieurs contradictions entre le témoignage du demandeur, l’information figurant dans son FRP et les déclarations lors des entrevues avec l’ASFC. La Commission s’est d’abord penchée sur le témoignage du demandeur selon lequel ses problèmes avec le groupe Karuna et le PDPE avaient commencé avant 2005. Le demandeur a déclaré avoir quitté Jaffna parce que son meilleur ami avait été abattu et un autre ami grièvement blessé. Interrogé au sujet de la raison pour laquelle ces détails ne figuraient pas dans son FRP, le demandeur a répondu qu’il n’était pas en mesure de se souvenir de tout ce qui lui était arrivé lors de sa détention. Lorsque la Commission lui a demandé pourquoi il n’avait pas mentionné ces détails dans son FRP modifié, le demandeur a répondu qu’il n’était pas disposé à penser à tout ce qui était arrivé. La Commission a rejeté les explications fournies par le demandeur et a tiré une conclusion défavorable relativement à sa crédibilité en raison de l’importance de ces omissions dans l’exposé circonstancié de son FRP. La Commission a aussi fait observer que le demandeur avait dit à l’agent de l’ASFC qu’il avait quitté Jaffna en raison de l’enlèvement de deux de ses amis et qu’il ignorait s’ils étaient encore vivants. Le demandeur n’a pas expliqué avec crédibilité cette incohérence. Il s’est contenté de dire que cet incident l’avait perturbé au point qu’il ne voulait pas en parler. Selon la Commission, il s’agissait d’une explication inadéquate pour justifier une incohérence importante. La Commission a estimé que le demandeur n’avait pas donné suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi permettant de conclure que les événements qui avaient précipité son départ de Jaffna en 2005 s’étaient réellement produits.  

[10]           La Commission a aussi relevé des contradictions quant au fait que le demandeur avait déclaré qu’à sa libération de l’une de ses détentions, on lui avait dit de signaler l’arrivée de toute nouvelle personne dans la région. Dans son FRP, le demandeur a indiqué qu’à sa libération, on lui avait dit de quitter immédiatement la région. Le demandeur n’a pu expliquer cette contradiction.

[11]           Le demandeur a également dit à un agent de l’ASFC qu’il ne s’était jamais fait prélever les empreintes digitales, alors que dans son témoignage et dans son FRP, le demandeur a indiqué qu’on avait pris ses empreintes digitales avant sa libération. Là encore, le demandeur s’est contenté de dire qu’il ne souhaitait pas penser à son passé. La Commission a rejeté cette explication parce qu’une demande d’asile repose sur la capacité du demandeur d’asile à penser à son passé. La Commission a dit que l’explication du demandeur aurait été acceptable s’il avait omis de mentionner une agression particulièrement traumatisante, alors que celui‑ci avait été simplement invité de dire s’il s’était déjà fait prélever les empreintes digitales.

[12]           Le demandeur n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’avait pas fait part à l’agent de l’ASFC de toutes ses détentions. Il n’avait parlé que d’une détention. Lorsque l’agent de l’ASFC lui a demandé s’il avait fait l’objet d’une autre arrestation, le demandeur a répondu par la négative.

[13]           Le demandeur a également fourni des témoignages contradictoires relativement à l’une de ses détentions. Il a dit à l’agent de l’ASFC qu’il avait été arrêté et mis en détention alors qu’il se déplaçait en motocyclette, mais a ensuite déclaré que cela était arrivé lors d’un voyage en autobus. La Commission a rejeté l’explication du demandeur selon laquelle , lorsqu’il se déplaçait en motocyclette il avait été arrêté une deuxième fois lors du même voyage et que les contradictions étaient attribuables à sa mémoire défaillante. La Commission a relevé d’autres incohérences concernant sa détention. Dans son FRP, le demandeur avait indiqué avoir été libéré en échange d’un pot‑de‑vin versé à la police par l’intermédiaire du groupe Karuna, mais a affirmé dans son témoignage qu’il s’agissait seulement d’une hypothèse et que l’argent avait été versé soit au groupe Karuna soit au PDPE. Le demandeur a aussi déclaré à l’agent de l’ASFC que le pot‑de‑vin versé était de trois lacks de roupies, mais a affirmé dans son témoignage qu’il s’agissait d’un lack de roupies. La Commission a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas suffisamment crédible et digne de foi pour conclure que sa détention avait effectivement eu lieu.

