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Date : 20150610


Dossier : IMM‑7857‑14

Référence : 2015 CF 729

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 10 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

NARTEY SEKINATU

GBERBIE WOSILATU LARTELEY

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demanderesses contestent une décision rendue le 28 août 2014, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], par laquelle un agent des visas a rejeté la demande de parrainage de la demanderesse principale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire au motif que la demanderesse principale, en tant que répondante, n’a pas déclaré la co‑demanderesse à titre de membre de la famille ne l’accompagnant pas au moment de présenter la demande de parrainage.

[2]               La Cour a entendu l’affaire connexe relative à la demande de parrainage de la sœur de la co‑demanderesse le 9 juin 2015, dans le dossier IMM‑7856‑14.

II.                Contexte

[3]               Les demanderesses sont des citoyennes du Ghana. La demanderesse principale est la mère de la co‑demanderesse qu’elle parraine au Canada.

[4]               Parrainée par son ex‑mari, la demanderesse principale est arrivée au Canada le 1er mars 2005.

[5]               La demanderesse principale soutient que son ex‑mari l’a manipulée afin qu’elle omette de mentionner ses deux filles dans sa demande de parrainage.

[6]               Par conséquent, le 28 août 2014, un agent des visas en poste au Haut‑commissariat du Canada à Accra, au Ghana, a conclu que la co‑demanderesse était exclue de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [LIPR], du fait que la demanderesse principale a omis de divulguer l’existence de ses deux filles qui ne l’accompagnaient pas.

[7]               De plus, l’agent a jugé qu’il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier de passer outre à l’exclusion.

III.             Dispositions législatives

[8]               Le paragraphe 11(1) de la LIPR traite de l’obligation relative au visa qui incombe à un étranger avant son entrée au Canada :

Visa et documents

Application before entering Canada

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Regroupement familial

Family reunification

12. (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

12. (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common‑law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

[9]               Le paragraphe 117(9) de la LIPR énonce l’exclusion applicable au titre de la catégorie du regroupement familial :

Restrictions

Excluded relationships

117 (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

117 (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

IV.             Questions à trancher

[10]           La décision de l’agent des visas soulève des questions de fait ainsi que des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Talbot c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 972, au paragraphe 41; Savescu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 353, au paragraphe 19; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190).

[11]           La question déterminante de la demande est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable ou non.

V.                Analyse

[12]           L’article 117 de la LIPR définit les personnes qui peuvent être considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial dans le cadre de demandes de parrainage.

[13]           Selon le paragraphe 117(9) de la LIPR, ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec le répondant « dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle ».

[14]           Il ressort de la jurisprudence de la Cour fédérale que la raison ou le motif de la non‑divulgation des membres de la famille n’accompagnant pas le répondant ou que le fait qu’une telle fausse déclaration ait été faite de bonne foi ne sont pas pertinents lorsqu’il s’agit de l’application de la disposition de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR :

[24] La Cour d’appel a donc décidé que la disposition contestée n’excède pas le cadre de la LIPR, en particulier dans les cas où il y a eu fausse déclaration auprès des autorités de l’immigration. Cependant, en l’espèce, le demandeur n’était pas au courant de l’existence de son fils au moment où il a présenté sa demande de résidence permanente. Par conséquent, il ne peut pas être conclu que le demandeur a dissimulé cette information ou qu’il a fait de fausses déclarations au sujet de son état. À mon avis, peu importe que la non‑divulgation ait été délibérée ou non. Le Règlement est clair : l’alinéa 117(9)d) ne fait aucune distinction quant à la raison pour laquelle un membre de la famille qui n’accompagnait pas le répondant n’a pas été mentionné dans la demande de résidence permanente. Ce qui importe, c’est que la non‑divulgation a entraîné le fait que ce membre n’a pas fait l’objet d’un contrôle par un agent d’immigration. Cette interprétation est conforme à la décision de mon collègue le juge Mosley dans l’affaire Hong Mei Chen c. M.C.I., 2005 CF 678, dans laquelle il a conclu que la portée et l’effet de la disposition contestée ne se limitent pas aux cas de non‑divulgation frauduleuse. Au paragraphe 11 de ses motifs, mon collègue a écrit : « [...] Peu importe le motif, la non‑divulgation qui empêche qu’une personne à charge fasse l’objet d’un contrôle par un agent d’immigration exclut le parrainage futur de cette personne comme membre de la catégorie du regroupement familial. »

[25] Les dispositions de l’alinéa 117(9)d) du Règlement ne sont pas incompatibles avec les objectifs officiels de la LIPR. Je souscris à l’opinion que le juge Kelen a exprimée au paragraphe 38 de ses motifs dans la décision De Guzman, précitée : « L’objet de la réunification des familles n’outrepasse pas, ne surpasse pas, ne supplante pas ou n’éclipse pas l’exigence de base selon laquelle la législation en matière d’immigration doit être respectée et administrée d’une façon ordonnée et juste. » De plus, dans des cas exceptionnels où les motifs d’ordre humanitaire sont impérieux, un demandeur peut demander, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, une exemption ministérielle des critères législatifs et réglementaires d’entrée au Canada. Le demandeur peut toujours présenter une telle demande. Si sa demande est accueillie, le demandeur et son fils seront réunis.

[Non souligné dans l’original.]

