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Date : 20150605


Dossier : T‑729‑13

Référence : 2015 CF 710

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

THOMAS WINMILL

demandeur

et

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le matin du 22 septembre 1991, le demandeur, son fils Robert Winmill, l’épouse de Robert à l’époque, soit Tina Winmill (maintenant Prevost), et deux connaissances de Robert, soit Christopher Cvetkovic et Brian Brady, se rendaient en voiture à la ferme d’un ami du demandeur située à Port Colborne, en Ontario. Monsieur Brady a été assassiné en route et son corps a été abandonné dans un fossé d’une route secondaire. Le soir venu, Tina et Robert ont appelé la police. Les renseignements qu’ils ont donnés ont mené à l’arrestation du demandeur et de M. Cvetkovic pour le meurtre de M. Brady, mais les accusations portées contre M. Cvetkovic ont été retirées quelques heures plus tard. Le demandeur a été jugé.

[2]               Le 28 octobre 1992, à l’issue d’un procès devant jury qui a duré 17 jours, le demandeur a été déclaré coupable de meurtre au premier degré et a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle pendant 25 ans. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé sa déclaration de culpabilité et sa peine le 28 janvier 1999 (R. c Winmill, 42 O.R. (3d) 582, [1999] OJ no 213 (QL)). Le demandeur n’a pas interjeté appel devant la Cour suprême du Canada.

[3]               Le 2 novembre 2011, le demandeur, avec l’aide du projet Innocence de la faculté de droit Osgoode Hall, a présenté une demande de révision de sa condamnation auprès du ministre suivant l’article 696.1 du Code criminel, LRC, 1985, c C‑46 (la demande de révision de la condamnation). Il a fait valoir que de nouveaux éléments de preuve importants révélaient que son fils, Robert Winmill, avait avoué avoir commis le meurtre dont il a été déclaré coupable.

[4]               Comme l’exige l’alinéa 3b) du Règlement sur les demandes de révision auprès du ministre (erreurs judiciaires), DORS/2002‑416 (le Règlement), le ministre de la Justice (le ministre), par l’entremise du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC) du ministère de la Justice, a procédé à une évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation. Le 7 mai 2012, le GRCC a conclu que la demande ne soulevait pas de nouveaux éléments de preuve importants donnant des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite dans cette affaire. Par conséquent, il a conclu qu’il ne passerait pas à la deuxième étape de la procédure de révision de la condamnation, soit l’enquête.

[5]               En août 2012, le projet Innocence a envoyé une lettre au GRCC dans laquelle il soutenait que l’évaluation préliminaire serait incomplète dans cette affaire si aucune mesure n’était prise pour savoir ce que Tina Prevost (Tina) pensait du fait que Robert Winmill affirmait avoir commis le meurtre, vu qu’elle avait de la difficulté à se souvenir des événements. Plus particulièrement, le projet Innocence a demandé au GRCC de contraindre Tina à témoigner sous serment et de lui permettre de la contre‑interroger.

[6]               Cette demande a été rejetée le 18 octobre 2012. Le 22 novembre 2012, le projet Innocence a demandé au GRCC de réexaminer sa décision. La demande de réexamen a été rejetée le 16 janvier 2013.

[7]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, sur le fondement du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, de la décision du ministre de ne pas passer à la deuxième étape de la procédure de révision de la condamnation. Il soutient que le ministre a manqué à son obligation d’équité à son endroit en raison de son défaut d’enquêter sur la demande de révision de la condamnation, et plus particulièrement, en raison de son défaut d’interroger Tina comme il se doit.

[8]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[9]               Le résumé des faits est fourni dans l’objectif de situer le contexte de l’analyse des questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire. Le présent résumé, qui concerne les événements ayant donné lieu à la déclaration de culpabilité du demandeur et l’appel interjeté à la Cour d’appel de l’Ontario, est tiré du jugement de la Cour d’appel.

A.        La déclaration de culpabilité

(1)               La preuve du ministère public

[10]           La Cour d’appel de l’Ontario a résumé la preuve du ministère public comme suit. Par souci de commodité, la Cour d’appel a utilisé les prénoms « Robert », « Tina » et « Chris » pour désigner Robert Winmill, Tina Winmill et M. Cvetkovic respectivement, et a employé le terme [traduction« défunt » pour désigner la victime, Brian Brady.

[traduction]

5  Tôt le matin du 22 septembre 1991, le défunt est arrivé à l’appartement de Robert et de Tina. Robert, Tina, Chris et l’appelant se trouvaient tous dans l’appartement. Peu après son arrivée, le défunt a commencé à se disputer avec Robert au sujet de l’argent qu’avait obtenu Robert de la vente d’un bien qu’ils avaient volé ensemble. Le bruit a réveillé l’appelant, qui s’est vite mêlé à la dispute.

6  Les esprits se sont rapidement calmés, puis Robert et le défunt ont quitté l’appartement pour aller commettre d’autres introductions par effraction. À l’aube, ils sont retournés à l’appartement avec les fruits de leur nuit de travail. L’appelant, Robert, Chris et le défunt sont restés debout et ont bu l’alcool qu’ils avaient volé cette nuit‑là. Tina a dormi. Vers 7 h 30, quelqu’un l’a réveillée et lui a dit qu’ils partaient tous ensemble livrer un magnétoscope volé à la ferme d’un ami. Elle s’est douchée et s’est préparée afin de se rendre à la ferme avec le groupe. Elle a affirmé que lorsqu’elle se trouvait dans la salle de bain, l’appelant est entré et lui a dit qu’il allait « supprimer » Brian. Je traiterai bientôt de façon détaillée du témoignage de Tina sur son entretien avec l’appelant dans la salle de bain.

7  Chris a déclaré dans son témoignage qu’avant leur départ pour la ferme, l’appelant lui avait dit qu’il allait tuer le défunt. L’appelant a livré des commentaires semblables à Robert. Personne n’a alors pris au sérieux les commentaires de l’appelant. Peu de temps après, Robert, Tina, Chris, le défunt et l’appelant ont quitté l’appartement et ont pris la route dans la voiture de Chris; le magnétoscope se trouvait dans le coffre. Robert conduisait. En chemin, il a quitté la route et a roulé environ 800 mètres sur une route rudimentaire, où il a arrêté la voiture. C’est sur ce tronçon isolé que le défunt a été poignardé et tué.

8  Robert, Tina et Chris ont déclaré dans leurs témoignages qu’après que la voiture se soit engagée sur la route de campagne, l’appelant a demandé à Robert d’arrêter la voiture, car il avait envie d’uriner. Une fois la voiture immobilisée, le défunt en est sorti. Lorsque le défunt a eu fini d’uriner sur le bord de la route, l’appelant l’a poignardé à deux reprises à l’abdomen avec le couteau de Chris, puis lui a tranché la gorge.

9  Les témoignages de Robert, de Tina et de Chris, qui ont tous déclaré avoir vu l’appelant poignarder et tuer le défunt, étaient au cœur de la preuve du ministère public. Le ministère public s’est également appuyé sur ce qu’il appelait une déclaration inculpatoire faite par l’appelant après son arrestation. Selon les agents qui ont procédé à l’arrestation, lorsque l’appelant a été informé qu’il était arrêté pour le meurtre de Brian Brady, il fait la déclaration suivante : « À 9 h hier matin, j’étais ivre et je ne pouvais même pas bouger. » Le ministère public a fait valoir que cette déclaration prouvait que l’appelant connaissait l’heure du décès du défunt, et qu’elle contredisait l’allégation de l’appelant selon laquelle il dormait dans la voiture lorsque le défunt a été tué et ignorait par conséquent les circonstances du décès.

(2)               La défense du demandeur

[11]           Le demandeur a fait valoir en défense qu’il dormait sur la banquette arrière lorsque M. Brady avait été tué et que de toute façon, il était physiquement incapable de commettre le meurtre en raison d’une fracture du bassin qu’il avait subie dans un accident de voiture le 1er juillet 1991.

[12]           Au procès, le demandeur a déclaré que le samedi 21 septembre 1991, il se trouvait à la ferme de ses amis Earl et Sheila Cyopick, où il avait emménagé temporairement pendant qu’il se remettait de sa fracture du bassin. Il a affirmé qu’il était au lit et tentait de s’endormir lorsque Robert l’a réveillé pour lui proposer d’aller plutôt dormir à l’appartement qu’il partageait avec Tina cette nuit‑là. Ainsi, il pourrait passer le dimanche à l’appartement et retourner à la ferme des Cyopick le dimanche soir. Le demandeur a accepté l’invitation.

[13]           Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’une fois arrivé chez Robert et Tina, il avait bu deux ou trois bières rapidement, puis était allé dormir sur le canapé, dans une position plus ou moins assise en raison de ses blessures. Il a dit qu’il dormait lorsque M. Brady est arrivé chez Robert et Tina, et qu’il s’est réveillé lorsque M. Brady et Robert se sont disputés au sujet du fait que Robert n’avait pas vendu assez cher un bien qu’ils avaient volé ensemble. Le demandeur a affirmé qu’il s’était mêlé à la dispute et avait pris parti pour Robert. Il a ajouté que la tension avait monté d’un cran lorsque Tina était intervenue dans la discussion et M. Brady lui avait répondu durement. Les choses se sont ensuite calmées.

