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Date : 20150611


Dossier : T-1957-14

Référence : 2015 CF 738

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 juin 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

SAMUEL S. CHUA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(FORCES CANADIENNES) ET

CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA DÉFENSE (CEMD) ET L’HONORABLE PETER MCKAY (ANCIEN MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE)

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 18 août 2014 par laquelle le chef d’état‑major de la défense (CEMD) a refusé d’accorder au demandeur le redressement que celui‑ci sollicitait dans son grief daté du 11 juin 2009 concernant sa prétention selon laquelle il aurait été traité de façon inadéquate par les Forces canadiennes (FC) en raison de son état de santé.

[2]               Le demandeur est un homme adulte qui, lors de la période pertinente, avait servi environ 17 ans au sein des FC et avait obtenu le grade de caporal‑chef, soit un grade de sous‑officier. La décision faisant l’objet du contrôle résume le contexte dans la section intitulée [traduction] « Contexte ». 

[3]               En bref, le demandeur a subi une blessure à la tête et au cou lorsqu’il participait à une partie de basketball autorisée, et selon le diagnostic posé, il a été victime d’une commotion. La preuve n’est pas tout à fait concluante sur la question de savoir si cette blessure a entraîné les problèmes de santé qui se sont manifestés ultérieurement. Je répète les autres événements tels qu’ils sont présentés dans la section de la décision en litige portant sur le contexte, qui, à mon avis, expose avec précision les faits pertinents :

        le 7 décembre 2007, le demandeur aurait, selon ses dires, attendu dans la salle d’examen médical pendant environ deux heures;

        le 11 février 2008, le demandeur a envoyé une note de service à un médecin militaire (MM), dans laquelle il demandait un examen complet de sa situation personnelle et médicale, car il avait souffert de différents problèmes de santé depuis sa blessure en 2004;

        le 24 février 2009, un MM a recommandé au commis surveillant de la base d’inscrire le demandeur sur la Liste des effectifs du personnel non disponible (LEPND);

        le 25 février, le MM a communiqué avec le commandant de la base (Cmdt B) et l’a informé que le demandeur s’était vu attribuer des contraintes à l’emploi pour raisons médicales (CERM) qui l’empêcheraient de réintégrer pleinement ses fonctions. Une recommandation allait être formulée afin que le Directeur – Politique de santé procède à un examen et recommande sa libération. Le MM a une fois de plus recommandé d’inscrire le demandeur sur la LEPND;

        le 26 février 2009, le Cmdt B a recommandé d’inscrire immédiatement le demandeur sur la LEPND;

        le 1er juin 2009, le demandeur a demandé une libération volontaire;

        le 11 juin 2009, le demandeur a présenté un grief concernant son état de santé;

        le 17 juillet 2009, le demandeur a demandé l’annulation de sa libération volontaire;

        le 12 août 2009, le Cmdt B a recommandé au Directeur – Carrières militaires (DCM) de rejeter la demande d’annulation, car rien n’indiquait que l’état de santé du demandeur empêchait celui‑ci de travailler au sein des FC. Il a souligné que le demandeur avait refusé d’exercer des fonctions à différents lieux de travail dans la base et qu’il ne semblait pas dévoué au service au sein des FC;

        le 19 août 2009, le gestionnaire des carrières responsable du demandeur a examiné la demande de retrait et l’a appuyée, car il a compris que le demandeur avait des problèmes psychologiques sous‑jacents. Il a souligné que le Cmdt B et le MM n’avaient pas appuyé le retrait;

        le 27 août 2009, le DCM, en désaccord avec son état‑major, n’a pas approuvé la demande qu’avait présentée le demandeur en vue de retirer sa demande de libération volontaire;

        le 29 septembre 2009, à la lumière des conclusions qu’il a tirées pendant l’examen médical auquel le demandeur a été soumis au moment de sa libération, le MM a recommandé l’attribution d’une catégorie médicale permanente;

        le 6 octobre 2009, le demandeur a été libéré aux termes de l’article 15.01 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC) (Libération des officiers et militaires du rang), numéro 4c) (Volontaire – Sur demande – pour autres motifs);

        le 18 juin 2010, à l’issue d’un examen administratif se rapportant aux CERM, le motif de libération a été remplacé par le numéro 3b) (Raisons de santé) et antidaté au 6 octobre 2009.

[4]               Il convient de commenter ces faits. Premièrement, le dossier ne fait pas clairement état des raisons pour lesquelles le demandeur, un mois après avoir présenté une demande de libération volontaire des Forces canadiennes, a demandé la permission de retirer cette demande.

[5]               En mai 2009, le demandeur a subi une évaluation psychiatrique menée par un médecin. Selon la recommandation formulée à l’issue de cette évaluation, le demandeur n’était alors pas disposé à suivre une psychothérapie et il n’acceptait pas l’idée de prendre des médicaments. Le médecin a établi un mauvais pronostic quant au retour du demandeur au plein emploi.

[6]               Le 1er juin 2009, le demandeur a présenté par écrit une demande de libération volontaire des FC en raison des problèmes de santé et familiaux qu’il éprouvait.

