Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150617


Dossier : IMM-4174-14

Référence : 2015 CF 765

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 juin 2015

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LIDA BANDARIAN BALOUCH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Mme Lida Balouch (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision en date du 7 mai 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a accueilli la demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) en application du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  La demanderesse, une citoyenne de l’Iran, a obtenu le statut de réfugiée en 2008 en raison de sa foi chrétienne. Elle est arrivée au Canada en tant que résidente permanente en décembre 2008.

[3]  En 2010, la demanderesse a fait une demande de passeport iranien, lequel lui a été délivré le 12 avril 2010. Elle s’est rendue en Iran en avril 2010 pour visiter sa grand‑mère. Durant cette visite d’une durée approximative de six mois, elle a subi une chirurgie au pied.

[4]  La demanderesse est retournée en Iran en juillet 2013 et y est restée pendant 34 jours. Elle a affirmé que la principale raison de ce voyage était de rendre visite à un oncle atteint du cancer du côlon qui était traité par chimiothérapie.

[5]  Au cours de cette visite, la demanderesse a subi une chirurgie du nez. Elle a aussi reçu des soins dentaires importants. Interrogée par l’Agence des services frontaliers du Canada à son retour au Canada, la demanderesse a affirmé qu’elle s’était rendue en Iran pour subir une chirurgie esthétique.

[6]  La Commission a conclu que le ministre avait établi l’existence de motifs justifiant la perte de l’asile de la demanderesse, parce qu’elle s’était réclamée à nouveau de la protection de son pays de nationalité. La Commission a fait état des critères exposés dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide du HCR).

[7]  Lorsqu’il s’agit de déterminer si le statut de réfugié a été perdu au motif qu’un demandeur s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, trois conditions doivent être réunies : le réfugié doit avoir agi volontairement; le réfugié doit avoir affiché l’intention de se réclamer à nouveau de la protection; le réfugié doit avoir effectivement obtenu la protection du pays dont il a la nationalité.

[8]  La Commission a finalement conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle elle s’était réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité parce qu’elle avait l’intention de se réclamer de nouveau et volontairement de la protection de l’Iran en faisant une demande de passeport et en utilisant le document pour se rendre en Iran en tant que ressortissante iranienne.

[9]  Pour rendre sa décision, la Commission devait évaluer les faits au regard de critères juridiques. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, et Nsende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 1 RCF 49, au paragraphe 9 (CF).

[10]  La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en interprétant de façon erronée le paragraphe 1C(1) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, R.T. Can. 1969 no 6 (la Convention), comme il est prévu à l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, en n’examinant pas si une analyse prospective du risque de persécution actuel serait pertinente, dans le cadre d’une demande de constat de perte d’asile présentée en application de l’article 108.

[11]  La demanderesse affirme que même si la Commission entendait effectuer une analyse visant à déterminer si la demanderesse s’était réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, elle avait en fait effectué une analyse portant sur la réinstallation.

[12]  En outre, elle estime que la Commission n’a pas adéquatement traité la troisième condition du critère visant à déterminer si elle s’était réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, qui était celui de savoir si elle avait effectivement obtenu la protection de l’Iran.

[13]  La demanderesse souligne que le ministre concède qu’elle est chrétienne et que les chrétiens continuent d’être exposés à un risque de persécution en Iran. Elle fait valoir que la Commission a commis une erreur en n’examinant pas si l’Iran avait la capacité ou la volonté de lui offrir sa protection, relativement au motif précis pour lequel elle serait exposée à un risque de persécution dans ce pays.

[14]  Le ministre affirme pour sa part qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation du risque. Il estime que la Commission a interprété l’alinéa 108(1)a) de façon raisonnable et conforme avec le Guide du HCR.

[15]  Le ministre soutient de plus qu’en vertu des décisions rendues dans les affaires Nsende, précitée, et El Kaissi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1234, la Commission peut tirer une conclusion défavorable du retour d’un demandeur d’asile dans son pays de nationalité ou pourrait présumer qu’il se réclamait à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, à moins qu’une explication convaincante ne soit fournie.

[16]  La seule question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission est raisonnable. Dans les procédures de contrôle judiciaire, la norme de la raisonnabilité exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables; voir la décision rendue dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[17]  Je suis d’avis que la décision en l’espèce satisfait à la norme. La Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve et raisonnablement conclu que la demanderesse avait satisfait aux trois conditions permettant de déterminer qu’elle s’était réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’avait fourni aucune explication convaincante de son retour dans son pays de nationalité.

[18]  En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]  Même si la demanderesse allègue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la question du risque permanent lors de l’audience relative à la perte de l’asile, aucune jurisprudence n’a été citée à l’appui de cet argument. Bien que je reconnaissance que l’existence du risque est une préoccupation de premier plan lorsque la protection est réclamée, je ne suis pas convaincue que la question du risque est pertinente dans une audience relative à la perte de l’asile.

[20]  En vertu de l’article 96 de la LIPR, le statut de réfugié au sens de la Convention est conféré à toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée, ne veut ou ne peut se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité. Lorsqu’un demandeur d’asile se réclame à nouveau et volontairement de la protection de son pays de nationalité, il y a lieu de penser qu’il n’est plus dans la situation de celui qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité.

[21]  Quoi qu’il en soit, la question du risque sera évaluée si la demanderesse fait une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) en application de l’article 112 de la LIPR. Le fait que l’ERAR doit se faire dans un délai prescrit ne signifie pas qu’elle n’y a pas droit.

[22]  La demanderesse a demandé la certification de la question suivante :

[traduction]

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et fondée sur des actions passées, la Commission peut‑elle accueillir la demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?

[23]  Dans l’arrêt Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CAF 21, au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a récemment réitéré les facteurs que la cour de première instance doit prendre en compte pour certifier une question, à savoir qu’il doit s’agir d’une question grave de portée générale qui permettrait de trancher un appel. Elle ne peut être un renvoi, et elle doit avoir été soulevée et examinée dans la décision de la Cour fédérale.

[24]  Je conclus que la question proposée satisfait aux exigences. La question de savoir si une évaluation du risque actuel est requise dans une audience relative à la perte de l’asile transcende l’intérêt des parties immédiates en l’espèce. Il s’agit d’une question qui permettrait de trancher un appel si la Cour concluait à la nécessité d’une telle évaluation lors d’une audience relative à la perte de l’asile, et c’est une question que j’ai examinée pour trancher la présente demande. La question sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que la question suivante est certifiée :

Lorsqu’elle est appelée à décider si elle accueille ou non une demande de constat de perte d’asile présentée par le ministre en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et fondée sur des actions passées, la Commission peut‑elle accueillir la demande du ministre sans examiner, lors de l’audience relative à la perte de l’asile, si la personne serait exposée à un risque de persécution à son retour dans son pays de nationalité?

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4174-14

INTITULÉ :

LIDA BANDARIAN BALOUCH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑BritANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 DÉCEMBRE 2014

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

LE 17 JuIn 2015

COMPARUTIONS :

Peter Edelmann

POUR LA DEMANDERESSE

Caroline Christiaens

Timothy Fairgrieve

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Co. Law Offices

Cabinet d’avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.