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Date : 20150603


Dossier : T-1542-12

Référence : 2015 CF 706

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

LE CHEF SHANE GOTTFRIEDSON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE TK’EMLÚPS TE SECWÉPEMC ET LA BANDE INDIENNE TK’EMLÚPS TE SECWÉPEMC, LE CHEF GARRY FESCHUK, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SECHELT, ET LA BANDE INDIENNE DE SECHELT, VIOLET CATHERINE GOTTFRIEDSON, DOREEN LOUISE SEYMOUR, CHARLOTTE ANNE VICTORINE GILBERT, VICTOR FRASER, DIENA MARIE JULES, AMANDA DEANNE BIG SORREL HORSE, DARLENE MATILDA BULPIT, FREDERICK JOHNSON, ABIGAIL MARGARET AUGUST, SHELLY NADINE HOEHNE, DAPHNE PAUL, AARON JOE ET RITA POULSEN

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]               N’eût été le fait que les élèves qui fréquentaient les pensionnats indiens durant la journée, sans y rester pour dormir, ont été exclus de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (la CRRPI), ce recours collectif envisagé n’aurait sans doute pas vu le jour. La CRRPI prévoyait l’indemnisation de ceux qui fréquentaient les pensionnats indiens et y résidaient. Leurs condisciples qui assistaient aux mêmes cours, mais qui rentraient chez eux le soir, n’ont rien obtenu.

[2]               Les demandeurs actuels sont des externes qui ont fréquenté le pensionnat de Kamloops entre 1949 et 1969 ou celui de Sechelt peut‑être à partir de 1941 et jusqu’en 1969; des descendants d’externes (dont un bon nombre sont décédés), ainsi que les membres des bandes et les bandes elles-mêmes sur les terres desquelles les pensionnats étaient situés. Ils voudraient que soient rendus des jugements déclaratoires disant que le gouvernement fédéral (ci‑après le Canada) leur a causé des préjudices et qu’ils ont, entre autres, subi des dommages culturels, linguistiques et sociaux. Ils voudraient aussi obtenir une indemnité.

[3]               La requête dont je suis saisi vise à faire en sorte que soit autorisé un recours collectif dans lequel tous les externes de quelque 140 pensionnats visés par la CRRPI seraient les demandeurs, en même temps que tous leurs descendants, y compris ceux à naître. Notre procédure en matière de recours collectif repose sur la notion de retrait plutôt que sur celle de participation, mais les demandeurs proposent aussi que les bandes indiennes sur les terres desquelles se trouvaient les pensionnats puissent participer au recours. La période envisagée pour le recours collectif va de 1920 à 1997. C’est en 1920 que la Loi sur les Indiens a été modifiée de manière à prévoir une scolarité obligatoire pour les enfants indiens. Le dernier pensionnat aurait fermé ses portes en 1997.

[4]               Les conditions qui doivent être réunies pour qu’un recours collectif soit autorisé sont aujourd’hui énoncées aux articles 334.12 et suivants des Règles des Cours fédérales. J’en dirai davantage plus loin sur ces articles, mais une action sera autorisée si :

a)                  les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

b)                  il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

c)                  les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs;

d)                 le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

e)                  il existe un représentant demandeur légitime.

J’ai eu l’occasion d’examiner ces aspects dans la décision Momi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 738, [2007] 2 RCF 291. Le texte intégral de l’article 334.16 des Règles est en appendice aux présents motifs.

[5]               Afin de placer la présente requête dans son contexte, il convient d’abord d’examiner la CRRPI, les requêtes antérieures déposées dans la présente action, la dernière déclaration modifiée des demandeurs et l’opposition du Canada à l’autorisation du recours collectif. J’examinerai ensuite les volets d’un recours collectif viable.

I.                   La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (la CRRPI)

[6]               Les pensionnats indiens furent à l’origine organisés et administrés par des organismes religieux chrétiens, sans l’intervention du gouvernement. Cependant, le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada englobe « les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». En 1920, la Loi sur les Indiens obligeait les enfants indiens, au sens de la définition qu’elle en donnait, âgés entre 7 et 15 ans, à fréquenter l’école. Le Canada établit la politique et s’attribua un rôle dans l’organisation ainsi que la gestion des pensionnats indiens. Il y avait des pensionnats indiens, qui acceptaient également des externes, et des externats indiens. Les externats indiens ne sont pas concernés par la présente action. J’ajouterais que les revendications territoriales et les droits issus de traités ne sont pas en cause ici non plus.

[7]               Plus tard, le Canada a acheté des places pour les enfants indiens dans les écoles publiques provinciales ordinaires. À partir de 1988, des procédures judiciaires ont été introduites à la suite de ce qu’avaient vécu d’anciens élèves dans les pensionnats indiens, notamment des actions en dommages-intérêts résultant de sévices sexuels et physiques, ainsi que de la disparition de leurs langues et de leurs cultures. En fait, il y a eu des milliers de poursuites en justice introduites par de simples particuliers ou par des groupes, de même qu’un certain nombre de recours collectifs envisagés, et au moins un recours collectif autorisé. En mai 2005, le Canada a nommé un juge de la Cour suprême à la retraite, l’honorable Frank Iacobucci, représentant fédéral pour qu’il travaille avec les avocats d’anciens élèves, et avec les représentants de ces anciens élèves, par exemple l’Assemblée des Premières Nations et d’autres groupes autochtones, ainsi qu’avec les avocats de diverses organisations religieuses ayant pris part au fonctionnement de ces écoles.

[8]               Un accord de principe fut conclu en novembre 2005, puis établi dans sa forme définitive le 8 mai 2006. Pour donner effet au règlement, des demandes d’approbation et d’autorisation de recours collectifs ont sur consentement été présentées, puis accueillies, dans neuf provinces. Il y avait quatre volets :

a)                  Un Paiement d’expérience commune (PEC) de 10 000 $ pour un élève qui, avant le 31 décembre 1997, avait vécu dans un ou plusieurs pensionnats indiens durant une année scolaire ou une partie d’année scolaire, et 3 000 $ pour toute année subséquente ou partie d’année subséquente.

b)                  Un Processus d’évaluation indépendant (PEI). Ce processus devait servir à régler, sur une base individuelle, les réclamations pour sévices sexuels et pour violences physiques graves.

c)                  Un soutien financier au titre de la vérité, de la reconnaissance et de la commémoration.

d)                 Un soutien financier au titre de la guérison.

[9]               À l’intérieur du groupe figurait un sous-groupe, celui de la « famille », qui comprenait les père et mère, les enfants, les grands-parents, les petits‑enfants, les frères et sœurs ainsi que les conjoints d’une personne qui avait vécu dans un pensionnat indien. La famille ne recevait pas une indemnité directe, mais était avantagée en ce sens que des fonds étaient affectés à la guérison et à la commémoration, et une Commission de vérité et réconciliation fut établie.

[10]           Les externes n’étaient pas fondés à recevoir un Paiement d’expérience commune. Toutefois, ils avaient le droit de participer au Processus d’évaluation indépendant, à condition de signer une renonciation formulée en termes généraux, et ils profitaient indirectement aussi des fonds affectés à la guérison et à la commémoration, ainsi qu’à la Commission de vérité et réconciliation.

[11]           Il y avait une exception à l’exclusion des externes du PEC, le groupe « Cloud », composé de toutes les personnes qui appartenaient aux groupes autorisés par la Cour d'appel de l’Ontario dans l’arrêt Cloud c Canada (Attorney General) (2004), 73 OR (3d) 401, 247 DLR (4th) 667. L’action Cloud, qui concernait l’Institut Mohawk, Pensionnat indien de l’Ontario, avait été autorisée avant la nomination de M. le juge Iacobucci. Les groupes comprenaient les externes. Ils ont reçu des Paiements d’expérience commune. C’est là plutôt un point sensible pour les présents demandeurs dans l’action dont il s’agit ici.