[7]               Le 17 juillet 2009, le demandeur a présenté des observations écrites intitulées [traduction] « DEMANDE D’ANNULATION ET DE LIBÉRATION VOLONTAIRE », par lesquelles il ne présentait pas exactement une demande d’annulation de sa libération volontaire, mais qui ont été traitées comme si c’était le cas. En voici un extrait :

[traduction]

3          À titre de membre des FC et de chef subalterne, je prends mes responsabilités en reconnaissant que j’ai besoin d’un traitement médical, d’une attention et de soins appropriés (réf C). Il est essentiel que mon médecin militaire (le Dr M. Patterson) formule des suggestions avant que je prenne toute décision relative à ma libération. Par conséquent, la « libération volontaire » n’était pas une option et n’aurait jamais dû l’être.

[8]               Les observations relatives au retrait de la demande (page 96 du dossier certifié du tribunal) comportent différentes notes manuscrites rédigées par des inconnus. Il s’agit sans doute de membres des FC concernés par cette affaire formulant des commentaires, dont les suivants, sur les observations :

[traduction]

Je peux honnêtement dire que j’ignore ce que (le demandeur) veut. Il croit qu’il a besoin de soins médicaux qu’il ne recevra pas s’il est libéré. Toutefois, il ne veut pas non plus travailler.

[9]               J’en déduis qu’à un certain moment entre le mois de juin et le mois de juillet 2009, le demandeur a repensé à sa demande de libération volontaire et il a estimé qu’il pourrait recevoir de meilleurs soins médicaux s’il demeurait au sein des FC.

[10]           Le demandeur conteste vigoureusement toute conclusion selon laquelle il aurait refusé de travailler. Toutefois, j’estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de la conclusion selon laquelle le demandeur n’aurait pas exercé les fonctions même minimes, qui lui ont été assignées en 2009 avant la présentation de sa demande de libération volontaire.

[11]           Une lettre du ministre de la Défense nationale destinée au député du demandeur, datée du 8 septembre 2010, rend compte des incidents qui se sont produits à la suite de la libération du demandeur le 5 octobre 2009. Je cite un extrait de cette lettre dans l’objectif de souligner que le motif de libération du demandeur a été modifié de libération volontaire à libération pour raisons de santé; le demandeur a reconnu à l’audience que ce changement lui a procuré beaucoup plus d’avantages :

[traduction]

Le 3 septembre 2009, le DCM a informé le caporal‑chef Chua que sa demande d’annulation de libération volontaire avait été examinée, puis rejetée. Le 5 octobre 2009, il a été libéré légalement aux termes du chapitre 15 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, motif de libération numéro 4c) – Sur demande – pour autres motifs.

Le 3 mars 2010, le caporal‑chef Chua s’est vu attribuer la catégorie médicale permanente suivante : acuité visuelle 3, vision des couleurs 1, ouïe 1, facteur géographique 5, facteur professionnel 4, facteur d’aptitude au vol 5. Le Directeur – Politique de santé a ensuite procédé à l’examen administratif de son dossier médical conformément aux recommandations formulées à l’issue de son examen médical à la libération effectué à la BFC/USS Wainwright. Voici les contraintes à l’emploi pour raisons médicales (CERM) qui lui ont été imposées :

•    nécessite un suivi régulier auprès d’un spécialiste à intervalles de moins de six mois;

•    inapte à travailler dans un milieu opérationnel militaire;

•    travail de bureau avec les légères tâches physiques que le militaire peut supporter;

•    inapte sur le plan médical à participer au Programme EXPRES des FC;

•    incapable d’exécuter les exercices militaires et les défilés de plus de 30 minutes;

•    doit porter des verres correcteurs sur ordonnance;

•    bon nombre de ces CERM sont contraires à l’universalité du service (des renseignements détaillés sont accessibles sur Internet, à l’adresse http://admfincs.forces.gc.ca/daod-doad/5000/5023-0-fra.asp). Par conséquent, le caporal‑chef Chua aurait normalement été libéré pour des raisons de santé en temps voulu (numéro 3b)).

Bien que les commentaires du cmdt sur l’état de santé du caporal‑chef Chua étaient imparfaits, la décision par laquelle il n’a pas appuyé l’annulation de la libération du caporal‑chef Chua ne l’était pas. Compte tenu de la situation de ce militaire à l’époque, pour le cmdt, il était évident qu’il n’était pas dans l’intérêt supérieur des Forces canadiennes d’annuler la libération.

À la suite de la libération volontaire du caporal‑chef Chua, un examen administratif se rapportant aux CERM a été effectué et a mené à la conclusion que les CERM qui lui avaient été imposées étaient contraires à l’universalité du service au moment de sa libération. Par conséquent, le motif de libération du caporal‑chef Chua, qui était 4c), a été remplacé par le motif 39b), le 18 juin 2010, car celui‑ci était jugé plus approprié. Il importe de souligner que les Forces canadiennes ont la responsabilité d’assurer la transition vers le secteur civil des soins de santé pour les militaires malades et blessés. Dans le cas du militaire en question, le traitement qu’il aurait reçu au sein des Forces canadiennes est offert par l’entremise de son système de santé provincial.