[14]           Enfin, la Commission s’est penchée sur les incohérences figurant dans l’exposé circonstancié du FRP du demandeur au sujet de son retour à Jaffna. Le demandeur a déclaré qu’il était retourné à Jaffna en 2009 avec son père parce que celui‑ci était gravement malade. Il a ajouté que son père était décédé un mois après leur arrivée dans cette ville. Or, le demandeur a affirmé dans son FRP qu’il était allé à Jaffna en mai 2008 et que son père était décédé en mai 2009. Dans un formulaire déposé auprès de Citoyenneté et Immigration Canada, le demandeur indiquait que son père était décédé en avril 2009. Le demandeur n’a pas été en mesure d’expliquer ces contradictions. La Commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas déterminer le mois ni même l’année où le demandeur était retourné à Jaffna et s’il était accompagné ou non par son père. Selon la Commission, il s’agissait d’un élément particulièrement important du fait qu’il était censé expliquer pourquoi le demandeur avait renoncé à la sécurité relative du Sud du Sri Lanka, pour se rendre à Jaffna, juste au moment où le conflit civil prenait de l’ampleur.

[15]           La Commission a accordé peu d’importance à la lettre de la mère du demandeur qui faisait état des événements survenus à l’époque où le demandeur vivait dans le Sud du Sri Lanka et qui indique que les militaires sri‑lankais continuaient de rechercher celui‑ci dans la région. Selon la Commission, cette lettre devait se fonder sur ce que le demandeur avait raconté à sa mère, parce qu’il n’avait jamais affirmé qu’elle se trouvait dans le Sud du Sri Lanka. Dans sa lettre, la mère du demandeur ne mentionne pas les problèmes dont elle pouvait avoir connaissance directe, notamment les événements concernant les amis du demandeur qui avaient, selon lui, précipité son départ de Jaffna.

[16]           La Commission a également accordé peu d’importance à la lettre provenant de la tante du demandeur parce qu’il n’y figure aucune mention des évènements auxquels elle avait été présente selon le demandeur, ni l’incident à la suite duquel elle avait versé un pot‑de‑vin pour obtenir sa libération. 

[17]           En outre, la Commission a accordé peu de poids à la lettre provenant d’un médecin du Sri Lanka, laquelle confirme simplement que le demandeur s’était rendu à une clinique en raison de douleurs à la poitrine à cause des agressions subies aux mains du personnel de sécurité. Il n’était aucunement question d’un examen, d’un traitement ou d’un diagnostic. De plus, il est indiqué dans la lettre que le demandeur était allé à la clinique en août 2009, alors que celui‑ci avait affirmé avoir été agressé et avoir souffert de douleurs à la poitrine en 2006. Le demandeur a également omis de mentionner dans son FRP qu’il avait reçu un traitement médical à la suite de l’agression subie.

[18]           La Commission a déclaré que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer qu’il avait déjà été détenu ou avait connu des problèmes au Sri Lanka. Selon la Commission, les événements rapportés ne s’étaient pas produits; il s’agissait plutôt d’une tentative d’embellir la demande d’asile du demandeur. La Commission a tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité du demandeur fondée sur l’accumulation de contradictions entre son témoignage, ses FRP et son entrevue avec l’ASFC. La Commission a affirmé que le manque de crédibilité s’appliquait aux pièces justificatives présentées par le demandeur, dont les lettres provenant de sa mère, de sa tante, d’un médecin et d’un juge de paix sri‑lankais.

[19]           Enfin la Commission a déclaré que rien ne permettait de conclure que le demandeur était une personne d’intérêt au Sri Lanka. Il avait quitté le pays muni de son propre passeport, ce qui étayait la conclusion quant au fait qu’il ne présentait pas un intérêt pour le gouvernement sri‑lankais. Le demandeur a affirmé qu’il avait quitté le pays avec l’aide d’un passeur, mais, selon la Commission, si le demandeur avait utilisé les services d’un passeur, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’il le mentionne dans son FRP, étant donné qu’il y indique être monté à bord du MS Sun Sea à l’aide d’un passeur. Le demandeur a également affirmé que les seules interactions de sa famille avec les TLET avaient eu lieu lorsque son père avait été obligé de leur donner tous les bijoux familiaux au cours de la guerre civile dans le pays. Par conséquent, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET. Compte tenu de l’absence d’éléments de crédibles indiquant que le demandeur avait été maltraité au Sri Lanka, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit une personne qui suscitait l’intérêt des autorités lorsqu’il avait quitté le Sri Lanka ou qu’il le serait s’il retournait dans ce pays.

