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Date : 20150608


Dossier : IMM-3772-14

Référence : 2015 CF 723

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 juin 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

YING YI DAI

YI HUANG

YING XIN HUANG

 

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une commissaire (la commissaire) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (SPR) a rejeté, le 15 avril 2014, la demande d’asile que les demanderesses ont présentée en vertu des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

Contexte

[2]               La demanderesse principale, Ying Yi Dai, a été nommée représentante désignée de ses filles, Yi Huang et Ying Xin Huang (les demanderesses mineures). Les demanderesses allèguent être citoyennes de la Chine. La demanderesse principale prétend craindre d’être persécutée par le gouvernement chinois en raison de sa religion chrétienne.

[3]               En se fondant sur l’ensemble de la preuve, la commissaire a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demanderesses n’avaient pas établi leur identité personnelle, leur nationalité ou leur présence en Chine aux dates pertinentes. La jurisprudence établit que, lorsque l’identité n’est pas établie, il n’est pas nécessaire d’analyser plus à fond la demande d’asile.

[4]               Par ordonnance datée du 28 avril 2015, l’avocat de l’époque des demanderesses a cessé, à sa propre demande, d’être l’avocat inscrit au dossier, les documents du dossier de requête indiquant que les demanderesses étaient retournées en Chine sans laisser d’adresse ou de coordonnées. À l’audience tenue devant moi, les demanderesses n’étaient pas représentées par un avocat, mais leurs observations écrites et d’autres documents figurant dans leur dossier de demande ont été pris en compte pour rendre la présente décision.

Questions en litige

[5]               Les questions en litige dans la présente affaire peuvent être formulées ainsi :

        i.            La commissaire a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des documents d’identité?

      ii.            La commissaire a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale?

Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable à l’appréciation par la SPR de l’identité d’un demandeur est une question de fait qui commande l’application de la norme de la décision raisonnable (Gulamsakhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 105, au paragraphe 5; Diarra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 123, au paragraphe 18; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377, au paragraphe 8 [Liu]; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 969; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF); Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 et 48 [Rahal]). Quand elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attache à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

[7]               Quant aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Juste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Olson c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 458, au paragraphe 27). La norme de la décision correcte n’appelle aucune déférence de la part de la cour de révision, qui peut entreprendre sa propre analyse de la question et tirer sa propre conclusion (Dunsmuir, au paragraphe 50; Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 838, au paragraphe 12; Etienne c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1128, au paragraphe 14).

Positions des parties

Position des demanderesses

[8]               Les demanderesses soutiennent que, s’il était loisible à la commissaire de conclure que le hukou était frauduleux, elle n’en a pas moins commis une erreur en n’évaluant pas correctement les autres documents d’identité. La commissaire a déraisonnablement mis l’accent sur les documents dont l’authenticité semblait douteuse, et a fait abstraction de ceux qui semblaient fiables. La commissaire était tenue de prendre en considération équitablement tous les documents mais n’a fait aucun effort pour vérifier l’authenticité des autres documents. Sa conclusion relative à l’identité, qui était déterminante quant à l’ensemble de la demande d’asile, a donc été tirée sans tenir compte de l’ensemble de la preuve, ce qui constitue une erreur susceptible de révision (Kabongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1086, au paragraphe 21 [Kabongo]; Mohmadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 884, aux paragraphes 19 à 21 [Mohmadi]; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 84, aux paragraphes 12 et 14 [Lin]).

[9]               En ce qui concerne le certificat de naissance, le diplôme de fin d’études, le certificat de divorce et la facture d’électricité, la commissaire a commis une erreur de fait en affirmant que ces documents n’avaient pas de dispositifs de sécurité, car le diplôme et les certificats portaient tous des cachets officiels (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, aux paragraphes 18 et 19 [Zheng]; Ru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 935, aux paragraphes 49 à 52 [Ru]; Elhassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1247, au paragraphe 22 [Elhassan]). De plus, la commissaire a commis une erreur susceptible de révision en s’appuyant sur le fait que les documents frauduleux sont faciles à obtenir en Chine pour mettre en doute la fiabilité de ces documents, car il s’agit d’une considération extrinsèque (Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 400, au paragraphe 4; Lin, aux paragraphes 53 et 54; Cheema c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 224, au paragraphe 7). Le fait qu’elle se soit appuyée sur cet élément imprègne également l’analyse que la commissaire a faite du permis de conduire et de la carte d’identité de résident (CIR).

