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Date : 20150603


Dossier : T-2390-14

Référence : 2015 CF 702

Montréal (Québec), le 3 juin 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

GREGG HERBERT PREVOST

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 6 octobre 2014 de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles [Section d’appel] confirmant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles [Commission] datée du 22 janvier 2014, lui refusant la semi-liberté et la libération conditionnelle totale en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [Loi].

II.                Faits

[2]               Depuis le 4 octobre 1985, le demandeur purge une peine fédérale à perpétuité, avec admissibilité à une libération conditionnelle totale après vingt-cinq ans, pour le meurtre au premier degré d’un policier commis à l’automne 1984 dans la communauté d’Iroquois Falls, en Ontario.

[3]               Depuis les douze dernières années, le demandeur purge sa peine dans un pénitencier à sécurité minimale.

[4]               Le 17 juin 2009, la Commission a accordé au demandeur une semi-liberté au centre résidentiel communautaire Maison Saint-Léonard [CRC St-Léonard].

[5]               Le 19 décembre 2009, le demandeur a été intercepté par la police alors qu’il dégageait une odeur d’alcool et qu’il avait en sa possession une perceuse. Une fouille subséquente a établi que le demandeur était également en possession de comprimés de Dilaudid et de seringues.

[6]               En conséquence, la semi-liberté du demandeur a été révoquée le 18 mars 2010.

[7]               Le 18 septembre 2013, le demandeur a présenté une nouvelle demande de semi-liberté et de libération conditionnelle totale auprès de la Commission.

[8]               Le 29 novembre 2013, l’équipe de gestion des cas [EGC] du demandeur a recommandé l’annulation des permissions de sorties sous surveillance dont bénéficiait le demandeur depuis un an. Le 6 décembre 2013, l’EGC a décidé de ne pas recommander la libération conditionnelle du demandeur à la Commission.

[9]               Le 22 janvier 2014, la Commission a tenu une audience en présence du demandeur. Le même jour, la Commission a refusé les demandes de semi-liberté et de libération conditionnelle totale du demandeur.

[10]           Le 6 octobre 2014, la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission.

III.             Décision contestée

A.                Décision de la Commission du 22 janvier 2014

[11]           Dans sa décision datée du 22 janvier 2014, la Commission prend connaissance des preuves au dossier du demandeur, incluant le témoignage oral du demandeur, à l’audience.

[12]           La Commission examine d’abord l’évaluation psychologique récente du demandeur qui révèle qu’il présente un risque de récidive faible à modéré, notant qu’il s’agit d’un risque acceptable dans le contexte de la semi-liberté. La Commission observe que le demandeur bénéficie d’un niveau de sécurité minimal d’incarcération depuis les onze dernières années.

[13]           L’évaluation psychologique indique également que le demandeur souffre de dépendance à l’alcool et aux drogues et présente des traits de personnalité antisociaux.

[14]           La Commission souligne que bien que le demandeur exprime des remords sincères à l’égard de ses actes, il a néanmoins tendance à réprimander le système et a de la difficulté à interagir avec les figures d’autorité lorsqu’il ressent qu’il a été traité injustement. De plus, la Commission constate que le demandeur consommait secrètement du Dilaudid entre 2006 et 2009.

[15]           La Commission reconnait que le demandeur a complété divers programmes de réhabilitation pour abus de substances, qu’il participe aux réunions des Alcooliques Anonymes [AA] et qu’il communique régulièrement avec une agente de liaison autochtone. La Commission constate que le demandeur profite également de sorties temporaires de groupe sous surveillance depuis mars 2011.

[16]           La Commission tient ensuite compte du plan de libération du demandeur. Elle reconnait que le demandeur a été accepté au CRC St-Léonard, qu’il bénéficie du soutien de sa famille et de membres de la communauté, qu’il projette de trouver un emploi en tant que machiniste ou dans un domaine connexe et qu’il envisage d’assister aux rencontres des AA.

[17]           La Commission observe toutefois que la semi-liberté dont bénéficiait le demandeur depuis juin 2009 a été révoquée en avril 2010 suite à une rechute dans la consommation de drogues et d’alcool et qu’en janvier 2011, il a été condamné à une peine concurrente de deux mois pour possession de substances.