Malheureusement, la demande d’annulation de la libération du caporal‑chef Chua ne peut être accueillie. Il n’existe aucun mécanisme permettant d’annuler la libération après la date d’entrée en vigueur de la libération. S’il se rétablit et qu’il redevient apte au service, il peut présenter une nouvelle demande.

LE GRIEF

[12]           Le 12 août 2009, le commandant du demandeur a formulé la recommandation suivante à ses supérieurs à Ottawa, à savoir que la demande qu’a présentée le demandeur en vue de retirer sa demande de libération volontaire devrait être rejetée :

[traduction]

J’ai examiné la demande qu’a présentée le caporal‑chef Chua en vue de retirer sa demande de libération volontaire. Rien n’indique qu’un problème de santé empêche le caporal‑chef Chua de travailler au sein des FC. En effet, dans son dernier CF 2088, il s’était vu attribuer une CatT, car le traitement qu’il recevait semblait susciter des améliorations. Le caporal‑chef Chua a refusé d’exercer les fonctions qui lui étaient assignées à différents lieux de travail dans la base malgré le fait que son superviseur avait jugé que son rendement était satisfaisant dans le cadre de son dernier emploi. J’estime que le caporal‑chef Chua n’est pas dévoué au service au sein des FC et je recommande fortement le rejet de sa demande visant à annuler sa libération.

[13]           Par conséquent, le demandeur a déposé un grief (numéro T11 211 909), qui a été soumis au Comité des griefs des Forces canadiennes et dont la réception a été confirmée le 25 août 2010. Le Comité a tranché en faveur du demandeur. Voici un extrait de la décision du Comité :

[traduction]

À mon avis, il aurait été plus compatissant et cohérent de permettre au plaignant de retirer sa demande de libération volontaire et d’inscrire celui‑ci sur la LEPND. Ainsi, les autorités médicales auraient pu évaluer si l’état de santé du plaignant pouvait s’améliorer suffisamment pour qu’il poursuive son service. Toutefois, selon les documents versés au dossier, la demande de libération volontaire a entraîné l’annulation de la proposition d’inscrire le plaignant sur la LEPND (pages 216 et 217). [Non souligné dans l’original.]

Le DCM a disposé de trois mois entre la recommandation d’inscrire le plaignant sur la LEPND (26 février 2009) et la demande de libération volontaire de celui‑ci. Je suis convaincu que si le plaignant avait été inscrit sur la LEPND pendant cette période, il n’aurait pas demandé de libération volontaire et serait demeuré sur la LEPND jusqu’à ce qu’il soit libéré pour des raisons médicales.

J’estime que le plaignant aurait dû avoir le droit de retirer sa demande de libération volontaire et aurait dû être inscrit sur la LEPND.

Recommandations

Je recommande au CEMD d’examiner le grief dans l’intérêt de la justice.

Je recommande au CEMD d’accueillir en partie le grief; je lui recommande d’accueillir la demande du plaignant visant à annuler sa libération volontaire et à modifier la date de sa libération afin qu’elle corresponde à la date à laquelle le motif de libération 3b) a été attribué.

Je recommande d’informer le plaignant qu’il a la possibilité de présenter une demande de réenrôlement s’il estime que son état de santé s’est suffisamment amélioré.

[14]           Il est important de souligner à ce stade-ci que la plupart des recommandations formulées ont été mises en œuvre; la libération du demandeur a été classée dans la catégorie des « raisons de santé », la date de sa libération a été modifiée et il a été invité à présenter une demande de réenrôlement dans l’éventualité où son état de santé s’améliorait.

[15]           Le Comité a été renommé le Comité externe d’examen des griefs militaires (Comité des griefs). Aux termes du paragraphe 29.2(1) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5, le Comité doit transmettre ses conclusions au chef d’état-major de la défense.

29.2 (1) Le Comité des griefs examine les griefs dont il est saisi et transmet, par écrit, ses conclusions et recommandations au chef d’état-major de la défense et au plaignant.

29.2 (1) The Grievances Committee shall review every grievance referred to it by the Chief of the Defence Staff and provide its findings and recommendations in writing to the Chief of the Defence Staff and the officer or non-commissioned member who submitted the grievance.

[16]           L’article 29.13 de la Loi sur la défense nationale prévoit que le chef d’état‑major de la défense n’est pas lié par les conclusions et recommandations, mais s’il est en désaccord avec celles‑ci, il doit motiver sa décision. Dans l’arrêt McBride c Canada (Ministre de la Défense), 2012 CAF 191, au paragraphe 45, la Cour d’appel fédérale a qualifié l’instance dont était saisi le chef d’état‑major d’« examen de novo ». En l’espèce, aucun élément de preuve nouveau n’a été déposé auprès du chef d’état‑major, bien que le demandeur ait fourni d’autres observations écrites.