[10]           Quant aux documents d’identité des demanderesses mineures, la réponse de la commissaire à l’explication de la demanderesse principale selon laquelle sa mère n’avait pas trouvé les certificats de naissance constitue une étrange conclusion d’invraisemblance. On ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, lorsque les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre. Il n’y avait rien d’invraisemblable dans l’affirmation de la demanderesse voulant que sa mère ait perdu ou égaré les certificats de naissance (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7).

[11]           En outre, la commissaire a commis une erreur susceptible de révision et manqué à l’équité procédurale en omettant d’aviser la demanderesse principale de ses préoccupations au sujet de l’authenticité des dossiers d’immunisation et en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ces préoccupations (Torishta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 362, aux paragraphes 11 à 13 [Torishta]).

Position du défendeur

[12]           Le défendeur fait remarquer que les demanderesses n’ont pas contesté les conclusions en matière de crédibilité que la commissaire a tirées au sujet de leur connaissance des renseignements contenus dans les passeports canadiens frauduleux, ou relatifs à l’utilisation de ceux‑ci, et d’autres renseignements.

[13]           Quant au hukou, les demanderesses ne contestent pas la conclusion de la commissaire selon laquelle la documentation sur le pays indique qu’il ne devrait y avoir qu’un hukou par ménage. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi sa mère ne figurait pas sur le hukou, la demanderesse principale a déclaré qu’elle et sa mère vivaient à la même adresse mais avaient des hukous différents. Compte tenu de la preuve documentaire, il était raisonnable de la part de la commissaire de rejeter cet élément de preuve. La commissaire a également énoncé les motifs pour lesquels elle doutait de l’authenticité du hukou. Le défendeur soutient que la commissaire a raisonnablement conclu que le hukou n’était pas authentique et que les demanderesses n’ont pas contesté cette conclusion ou fait valoir qu’il s’agissait d’une erreur susceptible de révision.

[14]           La commissaire a également raisonnablement tiré une inférence défavorable fondée sur le fait que le permis de conduire concernait une voiture, alors que la demanderesse principale a témoigné qu’elle ne conduisait pas une voiture, mais une motocyclette. Les motocyclettes n’étaient pas visées par le permis de conduire en question. Les demanderesses ne contestent pas cette inférence et ne font pas valoir qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision. Elles prétendent plutôt que la commissaire a déraisonnablement conclu que le permis de conduire était frauduleux parce que leur hukou était frauduleux. Cette prétention est donc sans fondement.

[15]           Concernant le diplôme de fin d’études délivré en 1992, le certificat de naissance délivré en 1996, le certificat de divorce délivré en 2008 et la facture d’électricité, la commissaire a raisonnablement conclu que ces documents n’établissaient pas l’identité de la demanderesse principale pour les motifs qu’elle a énoncés. Contrairement aux observations des demanderesses, la commissaire n’a pas conclu que ces documents n’établissaient pas son identité simplement parce que son hukou était frauduleux. Tous les documents ont fait l’objet d’une appréciation critique et des motifs ont été fournis quant à savoir pourquoi ils n’établissaient pas l’identité de la demanderesse principale.

[16]           Les demanderesses ne contestent pas que ces documents n’établissent pas qu’elles vivaient en Chine aux dates pertinentes. Elles soutiennent plutôt que les conclusions de la commissaire selon lesquelles les documents ne contiennent pas de dispositifs de sécurité et peuvent être obtenus frauduleusement rendent l’ensemble de la décision déraisonnable. Toutefois, ces conclusions ne font qu’étayer les conclusions déterminantes de la commissaire à l’égard de chaque document précis, ce que les demanderesses ne contestent pas. Cela diffère de la jurisprudence citée par les demanderesses, où la Cour a conclu qu’il était déraisonnable de mettre en doute l’authenticité de documents simplement parce que les documents frauduleux sont faciles à obtenir en Chine.

