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Date : 20150612


Dossier : IMM-5146-14

Référence : 2015 CF 746

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

IONEL ION

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(jugement rendu sur le banc)

I.                   Au préalable

[1]               La Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié conclut que la déclaration de culpabilité du demandeur à l’égard des chefs d’accusation portés à son encontre, au regard du fait que le demandeur était représenté par un avocat lors de son plaidoyer de culpabilité, est suffisante pour conclure que le demandeur s’est livré à des activités liées à une organisation criminelle, selon les termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               La Cour fédérale a reconnu qu’un plaidoyer de culpabilité d’un individu affilié à une organisation criminelle suivant un modus operandi constitue la meilleure preuve possible d’une infraction criminelle puisqu’il s’agit d’une reconnaissance de la perpétration d’une infraction. À cet égard, la Cour fait siens les propos du juge Yvan Roy dans Daia c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 198 au para 15 [Daia] :

[15] Elle a plaidé coupable à cinq infractions relatives à ses activités avec ce même groupe de personnes ce qui constitue la meilleure preuve possible. Elle a reconnu avoir commis ces infractions, y inclus la mens rea nécessaire. On ne saurait revenir sur ces aveux. D'autres accusations pèsent sur elle pour des activités semblables en Ontario. La demanderesse invoque la clémence de la peine qui lui aurait été imposée et prétend que "le tribunal n'a pas examiné le témoignage de la demanderesse dans son contexte et à la lumière de l'ensemble de la preuve". Ces allégations n'ont rien à voir avec le standard de la raisonnabilité qui a été décrit dans l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [Dunsmuir] au paragraphe 47.

[3]               La SI constate, notamment, que le demandeur est un acteur clé dans les opérations criminelles pour lesquelles il a été accusé et condamné. La preuve démontre que le demandeur a facilité la perpétration de deux tentatives de vol en tant que chauffeur et que son rôle était essentiel au modus operandi de l’organisation, qui nécessitait le transport motorisé de ses membres vers les commerces et les institutions financières. Le rôle du demandeur en tant que « facilitateur » a également été confirmé par le témoignage de Madame Tremblay devant la SI (Procès-verbal d’audience, Dossier du tribunal, à la p 477).

[4]               La Cour estime qu’à la lumière de la preuve et des faits dont elle disposait, il était raisonnable pour la SI de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que cette organisation est visée par l’alinéa 37(1)a), donc une organisation criminelle.

II.                Introduction

[5]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de la LIPR d’une mesure d’expulsion émise par la SI, à l’encontre du demandeur pour criminalité organisée conformément à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

III.             Contexte factuel

[6]               Le demandeur est citoyen de la Roumanie. Le 12 juillet 2005, le demandeur est devenu résident permanent du Canada.

[7]               Le 8 février 2012, suite à l’arrestation du demandeur dans le cadre de l’opération policière « Feinte 2 » du Service de police de la Ville de Montréal, le demandeur a plaidé coupable à trois chefs d’accusation de tentative de vol de cartes de crédit, incluant un chef de complicité. Le demandeur a reçu une condamnation avec sursis ainsi qu’une ordonnance de probation pour une période de 18 mois.

[8]               Le 31 octobre 2012, le demandeur a fait l’objet d’un rapport en vertu du paragraphe 44(1) et de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. Le rapport a ensuite été déféré à la SI pour enquête.

[9]               Le 13 mars 2013, des procédures ont été intentées par la Ville de Québec contre le demandeur en lien avec des allégations de fraude survenue en mars 2013.

[10]           Le 13 juin 2014, à l’issue d’une audience ayant duré une quinzaine de jours entre le 21 novembre 2012 et le 7 mai 2014, la SI a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur s’est livré à des activités liées à une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et une mesure d’exclusion a été émise à son endroit.

IV.             Provisions législatives

[11]           Les articles 33 et 37 de la LIPR sont reproduits ci-dessous :

Interprétation

Rules of interpretation

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

Activités de criminalité organisée

Organized criminality

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or laundering of money or other proceeds of crime.

Application

Application

(2) Les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

(2) Paragraph (1)(a) does not lead to a determination of inadmissibility by reason only of the fact that the permanent resident or foreign national entered Canada with the assistance of a person who is involved in organized criminal activity.

V.                Question en litige

[12]           La décision de la SI concluant que le demandeur est visé par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR est-elle raisonnable?

VI.             Analyse

[13]           La jurisprudence établit que les conclusions de la SI relatives à la participation à des activités liées à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. Ces déterminations de fait et mixtes de fait et de droit relèvent de l’expertise de la SI et commandent un haut degré de retenue de la Cour (Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] ACF 1512 au para 53 [Sittampalam]; Molares c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 768 au para 7).

[14]           La norme de preuve applicable des « motifs raisonnables de croire », prévue à l’article 33 de la LIPR, exige « plus qu’un simple soupçon » mais demeure toutefois « moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile » (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] ACS 39 au para 114).

[15]           La jurisprudence établit que l’expression « organisation » prévue à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR doit recevoir une interprétation large, souple et libérale, de sorte que l’absence de structure ou de formalité au sein d’un groupe n’ait pas pour effet de contrecarrer l’objectif de la LIPR d’assurer la sécurité du public (Lennon c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 1122 au para 19; Sittampalam, ci-dessus aux para 35 et 36).