II.                L’historique de la présente action

[12]           Dès le départ, les demandeurs ont désigné uniquement Sa Majesté du chef du Canada comme seule partie défenderesse. Le Canada a présenté une requête en suspension de l’action au motif qu’il comptait réclamer une contribution ou une indemnité des ordres religieux qui avaient pris part au fonctionnement des pensionnats indiens de Kamloops et de Sechelt. Selon le Canada, la Cour n’avait pas compétence pour statuer sur son recours à l’encontre de ces ordres religieux, de sorte que, en vertu de l’article 50.1 de la Loi sur les Cours fédérales, l’action devait être suspendue.

[13]           Il n’était pas déraisonnable pour le Canada de solliciter une contribution ou une indemnité des ordres religieux. Dans l’arrêt Blackwater c Plint, 2005 CSC 58, [2005] 3 RCS 3, la Cour suprême avait jugé que le Canada et l’ordre religieux devaient tous deux répondre des agissements d’un prédateur sexuel. D’ailleurs, divers ordres religieux avaient été parties à la CRRPI. J’ai rejeté la requête, car j’étais d’avis que la Cour avait compétence pour statuer sur la procédure de mise en cause (Gottfriedson c Canada, 2013 CF 546). Cette décision fut confirmée en appel (Canada (Procureur général) c Gottfriedson, 2014 CAF 55). En attendant l’issue de cet appel, et sans préjudice de sa position, le Canada avait effectivement introduit devant la Cour une procédure de mise en cause contre l’Ordre des Oblats de Marie-Immaculée, dans la province de Colombie-Britannique, contre l’archevêque catholique romain de Vancouver, contre l’évêque catholique romain de Kamloops, contre les Sœurs de l’Instruction de l’Enfant Jésus et contre les Sœurs de Sainte-Anne.

[14]           Les demandeurs avaient quant à eux modifié leur déclaration afin qu’il soit bien clair qu’ils entendaient obtenir réparation uniquement du Canada dans la mesure où le Canada ne pourrait pas se défausser de cette responsabilité sur les ordres religieux. Ainsi, si, à l’instar de l’affaire Blackwater, le Canada devait être déclaré responsable à hauteur de 75 p. 100 et les ordres religieux à hauteur de 25 p. 100, les demandeurs n’obtiendraient que les 75 p. 100. Cette stratégie était modelée sur un accord Pierringer, du nom d’un précédent du Wisconsin, où un demandeur avait été autorisé à conclure une transaction avec un défendeur, laissant les autres défendeurs responsables uniquement de la perte qu’ils avaient effectivement causée. Sur ce fondement, les ordres religieux ont déposé une requête pour faire radier la procédure de mise en cause introduite contre eux. J’ai souscrit à leur requête (Gottfriedson c Canada, 2013 CF 1213). Cette décision n’a pas été portée en appel. Toutefois, le Canada n’a pas reculé. Il fait valoir que l’action ne devrait pas être autorisée parce que des parties indispensables, à savoir les ordres religieux, sont absentes. Mais c’était là un choix que les demandeurs pouvaient faire. À l’échelle nationale, il y aurait des centaines d’ordres religieux désignés comme mis en cause. Les interrogatoires préalables seraient innombrables. Les membres du groupe des « survivants » espèrent voir cette affaire menée à son terme avant qu’ils ne soient tous décédés. En outre, les ordres religieux qui ont effectivement été désignés comme mis en cause se sont tous accordés pour ne pas s’opposer à des requêtes visant à les soumettre à des interrogatoires préalables en tant que tiers.

III.             La première déclaration modifiée à nouveau

[15]           La première déclaration modifiée à nouveau comprend 94 paragraphes répartis sur 36 pages.

[16]           Les demandeurs voudraient que soient rendus des jugements déclarant que le Canada avait envers eux des obligations fiduciaires, constitutionnelles, statutaires et de common law dans l’établissement, le financement, le fonctionnement, la surveillance et le contrôle des pensionnats indiens, et qu’il a manqué à ces obligations; qu’il a été porté atteinte à leurs droits ancestraux; que la Politique sur les pensionnats indiens a porté préjudice à leurs cultures, à leurs langues et à leurs communautés. Le Canada n’a pas agi d’une manière honorable. Ils souhaitent une réconciliation, mais ils réclament aussi des dommages-intérêts généraux, pécuniaires et non pécuniaires, ainsi que des dommages exemplaires et punitifs.

[17]           Il y a trois groupes envisagés de réclamants. Le premier groupe est celui des « survivants », à savoir toutes les personnes autochtones qui ont fréquenté, entre 1920 et 1997, un pensionnat déterminé. Le second est celui des « descendants », à savoir toutes les personnes qui sont des descendants de membres du groupe des « survivants ». Le troisième groupe, celui des « bandes », comprend la bande indienne Tk'emlúps te Secwépemc (Kamloops), la bande Shíshálh (Sechelt), ainsi que toute autre bande indienne qui comptait des membres du groupe des « survivants » ou au sein de laquelle se trouvait un pensionnat, et qui est explicitement ajoutée à l’action.

[18]           Il est allégué que l’objet de la Politique sur les pensionnats indiens était de fondre les peuples autochtones du Canada dans la société euro-canadienne. Il était interdit aux externes d’employer leurs langues maternelles à l’école, même sur les terrains de jeux, sous peine de sanctions. Il y a une longue liste des dommages qui auraient été subis selon les allégations, notamment perte de la langue, de la culture, de la spiritualité, de l’identité autochtone, préjudice affectif et psychologique, isolement, perte d’estime de soi, crainte, humiliation, honte et propension à la dépendance.

[19]           Il est aussi allégué que les mesures ont été prises avec préméditation et avaient pour objet de nuire, de sorte que des dommages-intérêts majorés et punitifs devraient être accordés.

[20]           Les demandeurs soutiennent que les points de droit et de fait communs sont de savoir si, dans la mission, le fonctionnement ou la gestion des pensionnats :

a)                  le Canada a manqué à son obligation fiduciaire de protéger leurs langues et leurs cultures;

b)                  le Canada a porté atteinte à leurs droits ancestraux culturels et linguistiques;

c)                  le Canada a manqué à son obligation fiduciaire de les protéger contre tout préjudice physique ou psychologique donnant ouverture à des recours;

d)                 le Canada a manqué à son devoir de diligence destinée à les protéger contre tout préjudice physique ou psychologique donnant ouverture à des recours.

Dans l’affirmative, la Cour peut-elle faire une évaluation globale des dommages subis par les groupes? Le Canada s’est-il rendu coupable d’une inconduite qui justifie l’octroi de dommages punitifs et, dans l’affirmative, quelle somme devrait être accordée?

[21]           Ce sommaire s’appuie sur le paragraphe 177 du mémoire des faits et du droit des demandeurs.