[14]            La Cour d’appel de l’Ontario a fait le compte rendu suivant du témoignage du demandeur au sujet des événements qui se sont déroulés entre ce moment‑là, le soir du 21 septembre 1991, et le lundi matin (le 23 septembre), lorsqu’il a été arrêté par la police :

[traduction]

Robert et le défunt sont sortis pendant une courte période pour aller à un magasin. L’appelant a affirmé qu’à sa demande, ils lui avaient rapporté deux tablettes de chocolat. À leur retour, les personnes présentes ont consommé de la marihuana ensemble. Robert et le défunt ont alors demandé à Chris s’ils pouvaient utiliser sa voiture. Ils ont pris la voiture de Chris pour aller faire des introductions par effraction dans la région de Crystal Beach. Ils sont revenus à l’aube. [...]

15  Robert et le défunt ont entre autres volé de l’alcool. L’appelant en a profité pour boire du Southern Comfort, du rye, de la vodka, du cognac et de la bière. Les autres, sauf Tina, se sont joints à lui. Pendant cette partie de la matinée, Robert, le défunt et Chris ont exhibé leurs couteaux personnels de différentes façons. Chris a dû récupérer son couteau dans la voiture pour exhiber son couteau lui aussi.

16  L’appelant a affirmé que les membres du groupe, sauf Tina qui dormait, ont décidé de se rendre à la ferme des Cyopick pour livrer un magnétoscope volé récemment à Darlene Drake, qui habitait à la ferme. [...] Lorsque l’appelant a quitté l’appartement pour se rendre à la ferme des Cyopick, il a affirmé qu’il avait une démarche « plutôt instable » en raison de l’alcool qu’il avait consommé.

17  Lorsque les membres du groupe ont pris la décision de quitter l’appartement pour se rendre à la ferme des Cyopick, Robert a réveillé Tina afin qu’elle se prépare pour le voyage. L’appelant est entré dans la salle de bain où Tina se douchait pour utiliser la toilette et pour finir de nettoyer ses plaies abdominales en raison des tiges qui avaient été insérées dans son abdomen lorsque le dispositif de fixation de son bassin avait été installé, à la suite de son accident de voiture. L’appelant se souvient d’avoir utilisé la toilette lorsque Tina était dans la douche, mais il nie lui avoir dit qu’il allait tuer le défunt. Il a affirmé que Tina et lui n’ont pas parlé lorsqu’ils se trouvaient tous les deux dans la salle de bain.

18  L’appelant a affirmé qu’il avait eu besoin d’un soutien pour se rendre à la voiture et qu’il s’était assis à l’avant, sur le siège de droite, à côté de Robert, le conducteur. Il s’est presque immédiatement endormi. Il s’est fait réveiller par le jappement d’un chien se trouvant à côté de la voiture. Il a immédiatement reconnu le ridgeback de Rhodésie des Cyopick et a naturellement conclu qu’il était à la ferme des Cyopick, située à environ 30 minutes de voiture de l’appartement. Avant que l’appelant sorte de la voiture, les autres ont décidé de partir. À ce moment‑là, le défunt n’était plus présent. Le défunt a été tué en chemin à l’insu de l’appelant, qui soutient avoir dormi pendant tout le trajet entre l’appartement et la ferme des Cyopick. L’appelant se souvient que le défunt se trouvait dans la voiture lorsque le groupe a quitté l’appartement. Il n’a pas remarqué qu’il n’était pas dans la voiture à leur arrivée à la ferme des Cyopick.

19  À leur départ de la ferme des Cyopick, Robert a réveillé l’appelant pour lui demander s’il connaissait un trafiquant d’alcool. Il cherchait un trafiquant à qui il pourrait vendre une partie de l’alcool volé. Selon les indications fournies par l’appelant, ils ont fait un arrêt à la maison d’un trafiquant d’alcool de la région à la retraite. L’appelant est allé dans la maison où on lui a servi un verre de rye. Les autres sont demeurés dans la voiture. L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas tenté de vendre l’alcool volé à ce trafiquant, car il ne voulait pas que son ami, le trafiquant d’alcool, soit mêlé au vol d’alcool. Lorsque les occupants de la voiture sont devenus impatients, l’appelant est retourné à la voiture.

20 L’appelant a dit que lorsqu’il était retourné dans la voiture, il s’était encore endormi presque immédiatement. Il s’est ensuite réveillé à la ferme des Cyopick, où il est sorti de la voiture pour uriner. Il se souvient que Darlene Drake l’a aidé à mettre son pyjama et il a dit qu’il s’est ensuite endormi. Il a dormi jusqu’à 21 h environ. L’appelant ne se souvient pas d’avoir été à l’appartement ou d’avoir refait le trajet entre l’appartement et la ferme.

21  Le lendemain matin, la police est venue arrêter l’appelant pour le meurtre de M. Brady. L’appelant soutient qu’au cours d’une entrevue qui s’est déroulée peu après son arrestation, il a demandé à l’agent qui a procédé à l’arrestation, le détective Bruno, à quel moment le meurtre aurait eu lieu, et celui‑ci lui a répondu « tôt hier matin ». Voilà comment l’appelant a expliqué la déclaration qu’il a faite aux policiers : « À 9 h hier matin, j’étais ivre et je ne pouvais même pas bouger. »

[15]           Le demandeur a déclaré qu’il était incapable de marcher sans se servir d’abord d’un déambulateur, puis de béquilles, en raison de sa fracture du bassin. Il a reconnu avoir dit à M. Brady, la nuit précédant le meurtre, que s’il ne se taisait pas, il allait lui [traduction] « enfoncer sa béquille dans la gorge », mais a nié les témoignages de Robert, de Tina et de Chris, qui soutiennent qu’il l’a tué ou même menacé de le tuer avant de quitter l’appartement pour se rendre à la ferme des Cyopick.

[16]           Le demandeur a aussi fait valoir en défense qu’il ignorait ce qui s’était passé pendant le trajet au cours duquel M. Brady a été assassiné, à savoir la période s’échelonnant entre le moment où ils — Robert, Tina, Chris, M. Brady et lui‑même — sont partis de l’appartement et celui où ils sont arrivés à la ferme des Cyopick, un trajet en voiture qui prend habituellement 30 minutes. Il a aussi fait valoir qu’outre le fait d’être sorti de la voiture chez le trafiquant d’alcool et d’être entré dans la maison de celui‑ci, il ne se souvient aucunement des événements qui se sont déroulés entre le moment où le groupe, à l’exception de M. Brady, a quitté la ferme des Cyopick et est retourné à cette même ferme plus tard dans la journée.

(3)               Le verdict

[17]           Au procès, il a été admis que les trois principaux témoins du ministère public — Robert Winmill, Tina et M. Cvetkovic — étaient peu recommandables, bien qu’à première vue, M. Cvetkovic n’ait pas semblé aussi indigne de confiance que les deux autres, car il n’avait pas de casier judiciaire, avait un emploi stable, connaissait les Winmill depuis relativement peu de temps, connaissait à peine la victime et n’avait pas de véritable motif de tuer le défunt ou d’aider Robert ou Tina.

[18]           En ce qui a trait à la mobilité du demandeur au moment où le meurtre a été commis, la preuve était contradictoire : les trois principaux témoins du ministère public ont déclaré qu’ils avaient vu le demandeur marcher sans béquilles, tandis que d’autres personnes, comme les Cyopick, ont affirmé qu’il ne marchait qu’avec les béquilles.

[19]           Un chirurgien orthopédiste qui a examiné les dossiers médicaux du demandeur en provenance de l’hôpital a déclaré que les patients ayant subi une fracture du bassin de type deux, comme le demandeur, devraient être ambulatoires dans un délai se situant entre huit et douze semaines. Il a affirmé que le demandeur aurait pu marcher sans utiliser de béquilles ou de déambulateur dans les huit semaines suivant son intervention chirurgicale et estimait que ses limites concernant sa capacité à marcher n’étaient pas de nature structurale, c’est‑à‑dire qu’il aurait été en mesure de marcher s’il avait pu endurer l’inconfort associé à la marche.

[20]           Le jury a déclaré le demandeur coupable de meurtre au premier degré.

B.                 Appel interjeté à la Cour d’appel de l’Ontario

(1)               Les moyens d’appel

[21]           Le demandeur a invoqué trois moyens d’appel. Il a fait valoir que le juge du procès avait commis les erreurs suivantes :

a)      il n’a pas mis le jury en garde quant aux témoignages de Robert Winmill, de Tina et de M. Cvetkovic, et il ne lui a pas indiqué que le témoignage d’un de ces témoins indignes de confiance ne pouvait servir à confirmer le témoignage d’un autre de ces témoins indignes de confiance;

b)      il n’a pas suffisamment attiré l’attention du jury sur les nombreuses incohérences dans la version des événements racontée par ces trois témoins et les faits pouvant être prouvés objectivement;

c)      il a admis en preuve le fait que le demandeur avait déjà travaillé comme boucher dans un abattoir.

[22]           La Cour d’appel a rejeté les trois moyens d’appel. Elle a conclu que le juge du procès avait [traduction« nettement et sans équivoque dit au jury que Robert, Tina et Chris étaient des témoins peu recommandables et que les chances de succès du ministère public reposaient sur la décision du jury d’accepter leurs témoignages ». Elle a également conclu que le juge du procès avait [traduction« examiné la preuve en profondeur et de manière équilibrée », et que l’accusation portée contre lui était à la fois équitable et adéquate. En conclusion, elle a affirmé qu’après avoir eu [traduction« l’énorme avantage de voir et d’entendre tous les témoins, particulièrement les trois témoins qualifiés judicieusement de peu recommandables », le jury pouvait admettre que les témoignages de ces trois témoins constituaient une preuve hors de tout doute raisonnable.