[16]           Ce principe est d’ailleurs énoncé aux alinéas 3(1)h) et i) de la LIPR qui énoncent que l’objet de la LIPR comprend, entre autres, la protection de la « santé et [de] la sécurité publiques », la garantie de la « sécurité de la société canadienne », ainsi que la promotion « à l’échelle internationale, [de] la justice et [de] la sécurité par le respect des droits de la personne et [de] l’interdiction de territoire aux personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité ».

[17]           En outre, puisque la structure des organisations criminelles varie, la SI doit disposer d’une certaine latitude pour apprécier l’ensemble de la preuve à la lumière de l’objet de la LIPR (Sittampalam, ci-dessus au para 39).

[18]           Dans ses motifs, la SI procède en premier lieu à l’analyse visant à déterminer s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation à laquelle est associé le demandeur est visée par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[19]           Suite à un examen de la preuve, incluant le témoignage de Madame Tremblay et celui du demandeur, la SI constate d’abord que l’organisation concernée ne s’est pas formée au hasard pour la perpétration immédiate d’une seule infraction.

[20]           La SI observe que l’organisation est composée de sous-cellules de trois à cinq personnes formées d’individus d’origine roumaine ayant des liens familiaux ou amicaux, travaillant ensemble selon un modus operandi, soit celui de commettre des vols de cartes de débit et de crédit en distrayant leurs victimes. La SI constate également que ces individus fréquentaient une même résidence, servant de point de départ pour commettre des infractions.

[21]           De plus, la SI observe que l’organisation ne comporte pas un nom ou un symbole propre, ni une structure organisationnelle ou formelle. Toutefois, la SI conclut que « les membres perpétraient des infractions criminelles selon un modus operandi bien établi et spécifique, propre à leur organisation » (Décision de la SI, au para 44).

[22]           La Cour estime qu’à la lumière de la preuve et des faits dont elle disposait, il était raisonnable pour la SI de conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que cette organisation est visée par l’alinéa 37(1)a), donc une organisation criminelle.

[23]           Il est à noter que la Cour fédérale était arrivée à cette même conclusion dans Daia, ci-dessus, dans laquelle le juge Roy a conclu que l’organisation dont il était question, qui était la même que celle concernée en l’espèce, est une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[24]           En deuxième lieu, la SI considère s’il y a des « motifs raisonnables de croire » que le demandeur s’est livré à des activités liées à cette organisation.

[25]           La SI constate, notamment, que le demandeur est un acteur clé dans les opérations criminelles pour lesquelles il a été accusé et condamné. La preuve démontre que le demandeur a facilité la perpétration de deux tentatives de vol en tant que chauffeur et que son rôle était essentiel au modus operandi de l’organisation, qui nécessitait le transport motorisé de ses membres vers les commerces et les institutions financières. Le rôle du demandeur en tant que « facilitateur » a également été confirmé par le témoignage de Madame Tremblay devant la SI (Procès-verbal d’audience, Dossier du tribunal, à la p 477).

[26]           La SI conclut que la déclaration de culpabilité du demandeur à l’égard des chefs d’accusation portés à son encontre, au regard du fait que le demandeur était représenté par un avocat lors de son plaidoyer de culpabilité, est suffisante pour conclure que le demandeur s’est livré à des activités liées à une organisation criminelle, selon les termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR.

[27]           La Cour fédérale a reconnu qu’un plaidoyer de culpabilité d’un individu affilié à une organisation criminelle suivant un modus operandi constitue la meilleure preuve possible d’une infraction criminelle puisqu’il s’agit d’une reconnaissance de la perpétration d’une infraction. À cet égard, la Cour fait siens les propos du juge Roy dans Daia, ci-dessus au para 15 :

[15] Elle a plaidé coupable à cinq infractions relatives à ses activités avec ce même groupe de personnes ce qui constitue la meilleure preuve possible. Elle a reconnu avoir commis ces infractions, y inclus la mens rea nécessaire. On ne saurait revenir sur ces aveux. D'autres accusations pèsent sur elle pour des activités semblables en Ontario. La demanderesse invoque la clémence de la peine qui lui aurait été imposée et prétend que "le tribunal n'a pas examiné le témoignage de la demanderesse dans son contexte et à la lumière de l'ensemble de la preuve". Ces allégations n'ont rien à voir avec le standard de la raisonnabilité qui a été décrit dans l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, [Dunsmuir] au paragraphe 47.

[28]           Au regard de l’analyse de la SI, telle qu’exposée dans ses motifs, et de l’ensemble du dossier, la Cour estime que la décision de la SI est raisonnable.

VII.          Conclusion

[29]           Il était raisonnable pour la SI de conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation concernée est visée par l’alinéa 37(1)a) de la LIPR et que le demandeur s’est livré à des activités liées à cette organisation criminelle.

[30]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5146-14

 

INTITULÉ :

IONEL ION c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Myriam Roy-L’Écuyer

 

Pour le demandeur

 

Isabelle Brochu

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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