[18]           Le dossier du demandeur révèle également que la femme du demandeur avait informé l’EGC que le demandeur consommait de l’alcool depuis le début de sa semi-liberté et qu’il avait été violent à son égard, l’ayant abusée sexuellement jusqu’à perte de conscience. La Commission note que le demandeur a toujours nié ces allégations. De plus, la preuve révèle que le demandeur a eu des relations sexuelles avec une prostituée ainsi qu’avec une bénévole d’une organisation chrétienne à but non lucratif durant cette même période.

[19]           En outre, la Commission fait remarquer qu’en octobre 2013, le suivi psychologique dont bénéficiait le demandeur depuis juin 2013 a été interrompu pour le motif qu’il continuait à récriminer continuellement contre le Service correctionnel du Canada [SCC].

[20]           La Commission constate également qu’au mois de novembre 2013, l’EGC du demandeur a obtenu des informations fiables provenant d’employés, de codétenus et du Service de renseignement de sécurité selon lesquelles le demandeur était un leader négatif, qu’il avait mené une campagne de dénigrement à l’endroit d’un codétenu, qu’il présentait une attitude intimidante envers les autres et qu’il participait à la contrebande de tabac dans le pénitencier.

[21]           La Commission souligne que le demandeur a nié ces allégations et a maintenu cette position à l’audience devant la Commission.

[22]           La Commission constate que, selon la preuve au dossier, l’attitude et le comportement du demandeur se sont détériorés dans les derniers mois. Entre autres, la crédibilité du demandeur est entachée par le fait qu’il continue à démontrer des signes de rigidité, d’hostilité et de frustration envers le système de justice, le SCC et certains intervenants. Selon la Commission, à la lumière des événements récents ayant mis fin au suivi psychologique du demandeur et à l’annulation du programme de permissions de sorties sous surveillance, la situation du demandeur est précaire et décevante.

[23]           La Commission prend connaissance de la position de l’EGC selon laquelle le demandeur présente un risque inacceptable envers la société. La Commission constate que bien que le demandeur ait fait des efforts pour améliorer son comportement, les objectifs décrits dans son plan correctionnel n’ont pas été atteints.

[24]           Dans cette vue, la Commission déclare que le demandeur devra démontrer sa volonté et sa capacité à collaborer avec son EGC en vue d’établir une relation de confiance.

[25]           En somme, la Commission conclut que le plan de libération du demandeur est prématuré et que sa libération ne contribuerait pas à la protection de la société.

B.                 Décision de la Section d’appel du 6 octobre 2014

[26]           Par l’entremise d’une lettre datée du 10 octobre 2014, la Section d’appel rejette l’appel du demandeur et confirme la décision de la Commission.

[27]           D’abord, la Section d’appel résume les observations du demandeur et identifie trois motifs d’appel. Le demandeur reproche à la Commission d’avoir 1) présenté des motifs insuffisants; 2) utilisé des preuves incomplètes et erronées; 3) rendu une décision déraisonnable.

[28]           Ensuite, la Section d’appel constate que, contrairement aux prétentions du demandeur, la Commission a examiné l’ensemble de la preuve au dossier du demandeur, identifiant et soupesant autant les développements positifs que négatifs contenus à son dossier. Cette appréciation de l’ensemble des facteurs a mené la Commission à conclure que le risque que pose le demandeur envers la société ne justifie pas l’octroi d’une libération conditionnelle ou d’une semi-liberté.

[29]           La Section d’appel considère que, contrairement à la prétention du demandeur, la Commission s’est fondée sur des preuves fiables, pertinentes et convaincantes contenues au dossier du demandeur.

[30]           La Section d’appel constate également que l’enregistrement audio de l’audience devant la Commission révèle que la Commission a accordé au demandeur l’occasion de présenter ses observations et de répondre aux allégations portées à son encontre.

[31]           De plus, l’enregistrement audio démontre que le demandeur fait preuve d’hostilité à l’égard des figures d’autorité. La Section d’appel considère que la Commission a raisonnablement soupesé ce facteur à la lumière de son délit de meurtre au premier degré d’un policier dans son évaluation du risque de récidive posé par le demandeur.