[17]           Quoi qu’il en soit, qu’il ait ou non été déraisonnable de la part de la commissaire de conclure que ces documents ne contenaient pas de dispositifs de sécurité, cela n’a aucune incidence sur sa conclusion selon laquelle aucun document, aussi authentique soit‑il, n’établit que la demanderesse principale vivait en Chine au cours de la période pertinente.

Analyse

[18]           Comme l’a reconnu la commissaire, l’article 106 de la LIPR dit que la SPR :

[…] prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 (les Règles de la SPR) précisent que le demandeur d’asile doit transmettre des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents (article 11 des Règles de la SPR).

[19]           Il est bien établi que si le demandeur n’établit pas son identité, la SPR n’est pas tenue d’examiner le bien‑fondé de la présumée demande d’asile et peut la rejeter d’emblée (Liu, au paragraphe 6; Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, aux paragraphes 7 et 9; Rahal, au paragraphe 47).

[20]           Comme l’indique la décision Toure c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1189 [Toure] :

[31]      La demanderesse qui revendique l’asile doit d’abord établir son identité devant la SPR (article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, et article 106 de la LIPR). Elle a un lourd fardeau de preuve, car elle doit produire des documents acceptables établissant son identité (Su c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 743, [2012] ACF no 902, au paragraphe 4 [Su]). Lorsqu’elle tire des conclusions relatives à l’identité, la SPR doit tenir compte de l’ensemble de la preuve concernant l’identité de la demanderesse (Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 681, [2009] ACF no 848, au paragraphe 6 [Yang]). Si la demanderesse n’établit pas son identité, la SPR peut tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité (Matingou, précitée, au paragraphe 2).

[32]      Il est bien établi également que la question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR et la Cour ne devrait intervenir qu’avec prudence à l’égard des décisions rendues par la SPR sur cette question (Barry v Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 8, [2014] ACF no 10, au paragraphe 19 [Barry]). En outre, la juge Gleason affirme dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369, au paragraphe 48 [Rahal] :

[…] Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[21]           Dans la décision Rahal, le juge Gleason a également affirmé que la règle que doit appliquer la SPR est globale : « la Cour doit examiner tous les arguments portant sur le point en question à la lumière du dossier afin de décider si la conclusion de la Commission est raisonnable » (Rahal, au paragraphe 50).

[22]           Bien que les demanderesses en l’espèce soutiennent que la commissaire a commis une erreur dans sa décision en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve, je ne suis pas d’accord avec cet argument.

[23]           La commissaire a indiqué que le passeport et la CIR sont des pièces d’identité principales, mais la demanderesse principale n’a pas présenté de passeport et n’a présenté qu’une photocopie de sa CIR, qui ne comportait pas les importants dispositifs de sécurité, dont une micropuce, qui auraient été contenus dans l’original. La commissaire n’a pas accepté l’explication de la demanderesse principale à ce sujet. Elle a également conclu que le témoignage de la demanderesse principale à l’égard de son voyage au Canada n’était pas crédible et, comme le souligne le défendeur, cette conclusion n’a pas été contestée.

[24]           La commissaire a également examiné le hukou, et a constaté qu’il n’avait aucun dispositif de sécurité, que l’explication de la demanderesse principale quant à savoir pourquoi sa mère ne figurait pas sur le hukou, mais avait son propre hukou pour la même adresse, était incompatible avec la preuve documentaire selon laquelle chaque ménage se voit délivrer un seul hukou et qu’elle avait des préoccupations quant à l’aspect du document. La commissaire a donc conclu que le document n’était pas authentique. En outre, la demanderesse principale avait les moyens et la capacité de se procurer des documents frauduleux, ce qu’elle a sciemment fait. Cela pouvait avoir une incidence sur le poids accordé aux autres documents présentés, surtout s’ils sont connexes, ainsi que sur la crédibilité globale de la demandeure d’asile.

[25]           La commissaire a cité la décision Sertkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 734 [Sertkaya], à l’appui de l’affirmation selon laquelle il est loisible à la SPR de tenir compte de l’authenticité de la preuve documentaire et de la capacité du demandeur d’asile d’obtenir et d’utiliser des documents frauduleux, ainsi que la décision Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 [Rasheed], à l’appui de l’affirmation selon laquelle les documents étrangers apparemment délivrés par un fonctionnaire étranger compétent devraient être acceptés comme faisant preuve de leur contenu, à moins qu’il n’y ait une bonne raison de douter de leur authenticité.

