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Date : 20150612


Dossier : IMM-8298-14

Référence : 2015 CF 745

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ROBERT IMANIRAGUHA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               « La question de savoir si la preuve présentée permet au demandeur de s’acquitter de sa charge de persuasion dépend beaucoup du poids accordé à la preuve qu’il a présentée », comme spécifié par le juge Russell W. Zinn dans Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1067 au para 24 [Ferguson].

[2]               La Cour trouve que l’agent a raisonnablement soupesé les circonstances particulières du demandeur en ce qui concerne son niveau d’établissement au Canada afin de conclure à l’insuffisance des difficultés pouvant justifier l’application du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Tel qu’énoncé par la juge Johanne Gauthier dans Wazid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1415 au para 4 [Wazid] :

[14] Bien que l'établissement au Canada soit reconnu comme un facteur pertinent dans le cadre de l'évaluation d'une demande CH, la Cour a déclaré à maintes reprises qu'il convient d'évaluer ce facteur sous l'angle des "difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives" (voir l'arrêt Legault, précité). Les répercussions pratiques de cette exigence sont décrites comme suit par le juge Michel Shore dans la décision Hanzai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 2006 CF 1108, au paragraphe 22 :

Il est de jurisprudence constante que les difficultés causées au demandeur doivent être plus sévères que les simples inconvénients ou coûts prévisibles qu'entraînerait son départ du Canada, tels que la vente d'une maison ou d'une voiture ou le fait de devoir se séparer de membres de sa famille ou de ses amis (Irimie, précité, aux paragraphes 12 et 17; Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (QL), au paragraphe 7; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 7, [2001] A.C.F. no 139 (QL), au paragraphe 14).

II.                Introduction

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada rendue le 24 novembre 2014, refusant sa demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada pour motifs d’ordre humanitaire, en vertu de la LIPR.

III.             Faits

[4]               Le demandeur est un citoyen du Rwanda d’origine hutue.

[5]               Le demandeur allègue qu’il est visé par le gouvernement rwandais en tant que membre de l’opposition politique.

[6]               Le 31 mai 2013, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile du demandeur en concluant qu’il n’a ni la qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR, ni celle de personne à protéger en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[7]               Le 10 avril 2014, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de cette même décision (Imaniraguha c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 349).

[8]               Le 24 novembre 2014, l’agent d’immigration a rejeté la demande de dispense de l’obligation de présenter la demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR du demandeur.

IV.             Analyse

[9]               La norme de contrôle des décisions relatives à l’existence de motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable (Hamida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 998 au para 36; Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2010] ACF 583 au para 21; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2009] ACF 713 au para 18).

[10]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR, reproduit ci-dessous, accorde au ministre et à ses délégués le pouvoir discrétionnaire de lever certaines obligations prévues par la LIPR pour des motifs d’ordre humanitaire :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[11]           Il incombe au demandeur de présenter des éléments de preuve suffisants permettant de fonder sa demande (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] ACF 158 au para 5).

[12]           Suite à un examen approfondi de la décision de l’agent et de l’ensemble du dossier dont il était saisi, la Cour estime que l’intervention de la Cour n’est pas requise. L’analyse de la preuve effectuée par l’agent, qui relève de son expertise, correspond aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification requis (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] ACS 9 au para 47).

[13]           D’abord, dans ses motifs, l’agent considère les facteurs relatifs au niveau d’établissement du demandeur au Canada. Entre autres, l’agent évalue la preuve déposée par le demandeur concernant ses liens d’amitié, d’emploi, de scolarité et d’affiliation religieuse, incluant sa relation avec son amie et ses quatre enfants adoptifs.

[14]           Or, l’agent conclut que ces facteurs ne sont pas de nature à causer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées pour le demandeur en raison de son établissement au Canada.

[15]           « La question de savoir si la preuve présentée permet au demandeur de s’acquitter de sa charge de persuasion dépend beaucoup du poids accordé à la preuve qu’il a présentée », comme spécifié par le juge Zinn dans Ferguson, ci-dessus au para 24.