[32]           Finalement, la Section d’appel confirme que les principes d’équité ont été respectés à l’égard du demandeur et que les motifs de la Commission à l’appui de sa décision sont transparents et ancrés dans la preuve au dossier.

IV.             Questions en litige

[33]           La demande présente les deux questions en litige suivantes :

1)      La décision de la Section d’appel est-elle raisonnable?

2)      La Section d’appel a-t-elle respecté les principes d’équité procédurale à l’égard du demandeur?

V.                Norme de contrôle

[34]           Au regard de l’expertise de la Commission et de la Section d’appel relativement à la prise de décision d’accorder la libération conditionnelle, il est de jurisprudence constante que la norme applicable est celle de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190 au para 47).

[35]           Dans cette vue, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision de la Commission. La Cour ne peut substituer ses propres motifs à ceux de la Section d’appel mais peut toutefois examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 15).

[36]           Tel qu’énoncé par le juge George J. Locke dans la décision de la Cour fédérale Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590 au para 14 [Korn], la retenue judiciaire s’impose à l’égard des décisions de la Commission et de la Section d’appel :

[14] Je comprends qu'au vu de l'expertise dont la CCLC et la Section d'appel jouissent, je leur dois un certain degré de déférence (Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, au paragraphe 45). Dans les affaires portant sur une libération conditionnelle, "cette Cour ne doit pas intervenir dans une décision [de la CCLC] en l'absence d'éléments de preuve clairs et non équivoques que celle-ci est tout à fait injuste et entraîne une injustice à l'égard du détenu" (Desjardins c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1989] ACF no 910 (QL), 29 FTR 38 (CF 1re inst), citée dans Aney, précitée, au paragraphe 31).

[37]           Quant à la détermination de la conformité de la décision de la Commission avec les principes d’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43).

VI.             Analyse

A.                Cadre législatif et jurisprudentiel

[38]           Les dispositions relatives à la mise en liberté conditionnelle sont prévues à la partie II de la Loi.

[39]           L’objectif principal de la libération conditionnelle est énoncé à l’article 100 de la Loi :

Objet

Purpose of conditional release

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

[40]           Le pouvoir décisionnel de la Commission est énoncé à l’article 102 et à l’alinéa 107(1)a) de la Loi :

Critères

Criteria for granting parole

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

Compétence

Jurisdiction of Board

107. (1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, de la Loi sur la défense nationale, de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour :

107. (1) Subject to this Act, the Prisons and Reformatories Act, the International Transfer of Offenders Act, the National Defence Act, the Crimes Against Humanity and War Crimes Act and the Criminal Code, the Board has exclusive jurisdiction and absolute discretion

a) accorder une libération conditionnelle;

(a) to grant parole to an offender;

[41]           Les pouvoirs de la Section d’appel sont énoncés aux paragraphes 147(4) et (5) de la Loi :

Décision

Decision on appeal

147. (4) Au terme de la révision, la Section d’appel peut rendre l’une des décisions suivantes :

147. (4) The Appeal Division, on the completion of a review of a decision appealed from, may

a) confirmer la décision visée par l’appel;

(a) affirm the decision;

b) confirmer la décision visée par l’appel, mais ordonner un réexamen du cas avant la date normalement prévue pour le prochain examen;

(b) affirm the decision but order a further review of the case by the Board on a date earlier than the date otherwise provided for the next review;

c) ordonner un réexamen du cas et ordonner que la décision reste en vigueur malgré la tenue du nouvel examen;

(c) order a new review of the case by the Board and order the continuation of the decision pending the review; or

d) infirmer ou modifier la décision visée par l’appel.

(d) reverse, cancel or vary the decision.

Mise en liberté immédiate

Conditions of immediate release

(5) Si sa décision entraîne la libération immédiate du délinquant, la Section d’appel doit être convaincue, à la fois, que :

(5) The Appeal Division shall not render a decision under subsection (4) that results in the immediate release of an offender from imprisonment unless it is satisfied that

a) la décision visée par l’appel ne pouvait raisonnablement être fondée en droit, en vertu d’une politique de la Commission ou sur les renseignements dont celle-ci disposait au moment de l’examen du cas;

(a) the decision appealed from cannot reasonably be supported in law, under the applicable policies of the Board, or on the basis of the information available to the Board in its review of the case; and

b) le retard apporté à la libération du délinquant serait inéquitable.