(2)               La demande visant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve

[23]           La Cour d’appel a également examiné une requête présentée par le demandeur en vue d’obtenir une ordonnance visant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve. Ces éléments de preuve étaient l’affidavit que Beverly Jane Bacon a fait sous serment le 30 avril 1997 et le contre‑interrogatoire de celle‑ci sur son affidavit. Madame Bacon n’a pas témoigné au  procès.

[24]           Les nouveaux éléments de preuve proposés par Mme Bacon se rapportaient à des déclarations que lui aurait faites Robert Winmill en septembre 1991, après l’arrestation et l’inculpation du demandeur pour le meurtre de Brian Brady. Dans son affidavit, elle a déclaré que Robert lui avait téléphoné à trois reprises. En ce qui concerne les deux premiers appels, elle a déclaré que Robert lui a téléphoné deux fois le même soir pour lui dire que le demandeur avait été arrêté et inculpé du meurtre, et pour lui demander de communiquer avec la police pour [traduction« le faire sortir », car le demandeur [traduction« n’avait rien fait ». Selon l’affidavit, Robert lui a dit que M. Brady avait une aventure avec Tina. En ce qui concerne le troisième appel, qu’elle a reçu le lendemain, Mme Bacon a affirmé que Robert lui avait parlé du meurtre. Cette partie de la conversation téléphonique est décrite en ces termes dans l’affidavit de Mme Bacon  :

[traduction]

Il [Robert] a affirmé que lorsque Brian était sorti de la voiture pour uriner, Chris avait tenu Brian pendant que Tina le poignardait. Robert a affirmé qu’il devait terminer le travail et avait enlevé le corps de la route. Robert m’a dit qu’il portait le blouson et les chaussures de son père. Il m’a dit qu’il avait caché un couteau et des vêtements dans une benne à ordures.

Robert m’a ensuite dit que Chris avait placé le couteau dans un baril de 45 gallons dans le garage où il travaillait. Robert m’a dit que Chris, Tina et lui‑même avaient jeté tous les vêtements dans une benne à ordures située à un ou à deux pâtés de maisons de l’appartement de Robert.

[25]           Madame Bacon a affirmé qu’elle avait ensuite demandé à Robert pourquoi il n’avait pas transmis ces renseignements à la police, et que Robert lui avait répondu que Tina avait déjà communiqué avec la police et croyait que les policiers arriveraient à son appartement sous peu. Selon son affidavit, Mme Bacon avait tenu pour acquis à l’époque que Robert dirait à la police que Tina avait poignardé M. Brady.

[26]           Madame Bacon a déclaré qu’à la suite de ces appels, elle a communiqué avec la police et avec la sœur du demandeur, Jacklynn Lee, qui a accepté de trouver un avocat au demandeur. Elle a ajouté que le lendemain du troisième appel, elle a reçu la visite des détectives Bruno et Matthews, qui étaient responsables de l’enquête sur le meurtre de M. Brady, et leur a raconté ce que Robert lui avait dit au sujet du meurtre. Madame Bacon a également affirmé que pendant la période s’échelonnant entre septembre 1991 et le début du procès du demandeur en octobre 1992, elle recevait régulièrement des appels de Robert, qui, selon elle, continuait de dire que le demandeur n’avait pas commis le meurtre.

[27]           En réponse à l’affidavit de Mme Bacon, le ministère public a présenté les affidavits des deux détectives. D’après leurs témoignages, les deux détectives ont nié que Mme Bacon leur avait dit que Robert avait déclaré que Tina avait poignardé M. Brady, comme Mme Bacon l’affirme dans son affidavit. Ils ont également nié qu’elle les avait informés du fait que quelqu’un s’était débarrassé des vêtements. Les deux policiers ont déclaré que la seule fois où elle leur avait dit que quelqu’un s’était débarrassé de quelque chose, elle parlait du couteau qui avait servi à poignarder la victime. Le détective Matthews, qui a pris des notes pendant l’entrevue, a déclaré dans son affidavit que pendant la majeure partie de l’entrevue de 30 minutes, ils ont parlé des activités criminelles de Robert dans un certain lieu de villégiature des environs.

[28]           Après avoir appliqué les principes concernant l’admission de nouveaux éléments de preuve énoncés dans l’arrêt R c Palmer (1979), 50 C.C.C. (2d) 193 (CSC), de la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel a conclu que les nouveaux éléments de preuve proposés par Mme Bacon, lorsqu’ils étaient examinés rigoureusement comme il se doit, n’étaient pas raisonnablement dignes de foi et n’auraient probablement pas eu d’incidence sur le verdict s’ils avaient été admis. Plus particulièrement, la Cour d’appel a conclu que si Mme Bacon avait raconté aux deux détectives que Robert avait dit que Tina avait poignardé le défunt, M. Bruno et M. Matthews se seraient souvenus de cette partie importante de l’entrevue, auraient noté ce renseignement et seraient intervenus. La Cour d’appel a également eu du mal à croire que la sœur du demandeur, Mme Lee, qui avait retenu les services d’un avocat pour son frère et avait été appelée à témoigner pour la défense, n’eut pas divulgué ces révélations cruciales au sujet du meurtre à l’avocat du demandeur à l’époque.

[29]           La Cour d’appel a souligné que Robert Winmill avait fait un certain nombre de déclarations incohérentes au sujet du meurtre. Elle s’est exprimée en ces termes :

[traduction]

91  En outre, comme je l’ai dit, Robert a déjà fait un certain nombre de déclarations incohérentes au sujet du meurtre. Sa dernière déclaration remonte au procès, où il a admis à un enquêteur de la défense que Chris avait tué le défunt. Les déclarations qu’il aurait faites à Mme Bacon, selon lesquelles Tina a tué le défunt, auraient allongé la liste des déclarations incohérentes de Robert, à supposer que Robert, interrogé à ce sujet, admette avoir dit à Mme Bacon que Tina avait tué le défunt.

[30]           La requête présentée par le demandeur en vue de faire admettre de nouveaux éléments de preuve a été rejetée.

C.                La demande de révision de la condamnation

[31]           Ainsi que je l’ai mentionné, la demande de révision de la condamnation a été présentée au ministre, par l’entremise du GRCC, le 2 novembre 2011. À l’appui de son allégation selon laquelle une erreur judiciaire avait été commise, le demandeur a présenté les documents suivants :

a)      l’affidavit de Robert Winmill, daté du 20 septembre 2011, dans lequel il avoue avoir tué M. Brady et avoir monté un coup contre le demandeur;

b)      l’affidavit d’un détective privé, M. Edward Kaj, daté de septembre 2010, selon lequel Robert Winmill a avoué avoir commis le meurtre de M. Brady et a fourni une déclaration écrite à cet égard;

c)      la déclaration écrite, datée du 7 septembre 2010, que Robert Winmill a fournie à M. Kaj;

d)     une lettre de Robert Winmill destinée au demandeur, datée du 27 juillet 2010, dans laquelle Robert écrit qu’il dira enfin la vérité;

e)      un DVD comportant l’enregistrement sur bande vidéo d’une entrevue de Robert Winmill, menée par deux agents de la GRC le 24 août 2010, et la transcription de cette entrevue;

f)       l’affidavit de son frère, Thomas Winmill fils, daté du 10 octobre 2011, dans lequel il affirme avoir entendu Robert avouer le meurtre de M. Brady;

g)      l’affidavit de Mme Ginette Dugas, une amie d’enfance de Robert Winmill, daté du 25 octobre 2011, dans lequel elle affirme que Robert Winmill a avoué avoir tué M. Brady pour se venger du demandeur;

h)      l’affidavit de Mme Bacon, précité, daté du 12 septembre 2011, dans lequel elle affirme que Robert Winmill lui a avoué que Tina Winmill, M. Cvetkovic et lui‑même avaient tué M. Brady.

[32]           Dans sa lettre datée du 7 mai 2012 destinée à informer le demandeur que la demande de révision de la condamnation ne passerait pas à l’étape de l’enquête dans la procédure de révision de la condamnation, le GRCC a affirmé que la question à trancher consistait à savoir si la demande de révision de la condamnation soulevait [traduction« de nouvelles questions importantes » qui auraient pu avoir une incidence sur le verdict si elles avaient été portées à la connaissance du juge et du jury pendant le procès du demandeur. Dans sa lettre, le GRCC a défini l’expression [traduction« de nouvelles questions importantes » en ces termes :

[traduction]

Les nouvelles questions importantes peuvent être de nouveaux renseignements ou éléments de preuve qui n’ont pas été pris en compte par les tribunaux ou le ministre dans le cadre d’une demande présentée antérieurement. Des renseignements seront considérés comme « nouveaux » si le tribunal n’en a pas tenu compte à votre procès ou si vous en avez pris connaissance uniquement après la fin des procédures judiciaires.

Des renseignements seront considérés comme « importants » s’ils sont pertinents, raisonnablement dignes de foi et auraient pu avoir une incidence sur le verdict s’ils avaient été présentés au procès.

[33]           Le GRCC a également expliqué que pour établir si les éléments de preuve étaient nouveaux et importants, il s’appuyait sur les principes qu’appliquent les tribunaux pour évaluer de nouveaux éléments de preuve. Il a mentionné en particulier les critères énoncés dans l’arrêt Palmer, précité, ainsi que les principes qui permettent l’admission des rétractations à titre de nouveaux éléments de preuve, que la Cour d’appel de l’Ontario a énoncés dans l’arrêt Babinski c The Queen (1999), 44 O.R. (3d) 695, 135 C.C.C. (3d) 1.