[20]           La Commission a également conclu que, compte tenu de la preuve documentaire, la crainte du demandeur n’était pas fondée. Le demandeur ne correspond pas à un profil de risque. Il a affirmé être exposé à des risques en tant que jeune Tamoul originaire de Jaffna; en tant que personne qui avait été détenue et battue par les policiers et les membres des groupes paramilitaires; en tant que demandeur d’asile débouté, visé à des fins d’extorsion et d’enlèvement ou, pire; en tant que personne ayant omis de quitter le Sri Lanka immédiatement après sa libération de détention et en tant que personne ayant voyagé à bord du MS Sun Sea. Selon la Commission, la preuve documentaire montrait que les demandeurs d’asile déboutés n’étaient pas particulièrement ciblés. Le demandeur n’a pas de lien avec les TLET ni n’a des antécédents d’opposition au gouvernement, que ce soit au Sri Lanka ou durant son séjour au Canada. S’il avait été soupçonné d’appuyer les TLET, le demandeur aurait été pris pour cible à la sortie du pays. Il a voyagé en utilisant son propre passeport, et la preuve révèle que le Sri Lanka a mis en place un système sophistiqué de suivi pour toutes les personnes à l’entrée ou à la sortie du pays. Aucun élément de preuve crédible ne permet de conclure qu’il a déjà été arrêté. La preuve établit clairement que le gouvernement sri‑lankais ne croit pas que tous les passagers du MS Sun Sea étaient des membres ou des sympathisants des TLET.

[21]           La Commission s’est aussi demandé si des motifs justifiaient une demande d’asile sur place et a estimé qu’aucun élément de preuve crédible et convaincant n’avait été présenté pour démontrer que le gouvernement du Sri Lanka soupçonnait des personnes d’avoir des liens avec les TLET du seul fait qu’elles se trouvaient à bord du MS Sun Sea. Aucun élément de preuve ne laisse entendre que le demandeur a un profil particulier en tant que partisan des TLET; ni lui ni un membre de sa famille n’a entretenu des liens avec les TLET. Le fait que le demandeur est un Tamoul qui est arrivé au Canada à bord du MS Sun Sea ne suffit pas pour établir l’appartenance à un groupe social. Selon la Commission, le fait que le gouvernement canadien a estimé que rien ne justifiait une procédure relative à une interdiction de territoire contre le demandeur étayait sa conclusion selon laquelle celui‑ci n’avait aucun lien avec les TLET.  

[22]           La Commission a également conclu que la crainte le demandeur d’être victime d’extorsion en tant que demandeur d’asile débouté constituait un risque généralisé auquel étaient exposés toutes les personnes qui étaient perçues comme étant fortunées au Sri Lanka.

[23]           La Commission a déterminé que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV.             QUESTIONS EN LITIGE

[24]           Le demandeur soulève deux questions dans la présente instance, à savoir si les conclusions de la Commission quant à sa crédibilité sont déraisonnables, et si la Commission a manqué à équité procédurale en omettant de lui faire part de ses réserves quant à la preuve documentaire.

V.                NORME DE CONTRÔLE

[25]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour de révision est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que si cette démarche se révèle infructueuse, ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit examiner les quatre éléments de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 48.

[26]           Les parties s’entendent pour dire que la décision est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, aux par. 47, 48 et 51), et la Cour y souscrit : Mercado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 289, au par. 22; De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 809, au par. 19. Il ressort clairement de la jurisprudence que les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Exeter c Canada (Procureur général), 2014 CAF 251, au par. 31.

[27]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au par. 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[28]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VII.          ARGUMENTS

A.                Le demandeur

[29]           Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable parce que la Commission a tiré diverses conclusions défavorables relatives à la crédibilité sans fournir de fondement valable : Sebahtu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 200, aux par. 12 et 13. Le demandeur conteste les conclusions de la Commission en invoquant huit moyens distincts.

[30]           Premièrement, la Commission a spéculé sur les incohérences relevées, sans aucun élément de preuve à l’appui : Armson c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1989), 101 NR 372 (CAF).

[31]           Deuxièmement, la Commission a eu tort de conclure que le demandeur n’était pas atteint de troubles de mémoire. La Commission ne possède aucune expertise en matière de troubles de mémoire et aurait dû examiner les incohérences relevées dans la preuve du demandeur eu égard aux éléments de preuve documentaire attestant de ses troubles de mémoire : Reyes c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 282 (CA); Sanghera c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 73 FTR 155; Nievas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 144 FTR 224. La revendication du statut du réfugié ne comporte pas de test de mémoire. Une conclusion relative à la crédibilité ne devrait pas reposer sur le défaut du demandeur de se souvenir des dates : Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 225, au par. 28. La Commission a également manqué à l’équité procédurale en omettant de faire part au demandeur de ses réserves quant au moment où celui‑ci avait obtenu le billet du médecin, soit avant même la tenue de l’audience : Kegaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 388.