(b) a delay in releasing the offender from imprisonment would be unfair.

[42]           Finalement, les principes qui guident la Commission dans l’exécution de son mandat sont énoncés à l’article 101 de la Loi :

Principes

Principles guiding parole boards

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

101. The principles that guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are as follows:

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

(a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

b) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les victimes, les délinquants et les autres éléments du système de justice pénale et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux victimes et aux délinquants qu’au grand public;

(b) parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with victims, offenders and other components of the criminal justice system and through communication about their policies and programs to victims, offenders and the general public;

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition;

(c) parole boards make decisions that are consistent with the protection of society and that are limited to only what is necessary and proportionate to the purpose of conditional release;

d) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en œuvre de ces directives;

(d) parole boards adopt and are guided by appropriate policies and their members are provided with the training necessary to implement those policies; and

e) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

(e) offenders are provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

[43]           Il se dégage du cadre législatif exposé ci-dessus que la protection et la sécurité du public sont des facteurs prépondérants dans l’évaluation d’une demande de libération conditionnelle (Campbell c Canada (Procureur général), 2013 CF 803 au para 35; Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275 au para 22 [Fernandez]).

[44]           Tel qu’exprimé par la Cour d’appel fédérale dans Ouellette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54 aux para 61 et 62 [Ouellette] :

[61] Dans le cas du délinquant, la Loi dispose plutôt de façon claire que "la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas" : al. 101a) de la Loi dans sa version en vigueur lors de la décision de la Commission, et art. 100.1 de la Loi telle qu'elle se lit maintenant. Ce critère déterminant prévaut toujours sur le principe du règlement du cas le moins restrictif possible. De plus, si la Commission conclut qu'elle ne peut accorder la libération conditionnelle au délinquant, contrairement à une commission de révision, elle ne peut fixer les conditions de détention continue en milieu carcéral.

[62] Dans la mesure où la Commission a conclu que la libération conditionnelle de l'appelant présente un risque inacceptable pour la société, elle n'avait pas à remettre en question cette conclusion en regard du principe du règlement du cas qui est le moins restrictif possible. En effet, dans le cas du délinquant, le critère déterminant de la Loi reste toujours et dans tous les cas la protection de la société, et le principe du règlement du cas qui soit le moins restrictif possible est subordonné à ce critère déterminant et ne peut en aucun cas y suppléer.

[Je souligne.]

[45]           Ce principe est apparent, entre autres, à l’article 101 de la Loi selon lequel « [l]a mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre » et à l’article 102, qui stipule que la Commission peut accorder une libération conditionnelle si elle est d’avis « [qu’]une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois ».

[46]           En outre, la jurisprudence établit que la libération conditionnelle est un privilège et non un droit (Korn, ci-dessus au para 15).

[47]           De plus, la Loi exige le respect du principe de la proportionnalité, tel qu’exprimé à l’alinéa 101c) de la Loi, selon lequel la Commission et la Section d’appel doivent prendre des décisions qui « ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition ».

[48]           Finalement, il va sans dire que la Commission et la Section d’appel doivent procéder équitablement et respecter les principes de justice fondamentale dans leur prise de décision (Ouellette, ci-dessus au para 67).

B.                 Caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel

[49]           D’abord, la Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur selon lequel la décision de la Commission, telle que confirmée par la Section d’appel, est déraisonnable pour le motif qu’elle se fonde sur des conclusions contradictoires à l’égard du demandeur. Plus précisément, le demandeur reproche à la Commission et à la Section d’appel d’avoir omis de considérer le principe de la « décision n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition ».

[50]           La Loi exige que la Commission recherche un équilibre entre les facteurs dits positifs et négatifs contenus au dossier du demandeur, afin de soupeser à la fois les intérêts et les droits du demandeur avec les intérêts et la sécurité du public.