(1)               L’affidavit de Robert, la lettre qu’il a envoyée au demandeur et la déclaration écrite qu’il a fournie à M. Kaj

[34]           Le GRCC a d’abord examiné l’affidavit de Robert, la lettre qu’il a envoyée au demandeur et la déclaration écrite qu’il a fournie à M. Kaj, ainsi que l’affidavit de M. Kaj. Selon ces documents, Robert avait décidé d’avouer le crime à ce moment‑là, parce qu’il ne méritait plus que le demandeur se sacrifie pour lui, car il s’était, lui‑même, retrouvé en prison. Quant au motif pour lequel il aurait tué M. Brady, il aurait été fâché par le manque de respect de M. Brady à l’égard du demandeur pendant la dispute qui avait eu lieu la nuit précédant le meurtre.

[35]           Le GRCC a conclu que ces éléments de preuve concernant la rétractation de Robert Winmill n’étaient pas dignes de foi pour les motifs suivants :

a)      il ment et fait des déclarations incohérentes depuis longtemps;

b)      il existait des facteurs qu’il fallait prendre en compte pour évaluer la crédibilité de son aveu récent, à savoir son incarcération actuelle pour des déclarations de culpabilité indépendantes, dont le mandat expirera en août 2021, ainsi que des accusations de complicité après le fait en lien avec deux meurtres remontant à 2004 auxquelles il devait répondre au moment de sa rétractation, et lesquelles auraient pu se solder par une peine d’emprisonnement plus longue;

c)      les témoignages des deux autres témoins oculaires du ministère public, Tina et M. Cvetkovic, qui mêlaient le demandeur au meurtre, n’ont pas été rétractés dans un cas (M. Cvetkovic) et ont été réitérés dans l’autre cas (Tina);

d)     le motif allégué du meurtre, soit de venger un léger manque de respect envers le demandeur, était très difficile à concilier avec le fait qu’il a rejeté la responsabilité du meurtre sur le demandeur dans les heures qui ont suivi le meurtre et a livré un faux témoignage l’incriminant au procès.

(2)               Les autres documents à l’appui

[36]           Le GRCC a ensuite examiné les autres documents à l’appui afin de voir s’ils pourraient offrir une corroboration indépendante du témoignage de Robert, selon lequel il a commis le meurtre.

[37]           Il a d’abord examiné l’entrevue de la GRC réalisée en août 2010. Il a signalé que cette entrevue avait été menée en lien avec la participation de Robert Winmill aux deux meurtres pour lesquels il était accusé de complicité après le fait. Au cours de l’entrevue, Robert a informé les deux agents de la GRC menant l’entrevue qu’il était en voie d’assumer la responsabilité d’un meurtre commis en Ontario.

[38]           Le GRCC a conclu que les aveux qu’avait faits Robert pendant l’entrevue [traduction« reflètent étroitement les propos formulés dans son affidavit et la déclaration écrite qu’il a fournie à M. Kaj », et que, bien que l’entrevue avait permis de corroborer le fait qu’il avait exprimé des aveux semblables, elle ne pouvait pas être considérée comme une corroboration indépendante selon laquelle il avait réellement commis le meurtre.

[39]           Le GRCC a ensuite examiné l’affidavit du frère de Robert Winmill, Thomas Winmill fils. Là encore, le GRCC a conclu que cet affidavit corroborait le fait que Robert avait déclaré avoir commis le meurtre, mais il ne s’agissait pas d’une corroboration indépendante selon laquelle Robert avait commis le meurtre. Cet affidavit traitait du caractère violent de Robert et du désir de celui‑ci, depuis l’adolescence, de se venger du demandeur parce qu’il avait quitté sa mère. Dans son affidavit, Thomas Winmill fils a également affirmé que trois jours après le meurtre de M. Brady, il avait entendu Robert dire, dans une conversation téléphonique avec la police, qu’il était le tueur. Toutefois, le GRCC a souligné que pendant l’enquête sur le meurtre et le procès, Thomas Winmill fils n’a jamais raconté cette version des événements à la police ou à l’avocat du demandeur.

[40]           Le GRCC a tiré une conclusion semblable concernant l’affidavit de l’amie d’enfance de Robert Winmill, Ginette Dugas. Dans son affidavit, Mme Dugas a raconté une conversation qu’elle avait eue avec Robert dans les jours suivant le meurtre de M. Brady. Elle a affirmé que Robert lui avait dit qu’il avait tué M. Brady pour se venger du demandeur, car il voulait s’assurer que celui‑ci passe le reste de sa vie en prison en raison du comportement agressif qu’il avait eu envers sa famille. Elle a ajouté qu’elle avait alors communiqué avec la police pour raconter ce que Robert venait de lui dire, mais que personne n’avait donné suite. Toutefois, le GRCC a souligné que Mme Dugas n’avait rien fait d’autre même si elle n’avait pas eu de nouvelles de la police, malgré la poursuite intentée contre le demandeur. Il avait du mal à croire qu’elle aurait gardé le silence si elle avait eu des motifs de croire que c’était Robert, et non le demandeur, qui avait tué M. Brady. Le GRCC a également conclu que l’affidavit de Mme Dugas comportait une version des événements survenus sur les lieux du crime qui ne concordait pas avec les témoignages entendus lors du procès, ainsi qu’une description du motif pour lequel Robert a tué M. Brady tout à fait différente de celle invoquée par Robert dans son propre affidavit, à savoir qu’il avait tué M. Brady pour venger le demandeur en raison du manque de respect de M. Brady à son égard la nuit précédant le meurtre.

[41]           En ce qui concerne l’affidavit de Mme Bacon, le GRCC a conclu qu’outre certaines différences concernant des questions secondaires, il reprenait presque entièrement l’affidavit qu’elle avait fait plus tôt, soit le 30 avril 1997, selon lequel le demandeur avait tenté, en vain, de présenter de nouveaux éléments de preuve à la Cour d’appel de l’Ontario. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte de cet affidavit, car il ne pouvait être considéré comme un « nouvel » élément de preuve aux fins de la demande de révision de la condamnation. Le GRCC a également conclu que le dernier affidavit de Mme Bacon corroborait lui aussi seulement l’aveu de Robert Winmill, et non le fait qu’il avait commis le meurtre.

[42]           Enfin, le GRCC a souligné qu’aucune autre personne présente sur les lieux du crime – soit le demandeur, Tina et M. Cvetkovic – n’a livré un témoignage corroborant les aveux de Robert. Tina et M. Cvetkovic, maintenant décédé, ont tous deux témoigné contre le demandeur au procès et ne sont pas revenus sur leur témoignage. En ce qui concerne le demandeur, il ne corrobore aucunement la dernière version des événements racontée par Robert, car il a déclaré au procès qu’il dormait dans la voiture pendant le trajet entre l’appartement et la ferme des Cyopick et qu’il ne se souvenait donc pas de ce qu’il faisait lorsque la voiture s’est immobilisée sur le bord de la route et lorsque M. Brady a été tué.

(3)               Entrevue de Tina avec le projet Innocence

[43]           Le GRCC s’est précisément penché sur les préoccupations de l e projet Innocence au sujet des événements dont se souvient Tina à la suite d’une rencontre que le projet Innocence a eue avec elle en juin 2011. Bien que Tina ait confirmé son témoignage au procès, selon lequel le demandeur a poignardé et tué M. Brady, le projet Innocence a trouvé que son souvenir des événements était vague et ne concordait pas avec le témoignage qu’elle avait livré au procès. Il a également appris que Tina avait reçu un diagnostic d’état de stress post‑traumatique (ESPT) en raison de ces événements et de la crainte que Robert continuait d’éveiller en elle.

[44]           Par conséquent, des tentatives ont été faites afin que Tina rencontre un psychologue clinicien, ayant déjà travaillé avec la police, qui utilise l’hypnose pour contribuer à raviver des souvenirs. Une première séance a eu lieu, mais elle a dû être reportée, car Tina est tombée malade. Une deuxième séance était prévue pendant la semaine du 31 octobre 2011, mais elle a dû être annulée, car Tina avait été arrêtée – et détenue – la semaine précédente sur la foi de mandats non exécutés.

[45]           Le projet Innocence a indiqué au GRCC que le moyen le plus efficace de connaître la vérité au sujet de l’aveu de Robert, à savoir que c’est lui qui a tué M. Brady, consistait à poursuivre le travail avec Tina afin de l’aider à retrouver, dans sa mémoire fragmentée, les événements entourant le meurtre. Le GRCC a rejeté cette proposition compte tenu de la présomption d’inadmissibilité des éléments de preuve obtenus par hypnose.

(4)               Conclusion générale de l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012

[46]           Dans l’ensemble, le GRCC a conclu que la demande de révision de la condamnation du demandeur ne soulevait pas de nouveaux éléments de preuve d’importance donnant des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’était probablement produite dans le dossier du demandeur, car ces éléments de preuve n’étaient ni nouveaux ni importants, étaient brouillés par des incohérences et n’étaient pas raisonnablement dignes de foi.

[47]           En particulier, le GRCC a souligné qu’au procès, le jury avait été informé de la possibilité que Robert ait commis le crime, car la défense avait fait valoir que Robert devait de l’argent à M. Brady et avait donc un motif de le tuer. Il a également souligné, dans sa conclusion, que les éléments de preuve selon lesquels Robert avait dit à un policier qu’il était responsable du meurtre dans les jours suivant celui‑ci avaient été portés à la connaissance du jury.

[48]           En conclusion, le GRCC s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

En l’absence d’une meilleure preuve corroborante, les aveux de Robert ne sont pas raisonnablement dignes de foi. Au fil du temps, il a livré des versions contradictoires du meurtre à différentes personnes, y compris à la police, au tribunal, au détective privé Kaj, à Mme Lee, à Mme Dugas et à Mme Bacon, et rien ne permet d’appuyer sa version actuelle des faits. Il purge actuellement une longue peine d’emprisonnement et risque de se voir infliger une peine consécutive considérable s’il est déclaré coupable des accusations en instance portées contre lui. Cela peut expliquer pourquoi il est maintenant prêt à assumer la responsabilité de l’acte dont le demandeur a été déclaré coupable.