[17]           Le chef d’état‑major de la défense, dans la décision faisant l’objet du contrôle, était en désaccord avec le Comité et a refusé d’accorder au demandeur le redressement qu’il demandait. À la page 6 de sa décision, il s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

Vous prétendez que les FC ont agi de façon injuste, de mauvaise foi et de façon discriminatoire lorsqu’elles ont rejeté la demande d’annulation de votre libération volontaire pendant qu’une libération pour des raisons médicales était déjà en cours.

Le Comité a conclu que la recommandation du Cmdt B de refuser le retrait de votre demande de libération volontaire sans aucun changement d’importance relatif aux faits ne concordait pas avec sa recommandation antérieure de vous inscrire sur la LEPND. À première vue, je suis d’accord. L’examen d’une demande d’annulation d’une libération volontaire diffère de l’examen d’une demande initiale de libération volontaire. Une demande initiale provient du militaire et est axée sur celui‑ci, c’est‑à‑dire que c’est le militaire qui souhaite mettre fin à sa relation avec les FC. Toutefois, une demande d’annulation d’une libération volontaire est axée sur les FC, car ce sont les FC qui examinent leurs besoins et établissent si elles ont besoin des services du militaire demandant l’annulation. [Non souligné dans l’original.]

Je reconnais que la demande d’annulation de votre libération volontaire aurait pu recevoir un meilleur traitement et que les commentaires du Cmdt B n’étaient pas aussi bien formulés qu’ils auraient pu l’être. Cependant, je souligne que vous avez affirmé être réticent à accepter le traitement et à participer activement à votre plan de rétablissement et de retour au travail. Comme vous avez refusé un certain nombre d’affectations possibles, votre engagement envers les FC a été mis en doute.

Je remarque également que dans votre note de service du 17 juillet 2009, dans laquelle vous avez demandé l’annulation de votre libération volontaire, vous n’avez pas exprimé votre désir de poursuivre votre service au sein des FC. Vous avez plutôt seulement mis l’accent sur le fait que vous souhaitiez obtenir un traitement médical. Vous avez également demandé de consulter le Dr Patterson, et celui‑ci, qui a bel et bien été consulté, a confirmé qu’il serait approprié que vous réintégriez la vie civile.

Pour prendre ma décision, j’ai tenu compte des doutes concernant votre engagement envers les FC, de votre réticence à accepter un traitement, des différentes affectations qui vous ont été proposées pour faciliter votre retour au travail ainsi que de l’avis médical du Dr Patterson, selon lequel il vous serait bénéfique de réintégrer la vie civile. Par conséquent, j’estime que la décision de rejeter votre demande était raisonnable compte tenu de ces renseignements.

En ce qui a trait au motif de votre libération, je remarque que celui‑ci a été remplacé par le numéro 3b) (raisons de santé) et antidaté à la date de votre libération volontaire. Vous aviez alors droit à une aide médicale appropriée et à des avantages financiers.

[18]           À la page 7 de sa décision, le chef d’état‑major de la défense a fait le résumé suivant :

[traduction]

Résumé. Dans votre grief, vous avez demandé aux FC de reconnaître que le manque de mesures, d’interventions et de résolutions de votre ancienne chaîne de commandement ainsi que les événements survenus après le 5 décembre 2007 ont eu et continuent d’avoir une incidence sur votre dépression et votre anxiété. Je ne trouve rien qui prouve que les mesures que les FC peuvent avoir prises ou non sont directement liées aux problèmes de santé que vous avez commencé à éprouver en décembre 2007. Par conséquent, je ne vous accorde pas le redressement demandé.

[19]           J’ai souligné des passages des décisions écrites du Comité et du chef d’état‑major de la défense, car il s’agit du fondement des différences entre les résultats. Dans son examen de la question, le Comité s’est concentré sur ce qui serait bon pour le demandeur, tandis que le chef d’état‑major de la défense s’est concentré sur ce qui serait bon pour les FC.

LA RÉPARATION DEMANDÉE

[20]           Le demandeur s’est représenté lui‑même tout au long du processus de règlement du grief ainsi que lors de l’instance devant la Cour. La réparation demandée a été modifiée à quelques reprises pendant le processus de règlement du grief et elle est résumée avec précision aux pages 1 et 2 de la décision faisant l’objet du contrôle, sous le titre [traduction] « redressement demandé ».

[traduction]

Redressement demandé. Vous avez d’abord demandé aux FC de reconnaître que le manque de mesures, d’interventions et de résolutions de votre ancienne chaîne de commandement ainsi que les incidents qui se sont produits après le 5 décembre 2007 ont eu et continuent d’avoir une incidence sur votre dépression et votre anxiété.