[51]           La Cour estime que les principes de la proportionnalité et de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du demandeur et ceux relatifs à la protection de la société ont dûment été respectés par la Commission et par la Section d’appel, conformément aux exigences de la Loi et à leur mandat.

[52]           L’analyse effectuée par la Commission et par la Section d’appel, comme en font foi les motifs à l’appui de leurs décisions, des facteurs favorisant la libération conditionnelle du demandeur (tels que ses progrès en termes de réhabilitation et son sentiment de remords à l’égard de ses actes) ainsi que des facteurs démontrant un risque de récidive (tels que les allégations de violence et d’hostilité portées à son encontre, la persistance de son attitude négative et la détérioration récente de son comportement), démontre un examen approfondi du dossier du demandeur.

[53]           Au regard du risque de récidive posé par le demandeur envers la société, considéré inacceptable par la Commission et confirmé par la Section d’appel, la décision de refuser d’accorder la semi-liberté ou la libération conditionnelle totale au demandeur est raisonnable et justifiée.

C.                 Le respect des principes d’équité procédurale à l’égard du demandeur

[54]           Le demandeur allègue que la Commission a manqué aux principes d’équité procédurale en ayant omis de motiver sa décision adéquatement. Le demandeur reproche également à la Commission d’avoir considéré des éléments de preuve dépourvus de fiabilité et d’avoir ignoré certaines preuves.

[55]           La Cour ne peut souscrire à ces arguments.

[56]           Aux fins de son évaluation du risque de récidive, la Commission peut tenir compte de tous les renseignements disponibles pertinents, pourvu qu’ils n’aient pas été obtenus irrégulièrement, incluant les renseignements relatifs à des accusations criminelles n’ayant pas donné lieu à des déclarations de culpabilité (Fernandez, ci-dessus aux para 24 et 26).

[57]           De plus, la jurisprudence établit que le fait d’avoir confronté le demandeur à l’audience, avec les allégations faites à son égard pour lui permettre de présenter des observations, constitue un mode significatif de vérification de la preuve (Fernandez, ci-dessus au para 25).

[58]           En l’espèce, la Commission a divulgué les renseignements pertinents à sa prise de décision au demandeur par l’entremise du SCC. À l’audience, le demandeur a eu la possibilité de présenter ses observations orales et écrites afin de réfuter les allégations portées à son encontre, conformément à la règle audi alteram partem.

[59]           La Cour estime que les motifs de la Commission et de la Section d’appel sont transparents, intelligibles et reflètent un examen de l’ensemble de la preuve au dossier, incluant les observations orales et écrites du demandeur, le dossier carcéral, les rapports psychologiques, la recommandation de l’EGC, les lettres d’appui soumises par le demandeur, le plan de libération et les preuves de la participation du demandeur à différents programmes de réhabilitation.

[60]           La Cour conclut que la Commission et la Section d’appel ont respecté les principes d’équité procédurale et de justice naturelle à l’égard du demandeur.

VII.          Conclusion

[61]           Au regard de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le tout sans dépens.

OBITER

La Cour suggère le film documentaire « Doing Time, Doing Vipassana » comme méthode-exemple à visionner et à étudier en profondeur avec des livres et études connexes, à l’égard de la méditation Vipassana, dans la situation d’un détenu décrite dans ce type de cas.

La pratique de la méditation Vipassana, comme telle, a permis, selon les résultats, de diminuer à un pourcentage très impressionnant le risque de récidive et, donc, de connaître un succès remarquable.

Ceci est une recommandation pour notre système carcéral qui pourrait également réduire à un taux très considérable (selon l’expérience vécue spécifiée dans des études sur les détenus) le risque de récidive dans nos centres de détention d’une façon exceptionnelle; et, par le fait même, de diminuer le risque de la criminalité de nos détenus dans notre société.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2390-14

 

INTITULÉ :

GREGG HERBERT PREVOST c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 juin 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 juin 2015

 

COMPARUTIONS :

Maxime Hébert-Lafontaine

 

Pour le demandeur

 

Virginie Harvey

Dominique Guimond

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Latour, Dorval, Del Negro

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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