D.                Les lettres échangées dans la foulée de l’évaluation préliminaire du GRCC concernant les souvenirs de Tina relatifs aux événements

[49]           En août 2012, le projet Innocence a envoyé une lettre au GRCC dans laquelle il soutenait que l’évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation serait incomplète si aucune mesure n’était prise pour savoir ce que Tina Winmill pensait du fait que Robert affirmait avoir commis le meurtre de M. Brady. Plus particulièrement, le projet Innocence a demandé au ministre de contraindre Tina à témoigner sous serment et de lui permettre de la contre‑interroger au sujet de ses souvenirs pertinents.

[50]           Dans des lettres datées du 4 septembre et du 18 octobre 2012, le GRCC a rejeté la demande au motif que selon les documents fournis avec la demande de révision de la condamnation, Tina était clairement d’avis que le demandeur était le meurtrier. Il a ajouté qu’au cours d’une conversation téléphonique qu’elle a eue le 28 août 2012 avec le directeur du GRCC, M. Kerry Scullion, Tina a catégoriquement affirmé que le témoignage qu’elle avait livré au procès était exact et véridique, et qu’elle n’avait jamais eu l’intention de revenir sur son témoignage parce qu’elle s’était trompée, avait menti ou s’était exprimée de façon trop vague au sujet des événements survenus sur les lieux du crime.

[51]           Le 22 novembre 2012, le projet Innocence, soulignant le caractère inadéquat de [traduction« l’enquête téléphonique informelle » réalisée par M. Scullion, a demandé au GRCC de revenir sur sa décision [traduction« de renoncer à une enquête officielle et efficace sur le témoignage livré par Mme Prevost [Tina] ».

[52]           Le 16 janvier 2013, le GRCC a rejeté la demande de réexamen du projet Innocence au motif qu’il était difficile de savoir comment les problèmes de mémoire de Tina, associés à l’ESPT, pouvaient contribuer à la demande de révision de la condamnation du demandeur. À cet égard, il a répété ceci :

a)      il se pourrait bien que Tina ait désormais des problèmes à se souvenir d’un événement qui s’est produit il y a longtemps;

b)      toutefois, rien dans la preuve ne permettait de penser qu’elle avait des troubles de mémoire quant à l’auteur du meurtre lorsqu’elle a témoigné peu après l’événement;

c)      les renseignements fournis à l’appui de la demande de révision de la condamnation du demandeur ont en grande partie confirmé le témoignage qu’elle a livré au procès, selon lequel le demandeur a tué M. Brady;

d)     au cours de sa conversation téléphonique du 28 août 2012 avec M. Scullion, Tina a continué d’affirmer que le demandeur avait commis le meurtre et a confirmé que le témoignage qu’elle avait livré au procès était véridique.

[53]           Le GRCC a conclu qu’il semblait y avoir peu de raisons, voire aucune, de communiquer de nouveau avec Tina, et a répété que le demandeur avait la possibilité de présenter d’autres renseignements à des fins d’examen dans les délais établis dans la lettre relative à l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012.

[54]           Il convient désormais de mentionner que le 31 mai 2012, un médecin membre du personnel des cliniques de Peterborough et de Lindsay du Centre ontarien de traitement de la toxicomanie, le Dr Alan Konyer — qui traitait Tina depuis 2006 pour des problèmes de toxicomanie et une sacro‑iliite bilatérale chronique accompagnée d’un syndrome de douleur chronique — a informé le projet Innocence qu’en raison de l’autre séance d’hypnose prévue, Tina ressentait trop de pression et de stress. Le Dr Konyer a indiqué que Tina avait [traduction« vécu un épisode de décompensation important et prolongé à la suite d’une séance semblable », et que selon son avis professionnel, elle [traduction« s’exposerait à un risque important de rechute en ce qui concerne ses problèmes de santé mentale et de toxicomanie si elle se soumettait à cette séance prévue ». Il a informé le projet Innocence qu’il avait conseillé à Tina de refuser de se soumettre à cette séance pour des motifs de santé.

III.             Questions en litige

[55]           Le demandeur soutient que la seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le GRCC a manqué à son obligation d’équité parce qu’il n’a pas mené une enquête sérieuse sur la demande de révision de la condamnation. À cet égard, il affirme que le GRCC l’a privé de l’équité procédurale lorsqu’il n’a pas exercé le pouvoir, que la loi lui confère, d’enquêter adéquatement sur les nouveaux éléments de preuve présentés à l’appui de la demande en question.

[56]           Bien que le demandeur reconnaisse que l’essentiel de l’évaluation préliminaire du GRCC soit assujetti à un contrôle judiciaire suivant la norme de la décision raisonnable, il soutient qu’en ce qui concerne les procédures que suit le GRCC pour tirer une conclusion, la norme de la décision correcte s’applique, car il s’agit d’une pure question de droit.

[57]           Le ministre soutient que la question, telle qu’elle est formulée par le demandeur, est trop générale, car la seule décision faisant l’objet d’un contrôle en l’espèce est celle du 16 janvier 2013 par laquelle le GRCC a rejeté la demande que lui a présentée le projet Innocence afin qu’il revienne sur son refus d’interroger Tina sous serment et qu’il permette au projet Innocence de la contre‑interroger. Il affirme que l’équité procédurale a été respectée à cet égard, car la procédure de demande de révision présentée au ministre, prévue par le Code et le Règlement, ne s’apparente pas à un procès pénal, n’exige pas que le GRCC interroge des témoins sous serment et n’accorde pas aux demandeurs le droit de contre‑interroger les témoins.

IV.             Analyse

A.                Procédure de révision de la condamnation par le ministre

[58]           Le pouvoir du ministre de réviser des condamnations criminelles au motif qu’une erreur judiciaire s’est produite est codifié à la partie XXI.1 du Code criminel (le Code). Si le ministre est convaincu, suivant cette révision, qu’il y a « des motifs des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite », il peut soit ordonner la tenue d’un nouveau procès devant tout tribunal qu’il juge approprié, soit renvoyer la cause devant la cour d’appel pour audition et décision comme s’il s’agissait d’un appel interjeté par la personne déclarée coupable (alinéa 693(3)a)). Sinon, le ministre rejette la demande (alinéa 693(3)b)).

[59]           Aux termes de l’article 696.4 du Code, le ministre, lorsqu’il rend une décision de cette nature, « prend en compte tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande », notamment :

a)      la question de savoir si la demande repose sur de nouvelles questions importantes qui n’ont pas été étudiées par les tribunaux ou prises en considération par le ministre dans une demande de révision auprès du ministre concernant la même condamnation;

b)      la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés relativement à la demande;

c)      le fait que la demande de révision de la condamnation ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et les mesures de redressement prévues sont des recours extraordinaires.

[60]           La forme, le contenu et les documents d’accompagnement des demandes de révision de la condamnation sont prévus par règlement, comme la procédure relative à l’examen des demandes (paragraphes 691.1(2) et 692.2(1)).

[61]           Aux termes du Règlement, le ministre doit d’abord procéder à une évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation. Une fois l’évaluation préliminaire terminée, si le ministre juge qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, il enquête sur la demande (alinéa 4(1)a)). Lorsqu’il mène une enquête de cette nature, le ministre possède, en application du paragraphe 693.2(2) du Code, certains pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes, 1895, c I‑11.

[62]           Par contre, si le ministre estime qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite, il doit informer le demandeur qu’aucune enquête ne sera menée (paragraphe 4(2)). Le demandeur dispose dans ce cas d’un an pour transmettre des renseignements additionnels à l’appui de sa demande (paragraphe 4(3)). Si des renseignements additionnels sont transmis, l’évaluation préliminaire se poursuit en tenant compte de ces nouveaux renseignements. Si le demandeur transmet des renseignements additionnels après l’expiration du délai d’un an, le ministre doit procéder à une nouvelle évaluation préliminaire de la demande (paragraphe 4(4)).

[63]           Lorsque le ministre mène une enquête, il doit rédiger un rapport d’enquête, dont il transmet copie au demandeur. Là encore, le demandeur peut transmettre des renseignements additionnels à l’appui de sa demande dans un délai d’un an à compter de la date d’envoi du rapport (paragraphe 5(1)). Si le demandeur ne transmet pas les renseignements additionnels dans le délai d’un an ou informe le ministre par écrit qu’aucun autre renseignement ne sera fourni, le ministre peut rendre une décision en vertu du paragraphe 693.3(3) du Code.

[64]           Le pouvoir conféré au ministre en vertu de la partie XXI.1 du Code « en est un d’exception et de prérogative », pour reprendre les termes employés jusqu’à maintenant par la Cour (Timm c Canada (Procureur général), 2014 CF 587, au paragraphe 9; Bilodeau c Canada (Ministre de la Justice), 2011 CF 886, 394 FTR 235, au paragraphe 69 [Bilodeau (CF)]; Ross c Canada (Ministre de la Justice et Procureur général), 2014 CF 338, au paragraphe 32 [Ross]; Thatcher c Canada (Procureur général), 120 FTR 116, [1997] 1 CF 289, au paragraphe 8). Une demande de révision de la condamnation ne constitue pas un appel de plein droit sur le fond de la condamnation injustifiée alléguée, mais vise plutôt à obtenir un recours extraordinaire et hautement discrétionnaire qui procède de la prérogative royale de clémence (Ross, précité, au paragraphe 32).