IV.             La position du Canada

[22]           Le Canada s’oppose à la requête en autorisation au motif qu’aucune des conditions de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales n’a été remplie. Sa position sera exposée plus en détail à mesure que les conditions énoncées à l’article 334.16 seront tour à tour examinées. Qu’il suffise de dire pour l’instant que, selon le Canada, les actes de procédure ne révèlent pas une cause d’action valable, en ce sens qu’il sera impossible de prouver l’existence d’une politique sur les pensionnats et que, s’il existait une telle politique, les questions de politique ne relèvent pas des cours de justice. En tout état de cause, les réclamations sont prescrites. Il ne peut y avoir de groupe identifiable formé d’au moins deux personnes à cause d’un double emploi avec la CRRPI, ce qui rend inhabiles de nombreuses personnes. Les points de droit ou de fait communs ne prédominent pas, puisque nombre des demandeurs envisagés appartenaient au groupe de la famille prévu par la CRRPI ou avaient demandé des paiements au titre du PEI. Le recours collectif n’est pas le meilleur moyen de régler les points en cause. Une action à titre de représentant vaudrait mieux. La capacité des représentants demandeurs de bien défendre les intérêts des groupes est très discutable.

[23]           Une excellente feuille de route permettant de juger du pour et du contre de l’autorisation d’un recours collectif envisagé se trouve dans une décision de M. le juge Strathy, alors juge de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, Ramdath c George Brown College of Applied Arts and Technology, 2010 ONSC 2019. Le critère d’autorisation d’un recours collectif aux termes de la Loi sur les recours collectifs de l’Ontario est semblable à celui que prévoient les Règles des Cours fédérales.

[24]           Comme on peut le lire dans la décision George Brown, et dans les précédents qui y sont cités, tout recours collectif envisagé devrait être interprété d’une manière libérale de manière à donner accès à la justice, de favoriser l’efficacité judiciaire et d’induire une modification des comportements. Hormis la règle selon laquelle les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable, [traduction] « la preuve à apporter pour que soit autorisé un recours collectif est assez simple – il suffit aux demandeurs d’établir “une base factuelle” à l’appui de chacune des conditions de l’autorisation […] » Les allégations sont tenues pour avérées, à moins qu’elles ne soient manifestement ridicules ou manifestement impossibles à prouver. Les points de droit inédits, auxquels il n’a pas été apporté de solution définitive, doivent pouvoir suivre leur cours, et les actes de procédure doivent être interprétés avec indulgence.

[25]           M. le juge Strathy poursuivait ainsi, au paragraphe 40 : [traduction] « Il va de soi que l’autorisation d’un recours collectif ne préjuge en rien du fond de l’action. La question que doit se poser le juge saisi d’une requête en autorisation n’est pas : “les demandeurs obtiendront-ils gain de cause dans leur recours collectif?”, mais plutôt : “l’action se prête-t-elle à un recours collectif? ” »

V.                Les actes de procédure révèlent-ils une cause d’action valable?

[26]           Selon l’allégation fondamentale des actes de procédure, à savoir la première déclaration modifiée à nouveau, la politique menée par le Canada consistait à régler le [traduction] « problème indien » en éliminant les Indiens. Ceux-ci allaient être fondus dans la société de l’« homme blanc » par l’érosion systématique de leurs langues et de leurs cultures.

[27]           Le Canada n’a pas encore déposé de défense, mais il avance plusieurs raisons pour lesquelles la première déclaration modifiée à nouveau ne révèle pas une cause d’action valable. Il sera impossible de prouver qu’il existait une telle politique concernant les Indiens. Même s’il en a existé une, les questions de politique gouvernementale ne relèvent pas des cours de justice; elles échappent à la compétence des tribunaux. Par ailleurs, il n’a jamais été rendu de jugement concluant à la disparition d’une langue ou d’une culture.

[28]           Les demandeurs invoquent des droits ancestraux, mais ces droits sont des droits collectifs par nature. Des particuliers peuvent invoquer de tels droits comme bouclier, c’est-à-dire comme défense à l’encontre, par exemple, d’accusations de chasse illégale ou de pêche illégale, mais non comme glaive.

[29]           En outre, selon le Canada, les réclamations sont prescrites.

[30]           Le Canada soulève aussi d’autres points qu’il est plus commode d’examiner d’après d’autres paragraphes de l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales.

[31]           L’alinéa 334.16(1)a), selon lequel les actes de procédure doivent révéler une cause d’action valable, s’apparente à l’article 221, qui autorise la Cour à ordonner, sur le même fondement, la radiation d’un acte de procédure. Le précédent qui fait autorité sur la question est l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959. La Cour suprême y a jugé que le critère à appliquer était de savoir s’il était « évident et manifeste » que les actes de procédure ne révélaient aucune demande raisonnable. « [S]i le demandeur a une chance de réussir, il ne devrait pas alors être [traduction] “privé d’un jugement”. » Il n’appartient certainement pas à la Cour, à ce stade, de mesurer les chances de succès des demandeurs. Voir aussi l’arrêt Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 RCS 735, et l’arrêt Opération Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441.

[32]           Également à propos est la décision Dyson c Attorney-General, [1911] 1 KB 410, à la page 419, où le juge Fletcher Moulton s’exprimait ainsi :

[traduction]

Les désaccords sur le droit, tout comme les désaccords sur les faits, doivent en principe être tranchés après clôture de l’instruction devant la Cour, et ne sauraient se voir exclus d’une telle instruction par ordonnance du juge siégeant en son cabinet.

[33]           Il n’a pas été jugé que le fait pour les demandeurs d’avoir vu disparaître leurs langues et leurs cultures dans des circonstances comme celles qu’ils allèguent donne ouverture à un recours, mais il ne s’ensuit pas que les demandeurs devraient être « privés d’un jugement » à ce stade. Une cause d’action inédite devrait pouvoir suivre son cours. Voir George Brown, précitée; Law Society of Upper Canada c Ernst & Young (2003), 65 OR (3d) 577; R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45.

[34]           Je ne tiens pas compte des neuf jugements donnant effet à la CRRPI, puisqu’il s’agissait de jugements convenus. Toutefois, M. le juge Hugessen a pris en compte cette possibilité dans la décision Joseph c Canada, 2008 CF 574. Il statuait sur une requête en octroi d’une provision pour frais. Au paragraphe 18, il faisait observer que les points soulevés étaient d’une grande importance non seulement pour les demandeurs, mais aussi pour la Couronne et d’autres peuples autochtones. L’une des questions était de savoir « si un recours pour perte culturelle est recevable en droit et, dans l’affirmative, comment il faudrait évaluer cette perte ». D’ailleurs, cette question n’a pas empêché la Cour d'appel de l’Ontario d’autoriser un recours collectif dans l’arrêt Cloud, précité, ni la Cour d'appel de Terre-Neuve-et-Labrador de faire de même dans l’arrêt Anderson c Attorney General, 2011 NLCA 82, ni la Cour divisionnaire de l’Ontario dans la décision Brown c Canada (Attorney General), 2014 ONSC 6967. Je suis convaincu que, à première vue, la première déclaration modifiée à nouveau révèle une cause d’action valable. J’en dirai davantage sur le sujet lorsque j’examinerai si les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs. Par exemple, avant l’adoption de la Loi sur la responsabilité de la Couronne en 1953, la Couronne ne répondait pas des délits et quasi-délits de ses préposés ou mandataires. Cela pourrait avoir pour effet d’amputer la composition du groupe des « survivants » et du groupe des « descendants ».

[35]           Le Canada soutient ensuite qu’il sera impossible pour les demandeurs de prouver qu’il existait une politique nationale régissant les pensionnats indiens. En fait, il vaudrait mieux pour les demandeurs de diriger leurs plaintes contre les ordres religieux qui enseignaient dans les pensionnats, or ils ont été épargnés.

[36]           Cependant, le seul acte de procédure, à savoir la première déclaration modifiée à nouveau, donne force détails, notamment sur la disparition des langues et des traditions culturelles.

