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Date : 20150611


Dossier : IMM‑7914‑14

Référence : 2015 CF 737

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 11 juin 2015

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

NAVID KAWA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 18 novembre 2014 par laquelle un agent principal d’immigration a déterminé, dans le cadre d’un deuxième examen des risques avant renvoi (ERAR), que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution et ne risquerait pas la torture ou des traitements ou peines inusités s’il devait retourner à Kaboul, en Afghanistan.

[2]               Le demandeur est un citoyen adulte de l’Afghanistan. Il a quitté ce pays en 2004 et est entré aux États‑Unis muni d’un visa d’étudiant. Pendant son séjour aux États‑Unis, il a été accusé et déclaré coupable d’avoir obtenu frauduleusement des médicaments sur ordonnance, et une mesure d’expulsion a été prise contre lui. Avant l’exécution de la mesure d’expulsion, le demandeur s’est enfui au Canada où il est entré en mai 2014.

[3]               La demande d’asile déposée par le demandeur a été rejetée pour cause d’irrecevabilité pour criminalité. Sa première demande d’ERAR a été rejetée, mais l’affaire a été renvoyée en vue d’un nouvel examen. En l’espèce, il est question de ce nouvel examen par lequel il a été déterminé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que le demandeur serait exposé à un risque personnalisé à son retour en Afghanistan et qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur viable à Kaboul.

[4]               Je vais commencer par citer deux paragraphes de la décision en litige :

[traduction]

En ce qui concerne la possibilité de refuge intérieur, l’avocat écrit que, vu la suspension temporaire des renvois vers l’Afghanistan en vigueur, « la possibilité de refuge intérieur n’est pas une question en l’espèce ». L’avocat ne présente aucun autre élément d’information faisant état de la situation actuelle à Kaboul, et se contente de souligner le fait que des attentats‑suicides, des enlèvements et des attaques militaires ont eu lieu à l’aéroport de  Kaboul. Même si l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ne renvoie actuellement personne en Afghanistan, je suis chargé, en tant qu’agent principal d’immigration, d’évaluer le risque personnalisé auquel seul le demandeur est exposé. Après avoir examiné les circonstances et le profil particuliers du demandeur, je conclus qu’une PRI viable s’offre à lui à Kaboul.

En l’espèce, je conclus que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il serait irréaliste ou impossible pour lui de retourner à Kaboul afin d’éviter toute éventuelle confrontation avec les Talibans. J’estime que le demandeur n’a pas soumis assez d’éléments de preuve démontrant que les Talibans seraient à sa recherche à Kaboul, une grande ville comptant plus de trois millions d’habitants. Selon la preuve documentaire, la présence des Talibans à Kaboul s’est considérablement amenuisée. Or, j’estime que ce groupe terroriste est tout de même capable de mener des attaques meurtrières à Kaboul et dans d’autres grandes villes de l’Afghanistan. Toutefois, d’après la preuve dont je dispose, les cibles des Talibans à Kaboul sont principalement des représentants du gouvernement, des chefs religieux, les aînés de tribus, des policiers qui ne sont pas en service et des personnes appuyant le processus de paix. Je souligne que des gens ordinaires et des passants ont été tués lors d’attentats terroristes menés par les Talibans et d’autres groupes d’insurgés. Cependant, il semble s’agir de victimes innocentes qui se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment et non de cibles particulières.

[5]               À la lumière de ce qui précède, l’agent a‑t‑il conclu que le demandeur pouvait être renvoyé à Kaboul, en dépit du fait que Kaboul est le théâtre d’attentats‑suicides, d’enlèvements et d’attaques militaires, et qu’un groupe terroriste y est en mesure de mener des attaques meurtrières visant principalement des représentants du gouvernement, des chefs religieux, les aînés de tribus, des policiers qui ne sont pas en service et des personnes qui appuient le processus de paix, en plus de faire des victimes innocentes qui se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment?

[6]               En fait, ce n’est pas exactement ce que l’agent a conclu. Comme il est mentionné dans le dernier passage cité précédemment, l’agent a conclu que [traduction« le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il serait irréaliste ou impossible pour lui de retourner à Kaboul ».

[7]               L’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), concerne une personne qui serait personnellement exposée à un risque ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels. L’agent a fixé la barre trop haute en disant qu’il fallait présenter suffisamment d’éléments de preuve pour le convaincre qu’il serait irréaliste ou impossible pour le demandeur d’être en sécurité.

[8]               L’Afghanistan fait partie des pays vers lesquels le Canada a temporairement suspendu les renvois. Ce fait a été brièvement mentionné dans la décision en litige, soit dans le premier passage cité précédemment. Il est reconnu qu’aux termes du paragraphe 230(3) du Règlement pris en application de la LIPR, un sursis ne s’applique pas, entre autres, aux personnes interdites de territoire pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Le demandeur satisfait à ces critères. Or, il serait déraisonnable de la part de l’agent de ne pas poser de questions quant à la nature de l’infraction commise. Il y a une grande différence entre une personne qui modifie la date d’une ordonnance en vue d’obtenir des analgésiques lorsque sa réserve est épuisée et un meurtrier ou un terroriste. De même, il ne faut pas faire abstraction du fait qu’un pays se trouve sur la liste des pays vers lesquels les renvois sont suspendus; il s’agit de l’un des facteurs à prendre en considération. Autrement dit, un lieu qui se trouve au sein d’un pays dangereux où de nombreuses personnes sont tuées ou exposées à des traitements cruels n’est pas [traduction« sûr » tout simplement parce que moins de personnes y sont victimes de coups de feu ou soumises à des traitements cruels à un endroit donné.

[9]               En l’espèce, le demandeur a présenté des éléments de preuve relativement à plusieurs facteurs qui, pris ensemble, le placent dans un petit groupe de personnes qui seraient probablement exposées à une menace à leur vie ou à des traitements cruels. Ces facteurs ont été pris en compte de manière très sélective par l’agent. La décision n’était pas raisonnable. Elle sera annulée.

[10]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit :

1.                  la demande est accueillie;

2.                  l’affaire est renvoyée à un autre agent en vue d’un nouvel examen;

3.                  aucune question n’est certifiée;

4.                  aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7914‑14

 

INTITULÉ :

NAVID KAWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JUIn 2015

JUGEMENT et motifs :

Le juge HUGHES

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Fiona Begg

POUR LE DEMANDEUR

Aman Sanghera

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Fiona M. Begg

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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