[32]           Troisièmement, la Commission a, à tort, examiné à la loupe des éléments accessoires ou qui n’étaient pas pertinents : Chao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1122, au par. 6; Attakora c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1989), 99 NR 168 (CAF); Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116. Par exemple, le demandeur affirme que les incohérences relevées dans son témoignage quant au motif de son départ de Jaffna sont sans pertinence parce qu’elles n’ont aucun rapport avec la raison pour laquelle il avait demandé l’asile au Canada.

[33]           Quatrièmement, la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables en raison des contradictions entre le témoignage du demandeur et les déclarations faites à l’agent de l’ASFC. Le demandeur d’asile n’est pas tenu de fournir tous les détails de sa demande lors de l’entrevue au point d’entrée : Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au par. 51; Sawyer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 935. La Commission n’a pas non plus tenu compte du fait que le demandeur répondait aux questions par l’intermédiaire d’un interprète, ce qui présente un risque élevé de malentendu : Kanapathipillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1110, au par. 8 (QL)(1re inst.).

[34]           Cinquièmement, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a présumé que les agents de persécution du demandeur agissaient de façon rationnelle : Yoosuff c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1116, au par. 8. On ne saurait s’attendre à ce que le demandeur soit en mesure d’expliquer la contradiction entre l’ordre que lui avait donné la police de quitter la ville immédiatement et l’ordre de signaler les nouveaux arrivants dans la région.

[35]           Sixièmement, la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable relativement à la crédibilité en raison des renseignements manquants dans le FRP du demandeur parce que celui‑ci y a apporté des modifications dans le délai fixé : Gimenez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1114, au par. 5.

[36]           Septièmement, la Commission a commis une erreur en écartant la preuve provenant de la mère du demandeur du seul fait que celle‑ci n’avait pas assisté aux événements qu’elle rapportait. Le demandeur était le mieux placé pour renseigner sa mère sur ce qu’il avait vécu. La Commission a eu également tort d’écarter la lettre de la tante du demandeur parce qu’elle ne comprenait pas les détails recherchés : Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729 (QL)(1re inst.) (Mahmud).

[37]           Huitièmement, les conclusions tirées par la Commission relativement à la capacité du demandeur d’obtenir un passeport sont déraisonnables. Celui‑ci a obtenu son passeport en 2005, soit avant que les autorités le soupçonnent d’entretenir des liens avec les TLET. En outre, la Cour fédérale a statué que le fait que le demandeur d’asile soit en mesure de voyager en se servant de son propre passeport n’est pas déterminant quant aux risques encourus : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Fernando, 2012 CF 706, au par. 13. De plus, la conclusion selon laquelle le demandeur ne présente pas d’intérêt pour les autorités en raison de sa mise en liberté après avoir été interrogé est trop simpliste : B027 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 485, au par. 8.

[38]           Le demandeur fait également valoir que la Commission a commis une erreur dans son traitement de la preuve documentaire portant sur les risques auxquels sont exposés les demandeurs d’asile déboutés. La Commission a passé sous silence les éléments de preuve qui contredisaient directement sa position : Toriz Gilvaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 598; Cepeda‑Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration) (1998), 157 FTR 35, au par. 17.

[39]           Le demandeur soutient en outre que l’analyse de la demande d’asile sur place effectuée par la Commission est déraisonnable parce qu’elle repose sur la conclusion erronée selon laquelle les autorités n’avaient établi aucun profil à son sujet avant son départ du Sri Lanka. Le demandeur déclare avoir été ciblé et maltraité. Quoi qu’il en soit, l’existence de soupçons évéillés dans le passé ne saurait justifier une demande d’asile sur place. Il s’agit plutôt de savoir si les faits et les gestes du demandeur après son départ du Sri Lanka l’exposent à un risque à son retour au pays.

[40]           Enfin, la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur n’est exposé qu’à un risque généralisé. Le demandeur craint les groupes paramilitaires, lesquels ne visent pas que l’extorsion.

B.                 Le défendeur

[41]           Le défendeur fait valoir que la Cour ne doit pas modifier la conclusion de la Commission quant à la crédibilité. La Commission a eu l’avantage de voir et d’entendre le demandeur. De plus, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve : Khosa, précité; Aguebor c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 NR 315 (CAF); Ambros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 299 (QL)(1re inst.). C’est plutôt l’ensemble de la preuve, avec ses incohérences et ses invraisemblances, qui a conduit la Commission à conclure que le demandeur n’était pas un témoin crédible. La Commission n’a pas avancé des hypothèses, mais a expliqué en détail pourquoi elle avait jugé que le récit du demandeur manquait de crédibilité. Il était loisible à la Commission de juger le demandeur non crédible en raison de son témoignage contradictoire : Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238, à la page 244 (CA); Kanagasabapathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 78.

