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Date : 20150528

Dossier : T-503-13

Référence : 2015 CF 687

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

LES INNUS DE UASHAT MAK MANU-UTENAM,

LES INNUS DE MATIMEKUSH-LAC-JOHN,

LES INNUS D’EKUANITSHIT,

LES INNUS DE UNAMEN SHIPU,

LES INNUS DE PAKUA SHIPI

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Survol

[1]               La couronne fédérale et le procureur général de la province de Terre-Neuve-et-Labrador [TNL] demandent la radiation complète de la déclaration des demandeurs pour absence de compétence de la Cour fédérale, à l’égard des conclusions recherchées par les demandeurs. Subsidiairement, ils demandent à la Cour d’exercer la discrétion que lui confère l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF] et de suspendre le dossier dans l’intérêt de la justice, ou essentiellement afin d’inciter les demandeurs à s’adresser à la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador pour faire valoir leurs droits.

[2]               Les demandeurs, qui sont tous des Innus du Québec, contestent cette requête et plaident essentiellement que leur action, qui ne vise que la couronne fédérale, concerne la négociation et la conclusion, en violation de leurs droits ancestraux et issus de traités, d’une entente de principe entre la couronne fédérale, le gouvernement de TNL et les Innus du Labrador, laquelle vise notamment à reconnaître les droits des Innus du Labrador sur le territoire du Labrador.

[3]               Lors de l’audition devant la Cour, la position des demandeurs s’est davantage précisée : puisque les demandeurs ne cherchent qu’à faire reconnaître l’obligation constitutionnelle de la couronne fédérale de les consulter et de les accommoder, cette Cour a compétence pour entendre et disposer de leur action.

[4]               Pour les motifs qui suivent, les requêtes en radiation de la défenderesse et de l’intervenant seront accueillies et l’action des demandeurs sera suspendue en application de l’alinéa 50(1)b) de la LCF.

II.                Les faits

[5]               Les demandeurs allèguent être les descendants des bandes d’Innus qui ont historiquement occupé et utilisé le territoire du Nitassian–Labrador, à des fins de subsistance, en pratiquant leur mode de vie unique basé sur la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette.

[6]               Au paragraphe 24 de leur déclaration, ils décrivent ainsi les activités qui font partie intégrante de leur culture distinctive et, partant, de leurs droits ancestraux :

a)         [L]es activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette, y compris les activités de prélèvement de la ressource faunique telles la chasse au caribou, à l’orignal ainsi qu’à la perdrix pour des fins de subsistance, culturelles, sociales, rituelles et commerciales;

b)         [L]es activités de prélèvement de ressources végétales, hydriques, minérales et forestières pour des fins de subsistance, culturelles, sociales, rituelles et commerciales;

c)         [L]a construction de campements, de caches, d’habitation et autres installations nécessaires à leur mode de vie et à l’exercice de leurs activités traditionnelles;

d)        [L]’utilisation du territoire, incluant les cours d’eau pour l’exercice de leurs activités traditionnelles telles les activités de prélèvement ainsi que pour des fins de transport;

e)         [L]’exercice de leurs pratiques spirituelles et culturelles.

[7]               Les demandeurs allèguent avoir exercé leurs activités traditionnelles sur le territoire du Nitassinan-Labrador avant l’arrivée des Européens et bien avant l’établissement de la frontière provinciale Québec-TNL et l’annexion de TNL à la fédération canadienne.

[8]               En novembre 2011, le gouvernement du Canada, le gouvernement de TNL et les Innus du Labrador ont signé une Entente de principe concernant les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador. Dans sa partie 2.1, cette Entente de principe prévoit ce qui suit :

2.1.1 - L’entente de principe ne crée aucune obligation juridique obligatoire pour les parties et n’a pas pour objet de définir, créer, reconnaître, abroger, déroger, nier ou modifier les droits des parties.

2.1.2 – L’entente de principe constitue la base pour la conclusion de l’Entente [laquelle est définie à la clause 1.1.1 comme étant l’accord définitif de règlement des revendications territoriales des Innus du Labrador] et les parties conviennent de commencer à négocier l’Entente en toute bonne foi dès que possible après la signature de l’entente de principe.