[37]           Les demandeurs font aussi état d’une Déclaration de réconciliation émise par le Canada en 1998. Que le traitement d’élèves des Premières nations dans les pensionnats indiens eût été prémédité ou non, comme l’affirment les demandeurs, ou simplement malavisé, la déclaration renferme le passage suivant :

« Malheureusement, notre histoire en ce qui concerne le traitement des peuples autochtones est bien loin de nous inspirer de la fierté. Des attitudes empreintes de sentiments de supériorité raciale et culturelle ont mené à une répression de la culture et des valeurs autochtones. En tant que pays, nous sommes hantés par nos actions passées qui ont mené à l'affaiblissement de l'identité des peuples autochtones, à la disparition de leurs langues et de leurs cultures et à l'interdiction de leurs pratiques spirituelles. »

[38]           J’en dirai davantage à propos d’une politique canadienne officielle au moment d’examiner les points de droit ou de fait communs.

[39]           Le Canada a certainement raison d’affirmer que certaines questions de politique ne relèvent pas des cours de justice, et que les demandeurs n’ont pas fait la distinction entre les lois du Parlement et l’administration de lois et règlements. Toutefois, on pourrait prétendre à juste titre que les applications indéfendables d’une politique sont susceptibles de donner ouverture à des recours. Tout récemment, la Cour d'appel fédérale, dans l’arrêt Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89, a refusé de radier une action qui procédait de l’application d’une politique et qui, prétendument, ne révélait pas une cause d’action valable. Le point soulevé est sans doute inédit, mais il n’est pas exempt d’un doute raisonnable.

[40]           Les droits ancestraux sont reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s’agit de droits qui existaient avant l’arrivée des premiers colons européens et qui existaient encore en 1982. La Cour suprême a jugé que ces droits sont des droits collectifs. Voir, par exemple, l’arrêt R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075, l’arrêt R c Vanderpeet, [1996] 2 RCS 507, et l’arrêt R c Powley, 2003 CSC 43, [2003] 2 RCS 207.

[41]           Le Canada fait valoir que les membres du groupe envisagé des « survivants » et du groupe envisagé des « descendants » ne peuvent exercer de tels droits à titre individuel. Par ailleurs, les bandes sont des entités plus récentes et ne peuvent, elles non plus, exercer ces droits. Ainsi, il y a sans doute des droits, mais pas de recours. Je ne puis accepter cette proposition. Bien que ce fût dans un contexte différent, celui du délit de nuisance, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a jugé, dans l’arrêt Saik’uz First Nation and Stellat’en First Nation c Rio Tinto Alcan Inc, 2015 BCCA 154 (CanLII), que la reconnaissance de droits ancestraux ne pouvait pas avoir pour effet de conférer aux peuples autochtones moins de droits qu’à la population en général. Ainsi écrivait le juge Tysoe, au paragraphe 66 : [traduction] « Comme tout autre plaideur, elles [les Nations Nechako] devraient être autorisées à prouver dans la procédure introduite contre une autre partie les droits qu’elles doivent prouver pour obtenir gain de cause contre l’autre partie. »

[42]           À ce stade, il n’est pas nécessaire de tracer la limite de droits ancestraux à la langue et à la culture. Ce sont des droits de la personne qui existaient bien avant l’arrivée des colons européens. Dans l’arrêt Mahe c Alberta, [1990] 1 RCS 342, la Cour suprême devait se prononcer sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui traite du droit des minorités francophones ou anglophones de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette minorité. Le juge en chef Dickson écrivait ce qui suit, à la page 362 :

Mon allusion à la culture est importante, car il est de fait que toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l'éducation, est indissociable d'une préoccupation à l'égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu'un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle. C'est le moyen par lequel les individus se comprennent eux‑mêmes et comprennent le milieu dans lequel ils vivent. L'importance culturelle du langage a été reconnue par notre Cour dans l'arrêt Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, aux pp. 748 et 749 :

Le langage n'est pas seulement un moyen ou un mode d'expression. Il colore le contenu et le sens de l'expression. Comme le dit le préambule de la Charte de la langue française elle‑même, c'est aussi pour un peuple un moyen d'exprimer son identité culturelle. [Je souligne.]

C'est ce qu'a reconnu également la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, qui a joué elle‑même un rôle de premier plan dans la constitutionnalisation de droits linguistiques dans la Charte. À la page 8 du Livre II de son rapport, la Commission dit:

La langue est en outre la clef du progrès culturel. Certes, langue et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la première est indispensable à la préservation intégrale de la seconde.

[43]           Là encore, il n’est pas évident et manifeste que les demandeurs ne pourraient pas obtenir gain de cause.

[44]           La défense possible de prescription est particulièrement troublante. Selon toute vraisemblance, il existe au moins un externe encore en vie qui fréquentait l’un des pensionnats indiens en 1920. Considérant qu’une telle personne était un incapable jusqu’à l’âge de la majorité, 21 ans à l’époque, tous les préalables d’une action étaient réunis au début des années 1940. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a refusé d’autoriser un recours collectif remontant à la Première Guerre mondiale, car tous les éléments de la cause d’action auraient dû avoir été découverts des années auparavant et ils étaient donc prescrits. Subsidiairement, la possibilité de découvrir la preuve prédominerait comme question individuelle plutôt que comme question commune (Daniels c Canada (Attorney General), 2003 SKQB 58). Toutefois, cette décision était antérieure à un arrêt de la Cour suprême, Manitoba Metis Federation Inc c Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, [2013] 1 RCS 623, sur lequel je reviendrai.

[45]           Une action en responsabilité délictuelle n’était pas recevable à l’encontre de la Couronne avant 1953, mais une action portée devant la Cour de l’Échiquier et fondée sur l’equity était possible (arrêt Cloud, précité). L’article 4 de la Loi sur les Cours fédérales dispose que la Cour fédérale est un tribunal de droit, d’equity et d’amirauté.

[46]           Selon les demandeurs, je ne devrais pas tenir compte de la prescription ici parce qu’elle n’a pas été plaidée. Si elle l’avait été, ils auraient répondu que l’applicabilité du principe de la prescription ou de celui de la péremption est une question ouverte dans ces circonstances. La prescription a été reconnue par la Cour suprême dans un précédent tel que l’arrêt Canada (Procureur général) c Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 RCS 372. Dans l’arrêt Manitoba Metis, précité, les Métis voulaient obtenir un jugement déclaratoire aux fins de réconciliation entre les descendants des Métis de la vallée de la rivière Rouge et le Canada. La Cour suprême a jugé que l’honneur de la Couronne était engagé. La prescription s’appliquait peut-être à une demande de réparation personnelle (ce qui n’était pas mis en question), mais les lois applicables sur la prescription ne pouvaient pas empêcher la Cour de prononcer des jugements déclaratoires. M. le juge Rothstein, aux motifs duquel a souscrit le juge Moldaver, a exprimé une forte dissidence. Il écrivait ce qui suit :

[156]    Les juges majoritaires imputent en l’espèce à la Couronne, en matière constitutionnelle, une nouvelle obligation de common law qui, selon eux, écarte la défense de common law fondée sur la doctrine des laches (un principe d’equity souvent appelé « doctrine du manque de diligence ») et le pouvoir incontesté du législateur provincial d’établir des délais de prescription. Ils recourent à pareille mesure même si les juridictions inférieures n’ont pas examiné la question et si les parties n’ont pas offert de plaidoirie à ce sujet devant nous. Ils établissent donc une règle vague, qui écarte la doctrine des laches et la prescription, et qui est insusceptible de correction par le législateur, de sorte que la portée et les conséquences des nouvelles obligations de la Couronne deviennent imprévisibles.