[42]           La Commission a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté ou qu’il soit exposé à un risque. La Commission a examiné la preuve documentaire et a noté les incohérences concernant la situation d’après‑guerre au Sri Lanka en matière de sécurité. Le fait que le demandeur est un Tamoul originaire de Jaffna ne lui permet pas de bénéficier d’une protection : B198 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1106, aux par. 51, 55.

[43]           L’analyse effectuée par la Commission de la demande d’asile sur place est raisonnable. Rien dans la preuve n’indique que le gouvernement sri‑lankais estimait que les passagers du MS Sun Sea entretenaient des liens avec les TLET ni que l’identité du demandeur en tant que passager de ce navire avait été révélée. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu’il présentait un intérêt pour le gouvernement sri‑lankais, alors que ce n’était pas le cas avant son départ : Canada (Citoyenneté et Immigration) c B380, 2012 CF 1334, au par. 38.

[44]           La Commission a également raisonnablement conclu que le demandeur n’était exposé qu’à un risque généralisé à son retour au Sri Lanka. Le risque éventuel que le demandeur soit perçu comme étant fortuné et qu’il soit victime de l’extorsion constitue un risque auquel est généralement exposé l’ensemble de la population : Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au par. 22; Vickram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 457, au par. 14; Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, aux par. 16 et 17, conf. par 2009 CAF 31.

VIII.       ANALYSE

[45]           Il s’agit d’une longue décision détaillée, dans laquelle la Commission a d’abord examiné les allégations du demandeur quant aux mauvais traitements reçus par le passé, pour se pencher ensuite sur les aspects de nature prospective et les éléments concernant la demande d’asile sur place, compte tenu du profil du demandeur et de la question de savoir s’il suscitait l’intérêt des autorités sri‑lankaises.

[46]           À mon avis, l’examen par la Commission du témoignage du demandeur quant aux expériences vécues est entaché d’importantes erreurs. La question centrale à trancher est de savoir si ces erreurs sont déterminantes pour l’analyse prospective concernant la demande d’asile sur place formulée dans la dernière partie de la décision.

[47]           Au regard des expériences passées du demandeur, la Commission tire une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité motivée par les incohérences et les omissions cumulatives entre les notes prises au point d’entrée, le FRP initial, le FRP modifié et le témoignage livré à l’audience. De plus, la Commission n’a pas été convaincue par les explications du demandeur au sujet des problèmes éprouvés, concluant que le témoignage de celui‑ci se transformait pour cacher ses erreurs.

[48]           La Commission a pris connaissance par un billet du médecin du fait que le demandeur « souffre de troubles de mémoire » et de certains incidents qui s’étaient produits il y a plusieurs années. Par conséquent, un diagnostic médical de troubles de mémoire aurait pu répondre dans une large mesure aux omissions et aux incohérences relevées et examinées par la Commission. Or, la Commission a écarté la preuve médicale attestant des troubles de mémoire, en l’excluant effectivement de l’examen des autres éléments de preuve la Commission et des explications du demandeur au sujet des contradictions relevées. J’estime que la Commission a, à tort et de façon déraisonnable, laissé de côté le billet du médecin. Un certain nombre de raisons me permettent d’affirmer ceci.

[49]           Voici ce que la Commission affirme, aux paragraphes 28 et 31 de la décision, au sujet du billet du médecin (DCT, aux pages 9 et 10) :

[28]      Toutefois, j’accorde peu d’importance à la note, du fait qu’elle ne précise pas s’il s’agit d’une conclusion que le médecin a tirée en se fondant sur de simples affirmations de la part du demandeur d’asile ou si un examen objectif a été fait pour justifier une déclaration aussi catégorique. En outre, même si j’accordais beaucoup d’importance à la note, celle‑ci laisse seulement entendre que les troubles de mémoire sont survenus après le diagnostic de maladie grave du demandeur d’asile et en raison du choc provoqué par ce genre de diagnostic. Aucune autre explication n’est donnée.