(Adjani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] ACF no 68, aux paragraphes 24 et 25 [Adjani]; voir aussi : Savescu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 353, au paragraphe 31)

[15]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le pouvoir d’accorder une exemption à une obligation prévue par la loi pour des motifs d’ordre humanitaire. La disposition sert de mécanisme visant à atténuer les conséquences de l’application stricte de la loi dans des cas exceptionnels (Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 133, au paragraphe 2).

[16]           Il convient de souligner que le pouvoir discrétionnaire qui est énoncé au paragraphe 25(1) de la LIPR est indissociable de la constitutionnalité de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR (Desalegn c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 268, au paragraphe 4, De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] ACF no 2119).

[17]           Par ailleurs, le paragraphe 25(1) de la LIPR et l’alinéa 117(9)d) de la LIPR visent tous deux à assurer l’intégrité du système d’immigration. L’interrelation entre ces dispositions a été abordée par le juge Robert M. Mainville dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kimbatsa, [2010] ACF no 389, aux paragraphes 53 et 54 [Kimbatsa] :

[53] L’intention du Parlement est on ne peut plus claire. Le généreux régime d’immigration applicable à la catégorie du regroupement familial est assujetti à la condition expresse de déclarations véridiques et exactes du répondant dans sa demande de résidence permanente, permettant ainsi aux autorités canadiennes de contrôler au préalable l’ensemble des personnes qui sont susceptibles de faire partie de la catégorie du regroupement familial advenant l’octroi de la résidence permanente au répondant éventuel. Tout étranger qui n’est pas contrôlé est ainsi exclu de la catégorie du regroupement familial du répondant, peu importe les motifs de la déclaration erronée du répondant. Par contre, le ministre peut pallier les divulgations erronées si des circonstances d’ordre humanitaires le justifient comme le permet le paragraphe 25(1) de la Loi. Il s’agit là d’une approche qui assure l’intégrité du système d’immigration.

[54] Le système canadien d’immigration n’est pas sujet au gré des répondants qui ajustent leur situation familiale selon les circonstances propices à leurs fins. Le système est largement établi sur le principe de déclarations véridiques et complètes de renseignements par les demandeurs. Toute entorse à ce principe ne peut être tolérée par les tribunaux. Il appartient au ministre et non aux tribunaux de décider, dans le cadre du paragraphe 25(1) de la Loi, des cas exceptionnels qui soulèvent des circonstances d’ordre humanitaire permettant d’écarter ce principe fondamental.

[Non souligné dans l’original.]

[18]           En l’espèce, l’agent a raisonnablement conclu que la co‑demanderesse était exclue aux termes de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR. Le fait que la demanderesse principale a dissimulé l’existence de ses filles au moment de la présentation de sa demande de résidence permanente n’est pas contesté. Bien que la demanderesse principale ait fourni des explications concernant la fausse déclaration, la Cour n’est pas d’avis que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard, compte tenu du libellé contraignant de la LIPR (Adjani, précitée, au paragraphe 28; Kimbatsa, précitée, au paragraphe 20).

[19]           Comme l’a déclaré le juge John A. O’Keefe dans l’affaire Du c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1094, au paragraphe 60, « [l]’intention du demandeur ne peut toutefois atténuer [la] sévérité » des conséquences de l’application de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR.

[20]           De plus, les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration prises par l’agent, lesquelles s’inscrivent dans les motifs, révèlent que l’agent a tenu compte de la preuve présentée par les demanderesses ainsi que de leurs circonstances particulières au moment d’évaluer la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire des demanderesses.

[21]           Plus particulièrement, l’agent a tenu compte des explications de la demanderesse principale concernant sa fausse déclaration. L’agent a souligné que, selon ses allégations, la demanderesse n’était pas au courant de la réglementation canadienne en matière d’immigration et subissait l’influence manipulatrice de son mari violent. De plus, l’agent a indiqué que les filles de la demanderesse principale n’avaient été inscrites qu’en février 2007, soit deux ans après l’arrivée de la demanderesse principale au Canada.

[22]           L’agent a également pris en considération l’intérêt supérieur de la co‑demanderesse et de sa sœur. Il a, entre autres, tenu compte du fait que la co‑demanderesse et sa sœur vivent toutes deux avec leur grand‑mère au Ghana, avec qui ils ont vécu pour la plus grande partie de leur vie. L’agent a aussi constaté que les demanderesses n’avaient fourni aucun élément de preuve à l’appui de leur allégation selon laquelle la grand‑mère de la co‑demanderesse n’est plus en mesure de continuer à élever cette dernière et sa sœur.

[23]           Il ressort de la décision et des motifs de l’agent que les circonstances dans lesquelles la demanderesse a fait une fausse déclaration ont été dûment prises en compte et analysées, après quoi l’agent a conclu que la demanderesse mineure est exclue aux termes de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR. Par ailleurs, l’intérêt supérieur de la co‑demanderesse et de sa sœur a été adéquatement soupesé.

[24]           La Cour est d’avis que la conclusion de l’agent selon laquelle les demanderesses n’ont pas établi de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier de passer outre à l’exclusion découlant de l’application de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR est raisonnable.

[25]           La Cour n’a donc aucune raison d’intervenir à l’égard de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agent.

VI.             Conclusion

[26]           La décision de l’agent est raisonnable et ne justifie pas l’intervention de la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7856‑14

INTITULÉ :

NARTEY SEKINATU, YEKPLE ALEXINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JUIN 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JUIN 2015

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

 

POUR LES DEMANDERESSES

Pavol Janura

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDERESSES

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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