[9]               Les demandeurs reprochent à la couronne fédérale de ne pas les avoir consultés avant la signature de l’Entente de principe, alors même qu’elle avait connaissance de l’existence potentielle des droits ancestraux revendiqués et du fait que l’Entente de principe était susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur ceux-ci.

[10]           Or, il semble plutôt que les demandeurs aient été consultés dans le cadre de la négociation de l’Entente de principe. C’est du moins ce qui transparaît d’une lettre du négociateur des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada adressée aux chefs respectifs des demandeurs, en date du 1 er avril 2015 (cette lettre a été déposée de consentement lors de l’audition des requêtes), dans laquelle on peut lire aux pages 3 et 4 :

Nous tenons à réitérer que l’ensemble du processus de consultation prendra fin lorsque les groupes ayant le potentiel de subir un préjudice découlant d’un éventuel traité avec les Innus du Labrador auront eu l’occasion d’être consultés sur l’ébauche de l’entente finale. Pour le moment, tel que vous l’expliquiez dans votre lettre du 15 janvier 2015, nous comprenons que la seule mesure d’accommodement qui vous est satisfaisante serait de mettre fin à tous chevauchements et de mettre fin à tous bénéfices, avantages ou droits reconnus aux Innus du Labrador dans les régions où vous jugez que seules vos communautés sont affectées.

En prenant tous ces éléments en considération, nous concluons que le moment est venu de mettre un terme à la consultation de l’entente de principe et de se préparer à la consultation relative à l’ébauche de l’entente finale où vous pourrez constater les modifications apportées par la table de négociation depuis novembre 2011. Nous communiquerons avec vous avant la fin de la négociation de l’entente finale, pour amorcer la dernière phase du processus de consultation.

[11]           Insatisfaits de la position prise par le gouvernement fédéral, les demandeurs ont intenté la présente action, par laquelle ils demandent:

1.         Qu’il soit déclaré que les demandeurs ont, du moins, prima facie, des droits ancestraux et les droits issus de traités dans et à l’égard d’une grande partie du territoire communément appelé le «Labrador », laquelle est comprise dans le territoire traditionnel des demandeurs (le Nitassinan);

2.         Qu’il soit déclaré que les droits ancestraux et issus de traités des demandeurs comprennent le droit d’exercer dans la partie du Nitassinan au Labrador (ci-après « Nitassinan-Labrador») le mode de vie des Innus, leur culture, leurs coutumes, leurs traditions et leurs pratiques traditionnelles, y compris le droit d’exploitation;

3.         Qu’il soit déclaré que la défenderesse a violé ses obligations envers les demandeurs en vertu de l’honneur de la Couronne ainsi que ses obligations fiduciaires à l’égard des demandeurs quant à ces droits et a violé son obligation constitutionnelle de consulter de manière approfondie et d’accommoder les demandeurs relativement à ces droits avant la conclusion en novembre 2011 par les « Innus du Labrador », le Gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador (ci-après « TNL » et le Gouvernement du Canada (ci-après « Canada ») de l’Entente de principe concernant les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des Innus du Labrador (ci-après  « l’Entente de principe »);

4.         Qu`il soit déclaré que cette Entente de principe, dénoncée aux présentes comme Pièce P-1, est illégale, inconstitutionnelle et inopérante en ce qui concerne les demandeurs et le territoire traditionnel innu des demandeurs situé au Labrador.

5.         Qu’il soit déclaré que cette Entente de principe viole, du moins prima facie, les droits ancestraux et les droits issus de traités des demandeurs, viole l’obligation de la défenderesse de consulter de manière approfondie et d’accommoder les demandeurs à l’égard de cette Entente, viole les obligations fiduciaires de la défenderesse envers les demandeurs et ne respecte pas l’honneur de la Couronne.

6.         Qu’il soit déclaré que toute entente finale ou accord définitif de règlement des revendications territoriales visé par l’Entente de principe (ci-après « l’Entente finale») qui serait conclu, sans le consentement des demandeurs, entre les « Innus du Labrador » , le Canada et TNL sera incompatible avec les droits des demandeurs, violera les droits ancestraux et les droits issus de traités des demandeurs, violera l’obligation de la défenderesse de consulter de manière approfondie et d’accommoder les demandeurs à l’égard de cette Entente finale, violera les obligations fiduciaires de la défenderesse envers les demandeurs à l’égard de leurs droits et ne respectera pas l’honneur de la Couronne.