[…]

[31]      J’estime que le diagnostic de troubles de mémoire a une valeur probante limitée, du fait qu’il n’est pas mentionné s’il est fondé sur un entretien ou plus, à quel moment le demandeur d’asile a eu son entretien, s’il a été questionné en anglais ou en tamoul, combien de temps le médecin a passé avec le demandeur d’asile, si un interprète était présent ou si le médecin parlait le tamoul. Cette déclaration de troubles de mémoire n’est peut‑être qu’une répétition de ce que le demandeur d’asile a lui‑même dit au sujet de sa situation et de ses symptômes.

[Caractères gras dans l’original.]

[50]           Il se peut que le billet du médecin repose sur les affirmations du demandeur, mais la Commission ne disposait pas d’éléments de preuve à cet égard. Ainsi, la Commission a tiré des conclusions de nature hypothétique. Il aurait été simple pour la Commission d’inviter le demandeur à préciser l’origine de son diagnostic de troubles de mémoire ou de mentionner ses réserves et donner au demandeur l’occasion de fournir des explications. La Commission n’a rien fait à cet égard et a fini par conclure que le billet du médecin aurait pu reposer sur le propre diagnostic du demandeur. Compte tenu de l’importance du diagnostic de « troubles de mémoire » pour les questions précises posées au demandeur quant au moment et à l’endroit où étaient survenus des événements passés et de l’explication donnée par le demandeur lors de son témoignage voulant qu’il ait toujours souffert de troubles de mémoire (la raison pour laquelle il avait fourni un diagnostic médical), la Commission était, à mon avis, tenue de communiquer ses réserves au sujet du billet du médecin plutôt que de ne pas se prononcer à cet égard pour ensuite prendre grand soin de rejeter ce document dans sa décision. Voir Karadag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 353, au par. 4; Angulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1131, au par. 36; Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284, aux par. 32 à 42.

[51]           Au paragraphe 30 de sa décision, la Commission fait l’observation raisonnable suivante (DCT, à la page 10) :

La note rédigée sur la feuille d’ordonnance laisse entendre que les troubles de mémoire ont commencé [traduction] « probablement » après la consultation médicale de mai 2012. Elle n’explique donc pas sans ambages le fait qu’il est évident que le demandeur d’asile avait déjà auparavant des troubles de ce genre à la comparaison de l’exposé circonstancier [sic] du FRP initial de novembre 2010 avec les notes prises lors de l’entrevue de l’ASFC au cours de ce même automne ou avec le formulaire de demande d’asile de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) daté du 27 septembre 2010.

[Notes de bas de page omises]

[52]           Ces propos ne posent pas problème, à mon avis, mais il faut aussi se rappeler que la conclusion générale défavorable en matière de crédibilité est cumulative et, comme le révèle la décision, la Commission a accordé beaucoup d’importance aux contradictions entre le témoignage du demandeur et ses déclarations figurant dans les notes prises au point d’entrée et dans les deux FRP. Et le problème tient au défaut de la Commission de prendre en compte le diagnostic médical pour évaluer le témoignage du demandeur.

[53]           Plutôt que de demander une explication sur l’origine du diagnostic et de se prononcer sur cette question de manière objective, la Commission se désigne elle‑même experte en matière de troubles de mémoire (DCT, aux pages 10 et 11) :

[32]      Lors de l’audience, la conseil du demandeur d’asile lui a demandé à partir de quel moment il avait commencé à avoir des troubles de mémoire, et il a répondu qu’il avait commencé à en avoir après son arrestation à Negombo, mais qu’il en avait eu davantage après avoir subi une chimiothérapie ici, dans ce pays.

[33]      Toutefois, je ne perçois pas que la capacité du demandeur d’asile à livrer un témoignage était manifeste de troubles de mémoire. Par exemple, dans le cadre des dernières questions que je lui ai posées, je lui ai demandé d’expliquer en quoi consistait actuellement sa crainte au Sri Lanka. Il a répondu qu’il y avait [traduction] « cinq éléments » à considérer et il a ajouté ce qui suit :

1. Le gouvernement du Sri Lanka a dit que toutes les personnes ayant voyagé à bord du navire étaient des membres des TLET.

2. Le demandeur d’asile a été arrêté à deux reprises parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les TLET.

3. Un homme qui se trouvait à bord du navire a été renvoyé au Sri Lanka. Il a été appréhendé et personne ne sait comment il est mort. Cette personne s’appelait « SATHI ».

4. Le demandeur d’asile a lu la semaine dernière que le gouvernement du Sri Lanka allouait d’importantes sommes d’argent aux forces de sécurité intérieure.