[65]           Dans l’arrêt Bilodeau c Canada (Ministre de la Justice), 2009 QCCA 746, [2009] JQ no 3472 (QL) (autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée le 8 octobre 2009 – no 33216 [Bilodeau (QCCA)]), la Cour d’appel du Québec a analysé de manière exhaustive le pouvoir que l’article 696.1 du Code confère au ministre. Dans cet arrêt, M. Bilodeau a contesté devant la Cour supérieure du Québec la décision par laquelle le ministre avait rejeté sa demande de révision de la condamnation. La Cour d’appel devait établir si la Cour supérieure du Québec avait la compétence nécessaire pour instruire les procédures de M. Bilodeau compte tenu de la compétence exclusive de la Cour fédérale de réviser les décisions des « offices fédéraux », tels que définis dans la Loi sur les Cours fédérales. Selon le principal argument de M. Bilodeau, les cours supérieures provinciales avaient le pouvoir d’effectuer le contrôle judiciaire des décisions du ministre en vertu de l’article 696.1, car ces décisions soulevaient des questions qui relevaient du droit criminel sur lesquelles ces cours avaient compétence.

[66]            La Cour d’appel du Québec a rejeté cet argument. Elle a conclu que le champ d’application du pouvoir du ministre de réviser des condamnations au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise « se situe en dehors de la sphère traditionnelle du droit criminel en ce sens qu’il débute après l’extinction des recours judiciaires ». Elle a aussi conclu que les modifications législatives de 2002, qui ont mis en vigueur des dispositions de la partie XXI.1 du Code, n’ont pas altéré dans son essence la nature du pouvoir ministériel, tel que codifié depuis 1892. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui s’inscrit historiquement comme l’une des formes d’exercice de la prérogative royale de clémence (Bilodeau (QCCA), au paragraphe 25).

[67]           Dans le jugement Ross, précité, le juge Richard G. Mosley a affirmé que l’article 696.4 du Code — lequel prévoit que pour rendre sa décision relative à une demande de révision de la condamnation, le ministre tient compte de « tous les éléments qu’il estime se rapporter à la demande » — a permis de préserver de façon générale le pouvoir discrétionnaire du ministre. Bien qu’il ait conclu que l’article 696.4, lequel énonce certains facteurs qui doivent être tenus pour pertinents, avait circonscrit la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre, il a souligné que ces facteurs reflétaient les directives adoptées en 1994 pour encadrer l’exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire en vertu de ce qui était à l’époque l’article 690 du Code. Il a souligné que ces directives « correspondent aux principes élaborés par les cours d’appel saisies d’allégations d’erreurs judiciaires et intégrés dans le processus de révision des déclarations de culpabilité » et qu’elles ont « manifestement influencé » les modifications qui ont donné lieu, en 2002, à l’adoption de la partie XXI.1 (Ross, aux paragraphes 33 à 36).

B.                 De quelle décision la Cour est‑elle saisie?

[68]           Comme je l’ai déjà précisé, le ministre estime que la seule décision faisant l’objet d’un contrôle en l’espèce est celle du 16 janvier 2013, par laquelle le GRCC a rejeté la demande que lui a présentée le projet Innocence afin qu’il revienne sur son refus de contraindre Tina à témoigner sous serment au cours d’un interrogatoire et d’un contre‑interrogatoire. Le ministre soutient que la décision du 7 mai 2012, par laquelle le GRCC a décidé de ne pas mener d’enquête une fois terminée l’évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation du demandeur, n’est pas susceptible de contrôle, car elle n’a pas été contestée par le demandeur. De plus, l’auteur de la requête en autorisation visant à introduire la présente instance sollicitait l’autorisation de contester la décision du 16 janvier 2013, et non celle du 7 mai 2012; la Cour l’a accueillie pour cette raison.

[69]           Le ministre soulève une préoccupation pertinente. L’avis de requête du demandeur, en date du 14 mars 2013, portait sur une ordonnance [traduction« permettant au demandeur de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre du 16 janvier 2013 et de proroger le délai de dépôt d’un avis de demande ». Il ressort clairement des motifs de la requête que la décision visée était celle du 16 janvier 2013.

[70]           Dans ses observations écrites, le ministre explique qu’il n’a pas contesté la requête du demandeur compte tenu de l’explication donnée pour justifier le retard et du fait que la période de 30 jours au cours de laquelle il était possible de contester la décision du 16 janvier 2013 avait pris fin seulement un mois avant la présentation de la requête. Le juge Roger T. Hughes a accueilli la requête du demandeur le 27 mars 2013. L’ordonnance rendue par le juge Hughes précisait clairement que l’ordonnance d’autorisation demandée se rapportait à la décision du 16 janvier 2013.

[71]           Le ministre soutient qu’il aurait contesté la requête du demandeur si celui‑ci avait clairement exprimé son intention de contester, d’une part, la décision du 16 janvier 2013 confirmant que Tina ne serait pas contrainte à témoigner sous serment ni contre‑interrogée, et d’autre part, la décision du 7 mai 2012 de ne pas mener d’enquête une fois l’évaluation préliminaire du GRCC terminée.

[72]           Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu que le demandeur a sollicité, et obtenu, l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du 16 janvier 2013 uniquement. Par conséquent, cette décision est la seule faisant l’objet d’un contrôle en l’espèce.

C.                Aucune obligation de contraindre Tina à témoigner sous serment et à être contre‑interrogée

[73]           Le demandeur fait valoir que la réforme législative de 2002 a intégré à la procédure de révision des condamnations une procédure officialisée s’appuyant sur de pleins pouvoirs d’enquête qui, selon une évaluation appropriée des facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 (Baker), au paragraphe 21), impose une obligation d’équité rigoureuse.

[74]           D’après le demandeur, cela signifie que le ministre a l’obligation de mener une « enquête [...] rigoureuse et neutre » avant de prendre une décision au sujet d’une demande de révision de la condamnation et qu’en règle générale, il y aura manquement à cette obligation « lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante », pour reprendre les termes employés dans le jugement Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, 73 FTR 161, affaire qui relevait de la législation canadienne en matière des droits de la personne.

[75]           Dans le contexte de la présente affaire, le demandeur soutient qu’en raison de l’obligation de mener une enquête neutre et rigoureuse, le GRCC devait obtenir le témoignage de Tina. Comme il ne l’a pas fait, le GRCC n’a pas examiné « une preuve manifestement importante » et a manqué à son obligation d’équité procédurale à son endroit.

[76]           L’argument du demandeur s’appuie sur le point de vue selon lequel la procédure de révision des condamnations est ancrée fermement dans le processus pénal et le Code, et l’analyse de la question de savoir si une erreur judiciaire s’est produite est, par conséquent, une décision qui se rapproche plus étroitement des fonctions judiciaires des tribunaux de première instance et d’appel que des processus décisionnels administratifs. À cet égard, il estime que la réforme de 2002 – laquelle a conféré au ministre certains pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, limité la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre par l’article 696.4 et accordé des droits de participation aux demandeurs — a modifié la nature du pouvoir exercé par le ministre.

[77]           Toutefois, comme nous l’avons vu, la jurisprudence indique autre chose. Malgré cette réforme et le fait que la procédure de révision des condamnations constitue le seul mécanisme par lequel un demandeur ayant épuisé tous les moyens d’appel peut contester une condamnation injustifiée, le pouvoir conféré au ministre aux termes de la partie XXI.1 du Code « en est un d’exception et de prérogative » qui demeure exclu de la sphère traditionnelle du droit criminel. Une demande de révision de la condamnation demeure une demande de recours extraordinaire très discrétionnaire qui procède de la prérogative royale de clémence (Timm, précité, au paragraphe 9; Bilodeau (CF), précité, aux paragraphes 69 et 125; Ross, précité, au paragraphe 32). En d’autres termes, les modifications de 2002 n’ont pas altéré dans son essence la nature du pouvoir ministériel prévu à la partie XXI.1 du Code (Bilodeau (QCCA), précité, au paragraphe 25).

[78]           J’estime que le GRCC a bien décrit la procédure de révision des condamnations dans les lettres du 18 octobre 2012 et du 16 janvier 2013 qu’il a envoyées au projet Innocence, dans lesquelles il a écrit ceci :

[traduction]

a)      une demande de révision auprès du ministre présentée suivant l’article 696.1 du Code est une procédure non accusatoire postérieure à la déclaration de culpabilité qui ne se déroule pas comme si un nouveau procès était prévu;

b)      les pratiques et les procédures, y compris la communication préalable, qui sont généralement associées à un procès pénal en soi, ne sont pas appliquées dans le cadre de la procédure de révision des condamnations;

c)      la procédure ne constitue pas un procès où la présomption d’innocence s’applique et où les témoins sont contre‑interrogés par un avocat représentant un demandeur, et le demandeur n’a pas à soulever seulement un doute raisonnable quant au bien‑fondé de sa condamnation;

d)     dans le cadre de cette procédure, le rôle du ministre ne consiste pas à substituer son opinion ou son point de vue à ceux du juge des faits, notamment en ce qui a trait à la crédibilité ou au manque de crédibilité d’un témoin au procès, sauf si de nouvelles questions importantes, qui doivent être examinées conjointement avec tous les éléments de preuve présentés à l’audience, révèlent qu’il devrait en être autrement.

[79]           Par conséquent, je ne peux souscrire à l’opinion du demandeur selon laquelle le pouvoir conféré au ministre [traduction« se rapproche étroitement des fonctions judiciaires des tribunaux de première instance et d’appel », et que, par conséquent, la nature de l’obligation d’équité qui incombe au ministre dans l’exercice de ce pouvoir est [traduction« se situe à l’extrémité supérieure du spectre ».