7.         Qu’il soit déclaré que la défenderesse a au minimum l’obligation de consulter de manière approfondie et d’accommoder les demandeurs avant de négocier et avant de signer toute Entente finale concernant les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale des « Innus du Labrador » ou toute autre entente concernant les revendications territoriales au Nitassinan-Labrador.

8.         Qu`il soit déclaré qu’en vertu de la common law, des traités entre la Couronne française et la Couronne britannique, d’une part, et la Grande Nation innue, d’autre part, de divers instruments constitutionnels, y compris la Proclamation royale de 1763, les Conditions de l`Union de Terre-Neuve au Canada et la Loi sur Terre-Neuve, la défenderesse a, comme obligations constitutionnelles et fiduciaires, le devoir de reconnaître, protéger, respecter, préserver et promouvoir la liberté et le droit des demandeurs d`exercer sans ingérence leurs droits ancestraux et issus de traités dans le Nitassinan-Labrador.

9.         Qu’il soit déclaré que la défenderesse a contrevenu à l`honneur de la Couronne et a violé ces obligations constitutionnelles et fiduciaires de reconnaitre, protéger, respecter, préserver et promouvoir la liberté et le droit des demandeurs d`exercer sans ingérence leurs droits ancestraux et issus de traités dans le Nitassinan-Labrador, y compris en signant l`Entente de principe et en poursuivant les négociations visant une entente finale, les deux sans le consentement des demandeurs.

10.       Qu’une ordonnance d’injonction permanente soit émise contre la défenderesse, ordonnant à la défenderesse, ses officiers, dirigeants, employés, agents et préposés et ceux agissant de concert avec elle, (a) de prendre les mesures nécessaires afin de prévenir ou de faire cesser toute mise en œuvre par la défenderesse de l’entente de principe, (b) de s’acquitter des obligations constitutionnelles et fiduciaires de Sa Majesté à l’égard des demandeurs en conformité avec l`Honneur de la Couronne et la compétence constitutionnelle de Sa Majesté en vertu de l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1982, (c) de ne pas participer aux négociations visant la signature de l’Entente finale sans le consentement des demandeurs ou sans avoir consulté d`une manière approfondie et d`avoir accommodé les demandeurs à l’égard de leurs droits ancestraux et issus de traités dans le Nitassinan-Labrador, et (d) de ne pas signer d`Entente finale sans le consentement des demandeurs ou sans avoir consulté d`une manière approfondie et d`avoir accommodé les demandeurs à l`égard de leurs droits ancestraux et issus de traités dans le Nitassinan-Labrador.

III.             Questions en litige

[12]           Les requêtes de la défenderesse et de l’intervenant soulèvent les questions suivantes :

-                      Est-ce que la Cour fédérale a la compétence nécessaire pour rendre les ordonnances recherchées par les demandeurs?

-                      Est-il dans l’intérêt de la justice de suspendre l’action des demandeurs pour que les questions soulevées par les demandeurs soient débattues devant la Cour suprême de TNL?

IV.             Analyse

-                      Est-ce que la Cour fédérale a la compétence nécessaire pour rendre les ordonnances recherchées par les demandeurs?

[13]           Dans le cadre d’une requête en radiation d’un acte de procédure, les faits allégués doivent être pris pour avérés. La question est donc de savoir, dans l’hypothèse où ces faits peuvent être prouvés, s’il est « évident et manifeste » que la déclaration des demandeurs ne révèle aucune cause d’action raisonnable (Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959 au para 33). Dans le cas qui nous occupe, l’absence de cause d’action résulterait de l’absence de compétence de la Cour fédérale sur l’essence même de la demande des demandeurs.

[14]           La défenderesse et l’intervenant plaident à cet égard que la LCF ne permet pas à la Cour d’accorder une ordonnance d’injonction à l’encontre d’une province ou quelque remède qui affecterait les droits de propriété d’une province. Ils plaident que cette question a été tranchée par la Cour d’appel fédérale dans Bande indienne de Conne River c Canada (1983), 49 NR 198 (CAF), confirmée par la Cour suprême du Canada dans Joe c Canada, [1986] 2 RCS 145 [Joe] et par la Cour d’appel fédérale dans Vollant c Canada, 2009 CAF 185 [Vollant]. Aucune distinction n’est possible, selon eux, et ces précédents s’imposent en l’instance.