Le 19 mars 2010, vous avez modifié votre redressement et avez demandé les éléments suivants :

a.    une indemnité financière pour salaire perdu (rémunération future et pension), en plus des intérêts;

b.    une indemnité financière pour souffrance et douleurs;

c.    une indemnité financière pour frais juridiques;

d.    une lettre d’excuses des FC signée par le chef d’état‑major de la défense et le ministre de la Défense nationale;

e.    un engagement accru des FC à l’égard des militaires ayant subi des blessures physiques ou souffrant de troubles mentaux;

f.    l’augmentation du pouvoir et de l’influence des médecins civils dans le processus décisionnel;

g.    l’intégration de la massothérapie et de la chirurgie oculaire au laser dans les soins offerts;

h.    des dons des FC à six établissements de santé;

i      des communications claires avec Anciens Combattants Canada au sujet des militaires ayant des incapacités.

Le 10 janvier 2011, vous avez également demandé que 15 membres des effectifs du personnel fassent l’objet de mesures disciplinaires, pour harcèlement et discrimination.

Le 9 mars 2011, vous avez demandé d’imposer des mesures administratives militaires ou des mesures disciplinaires à trois médecins des FC en raison de leur manque d’empathie, de compassion et de soutien.

Le 14 mars 2011, vous avez formulé les demandes suivantes :

a.    recevoir une indemnité pour la perte de salaire et de pension équivalant à la période de maintien en fonction de trois ans et au programme de réadaptation professionnelle de six mois, auxquels vous estimiez avoir droit;

b.    dans l’éventualité où je modifie votre date de libération, avoir droit à une réadaptation professionnelle de six mois, à un congé annuel et à un congé de maladie;

c.    recevoir le remboursement de tous les frais que vous avez déboursés personnellement pour des traitements de physiothérapie et autres.

[21]           Le demandeur a manifestement été trop exigeant dans le redressement qu’il a demandé. Comme je l’ai déjà mentionné, il a en fait obtenu une partie du redressement demandé. La majeure partie du redressement dépasse la portée de ce qui peut être accordé dans le cadre du processus de règlement de grief. Je souligne que dans le cadre d’une autre instance devant la Cour, soit dans le dossier T‑825‑11, le demandeur a intenté une action contre le procureur général et d’autres personnes, dans laquelle il demandait des dommages‑intérêts. La Cour a radié cette action dans une décision portant la référence 2014 CF 285.  

[22]           Lors de l’audience, le demandeur a affirmé qu’il comprenait que la Cour avait des pouvoirs limités pour accorder une réparation en l’espèce et que pour l’instant, il demandait simplement à la Cour de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La question principale que je dois trancher consiste à savoir si la décision du chef d’état‑major de la défense datée du 18 août 2014 devrait lui être renvoyée pour nouvelle décision. Pour trancher cette question, je dois tenir compte des questions énoncées ci‑dessous.

[24]           Quelle est la norme de contrôle applicable?

[25]           La décision était‑elle raisonnable ou correcte, selon la norme de contrôle applicable?

[26]           Le demandeur a‑t‑il été victime de discrimination ou de harcèlement en raison de son état de santé?

[27]           Le demandeur a‑t‑il prouvé qu’il y a eu violation de la Charte?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[28]           La brève décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harris c Canada (Procureur général), 2013 CAF 278, qui portait sur l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour fédérale 2013 CF 571, établit que, au moins lorsque le chef d’état‑major de la défense a refusé d’entendre un grief, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt McBride c Canada (Ministre de la Défense nationale), 2012 CAF 181, aux paragraphes 32 et 33, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en ce qui a trait à une décision par laquelle le chef d’état‑major de la défense accepte une recommandation formulée par le Comité des griefs, la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité pour les questions mixtes de fait et de droit, sauf dans la mesure où ces questions soulèvent des questions de droit isolables. Lorsque le contrôle suit la norme de la décision raisonnable, la question consiste simplement à savoir si la décision initiale était raisonnable.

[29]           Aucune question relative à un manquement à l’équité procédurale n’a été soulevée en l’espèce.

[30]           Par conséquent, je conviens que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, sauf lorsqu’une question de droit isolable se pose, auquel cas la norme applicable est celle de la décision correcte.

La décision était‑elle raisonnable ou correcte?

[31]           Le demandeur, n’étant pas avocat, présente ses arguments de façon plutôt diffuse. Je les résume ainsi :  

        j’étais malade;

        le chef d’état‑major de la défense a eu tort de se concentrer sur les FC lorsqu’il a tranché la question.

J’étais malade

[32]           Il convient d’examiner cet argument de deux points de vue. Premièrement, il faut se demander si le chef d’état‑major de la défense aurait dû reconnaître que le demandeur n’avait pas la capacité mentale de demander sa libération volontaire. Deuxièmement, il faut se demander si le chef d’état‑major de la défense aurait dû accorder une certaine latitude au demandeur afin que celui‑ci puisse changer d’avis et demander le retrait de sa demande de libération. Autrement dit, il faut établir si le demandeur a été victime de discrimination lorsqu’il s’est vu interdire de retirer sa demande, car il avait des problèmes de santé mentale.