5. Le premier ministre du Canada a refusé d’aller au Sri Lanka en raison des conflits dans ce pays.

[34]      Par la suite, le demandeur d’asile a allégué que l’homme qu’il avait appelé Sathi avait été libéré grâce à l’intervention de la Croix‑Rouge, mais que le gouvernement avait ensuite [traduction] « organisé cet accident » dans le cadre duquel il avait été tué. Le demandeur d’asile a dit que, durant le couvre‑feu, les autorités du gouvernement peuvent faire n’importe quoi et que, par conséquent, il avait peur qu’elles soient toujours à la recherche de membres des TLET.

[35]      J’ai demandé au demandeur d’asile comment il avait pu, malgré les nombreux autres problèmes qu’il avait eus lors de son témoignage de vive voix (qui sont énoncés ci‑dessous), énumérer ces cinq éléments et les répéter de façon cohérente. Il a répondu qu’il les avait écrits et que, par la suite, il les avait lus encore et encore.

[36]      Il est clair qu’une démonstration de ce genre tend à m’indiquer que la mémoire du demandeur d’asile n’est pas défaillante au point de le limiter lorsqu’il prend le temps de réviser et d’écrire. Je souligne qu’un tel étalage de mémorisation par cœur donne à penser que le demandeur d’asile n’a pas vraiment de limitations en soi quant à sa mémoire.

[Note de bas de page omise.]

[54]           Il n’y avait pas de preuve objective démontrant qu’une personne qui souffrait de troubles de mémoire et qui éprouvait de la difficulté à se souvenir des événements passés ne pouvait pas se rappeler des éléments qu’il avait écrits et qu’il avait lus encore et encore. Une telle situation est fort différente de celle où il s’agit de répondre à des questions posées lors d’une audience, là où aucune préparation n’est possible. Cette question nécessite l’opinion d’un expert. Les commentaires de la Commission à cet égard ne constituent pour l’essentiel qu’une opinion personnelle sur une question d’ordre médical. Là encore, la Commission ne fait que des suppositions.

[55]           La Commission conclut comme suit l’analyse concernant le billet du médecin (DCT, aux pages 11 et 12) :

[37]      Dans ses observations, la conseil du demandeur d’asile a avancé que celui‑ci a des problèmes médicaux qui ont [traduction] « vraisemblablement eu des répercussions sur sa mémoire » pendant un certain temps, et ce, même avant le diagnostic. À mon avis, cette affirmation n’est rien de plus qu’une hypothèse, et je ne peux pas y accorder la moindre importance.

[38]      Ayant conclu que le demandeur d’asile n’est pas crédible quant à certains éléments de sa demande d’asile et n’ayant aucun détail quant au fondement de la note du médecin de famille, j’accorde à ce document peu de valeur probante. En outre, je souligne que la note écrite sur la feuille d’ordonnance n’était datée que de six jours avant la tenue de l’audience mise au rôle.

[39]      Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est allé consulter le médecin de famille qu’aux fins de la demande d’asile et non parce qu’il avait besoin de soins médicaux. En effet, autrement, le demandeur d’asile aurait demandé de l’aide bien avant cette date. Il se trouve au Canada depuis août 2010.

[56]           En effet, le fait que le demandeur s’est adressé à un médecin pour obtenir une preuve de ses troubles de mémoire ne soulève aucun soupçon quant à l’audience susmentionnée. Si le demandeur s’était contenté d’affirmer qu’il souffrait de troubles de mémoire sans fournir à l’appui le billet du médecin, la Commission aurait tout simplement conclu que celui‑ci n’avait pas fourni d’éléments de preuve objectifs, appuyés par un témoignage d’expert, alors qu’on s’attendait raisonnablement à ce qu’il le fasse. Si quelqu’un estime que sa mémoire pourrait s’avérer défaillante à une occasion décisive pour son sort, il serait insensé de ne pas obtenir et produire une confirmation médicale des problèmes éprouvés. L’inférence tirée par la Commission que le billet du médecin ne visait qu’à renforcer la demande d’asile relève de la pure hypothèse. À moins qu’il ne se soit retrouvé dans une situation décisive similaire dans le passé (mais la Commission ne se penche pas sur cette question), alors il n’y aurait aucune raison pour le demandeur d’obtenir une confirmation médicale de ses troubles de mémoire.  

[57]           La Commission n’était pas tenue de retenir le billet du médecin comme preuve des troubles de mémoire qui pouvaient altérer le témoignage du demandeur et expliquer les contradictions sur lesquelles s’est fondée la Commission pour tirer une conclusion générale défavorable quant à la crédibilité. Or, la Commission ne peut faire des suppositions; elle doit fournir un fondement véritable pour rejeter le billet du médecin. Voir Ukleina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1292; K.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 78, aux par. 60 et 61. La Commission n’aurait eu qu’à demander quelle était l’origine du diagnostic ou aviser le demandeur de ses réserves et lui permettre de donner des explications à cet égard. La Commission a plutôt tiré une conclusion fondée sur des hypothèses, à la fois déraisonnable et contraire aux règles d’équité procédurale.