[15]           Les demandeurs suggèrent plutôt qu’une distinction s’impose entre la revendication d’un titre indien sur le territoire d’une province (invoquée dans l’arrêt Joe), la revendication de droits ancestraux (invoquée dans l’arrêt Vollant) et le fait de faire reconnaître par la Cour l’obligation de la couronne fédérale de les consulter et de les accommoder lorsqu’elle négocie des ententes susceptibles d’avoir un impact négatif sur leurs droits ancestraux allégués et établis uniquement prima facie. Bien que leur déclaration et leurs représentations écrites soient libellées de façon beaucoup plus large, les demandeurs plaident que leur recours est restreint à l’obligation de consulter et d’accommoder de la couronne fédérale et que la Cour fédérale a compétence pour l’entendre.

[16]           Si l’essence du recours des demandeurs visait effectivement l’omission de la Couronne fédérale de les avoir consultés avant de signer l’Entente de principe et son obligation de les consulter avant de signer l’entente finale avec le gouvernement de TNL et les Innus du Labrador, et si les remèdes recherchés par les demandeurs, en conséquence de ces manquements de la part de la couronne fédérale, ne visaient que cette dernière, je partagerais l’opinion des demandeurs.

[17]           Cette Cour a certainement une importante compétence en matière autochtone et particulièrement pour reconnaître le devoir de consulter et d’accommoder de la couronne fédérale, pour déterminer son intensité en fonction de la qualité des droits ancestraux potentiels allégués et pour contraindre la couronne fédérale à respecter ses obligations (voir Première Nation des Dénés de Sambaa K’e c Duncan, 2012 CF 204 et Huron-Wendat Nation of Wendake c Canada, 2014 CF 1154).

[18]           Les demandeurs réfèrent la Cour à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des forêts), [2004] 3 RCS 511 [Haïda], dans laquelle sont discutés en détail la source, l’étendue et le contenu de l’obligation de consulter, ainsi que le moment où elle prend naissance. La juge en chef explique que cette obligation découle de l’honneur de la couronne (fédérale ou provinciale) et qu’il s’agit d’une obligation de nature procédurale qui prend naissance lorsque la couronne a connaissance de droits ancestraux revendiqués, mais non encore définis ou prouvés, et qu’elle entend poser des gestes qui pourraient avoir un impact négatif sur ces droits ancestraux, s’ils étaient éventuellement prouvés.

[19]           Il est admis, à tout le moins par le procureur des Innus de Matimekush-Lac John (le procureur des Innus de Uashat mak Manu-Utenam ne partageant pas son avis), que cette Cour n’aurait pas compétence pour se prononcer sur les droits substantifs des demandeurs et pour confirmer leurs droits ancestraux et issus de traités sur le territoire du Labrador. Puisqu’une telle confirmation aurait un impact évident sur les droits de propriété de TNL sur le territoire et viserait plusieurs activités de compétence provinciale, seule la Cour suprême de TNL aurait compétence sur l’ensemble des questions soulevées par un tel recours. Il est bien connu que l’article 17 de la LCF ne vise que la couronne fédérale, à l’exclusion des couronnes provinciales, et que cette Cour n’a pas compétence pour rendre des ordonnances, de quelque nature qu’elles soient, contre le gouvernement d’une province.

[20]           Or, une lecture attentive de la déclaration des demandeurs et de l’ensemble des remèdes qu’ils recherchent devant cette Cour laisse plutôt transparaître un litige entre les demandeurs, d’une part, et les Innus du Labrador et TNL, d’autre part. Le procureur des demandeurs a reconnu devant la Cour que de l’opinion des demandeurs, l’Entente de principe octroie beaucoup trop de droits aux Innus du Labrador sur le territoire du Labrador. La presque totalité des conclusions recherchées par les demandeurs (à l’exception peut-être des conclusions numéro 3, 5 et 7 reproduites au paragraphe 11 des présents motifs) auraient, si elles étaient prononcées par cette Cour, un impact sur les droits des Innus du Labrador et sur ceux de TNL, lesquels ne sont pas des défendeurs à l’action telle qu’intentée par les demandeurs.