[80]           Dans le jugement Bilodeau (CF), précité, la juge Johanne Gauthier, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, a rappelé que le droit prévu à la partie XXI.1 du Code n’est pas encore reconnu comme un droit fondamental qui fait entrer en jeu la protection de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a également affirmé, et je suis de son avis, qu’on ne peut imposer à l’exercice de la prérogative royale le même type d’avantages procéduraux que devant une cour criminelle ou civile (Bilodeau (CF), aux paragraphes 74 à 79).

[81]           Après avoir analysé les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, précité, la juge Gauthier a conclu que l’obligation d’équité du ministre envers M. Bilodeau comprenait la réalisation d’une enquête neutre et rigoureuse. Toutefois, dans cette affaire, le ministre avait déjà procédé à une évaluation préliminaire et avait mené une enquête, soit l’étape suivante de la procédure de révision de la condamnation, après avoir conclu, suivant l’alinéa 4(1)a) du Règlement, « qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite ».

[82]           À mon avis, à l’étape de l’évaluation préliminaire de la procédure de révision de la condamnation, l’obligation d’équité qui incombe au ministre se rapproche davantage de celle établie dans le jugement Thatcher, précité, dans lequel le juge Marshall Rothstein, plus tard juge à la Cour suprême, a conclu que le ministre doit agir de bonne foi et procéder à un examen sérieux (Thatcher, au paragraphe 13).

[83]           Conformément à ces principes, je conclus que le GRCC n’avait pas l’obligation de contraindre Tina à témoigner sous serment ni de permettre au projet Innocence de la contre‑interroger au sujet des événements dont elle aurait de la difficulté à se souvenir. En outre, rien dans le dossier ne prouve qu’on ait indiqué au demandeur que ce serait le cas, ni avant ni après le dépôt de la demande de révision de la condamnation, et que le facteur des attentes légitimes énoncé dans l’arrêt Baker s’appliquerait en conséquence.

[84]           Bien que le ministre dispose désormais de certains pouvoirs accordés à un commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, le libellé de l’article 696.2 du Code semble indiquer que le ministre peut se prévaloir de ces pouvoirs uniquement lorsqu’il mène une « une enquête relative à une demande présentée sous le régime de la présente partie ». Le terme « enquête » n’est pas défini dans la partie XXI.1 du Code. Toutefois, il est largement reconnu que les règlements peuvent contribuer à interpréter une disposition législative, particulièrement lorsque la loi et le règlement sont [traduction« étroitement liés » (Monsanto Canada Inc. C Ontario (Surintendant des services financiers), 2004 CSC 54, [2004] 3 RCS 152, au paragraphe 35; R. c Campbell, [1999] 1 RCS 565, au paragraphe 26; Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes (4e édition, 2002), à la page 282). En l’espèce, suivant le paragraphe 696.2(1) du Code, le ministre examine une demande de révision de la condamnation « conformément aux règlements ». Lorsque l’article 696.2 est lu en parallèle avec le Règlement, il est évident que le terme « enquête » se rapporte à la deuxième étape de la procédure dans les cas où, comme je viens de le mentionner, le ministre est déjà d’avis qu’il pourrait y avoir des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite.

[85]           Même dans ce cas, la juge Gauthier a conclu, dans le jugement Bilodeau (CF), précité, que ces pouvoirs ont été conférés au ministre afin de lui donner plus d’outils pour mener son enquête en bonne et due forme et non pour l’obliger à les utiliser dans tous les cas (Bilodeau (CF), au paragraphe 83). Elle a également conclu, lorsqu’elle a rejeté l’argument de M. Bilodeau selon lequel le représentant du ministre responsable de l’enquête aurait dû forcer les témoins impliqués à témoigner, que c’est au ministre ou à son représentant qu’il appartient de décider s’il est nécessaire ou pas d’utiliser tous les pouvoirs que le Code leur confère (Bilodeau (CF), au paragraphe 97).

[86]           Par conséquent, même si le ministre avait le droit d’exercer les pouvoirs que lui confère la Loi sur les enquêtes à l’étape préliminaire de la procédure de révision de la condamnation, la décision d’utiliser ou non ces pouvoirs afin de contraindre un témoin à comparaître sous serment demeurait largement discrétionnaire.

[87]           En l’espèce, comme le souligne le ministre, le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve révélant que Tina ne se souvenait pas très bien qui avait commis le meurtre lorsqu’elle a témoigné peu après l’événement; ou révélant qu’elle avait livré au faux témoignage au procès. En outre, les renseignements qu’a présentés le demandeur à l’appui de sa demande de révision de la condamnation ont largement confirmé le témoignage que Tina a livré à l’audience selon lequel il était l’auteur du meurtre. Comme je l’ai déjà précisé, le projet Innocence a interrogé Tina en juin 2011 et elle a confirmé le témoignage qu’elle a livré au procès selon lequel le demandeur avait poignardé et tué M. Brady.

[88]           Dans un tel contexte, je suis d’accord avec le ministre pour dire qu’il n’était pas nécessaire que le GRCC parle à Tina, encore moins l’interroge sous serment, pour établir si son témoignage était le même qu’elle avait livré au procès, car les documents fournis à l’appui de la demande de révision de la condamnation révélaient clairement que c’était le cas.

[89]           Le projet Innocence priait le GRCC d’interroger Tina sous serment, car malgré le fait qu’elle affirmait toujours que le demandeur était responsable du meurtre de M. Brady, son récit des événements ne concordait pas avec le témoignage qu’elle avait livré au procès. Toutefois, les documents relatifs à la demande de révision de la condamnation ne comportaient aucun détail concernant ces incohérences et le demandeur n’a pas expliqué en quoi celles‑ci auraient pu avoir une importance dans le contexte général du témoignage qu’elle avait livré au procès.

[90]           Le demandeur avait le fardeau de prouver qu’il respectait les conditions requises pour que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 696.1 du Code. Le ministre affirme qu’en réalité, le demandeur veut que le GRCC mène [traduction« une opération de pêche, loue le bateau et laisse le demandeur faire la pêche ». Le langage est coloré, mais comme la juge Gauthier l’a souligné dans le jugement Bilodeau (CF), le ministre n’a aucune obligation de fournir à l’auteur d’une demande de révision de la condamnation les moyens de satisfaire aux exigences prévues dans le Code, et même dans le contexte d’une enquête, il n’est pas obligé de « retourner chaque pierre possible » (Bilodeau (CF), aux paragraphes 90 et 119).

[91]           Pour le moment, les documents à l’appui de la demande de révision de la condamnation révèlent qu’en ce qui concerne l’auteur du meurtre de M. Brady, la version des événements de Tina concorde avec le témoignage qu’elle a livré au procès, et le demandeur n’a pas étayé les incohérences qu’il dit avoir relevées dans le récit des événements de Tina de juin 2011. Par conséquent, la version des événements de Tina concorde toujours avec le témoignage qu’a livré M. Cvetkovic au procès, et comme nous l’avons déjà précisé, la Cour d’appel de l’Ontario a jugé que celui‑ci n’était pas aussi indigne de confiance que Tina et Robert, car il n’avait pas de casier judiciaire, avait un emploi stable et n’avait pas de motif suffisant de tuer M. Brady ou d’aider Robert ou Tina, qu’il connaissait à peine.

[92]           Le dossier révèle que M. Scullion a interrogé Tina au téléphone le 28 août 2012 pendant la période où le projet Innocence recevait et envoyait des lettres dans la foulée de l’évaluation préliminaire du GRCC. Selon le GRCC, Tina a catégoriquement affirmé que le témoignage qu’elle avait livré au procès était exact et véridique, et qu’elle n’avait jamais eu l’intention de revenir sur son témoignage parce qu’elle s’était trompée, avait menti ou s’était exprimée de façon trop vague au sujet des événements survenus sur les lieux du crime. Les notes résumant cette conversation étaient formulées ainsi :

[traduction]

J’ai joint Mme Prevost au téléphone au numéro fourni par le projet Innocence à cette date et je lui ai parlé de 13 h 40 à 13 h 55 environ.

Je lui ai expliqué qui j’étais et la mission de notre groupe. Je lui ai dit que nous avions reçu une demande de Thomas Winmill et je lui ai expliqué la procédure.

Je lui ai expliqué que le projet Innocence nous avait transmis son nom et ses coordonnées et que nous faisions un suivi.

Je lui ai directement demandé si le témoignage qu’elle avait livré à l’audience était véridique. Elle m’a répondu que oui. Je lui ai alors demandé ce que Thomas Winmill avait fait le jour en question. Elle a répondu qu’il avait poignardé la victime et, avec l’aide de son fils, avait tranché la gorge de la victime.

Elle était convaincue que Thomas Winmill avait poignardé et tué la victime ce matin‑là. Elle s’en souvient clairement. C’était le matin.

Elle a ajouté qu’elle n’était pas disposée à modifier le témoignage qu’elle avait livré au procès ni à revenir sur celui‑ci, car elle avait dit la vérité pendant son témoignage.

Je lui ai demandé si elle avait la moindre idée de la raison pour laquelle le projet Innocence avait laissé entendre qu’elle n’avait pas dit la vérité ou qu’elle s’était trompée pendant son témoignage. Elle a répondu que le projet Innocence avait insinué qu’elle aurait pu se tromper et que les médicaments qu’elle prenait pouvaient l’empêcher de se souvenir des événements avec clarté, et que l’hypnose ne serait pas une bonne idée.