[…]

[230]    Les lois sur la prescription, tout comme les exceptions qu’elles prévoient, procèdent de décisions de principe arrêtées par le législateur. Il n’appartient pas aux tribunaux de créer une exception pour la demande de nature fondamentalement constitutionnelle découlant d’un clivage persistant dans notre tissu national, et d’intervenir ainsi directement dans la politique sociale.

[…]

[254]    Selon mes collègues, les raisons d’être de la prescription mentionnées précédemment jouent peu dans le contexte autochtone, où l’objectif de la réconciliation doit être prioritaire. Ils remettent ainsi en question l’opinion exprimée par notre Cour dans Wewaykum, par. 121 et, plus récemment, dans Canada (Procureur général) c. Lameman, 2008 CSC 14, [2008] 1 R.C.S. 372. Dans ce dernier arrêt, la Cour dit expressément que la raison d’être des délais de prescription « vaut autant pour les [demandes des Autochtones] que pour les autres » (par. 13 (je souligne)). Même s’ils ne le font pas explicitement, les juges majoritaires semblent rompre avec la certitude juridique établie dans Wewaykum et Lameman au profit d’une approche où la « réconciliation » doit être tenue pour prioritaire.

[47]           Au vu de ces observations, loin de moi l’idée de juger qu’il est évident et manifeste que les réclamations sont prescrites. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 ne reconnaissait que les droits ancestraux alors existants et ne créait pas de droits, mais ce n’est que plus tard que la nature et l’étendue de ces droits sont devenues l’objet d’intenses contestations. La relation sui generis entre le Canada et ses peuples autochtones, une relation fondée sur l’obligation fiduciaire et l’honneur de la Couronne, est d’origine jurisprudentielle, et elle est très fluide. Le dernier chapitre est loin d’être écrit.

VI.             Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes?

[48]           Selon l’alinéa 334.15(5)c) des Règles des Cours fédérales, le Canada devait donner une estimation du nombre de membres des groupes envisagés. Selon l’affidavit de Deanna Sitter, gestionnaire de la résolution auprès des Opérations de la convention de règlement, Secteur de la résolution et des affaires individuelles, Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, qui est mêlée depuis l’année 2000 aux affaires intéressant les pensionnats indiens, le Canada a pu trouver 196 anciens externes du pensionnat de Kamloops et 80 anciens externes du pensionnat de Sechelt durant la période visée par le recours collectif. Il n’existait pas de méthode uniforme d’inscription des élèves dans les établissements, et certains documents n’ont pas été retrouvés. Il est donc bien possible que le nombre fourni soit faible. De toute façon, ils sont certainement plus de deux.

[49]           Mme Sitter est, bien entendu, incapable aujourd’hui de fournir une estimation du nombre des membres formant le groupe des descendants, un groupe qui peut facilement s’étendre sur au moins cinq générations. Qu’il suffise de dire qu’il y a certainement plus de deux descendants.

[50]           Finalement, il y a deux membres dans le groupe des « bandes », outre la possibilité d’en ajouter jusqu’à 140 environ.

[51]           Cette condition est remplie.

VII.          Les points de droit ou de fait communs

[52]           C’est là que la preuve entre en jeu :

a)                  Y a-t-il des points de droit ou de fait communs?

b)                  Ces points de droit ou de fait communs prédominent-ils sur ceux qui ne concernent que certains membres?

c)                  Y a‑t‑il un nombre important de membres du groupe qui auraient un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées?

d)                 Le recours collectif porterait-il sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances?

[53]           La question commune est de savoir s’il existait une politique nationale sur les pensionnats indiens. Je me reporte aux observations formulées par M. le juge Rothstein dans l’arrêt Pro-Sys Consultants Ltd c Microsoft Corp, 2013 CSC 57, [2013] 3 RCS 477, où il écrivait, au paragraphe 118, à propos des témoignages d’expert :

[118]    À mon avis, la méthode d’expert doit être suffisamment valable ou acceptable pour établir un certain fondement factuel aux fins du respect de l’exigence d’une question commune. Elle doit donc offrir une possibilité réaliste d’établir la perte à l’échelle du groupe, de sorte que, si la majoration est établie à l’issue de l’examen des questions communes au procès, un moyen permette de démontrer qu’elle est commune aux membres du groupe (c.‑à‑d. que le transfert a eu lieu). Or, il ne peut s’agir d’une méthode purement théorique ou hypothétique; elle doit reposer sur les faits de l’affaire. L’existence des données auxquelles la méthode est censée s’appliquer doit être étayée par quelque preuve.

[54]           Les demandeurs ont produit un possible témoignage d’expert de M. John Milloy, professeur d’histoire qui se spécialise dans les affaires indiennes, et un possible témoignage d’expert de Mme Marianne Boelscher Ignace, spécialiste en linguistique. Le Canada a répondu à l’affidavit de M. Milloy par le témoignage de M. E.R. Daniels, qui a fait une longue carrière auprès du ministère des Affaires indiennes, et il a répondu au témoignage de Mme Ignace par celui de M. K. David Harrison.

[55]           Le Canada a présenté une requête en radiation des affidavits de M. Milloy et de Mme Ignace. M. Milloy ne pouvait guère se présenter comme un spécialiste impartial disposé à aider la Cour, étant donné ses nombreux écrits au fil des ans, et Mme Ignace a négligé de divulguer un intérêt, en ce sens que son mari et ses enfants tomberaient dans le groupe des « survivants » et celui des « descendants ».

[56]           S’agissant d’abord de Mme Ignace, je refuse de radier son affidavit. Un intérêt personnel n’est pas un empêchement absolu (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, le juge Gascon, aux paragraphes 103 et suivants).

[57]           D’ailleurs, le témoignage de Mme Ignace pourrait être utile pour le Canada, puisqu’elle a reconnu que de nombreux facteurs avaient conduit à l’érosion et à la disparition de langues parlées par de petits groupes de gens. Le Village global de Marshall McLuhan a son revers. Le point à décider, cependant, est de savoir si la Politique sur les pensionnats indiens a joué un rôle.

[58]           Ni les témoignages de M. Milloy ou de Mme Ignace, ni les réponses de M. Daniels et de M. Harrison n’intéressent la question de savoir si la première déclaration modifiée à nouveau révèle une cause d’action valable. Ils intéressent la question de savoir s’il existe un fondement factuel aux fins du respect de l’exigence d’une question commune, comme l’écrivait M. le juge Rothstein, dans l’arrêt Pro-Sys Consultants, précité.

[59]           J’ai également rejeté la requête en radiation de l’affidavit de M. Milloy. Il n’est pas nécessaire de décider s’il est ou non assez impartial pour aider la Cour durant l’instruction, mais il a été l’instrument par lequel maints documents historiques sont entrés en jeu.

[60]           Compte tenu des documents historiques annexés à l’affidavit de M. Milloy et compte tenu du contre-interrogatoire de M. Daniels, il n’est pas évident et manifeste qu’il n’existait pas de politique sur les pensionnats indiens, comme il est allégué dans la première déclaration modifiée à nouveau. Il s’agissait d’une politique nationale, ce qui satisfait à l’exigence d’une question commune. Au cours des années 1870, le gouvernement du Canada avait commandé le rapport Davin (le Report on Industrial Schools for Indians and Half-Breeds – Rapport sur les écoles industrielles pour Indiens et Métis), qui fut rendu public en 1879. On peut y lire notamment ce qui suit : [traduction] « S’il y a quelque chose qui doit être fait avec l’Indien, alors c’est de le conditionner très jeune […] Les enfants doivent être maintenus en permanence à l’intérieur du cercle des conditions civilisées ».