[26]           La commissaire a expressément pris en considération le permis de conduire de la demanderesse principale et ne lui a accordé aucune valeur probante, non seulement parce que la demanderesse principale avait déjà présenté un document frauduleux, mais aussi parce que ledit permis ne concernait pas les motocyclettes et que, par conséquent, il n’était pas conforme à son témoignage selon lequel elle conduisait une motocyclette. Il est vrai que la commissaire n’a tiré aucune conclusion quant à l’authenticité du permis, mais elle s’est interrogée sur son parfait état vu qu’il avait été délivré en 2011. Toutefois, même si la commissaire avait conclu que le document était authentique, son appréciation de sa valeur probante n’en demeurait pas moins raisonnable compte tenu de sa préoccupation quant au fait que le permis n’était pas conforme au témoignage de la demanderesse principale selon lequel elle conduisait une motocyclette.

[27]           La commissaire a également examiné le diplôme de fin d’études, le certificat de naissance, le certificat de divorce et la facture d’électricité. Elle a conclu à tort que le diplôme et les certificats n’avaient pas de dispositifs de sécurité, alors qu’en fait ils portaient tous des cachets officiels. La Cour a statué que les cachets officiels constituent des éléments de sécurité aux fins de l’évaluation de l’authenticité (Elhassan, au paragraphe 22; Ru, au paragraphe 21; Zheng, au paragraphe 18). Cependant, cette erreur ne suffit pas à elle seule à rendre la décision déraisonnable. La commissaire avait déjà fait état de ses préoccupations au sujet des pièces d’identité principales : l’absence de passeport, ou d’une CIR originale, et un hukou non authentique. Le diplôme et les certificats constituaient en fait des sources secondaires dont la valeur probante était moindre.

[28]           La commissaire a en outre fait observer que le diplôme de fin d’études délivré en 1992 et le certificat de naissance délivré de nouveau en 2008 n’établissaient pas que la demanderesse principale était en Chine depuis 1992, car le certificat de naissance aurait pu être délivré de nouveau depuis l’extérieur du pays ou lors d’une visite de la demanderesse. Le certificat de divorce, même s’il est authentique, n’indiquait pas que la demanderesse principale était en Chine lorsqu’elle l’a obtenu, et la facture d’électricité aurait pu être produite à son nom alors qu’elle était à l’extérieur du pays, car sa mère vivait toujours à cet endroit. La demanderesse n’a pas contesté cette conclusion. La commissaire a également examiné la citation à comparaître.

[29]           En somme, la commissaire a tenu compte de l’ensemble de la preuve. Elle s’est penchée sur chacun des documents présentés par les demanderesses ainsi que sur les préoccupations en matière de crédibilité soulevées par le témoignage de la demanderesse principale et les explications fournies par celle‑ci. Il ne s’agit pas d’un cas où la SPR a mis en doute l’authenticité d’une pièce d’identité en raison de doutes concernant les documents de base, limitant ainsi son évaluation de ce document (Mohmadi). Il ne s’agit pas non plus d’une situation où la SPR a commis une erreur en ignorant les pièces d’identité présentées ou en présumant, sans formuler d’autres observations, que certains documents n’étaient pas authentiques simplement parce qu’un autre document était faux (Kabongo).

[30]           Dans son appréciation de la valeur probante du permis de conduire, du diplôme et des certificats, de la facture d’électricité et de la citation à comparaître, la commissaire a également tenu compte du fait que la demanderesse principale avait présenté un document frauduleux et, dans le cas de ce dernier document, du fait qu’il était facile de se procurer des documents frauduleux en Chine. Toutefois, il ne s’agit pas des seuls éléments à partir desquels les documents ont été évalués et soupesés. En outre, la commissaire avait le droit de tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité de l’utilisation par la demanderesse principale de documents frauduleux (Sertkaya; Tan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 911, au paragraphe 9; Neethinesan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 138, aux paragraphes 9 à 10 et 15).