D’après ma conversation avec elle, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de l’interroger de nouveau, sous serment ou autrement, compte tenu de tous les faits se rapportant à cette demande et des conclusions tirées avant ma conversation avec elle à cette date. Rien dans ses commentaires n’exige de revenir sur la conclusion déjà tirée.

[93]           Le projet Innocence soutient que cette [traduction« enquête téléphonique » était inappropriée. Mais là encore, une demande de révision auprès du ministre présentée aux termes de l’article 696.1 du Code est une procédure non accusatoire postérieure à la déclaration de culpabilité. Les pratiques et les procédures qui sont généralement associées à un procès pénal ne sont pas appliquées dans le cadre d’une telle procédure. Par conséquent, j’estime que le GRCC avait la possibilité d’effectuer la vérification comme il l’a fait. Comme je l’ai déjà précisé, il n’avait certainement pas l’obligation de contraindre Tina à fournir ces renseignements sous serment et de permettre aux représentants du demandeur de la contre‑interroger au sujet des renseignements en question.

[94]           Le demandeur fait également valoir que les notes concernant la conversation téléphonique entre M. Scullion et Tina comprennent une [traduction« révélation‑choc », soit que Robert a aidé le demandeur à trancher la gorge de M. Brady. Il affirme que cela nécessite une enquête approfondie. Toutefois, il ne s’agit pas d’un nouvel élément de preuve révélant que le demandeur n’est pas responsable du meurtre de M. Brady. Cette déclaration révèle la possibilité que Robert ait été mêlé dans une certaine mesure au meurtre, mais n’exonère pas le demandeur. Selon ces notes, il est clair que Tina a dit à M. Scullion qu’elle était convaincue que le demandeur [traduction« avait poignardé et tué la victime ce matin‑là » et [traduction« qu’elle n’était pas disposée à modifier le témoignage qu’elle avait livré au procès ni à revenir sur celui‑ci ».

[95]           Par conséquent, j’estime que le ministre a eu raison de rejeter la demande présentée par le demandeur en vue de contraindre Tina à témoigner sous serment et de permettre au projet Innocence de la contre‑interroger au sujet de ses souvenirs des événements ayant précédé le meurtre de M. Brady. Les règles de l’équité procédurale n’imposent pas cette exigence au ministre.

[96]           Le demandeur a encore le droit de transmettre des renseignements additionnels soulevant de nouvelles questions importantes, auquel cas le ministre procédera à une nouvelle évaluation préliminaire de la demande de révision de la condamnation, comme le prévoit le paragraphe 4(5) du Règlement.

[97]           En résumé, je ne suis pas convaincu que pour effectuer un examen sérieux de la demande de révision de la condamnation, dans son état actuel, le GRCC devait contraindre Tina à témoigner sous serment. Même si j’examine la question de l’équité procédurale du point de vue du demandeur, je ne suis pas non plus convaincu que le GRCC « n’a pas examiné une preuve manifestement importante » parce qu’il n’a pas contraint Tina à témoigner sous serment. Pour les motifs énoncés ci‑dessus, dans l’état actuel des choses, le GRCC n’avait aucune raison de croire que dans le témoignage qu’elle a livré au procès, Tina s’était trompée, avait menti ou s’était exprimée de façon trop vague quant à l’auteur du meurtre de M. Brady tôt le matin du 22 septembre 1991.

[98]           Ces explications permettent de trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[99]           Le défendeur soutient que même si j’avais été valablement saisi de la contestation du demandeur à l’égard de l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012, je l’aurais tout de même rejetée. Je suis d’accord.

[100]       À cet égard, le demandeur soutient que l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012 est déraisonnable pour les motifs suivants : (i) il n’y avait aucun motif raisonnable de juger que la rétractation de Robert n’était pas crédible; (ii) on aurait dû tenir compte du fait que les nouveaux éléments de preuve permettaient de contester la déclaration de culpabilité; (iii) les nouveaux éléments de preuve n’ont pas été pris en compte dans le contexte.

[101]       Comme le ministre le souligne, il s’agit d’une attaque visant le bien‑fondé de l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012, et non d’une attaque s’appuyant sur des principes d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Walchuck c Canada (Ministre de la Justice), 2013 CF 958, 439 FTR 166, au paragraphe 21; Ross, précité, au paragraphe 28). Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable commande la déférence. Elle tient principalement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Ainsi que le juge Luc Martineau l’a affirmé dans le jugement Timm, précité, la Cour « doit prendre garde de ne pas se substituer au Ministre » (Timm, au paragraphe 9).

[102]       En l’espèce, le GRCC a effectué une évaluation exhaustive et rigoureuse de la demande de révision de la condamnation du demandeur. Comme nous l’avons déjà vu, il a évalué les nouveaux éléments de preuve dans le contexte de la preuve présentée au procès. Chacun des nouveaux éléments de preuve a été examiné. Le GRCC a conclu que l’aveu de Robert n’était pas raisonnablement digne de foi et qu’en conséquence, elle n’était pas crédible. Par conséquent, il a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une nouvelle question importante au sens de l’article 696.4 du Code. Sa conclusion s’appuyait sur les facteurs suivants :

a)      les nombreuses déclarations incohérentes et fausses de Robert concernant l’auteur du meurtre, selon lesquelles parfois il s’incrimine lui‑même, parfois il incrimine soit le demandeur, soit Tina, soit M. Cvetkovic;

b)      le fait qu’il était incarcéré pour des déclarations de culpabilité dont le mandat expire en août 2021 et faisait l’objet d’accusations qui auraient pu se solder par une peine d’emprisonnement plus longue au moment de sa rétractation constitue un motif de mentir;

c)      le motif qu’il donne actuellement pour avoir tué M. Brady, soit de venger un léger manque de respect envers le demandeur, est très difficile à concilier avec le fait qu’il a rejeté la responsabilité du meurtre sur le demandeur dans les heures qui ont suivi le meurtre et a livré un faux témoignage l’incriminant au procès;

d)     son aveu ne concorde pas avec les témoignages livrés par Tina et par M. Cvetkovic au procès, que le jury a cru et qui n’ont pas été rétractés dans un cas (M. Cvetkovic) et ont été réitérés dans l’autre cas (Tina);

e)      le jury avait été informé de la possibilité que Robert ait commis le crime, d’une part, par l’argument de la défense selon lequel Robert devait de l’argent à M. Brady et avait donc un motif de le tuer, et d’autre part, par le témoignage d’un policier selon lequel Robert avait assumé la responsabilité du meurtre de M. Brady dans les jours suivant le crime.

[103]       En outre, la Cour souligne que dans son affidavit, Robert affirme qu’au moment où M. Brady a été tué, le demandeur [traduction« trébuchait à l’extérieur de la voiture ». Cette version des événements contredit le témoignage que le demandeur a livré au procès, selon lequel il n’était pas sorti de la voiture pendant qu’ils se rendaient à la ferme des Cyopick; il dormait parce qu’il était ivre en raison de l’alcool qu’il avait consommé à l’appartement de Robert.

[104]       Dans l’arrêt Palmer, précité, la Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde concernant la prépondérance accordée au vaste pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel d’admettre de nouveaux éléments de preuve, à savoir qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice « de permettre à un témoin, par la seule répudiation ou modification de ses dépositions au procès, de rouvrir des procès à volonté au détriment général de l’administration de la justice ».

[105]       Le pouvoir du ministre en matière de révision des condamnations est « une protection contre les erreurs du système de justice criminelle », mais une telle erreur survient seulement lorsque « de nouveaux éléments de preuve mèneraient inévitablement à une déclaration de culpabilité erronée » (Walchuck, précité, au paragraphe 31).

[106]       Robert demande essentiellement au ministre de décider s’il a menti à l’époque, lors du procès, ou maintenant, après la déclaration de culpabilité. Quoi qu’il en soit, on peut voir que le GRCC avait par conséquent un motif valable de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. À mon avis, le GRCC pouvait tirer cette conclusion qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[107]       Je ne vois pas non plus comment la rétractation permet de contester la déclaration de culpabilité. En particulier, je ne vois pas comment elle pourrait mener inévitablement à la conclusion que le demandeur a été déclaré coupable à tort du meurtre du M. Brady. Robert a été considéré comme un témoin peu recommandable et indigne de confiance au procès, de sorte qu’il a été nécessaire d’informer le jury qu’il était risqué de se fier à son témoignage, il a fait de nombreuses déclarations incohérentes et sa rétractation est directement contredite par les témoignages livrés par Tina et M. Cvetkovic au procès, des témoignages que le jury a crus et qui n’ont fait l’objet d’aucune rétractation. En d’autres termes, sa crédibilité est déjà largement compromise. Bien que le GRCC n’ait tiré aucune conclusion explicite à cet égard, j’estime que cela ressort de la décision du 7 mai 2012, prise dans son ensemble.

[108]       Par conséquent, je suis convaincu que l’évaluation préliminaire du 7 mai 2012, à supposer qu’elle est susceptible de contrôle dans le cadre de la présente procédure, est raisonnable. Là encore, le rôle de la Cour ne consiste pas à se substituer au ministre, mais à décider si cette décision appartient aux issues possibles acceptables. J’estime que c’est le cas.  

[109]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les deux parties demandent des dépens en l’espèce. Je ne vois aucun motif de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens devraient être adjugés à la partie qui a eu gain de cause.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑729‑13

INTITULÉ :

THOMAS WINMILL c CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 nOVEMBRE 2014

jugEment ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Brian Gover / Fredrick Schumann

Alan N. Young

POUR LE DEMANDEUR

Sean Gaudet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stockwoods LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Osgoode Hall Innocence Project

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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