[58]           La Commission fait référence aux possibles troubles de mémoire du demandeur à de nombreuses reprises, au sujet de points saillants de la décision. Il en est ainsi parce que la Commission s’efforce de questionner le demandeur sur des détails relatifs à des événements passés et tire une conclusion défavorable chaque fois qu’elle relève des incohérences, alors que ces incohérences pourraient très bien d’écouler des troubles de mémoire. Ces troubles de mémoire pourraient aussi expliquer le fait que, selon la Commission, le témoignage du demandeur « se transformait » au fur et à mesure qu’il s’efforçait d’expliquer les contradictions entre son témoignage et ses déclarations figurant dans ses FRP ou dans les notes prises au point d’entrée. Les troubles de mémoire entrent d’ailleurs en jeu lorsque la Commission examine la lettre provenant de la mère du demandeur qui sera écartée du fait qu’elle était fondée sur ce que le demandeur avait raconté à sa mère et que celui‑ci avait été jugé non crédible. Cette lettre et également écartée pour ce qu’elle garde sous silence, ce qui constitue une autre erreur susceptible de contrôle. Voir Mahmud, précitée, au par. 11; Arslan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 252, au par. 88; Durrani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 167, au par. 7. Il est aussi question du billet du médecin lorsque la Commission examine les relations du demandeur avec le passeur qui l’avait aidé à quitter le Sri Lanka. La Commission admet effectivement ce qui suit : « Même si le demandeur d’asile n’a pas été questionné davantage au sujet du passeur, compte tenu des nombreuses réserves cumulatives en matière de crédibilité énoncées ci‑dessus, je suis d’avis que l’exposé circonstancié écrit parle de lui‑même » (DCT, à la page 24).

[59]           Par conséquent, le billet du médecin avait une grande importance pour la décision contestée, au moins en ce qui concerne les événements passés. La Cour doit déterminer si les conclusions quant au billet du médecin nuisent également à l’analyse prospective de la Commission et aux conclusions concernant la demande d’asile sur place.

[60]           De manière générale, la Commission conclut que le demandeur ne serait exposé à aucun risque à l’avenir et que la demande d’asile sur place n’est pas justifiée du fait que le demandeur ne correspondait pas au profil d’une personne qui était ciblée par les autorités sri‑lankaises et qui risquait d’être soumise à de mauvais traitement à son retour au pays. Cette conclusion repose partiellement sur la constatation que, au vu de son récit peu convaincant des événements passés, les autorités sri‑lankaises du Sri Lanka ne s’intéressaient aucunement au demandeur lorsqu’il a quitté le pays (DCT, à la page 26):

[114]    Le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas crédible quant à des éléments clés et centraux de sa demande d’asile. En conséquence, le tribunal accorde peu de valeur probante aux allégations faites relativement à la poursuite et à une persécution potentielle de la part des autorités si le demandeur d’asile devait retourner au Sri Lanka ou encore à sa crainte de retourner au Sri Lanka parce que les autorités le poursuivraient, l’arrêteraient ou le persécuteraient. En ce qui concerne les éléments analysés ci‑dessus, aucun élément de preuve crédible n’a été présenté pour étayer une crainte de ce genre.

[61]           Il est impossible de dire si la Commission aurait pu arriver à une conclusion différente si elle n’avait pas commis d’erreur dans la façon de traiter le billet du médecin. La Commission aurait peut‑être estimé que le demandeur était un témoin crédible et aurait accepté sa version des événements passés, ce qui aurait eu pour effet de modifier le profil du demandeur et de convaincre la Commission qu’il serait exposé à un risque à son retour au pays. En d’autres termes, la manière déraisonnable et inéquitable dont la Commission a traité la question des « troubles de mémoire » nuit à l’ensemble de la décision. La Cour ne saurait déterminer si le demandeur correspondait à un profil de risque. Il appartient à la Commission de statuer sur cette question : voir Khosa, précité, au par. 59. Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen.

[62]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour nouvel examen.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2278‑14

 

INTITULÉ :

NIRUJAN SIVARAJA (ALIAS NIRUJAN SIVARAJAH) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 AVRIL 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2015

 

COMPARUTIONS :

Alesha A. Green

 

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Me Alesha A. Green

Avocate

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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