[31]           Quant aux documents d’identité des demanderesses mineures, il incombait aux demanderesses d’établir leur identité (article 106 de la LIPR; Rasheed, au paragraphe 13). Les seuls documents présentés qui établissaient un lien entre leur nationalité et leur résidence et la Chine étaient le hukou, que la commissaire a raisonnablement jugé non authentique, et les dossiers d’immunisation.

[32]           L’absence de certificats de naissance a été discutée avec la demanderesse principale. Elle avait affirmé, à propos de son permis de conduire, que celui‑ci semblait tout nouveau et avait une forte odeur de boules à mites parce que sa mère avait soigneusement rangé les documents d’identité des demanderesses dans un tiroir (DCT, à la page 545). Lorsqu’on lui a demandé pourquoi alors sa mère n’avait pas trouvé les certificats de naissance, la demanderesse principale a expliqué que [traduction] « Je […] je lui avais dit de les ranger soigneusement, mais elle les a peut‑être pris pour ensuite oublié où elle les a remis » (DCT, aux pages 545 et 546). À mon avis, en l’absence de tout autre élément de preuve, il était raisonnablement loisible à la commissaire de conclure que cette explication n’était que pure spéculation. Quant à sa conclusion selon laquelle il était invraisemblable que la demanderesse principale ait fait confiance à sa mère pour trouver les documents et les lui envoyer si celle‑ci n’était pas compétente pour le faire, je suis d’accord avec les demanderesses pour dire que la conclusion d’invraisemblance n’était pas fondée. Cependant, cela importe peu, étant donné que l’explication que la demanderesse principale a fournie quant à savoir pourquoi sa mère n’avait pas trouvé les certificats de naissance a été raisonnablement écartée par la commissaire.

[33]           Les demanderesses affirment également qu’une erreur susceptible de révision et un manquement à l’équité procédurale découlent de l’omission de la commissaire d’aviser la demanderesse principale de ses préoccupations au sujet de l’authenticité des dossiers d’immunisation et de lui donner la possibilité de répondre. À cet égard, elles invoquent la décision Torishta. Dans cette affaire, le juge Rennie examinait une lettre qui, à première vue, semblait légitime. Il a affirmé que si la SPR était d’avis que la lettre n’était pas authentique et qu’elle s’est appuyée sur des connaissances spécialisées pour la discréditer en la déclarant frauduleuse, elle aurait dû alors le dire et donner au demandeur la possibilité de répondre. Cela constituait un manquement à l’équité procédurale, de même qu’une violation de l’article 18 des Règles de la SPR, qui exige qu’avant d’utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la SPR en avise le demandeur d’asile et lui donne la possibilité de répondre. En l’espèce, la commissaire n’a pas affirmé, dans ses motifs, qu’elle s’appuyait sur des connaissances spécialisées. En outre, la commissaire avait dit qu’elle doutait de l’authenticité de certains documents, sans toutefois mentionner précisément les dossiers d’immigration. Les demanderesses ont eu la possibilité de répondre à la préoccupation dans son ensemble, ce qu’elles ont fait. Quoi qu’il en soit, les dossiers d’immigration n’établissent pas l’identité des demanderesses mineures.

[34]           En conclusion, il incombait aux demanderesses d’établir leur identité. La commissaire a tenu compte de l’ensemble de la preuve (Toure, aux paragraphes 31 et 34; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 681, au paragraphe 6), et l’appréciation du poids à accorder aux documents relève du pouvoir discrétionnaire de la commissaire (Zheng, au paragraphe 18; Tkachenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1652, au paragraphe 11; Ipala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 472, au paragraphe 31). La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR et la Cour ne devrait intervenir qu’avec prudence à l’égard des décisions rendues par celle‑ci (Toure, au paragraphe 32; Barry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 8, au paragraphe 19; Rahal, au paragraphe 48). Après avoir examiné la décision et les documents déposés par les parties, j’estime que la conclusion de la commissaire quant à l’identité appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.                  Aucune question de portée générale n’a été proposée et aucune ne se pose.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3772-14

INTITULÉ :

YING YI DAI, YI HUANG,YING XIN HUANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MAI 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 8 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

s.o.

POUR LES DEMANDERESSES

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour lE DÉFENDEUR

 

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