[61]           M. Davin, qui avait étudié la situation ayant cours aux États-Unis, avait recommandé la mise en place d’écoles industrielles, c’est-à-dire de pensionnats : [traduction] « Mais l’on a constaté que l’école de jour ne fonctionnait pas parce que l’influence du wigwam était plus forte que l’influence de l’école. Des pensionnats industriels ont donc été établis […] »

[62]           Dans la présente affaire, les externes affirment qu’ils sont sans doute défavorisés parce que, le soir, ils retournaient dans leurs familles, qui étaient ridiculisées durant le jour.

[63]           Le rapport annuel du ministère des Affaires indiennes de 1895 considère l’acquisition de la langue anglaise (ou française) comme une nécessité : [traduction] « Tant qu’il conservera sa langue autochtone, il restera à l’écart de la communauté ». La politique établie devait être appliquée [traduction] « avec autant de vigueur que possible ». Les Indiens éduqués qui parlaient l’anglais seraient émancipés et s’accoutumeraient aux usages de la vie civilisée. Il en résulterait une baisse constante des dépenses [traduction] « jusqu’à ce que ces dépenses prennent fin définitivement, et le problème indien aura alors été résolu ».

[64]           Dans son témoignage, M. Daniels a déclaré que, s’il n’y avait pas suffisamment d’externats dans les réserves entre les années 1920 et 1979, un externe pouvait fréquenter un pensionnat. Le même programme et les mêmes conditions scolaires s’appliquaient aux externes et aux internes. Il a fallu attendre 1971 pour que les bandes aient leur mot à dire dans la modification des programmes scolaires provinciaux, qui furent adoptés par le Canada. Les modifications apportées aux programmes scolaires devaient être approuvées par le ministère des Affaires indiennes. On pouvait lire ce qui suit dans un Program for Studies for Indian Schools (Programme d’études à l’usage des écoles indiennes) : [traduction] « Tout doit être fait pour inciter les populations à parler l’anglais et pour faire en sorte qu’elles le comprennent. Il faut insister sur l’anglais, même durant les jeux supervisés. Autrement, ce seront des efforts en pure perte. »

[65]           Un autre rapport exprimait la satisfaction de constater que de nombreux Indiens devenaient instruits, et donc s’émancipaient. Ce serait une bonne administration, en ce qui concerne l’émancipation, si le ministère pouvait émanciper des Indiens, ou une bande d’Indiens, [traduction] « sans qu’il soit nécessaire d’obtenir leur consentement pour ce faire ».

[66]           Un rapport du surintendant général adjoint mentionne que les modifications apportées à la Loi sur les Indiens avaient donné au ministère [traduction] « un certain niveau de contrôle, en retirant au parent indien la responsabilité de la garde et de l’éducation de son enfant, et l’intérêt supérieur des Indiens est ainsi défendu et pleinement protégé ».

[67]           Le Rapport de 1921 évoque la décision du gouvernement de l’époque d’adopter envers l’Autochtone une politique parentale destinée à l’éduquer et à le protéger, ainsi qu’à lui donner la chance de se développer et de prospérer.

[68]           Le Rapport de 1933 du surintendant général adjoint relève que les Indiens émancipés cessent d’être des Indiens au sens de la Loi sur les Indiens et ne sont plus des pupilles de la Couronne. Un Indien qui devenait médecin ou avocat, ou qui entrait dans les ordres, était ipso facto émancipé et cessait d’être un Indien.

[69]           Comme il a déjà été mentionné, les spécialistes en linguistique sont d’avis que plusieurs facteurs ont conduit à la disparition de la langue et de la culture au sein de petits groupes de gens. Il appartiendrait au juge du fond de déterminer quel rôle, le cas échéant, a pu jouer la Politique sur les pensionnats indiens. On pourrait certainement soutenir qu’elle a bel et bien joué un rôle.

[70]           Je suis convaincu que les réclamations soulevaient des points de droit et de fait communs, qui prédominent sur ceux qui ne concernent que certains membres. Vu le coût élevé des procès et les dédommagements relativement modestes pour chacun des membres, ils ne seraient pas nombreux à avoir un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées. Par ailleurs, une indemnité globale serait indiquée.

[71]           Manifestement, il y a des points de portée individuelle. Abstraction faite de la prescription, le dossier montre déjà que certains élèves résidaient dans des pensionnats certaines années et, d’autres années, fréquentaient ces pensionnats en tant qu’externes. Ils ont obtenu des paiements d’expérience commune.

[72]           Les renonciations présumées ou signées constituent un autre point de portée individuelle. Les ordonnances de la Cour approuvant la CRRPI libéraient le Canada et les ordres religieux en termes très généraux.

[73]           En outre, certains externes ont pris part au processus d’évaluation indépendant et signé des renonciations formulées en termes généraux.

[74]           Ceux qui ont pris part au PEI ont signé une renonciation qui prévoyait que, en contrepartie de leur acceptation du PEI (et non d’un paiement effectif), le Canada était en définitive pleinement et à jamais libéré :

[traduction]

[…] de toute action, cause d’action, responsabilité, réclamation et demande, quel qu’en soit la nature ou le genre, se rapportant à des dommages-intérêts, à une contribution, à une indemnité, à des coûts, à des frais ou à des intérêts, que j’ai pu avoir par le passé, que je pourrais avoir aujourd’hui ou que je pourrais avoir dans l’avenir contre lui (quand bien même je n’aurais pas connaissance de telles réclamations ou causes d’action), découlant de ce qui suit :

a)         ma participation à un programme ou une activité se rapportant de quelque manière à un pensionnat indien, et

b)         au fonctionnement d’un pensionnat indien.

[75]           La question présente n’est pas de savoir si le Canada était libéré de tout recours, mais plutôt de savoir si l’appartenance au groupe des « survivants » ou au groupe des « descendants » devrait être réduite sur ce fondement. Je ne le crois pas. Il faudrait examiner ces questions selon chaque cas d’espèce. La portée et le contexte des renonciations doivent aussi être examinés. Des avis ont été émis qui écartent explicitement les externes de la partie du règlement relative au Paiement d’expérience commune. Tout règlement, quelle que puisse être la portée de son libellé, comporte ses limites.

[76]           Il appartiendra au juge du fond de décider si la renonciation s’applique aux années durant lesquelles les élèves des pensionnats ne faisaient qu’assister aux classes de jour. Le groupe des « survivants » exclut déjà les années durant lesquelles ces élèves vivaient dans les pensionnats. Il est aussi quelque peu étrange qu’un élève de pensionnat qui a obtenu un Paiement d’expérience commune soit fondé à prendre part au Processus d’évaluation indépendant, alors que, par ailleurs, ceux qui ont été écartés du Paiement d’expérience commune étaient empêchés d’exercer les droits qu’ils pouvaient avoir s’ils prenaient part au PEI, un processus distinct.

[77]           Une renonciation doit être placée dans son contexte. Dans l’arrêt London & South Western Railway c Blackmore, [1861-73] All ER Rep Ext 1694, lord Westbury s’exprimait ainsi, à la page 623 :

[traduction]

Le libellé général d’une renonciation est toujours limité aux aspects qui ont été explicitement envisagés par les parties lorsque la renonciation a été consentie.

[78]           Pour interpréter le libellé d’une renonciation, il faut définir l’intention des parties et le contexte dans lequel la renonciation a été rédigée; voir Taske Technology Inc c Prairiefyre Software Inc, [2004] OJ No 6019 (QL), 3 BLR (4th) 244; Arcand c Abiwyn Co-Operative Inc, 2010 CF 529.