[33]           Le chef d’état‑major de la défense a consacré quelques pages de sa décision à l’analyse des problèmes de santé mentale du demandeur. J’effectue le contrôle de cette analyse, largement factuelle, selon la norme de la raisonnabilité. Le chef d’état‑major de la défense a entre autres tiré les conclusions suivantes :

        rien ne prouve que le traitement médical administré au demandeur après le 5 décembre 2007 est directement lié à la dépression et à l’anxiété de celui‑ci;

        la chaîne de commandement n’a pas délibérément causé ou aggravé l’anxiété et la dépression du demandeur;

        le MM et la chaîne de commandement appliquaient la procédure établie pour aider le demandeur à devenir aussi efficace que possible au sein des FC;

        le demandeur était réticent à accepter le traitement et à participer activement à son plan de rétablissement et de retour au travail;

        la demande que le demandeur a présentée dans l’objectif d’annuler sa libération volontaire ne précisait pas qu’il souhaitait continuer à servir au sein des FC, mais expliquait qu’il souhaitait recevoir un traitement médical;

        le médecin retenu par le demandeur (Dr Patterson) a confirmé qu’il serait approprié que le demandeur réintègre la vie civile.

[34]           Je juge, après avoir examiné le dossier, que ces conclusions sont raisonnables.

[35]           Je conclus également que rien ne prouve que le demandeur ait été victime de discrimination. Au contraire, on lui a donné plusieurs occasions de travailler dans des conditions adaptées à ses problèmes de santé mentale et il a pu consulter des médecins spécialistes à maintes reprises. Il n’a fait l’objet d’aucune discrimination.

[36]           La question consiste donc à savoir si le demandeur avait la capacité mentale de présenter une demande de libération volontaire, ou, d’ailleurs, de demander le retrait de cette demande.

[37]           Je souligne que le demandeur n’a jamais soulevé cette question de cette façon au cours du processus de règlement des griefs. À la présente audience, il a fait valoir qu’ils auraient dû se rendre compte qu’il était malade. Le dossier ne comporte aucun élément de preuve indiquant clairement que le demandeur n’avait pas la capacité mentale de demander sa libération volontaire, ni aucun élément de preuve révélant qu’il avait été forcé à présenter une demande de cette nature. Au mieux, j’ai trouvé une évaluation psychiatrique, datée du 14 mai 2009, effectuée par un certain Dr Girven, qui comporte certaines déclarations, dont les suivantes :

[traduction]

•   le patient tient à préciser qu’il veut quitter l’armée le plus rapidement possible;

•   il éprouve actuellement des problèmes de concentration et d’attention et il « sous pression »;

•   il fait preuve d’une faible perspicacité et ses croyances ont une incidence sur son jugement (rien n’indique ce qu’il entend par ses « croyances »);

•   il a des crises de paniques, mais pas un trouble de la panique;

•   le patient n’est pas disposé à suivre une psychothérapie pour l’instant et il n’accepte pas l’idée de prendre des médicaments;

•   Le pronostic quant au retour du patient au plein emploi est faible.

[38]           Le Dr Patterson a pris les notes suivantes au sujet l’examen médical pour libération du demandeur daté du 29 septembre 2009 :

[traduction]

•   syndrome commotionnel antérieur – ne s’appuie pas sur des éléments objectifs;

•   trouble dépressif majeur – trouble somatoforme indifférencié (?);

•   crises de panique.

[39]           J’estime que la preuve n’appuie pas la conclusion selon laquelle le demandeur, compte tenu de ses capacités mentales au moment où il a présenté une demande de libération volontaire ou au moment où il a voulu retirer cette demande, aurait dû être jugé comme mentalement inapte.

[40]           Je souligne qu’en matière de droit contractuel, le droit évolue encore en ce qui a trait à l’incapacité mentale. En particulier, je me reporte aux ouvrages Waddams, The Law of Contracts, 6e édition, Canada Law Book, Toronto, aux paragraphes 657 à 663, et Swan, Canadian Contract Law, 2édition, LexisNexis, aux paragraphes 9.289 à 9.291.

[41]           Toutefois, compte tenu du fait que la preuve ne permet pas de conclure que le demandeur n’avait pas, au moment pertinent, la capacité mentale de demander sa libération volontaire, et du fait que cette question n’a pas été soulevée au cours du processus de règlement du grief, j’estime qu’il est inutile de m’attarder sur ce sujet.

La décision est axée sur les FC

[42]           Le chef d’état‑major de la défense a affirmé que la décision devrait être axée sur les FC. Il s’est exprimé en ces termes à la page 6 de sa décision :

[traduction]

Le Comité a conclu que la recommandation du Cmdt B de refuser le retrait de votre demande de libération volontaire sans aucun changement d’importance quant aux faits ne concordait pas avec sa recommandation antérieure de vous inscrire sur la LEPND. À première vue, je suis d’accord. L’examen d’une demande d’annulation d’une libération volontaire diffère de l’examen d’une demande initiale de libération volontaire. Une demande initiale provient du militaire et est axée sur celui‑ci, c’est‑à‑dire que c’est le militaire qui souhaite mettre fin à sa relation avec les FC. Toutefois, une demande d’annulation d’une libération volontaire est axée sur les FC, car ce sont les FC qui examinent leurs besoins et établissent si elles ont besoin des services du militaire demandant l’annulation. [Non souligné dans l’original.]