[16]           La Cour trouve que l’agent a raisonnablement soupesé les circonstances particulières du demandeur en ce qui concerne son niveau d’établissement au Canada afin de conclure à l’insuffisance des difficultés pouvant justifier l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR. Tel qu’énoncé par la juge Gauthier dans Wazid, ci-dessus au para 4) :

[14] Bien que l'établissement au Canada soit reconnu comme un facteur pertinent dans le cadre de l'évaluation d'une demande CH, la Cour a déclaré à maintes reprises qu'il convient d'évaluer ce facteur sous l'angle des "difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives" (voir l'arrêt Legault, précité). Les répercussions pratiques de cette exigence sont décrites comme suit par le juge Michel Shore dans la décision Hanzai c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 2006 CF 1108, au paragraphe 22 :

Il est de jurisprudence constante que les difficultés causées au demandeur doivent être plus sévères que les simples inconvénients ou coûts prévisibles qu'entraînerait son départ du Canada, tels que la vente d'une maison ou d'une voiture ou le fait de devoir se séparer de membres de sa famille ou de ses amis (Irimie, précité, aux paragraphes 12 et 17; Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (QL), au paragraphe 7; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 7, [2001] A.C.F. no 139 (QL), au paragraphe 14).

[17]           De plus, l’agent accorde peu de poids au fait que le demandeur soit demeuré au Canada depuis février 2011. Une telle conclusion est raisonnable au regard du fait que les années d’établissement du demandeur découlent de l’opération des lois en matière d’immigration et de protection des réfugiés (Mooker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2008] ACF 713 au para 34).

[18]           En ce qui concerne les conditions défavorables au Rwanda et les risques allégués par le demandeur, en tant que sympathisant d’un parti politique d’opposition, la Cour considère que l’analyse de l’agent est raisonnable suite à la preuve qui ne permet pas d’établir des motifs d’ordre humanitaire. Ceci est appuyé par la lecture en contexte des pièces spécifiquement citées à l’égard des conditions du pays démontrant la preuve objective dans son ensemble.

[19]           Dans ses motifs, l’agent examine la preuve documentaire relative aux conditions du pays au Rwanda. D’abord, l’agent examine la preuve relative au taux élevé de chômage et conclut que la situation du demandeur se distingue de celle de la population en général, en raison de sa formation professionnelle et académique et puisque celui-ci travaillait dans la fonction publique rwandaise avant son départ pour le Canada.

[20]           De plus, l’agent considère la preuve concernant les tensions interethniques qui perdurent au Rwanda. La preuve démontre que les Hutus peuvent subir de la discrimination au niveau de l’emploi dans la fonction publique et dans les postes haut placés. Or, la loi exige un traitement égal pour tous et il existe des mécanismes afin de contrer la discrimination. Également, l’agent observe que les Hutus (84 à 85 % de la population), qui constituent un groupe majoritaire au Rwanda, ne sont pas identifiés dans la preuve documentaire comme étant un groupe marginalisé.

[21]           La Cour estime qu’il était raisonnable pour l’agent, à la lumière de son analyse et de ses motifs, de conclure que les difficultés soulevées par le demandeur du fait de son ethnicité hutue et des conditions socioéconomiques au Rwanda n’ont pas été suffisamment démontrées.

[22]           La jurisprudence établit que les demandeurs invoquant le paragraphe 25(1) de la LIPR doivent établir un lien entre la preuve des difficultés qu’ils font valoir et leur situation particulière (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CAF 113 au para 48 [Kanthasamy]).

[23]           Dans cette vue, en l’absence de preuves suffisantes démontrant que les difficultés inhabituelles et injustifiées toucheront le demandeur « personnellement et directement », il était raisonnable pour l’agent de conclure au manque de motifs d’ordre humanitaire justifiant l’application du paragraphe 25(1) de la LIPR (Nicayenzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 595 au para 31; Kanthasamy, ci-dessus au para 48).

V.                Conclusion

[24]           Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8298-14

 

INTITULÉ :

ROBERT IMANIRAGUHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Annick Legault

 

Pour le demandeur

 

Christine Bernard

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Annick Legault

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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