[79]           L’interprétation de la CRRPI ne déborde pas le champ d’une procédure de contrôle judiciaire. Dans la décision Fontaine c Canada (Attorney General), 2014 MBQB 200, la Cour du banc de la Reine du Manitoba examinait des décisions prises dans le cadre du PEI. Mme Fontaine avait obtenu un Paiement d’expérience commune en tant que pensionnaire. Elle voulait aussi prendre part à un PEI. Il avait été décidé au cours du processus que, à l’époque où elle avait subi des sévices, elle était une employée, non une élève. Néanmoins, la Cour du banc de la Reine a jugé que, dans un tel cas, une employée était une pensionnaire qui avait le droit de prendre part à un PEI.

VIII.       Le recours collectif est-il le meilleur moyen de régler les points soulevés?

[80]           À mon avis, un recours collectif est le moyen le plus indiqué, préférable à un procès type ou à une action à titre de représentant. Par ailleurs, il existe déjà dans la présente affaire un aspect de représentation pour ce qui concerne le groupe des « bandes ». Selon l’article 334.39 des Règles des Cours fédérales, il n’est pas adjugé de dépens dans une procédure comme celle‑ci. C’est donc là un net avantage pour les demandeurs, puisque l’issue de la présente affaire est loin d’être acquise.

[81]           Des recours collectifs ont été autorisés dans des cas similaires, comme dans les affaires Cloud, Armstrong et Brown, précitées, et ce type de procédure semble, de plus en plus, la voie privilégiée par la Cour suprême. Dans l’arrêt Banque de Montréal c Marcotte, 2014 CSC 55, [2014] 2 RCS 725, elle rappelait que les recours collectifs préviennent le gaspillage des ressources judiciaires, favorisent l’accès à la justice et évitent le risque de jugements contradictoires.

[82]           Le Canada fait observer que l’on pourrait soutenir qu’une action à titre de représentant serait préférable compte tenu des précédents historiques. Toutefois, comme l’écrivait lord Denning M.R. dans l’arrêt Letang c Cooper, [1964] 2 All ER 929, à la page 932 :

[traduction]

Je dois refuser par conséquent de revenir aux anciennes formes d'action pour interpréter ce texte législatif. Je sais que, durant le siècle dernier, MAITLAND disait : [traduction] « nous avons enterré les formes d'action, mais elles nous régissent encore depuis leurs tombes ». Mais au cours de ce siècle, nous nous sommes débarrassés de leurs entraves. Ces formes d'action ont fait leur temps. Elles constituaient autrefois un guide des droits substantiels; mais elles ont cessé de le faire. Lord Atkin nous a dit quoi en faire :

[traduction]

Quand ces fantômes du passé se tiennent sur le chemin de la justice, faisant cliqueter leurs chaînes médiévales, la voie à suivre pour le juge est de passer son chemin comme si de rien n'était.

Voir l'arrêt United Australia, Ltd c Barclays Bank Ltd, [1940] 4 All ER 20, à la page 37.

IX.             Existe-t-il des représentants demandeurs légitimes?

[83]           Une autre condition est l’existence d’un représentant demandeur ou, en l’occurrence, de représentants demandeurs, qui défendraient de façon équitable et adéquate les intérêts des groupes, qui ont élaboré un plan viable comprenant un moyen de tenir les membres des groupes informés du déroulement de l’instance, qui ne sont pas en situation de conflit d’intérêts et qui communiquent un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours.

[84]           Le Canada a fait valoir que certains des représentants proposés sont en situation de conflit d’intérêts ou ne peuvent par ailleurs représenter un groupe particulier parce que les membres de ce groupe étaient visés par la CRRPI, tandis que d’autres représentants proposés n’avaient pas une compréhension suffisamment approfondie de leurs obligations et du risque qu’elles comportaient, notamment le risque de devoir supporter les dépens. Il y a aussi une certaine ambiguïté à l’intérieur du groupe des « bandes ».

[85]           À ce stade de l’instance, je suis disposé à accepter les représentants proposés, qui tous ont présenté des affidavits. Si, avec le passage du temps, il se trouve que l’un ou plusieurs des représentants ne sont pas à la hauteur ou sont en situation de conflit d’intérêts, ceux qui pourront les remplacer ne manquent pas. Notre salle d’audience la plus vaste, à Vancouver, a, durant quatre jours de suite, résonné d’observations très arides, très légalistes.

[86]           Les exigences proposées de notification sont satisfaisantes, mais les dates doivent être indiquées et les pensionnats concernés doivent être désignés explicitement avant que l’ordonnance ne soit effectivement signée.

[87]           Une convention relative aux honoraires et débours conclue entre les représentants demandeurs et les avocats au dossier a été remise à la Cour sous pli scellé et elle demeure telle, du moins pour l’instant. Le Canada a le droit de procéder à un audit des bandes, qui, elles, craignent que le privilège du secret professionnel de l'avocat ne soit menacé. Le Canada peut présenter une requête pour que soient communiquées les conventions d’honoraires à un avocat indépendant qui ne pourra pas prendre part à la procédure et qui s’engagera à ne pas discuter de la convention d’honoraires avec l’équipe du contentieux du Canada. Des dispositions semblables ont été prises par le passé.

X.                Le contenu de l’ordonnance

[88]           Si la Cour est convaincue que l’affaire devrait suivre son cours en tant que recours collectif, et j’en suis ainsi convaincu, alors l’article 334.17 des Règles des Cours fédérales énumère les éléments qui devront figurer dans l’ordonnance d’autorisation.

[89]           J’invoque l’article 394 des Règles des Cours fédérales et j’invite les parties à rédiger un projet d’ordonnance donnant effet aux présents motifs. L’ordonnance ne prendra effet, et les délais d’appel ne commenceront à courir, que lorsqu’elle aura été signée et délivrée.

XI.             Les groupes

[90]           J’accepte le groupe des « survivants » tel qu’il est proposé. Toutefois, je ne puis souscrire à la description du groupe des « descendants » ni à certains des points de droit ou de fait communs proposés par les demandeurs. Le groupe des « descendants » embrasse simultanément cinq générations ou davantage et comprendrait les descendants à naître. Cela pourrait entraîner, comme l’écrivait le juge en chef Cardozo dans la décision Ultramares Corp v Touche, Niven & Co, 255 NY 170, 174 NE 441 (CA, 1931), à la page 179, [traduction] « une responsabilité d’un montant indéterminé, pour un temps indéterminé, envers un groupe indéterminé ». Le groupe des « survivants » englobe les externes qui ont fréquenté des pensionnats indiens durant la période allant de 1920 à 1997.

[91]           Au cours des débats, j’ai évoqué le cas d’une jeune fille à ce point traumatisée par ses expériences d’externe qu’elle a tourné le dos à sa bande, à sa communauté et au Canada. Elle est partie dans un autre pays, s’est mariée et a appris une autre langue. Ses arrière-arrière-petits-enfants qui, évidemment, ne l’ont jamais connue auraient pu demander à leur grand-mère comment était sa propre grand-mère. La grand-mère savait peu de choses de sa propre grand-mère, si ce n’est qu’elle parlait avec un accent étrange et refusait d’évoquer sa jeunesse. Ces arrière-arrière-petits-enfants feraient partie du groupe des « descendants », tout comme ceux qui sont toujours restés à l’intérieur de la bande. Les expériences vécues par les descendants peuvent être tellement différentes sous tellement d’aspects que le groupe doit être réduit. Je dis cela parallèlement au fait que je ne modifierai pas le groupe des « bandes », lequel doit rester en l’état à cause des arguments du Canada portant sur les titulaires possibles de droits ancestraux et parce que la communauté tout entière a fort bien pu subir un préjudice. S’il existe un droit collectif, on peut supposer qu’il existe aussi un dédommagement collectif.