[43]           Comme je l’ai déjà mentionné, il convient de comparer cette déclaration à la décision du Comité des griefs :

[traduction]

[...] il aurait été plus compatissant et cohérent de permettre au plaignant de retirer sa demande de libération volontaire et d’inscrire celui‑ci sur la LEPND.

[44]           J’examinerai le choix du chef d’état‑major de la défense d’axer sa décision sur les FC selon la norme de la décision correcte.

[45]           Aux termes de l’article 35 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c. N-5, tous les soldats sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime :

33. (1) La force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime.

33. (1) The regular force, all units and other elements thereof and all officers and non-commissioned members thereof are at all times liable to perform any lawful duty.

[46]           Le paragraphe 15(9) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H‑6, prévoit une exception s’appliquant aux membres des FC :

15.(9) Le paragraphe (2) s’applique sous réserve de l’obligation de service imposée aux membres des Forces canadiennes, c’est-à-dire celle d’accomplir en permanence et en toutes circonstances les fonctions auxquelles ils peuvent être tenus.

15.(9) Subsection (2) is subject to the principle of universality of service under which members of the Canadian Forces must at all times and under any circumstances perform any functions that they may be required to perform.

[47]           Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la défense nationale prévoit la nomination d’un chef d’état‑major de la défense qui est responsable d’assurer la direction et la gestion des Forces canadiennes :

18. (1) Le gouverneur en conseil peut élever au poste de chef d’état-major de la défense un officier dont il fixe le grade. Sous l’autorité du ministre et sous réserve des règlements, cet officier assure la direction et la gestion des Forces canadiennes.

18. (1) The Governor in Council may appoint an officer to be the Chief of the Defence Staff, who shall hold such rank as the Governor in Council may prescribe and who shall, subject to the regulations and under the direction of the Minister, be charged with the control and administration of the Canadian Forces.

[48]           Les tribunaux ont analysé le principe de l’universalité du service prévoyant qu’un soldat doit être prêt à servir en tout temps, en tout lieu et dans toutes les conditions. Le juge Noël de la Cour a décrit ce principe aux paragraphes 15 et 16 de la décision Irvine c Canada (Forces armées canadiennes), 2003 CFPI 660 :

[15] L’universalité du service est une expression désignant un ensemble de principes qui régissent l’emploi des membres des FAC. Les trois principes essentiels sont les suivants : 1) peu importe leur métier ou leur profession, les membres des FAC sont d’abord et avant tout des soldats, 2) le soldat doit être prêt à servir en tout temps, en tout lieu et dans toutes les conditions, 3) l’obligation est universelle en ce sens qu’elle s’applique à tous les membres des FAC. Les obligations générales d’un soldat sont énumérées aux articles 31 et 33 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N‑5, qui disposent :

 

 

 

[...]

[16] Le principe d’universalité du service est une politique controversée depuis le milieu des années 1980. Toutefois, en 1993 et 1994, dans la trilogie des arrêts Canada (Procureur général) c. St. Thomas et la Commission canadienne des droits de la personne (1993), 109 D.L.R. (4th) 671 (St. Thomas), Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées); Husband, mise en cause, [1994] 3 F.C. 188 (Husband), et Canada (Procureur général) c. Robinson, [1994] 3 F.C. 228 (Robinson), la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’universalité du service était une exigence professionnelle justifiée (EPJ). La Cour a aussi réitéré ce principe en 1996 dans Canada (Procureur général) c. Hébert et al. (1996), 122 F.T.R. 274 (Hébert).

[49]           Dans la décision Jones c Canada (Procureur général), 2009 CF 46, le juge de Montigny a écrit que la Loi sur la Défense nationale a pour objet de pourvoir à la direction, à l’orientation et à l’administration des FC, et qu’il est nécessaire pour les FC de jouir d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’évaluer l’aptitude au travail. Il s’est exprimé en ces termes au paragraphe 25 :

Qui plus est, la Loi sur la Défense nationale a pour objet de pourvoir à la direction, à l’orientation et à l’administration des FC. Plus précisément, les CF sont habilitées à libérer à leur discrétion les militaires dont les contraintes médicales ont une incidence sur leur capacité de servir et qui ne peuvent satisfaire aux exigences professionnelles justifiées. Il ne s’agit pas d’une question polycentrique, mais bien d’un litige entre deux parties. Là encore, ce facteur milite en faveur d’un degré passablement élevé de retenue judiciaire envers les décisions prises par le DACM. D’ailleurs, l’article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne reconnaît la nécessité pour les FC de jouir d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’évaluer l’aptitude au travail de ses membres et la possibilité de les libérer en assujettissant au principe de l’universalité du service l’obligation de répondre aux besoins des militaires.