[92]           Par ailleurs, il serait déconcertant pour tel ou tel de devoir établir, à titre individuel, qu’il avait, plusieurs générations auparavant, un ancêtre qui était autochtone, et à plus forte raison que cet ancêtre avait fréquenté comme externe un pensionnat indien.

[93]           La Loi sur la citoyenneté a été modifiée en ce qui concerne les enfants nés à l’étranger d’un parent canadien. Ils sont Canadiens par l’effet de la loi, mais, s’ils ont à leur tour des enfants nés à l’étranger, ces enfants ne seront pas automatiquement citoyens canadiens. Je limiterai le groupe des « descendants » à la première génération. Ces descendants prétendent à réparation en leur nom propre, ce qui crée des difficultés dans une analyse classique de la responsabilité délictuelle. À quel devoir de diligence était-on tenu? Cependant, des groupes semblables ont été autorisés, et je ne vois aucune raison d’éliminer ce groupe à un stade préliminaire.

[94]           En outre, je laisse en l’état le groupe des « bandes ». Si un préjudice a été subi, il l’a été à l’intérieur des bandes et parmi leurs membres, contrairement aux personnes qui ignorent peut‑être totalement qu’elles ont des ancêtres autochtones.

XII.          Les points de droit ou de fait communs

[95]           Les points de droit ou de fait communs apparaissent dans le mémoire des faits et du droit des demandeurs. Comme il a déjà été mentionné, l’un de ces points était celui de savoir si le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire envers le groupe des « survivants », celui des « descendants » ou celui des « bandes », à savoir l’obligation de protéger leurs langues et leurs cultures. Il s’agit là de droits ancestraux qui existaient avant la Proclamation royale de 1763. Pour les besoins de la présente affaire, la question n’est pas de savoir s’il existait un devoir de protection, mais s’il existait une obligation de ne pas appliquer de mesures d’extermination. Ainsi que le fait observer Mme Sitter dans son affidavit, les externes du pensionnat de Kamloops venaient de plus de 50 communautés, qui n’avaient pas toutes la même langue ni la même culture. Les externes du pensionnat de Sechelt venaient de quelque 30 communautés. Il y avait aussi des chevauchements. Il aurait été impossible de favoriser la protection de toutes ces langues et cultures dans les pensionnats indiens. Je n’autoriserai donc, comme point de droit ou de fait commun, qu’une obligation de non-extermination.

[96]           Le second point de droit ou de fait commun était celui de savoir si le Canada avait porté atteinte aux droits ancestraux des groupes. Comme il a été mentionné durant les débats, les droits linguistiques et culturels débordent les droits ancestraux. Il s’agit de droits de la personne. Je reformulerais la question en disant qu’il s’agit de savoir si le Canada a porté atteinte aux droits culturels et/ou linguistiques, qu’ils soient ancestraux ou autres, du groupe des « survivants », du groupe des « descendants » ou du groupe des « bandes ».

[97]           Un autre point proposé était de savoir si le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire de protéger le groupe des « survivants » contre un préjudice physique ou psychologique donnant ouverture à un recours. Nous n’avons pas affaire ici à des sévices physiques. Le groupe des « survivants » a été à même de participer au PEI. Je laisserais le « préjudice psychologique », gardant à l’esprit que le Canada ne pouvait répondre des délits ou quasi-délits de ses préposés ou mandataires avant l’adoption de la Loi sur la responsabilité de la Couronne en 1953.

[98]           Comme il a déjà été mentionné, certains des éléments de la procédure de notification doivent être confirmés. Les demandeurs préconisent que le Canada assume les coûts de la signification des avis. Cependant, ils n’ont pas apporté la preuve que c’est le Canada qui devrait assumer sur-le-champ le coût de ce programme.

XIII.       Dispositif

[99]           Comme il a déjà été mentionné, les demandeurs devront, conformément à l’article 394 des Règles des Cours fédérales, rédiger un projet d’ordonnance donnant effet aux présents motifs, projet dont il est à espérer que la forme et le fond seront approuvés par le Canada. Si les parties ne peuvent s’entendre sur la forme et le fond du projet d’ordonnance, alors elles pourront demander la tenue d’une conférence de gestion de l’instance. Comme l’on ne peut pas faire appel de motifs, je rappelle que les délais pour en appeler ne commenceront à courir qu’à la signature de l’ordonnance.

« Sean Harrington »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 3 juin 2015

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


APPENDICE

RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

DORS/98-106

FEDERAL COURTS RULES

SOR/98-106

Règle 334.16

Rule 334.16

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

a) les actes de procédure révèlent une cause d’action valable;

(a) the pleadings disclose a reasonable cause of action;

b) il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;

(b) there is an identifiable class of two or more persons;

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

e) il existe un représentant demandeur qui :

(e) there is a representative plaintiff or applicant who

(i) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,

(i) would fairly and adequately represent the interests of the class,

(ii) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du groupe et tenir les membres du groupe informés de son déroulement,

(ii) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the class and of notifying class members as to how the proceeding is progressing,

(iii) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs,

(iii) does not have, on the common questions of law or fact, an interest that is in conflict with the interests of other class members, and

(iv) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

(iv) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

(3) Si le juge constate qu’il existe au sein du groupe un sous-groupe de membres dont les réclamations soulèvent des points de droit ou de fait communs que ne partagent pas tous les membres du groupe de sorte que la protection des intérêts des membres du sous-groupe exige qu’ils aient un représentant distinct, il n’autorise l’instance comme recours collectif que s’il existe un représentant demandeur qui :

(3) If the judge determines that a class includes a subclass whose members have claims that raise common questions of law or fact that are not shared by all of the class members so that the protection of the interests of the subclass members requires that they be separately represented, the judge shall not certify the proceeding as a class proceeding unless there is a representative plaintiff or applicant who

a) représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du sous-groupe;

(a) would fairly and adequately represent the interests of the subclass;

b) a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance au nom du sous-groupe et tenir les membres de celui-ci informés de son déroulement;

(b) has prepared a plan for the proceeding that sets out a workable method of advancing the proceeding on behalf of the subclass and of notifying subclass members as to how the proceeding is progressing;

c) n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du sous-groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs;

(c) does not have, on the common questions of law or fact for the subclass, an interest that is in conflict with the interests of other subclass members; and

d) communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et l’avocat inscrit au dossier.

(d) provides a summary of any agreements respecting fees and disbursements between the representative plaintiff or applicant and the solicitor of record.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1542-12

INTITULÉ :

LE CHEF SHANE GOTTFRIEDSON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE TK’EMLÚPS TE SECWÉPEMC ET LA BANDE INDIENNE TK’EMLÚPS TE SECWÉPEMC, LE CHEF GARRY FESCHUK, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA BANDE INDIENNE DE SECHELT, ET LA BANDE INDIENNE DE SECHELT, VIOLET CATHERINE GOTTFRIEDSON, DOREEN LOUISE SEYMOUR, CHARLOTTE ANNE VICTORINE GILBERT, VICTOR FRASER, DIENA MARIE JULES, AMANDA DEANNE BIG SORREL HORSE, DARLENE MATILDA BULPIT, FREDERICK JOHNSON, ABIGAIL MARGARET AUGUST, SHELLY NADINE HOEHNE, DAPHNE PAUL, AARON JOE ET RITA POULSEN c

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

DU 13 AU 16 AVRIL 2015 ET

LE 2 JUIN 2015, PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER, TORONTO ET OTTAWA

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Peter R. Grant

Karena Williams

John Kingman Phillips

Patric Senson

pour les demandeurs

Michael Doherty

Sheri Vigneau

A. Reddy

Nick Claridge

pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Grant & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Phillips Gill LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

pour la défenderesse

 

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