[50]           Le point soulevé par le chef d’état‑major de la défense est important : le demandeur cherche, en effet, à être réembauché. Par conséquent, le demandeur doit faire l’objet du même traitement qu’une nouvelle recrue. Ainsi, compte tenu des antécédents médicaux du demandeur et de ses antécédents en matière d’éthique de travail, il n’est pas une recrue intéressante. La simple possibilité qu’il puisse recevoir de meilleurs soins médicaux au sein des FC qu’à l’extérieur de celles‑ci ne constitue pas un motif suffisant pour l’embaucher.

[51]           J’estime que le motif pour lequel la présente affaire doit être est axée sur les FC est à la fois correct et raisonnable.

Le demandeur a‑t‑il été victime de discrimination ou de harcèlement en raison de son état de santé?

[52]           Cette question a déjà été analysée. Je n’ai rien trouvé dans le dossier qui permette de conclure que le demandeur a été victime de quelque forme de discrimination ou de harcèlement que ce soit en raison de son état de santé.

Le demandeur a‑t‑il prouvé qu’il y a eu une violation de la Charte?

[53]           Le demandeur n’a soulevé aucune question relative à la Charte au cours du processus de règlement du grief. Il a soulevé la question de la Charte dans son mémoire relativement à la lettre du ministre indiquant qu’il n’existe aucun mécanisme permettant d’annuler la libération après la date d’entrée en vigueur de la libération (paragraphe 10 de son mémoire). Il cite le paragraphe 24(1) de la Charte. En outre, aux paragraphes 22 à 31 de son mémoire, le demandeur cite les articles 7 et 12 ainsi que les paragraphes 15(1) et 24(1) de la Charte, et la Loi canadienne sur les droits de la personne, précitée.

[54]           Il est bien établi en droit que le demandeur a à tout le moins le fardeau initial de prouver qu’il a été porté atteinte aux droits qui lui sont garantis par la Charte. Le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté de ce fardeau.

[55]           En ce qui a trait à l’article 7 de la Charte, il incombe au demandeur de prouver qu’il a été porté atteinte à son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Le demandeur n’a tout simplement pas prouvé qu’il avait été porté atteinte à un quelconque droit de cette nature. L’analyse prend fin (Blencoe c C.-B. (Human Rights Commission), [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 47).

[56]           En ce qui concerne l’article 12 de la Charte, le critère à satisfaire pour établir qu’une personne a été victime de traitements ou peines cruels et inusités est exigeant (Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCS 390, aux paragraphes 95 et 96). Une telle preuve n’a pas été produite en l’espèce.

[57]           Quant à l’article 15 de la Charte, le demandeur doit prouver qu’il a été victime de discrimination en raison de son état mental, compte tenu du contexte (Withler c Canada (Procureur géneral)), [2011] 1 RCS 396, aux paragraphes 29 à 40. Rien dans le dossier n’appuie une telle conclusion.

[58]           La Cour suprême du Canada s’est récemment penchée sur des allégations relatives à la Charte dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec [2012] 1 RCS 395, où la juge Abella s’est exprimée, au nom de la cour, sur ce sujet aux paragraphes 45 à 58, ainsi que dans l’arrêt École secondaire Loyola c Québec (Procureur général) 2015 CSC 12, dans lequel la juge a écrit aux paragraphes 3, 4 et 39 à 41 que la cour ne devrait pas appliquer la norme de la décision correcte dans tous les cas concernant des valeurs consacrées par la Charte. Le décideur qui exerce son pouvoir discrétionnaire est tenu de mettre en balance de façon proportionnée les protections conférées par la Charte pour veiller à ce qu’elles ne limitent pas inutilement les objectifs applicables visés par la loi, objectifs qu’il doit examiner.

[59]           En l’espèce, je ne relève rien dans le dossier qui ferait intervenir les valeurs consacrées par la Charte ou un droit protégé aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il serait inutile que la Cour se penche sur une question se rapportant à la Charte ou à la Loi canadienne sur les droits de la personne si le fondement de cette question n’a pas été établi adéquatement.


CONCLUSION ET DÉPENS

[60]           En conclusion, je conclus que le demandeur n’a pas prouvé qu’il existe un motif justifiant que la Cour annule la décision du chef d’état‑major de la défense. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[61]           Les dépens seront adjugés aux défendeurs. Les dépens peuvent être taxés selon la colonne III ou, subsidiairement, les défendeurs peuvent choisir de recevoir une somme forfaitaire de 3000,00 $ comprenant tous les débours et les taxes.


JUGEMENT

PAR CONSÉQUENT, LA COUR STATUE QUE :

1.                   la demande est rejetée;

2.                   les défendeurs ont le droit de recouvrer les dépens du demandeur, lesquels seront taxés selon la colonne III ou, subsidiairement, les défendeurs peuvent choisir de recevoir une somme forfaitaire de 3000,00 $ comprenant tous les débours et les taxes.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1957-14

INTITULÉ :

SAMUEL S. CHUA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AUTRES

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

SAMUEL S. CHUA

POUR SON PROPRE COMPTE

HELEN PARK

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Samuel S. Chua

Chilliwack (Colombie-Britannique)

POUR SON PROPRE COMPTE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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