[21]           Par exemple, au paragraphe 4 de leurs conclusions, les demandeurs demandent « qu’il soit déclaré que cette Entente de principe […] est illégale, inconstitutionnelle et inopérante en ce qui concerne les demandeurs et le territoire traditionnel innu des demandeurs situé au Labrador ». Une telle conclusion a, de toute évidence, un impact significatif sur tous les signataires de l’Entente de principe.

[22]           Autre exemple, au paragraphe 6 de leurs conclusions, les demandeurs demandent « qu’il soit déclaré que toute entente finale ou accord définitif de règlement des revendications territoriales visé par l’Entente de principe […] qui serait conclu, sans le consentement des demandeurs, entre les « Innus du Labrador », le Canada et TNL […] violera les droits ancestraux et les droits issus de traités des demandeurs […] ». Pour conclure de la sorte, cette Cour devrait confirmer, de façon définitive, les droits ancestraux et issus de traités des demandeurs. Dans Haïda, la juge en chef précise bien que :

[48] Ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive. Le « consentement » dont il est question dans Delgamuukw n’est nécessaire que lorsque les droits invoqués ont été établis, et même là pas dans tous les cas […]

[23]           Or, comme les droits ancestraux en cause ont un lien étroit avec le territoire de la province de TNL, cette dernière a un intérêt certain dans tout recours qui viserait à établir et à prouver, de façon définitive, les droits ancestraux et issus de traités des demandeurs.

[24]           Sur la première question soulevée par les requêtes de la défenderesse et de l’intervenant, je conclus que cette Cour a compétence pour reconnaître le devoir de consulter et d’accommoder de la couronne fédérale, pour déterminer son intensité en fonction de la qualité des droits ancestraux potentiels allégués et pour contraindre la couronne fédérale à respecter ses obligations. Toutefois, ces revendications ne sont qu’incidentes au recours des demandeurs et cette Cour n’a pas compétence sur l’essence même de leur recours.

[25]           Somme toute, s’il fallait radier de la déclaration des demandeurs chacune des allégations qui excèdent les éléments factuels requis pour démontrer que la couronne fédérale a l’obligation de consulter les demandeurs dans ses négociations portant sur le territoire du Labrador, mais surtout s’il fallait radier chacune des conclusions ou des remèdes recherchés qui ne découlent pas d’un manquement à cette obligation de consulter, l’action des demandeurs serait dénaturée et il en résulterait un déboulement de procédures. Il serait contraire à l’intérêt de la justice et des parties et à une bonne utilisation des ressources judiciaires que de permettre la continuation d’un recours « épuré » des demandeurs devant cette Cour et de forcer les parties à débattre d’une importante partie des questions soulevées par leur recours original devant la Cour suprême de TNL.

-                      Est-il dans l’intérêt de la justice de suspendre l’action des demandeurs pour que les questions soulevées par les demandeurs soient débattues devant la Cour suprême de TNL?

[26]           Comme l’indique bien le juge Décary dans Vollant, au paragraphe 7, « [l]a radiation de la totalité d’une déclaration est quand même un remède extrême dans un cas où la compétence concurrente de la Cour sur certains aspects du litige est établie ». En l’espèce, compte tenu de ma conclusion à l’effet que cette Cour a compétence sur une partie, bien qu’incidente, du recours des demandeurs, j’exercerai la discrétion qui m’est accordée par le paragraphe 50(1) de la LCF et comme l’a fait la Cour d’appel fédérale dans Vollant, je suspendrai le recours des demandeurs devant cette Cour afin de laisser le débat se plaider devant la Cour suprême de TNL, entre les parties que le débat concerne.

V.                Conclusion

[27]           En conséquence de ce qui précède, les requêtes de la défenderesse et de l’intervenant seront accordées et le dossier sera suspendu en application de l’alinéa 50(1)b) de la LCF. Compte tenu des circonstances particulières de cette affaire et de la compétence partielle de cette Cour sur l’objet du litige, en ce qui concerne la défenderesse, les dépens ne seront accordés qu’en faveur de l’intervenant.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  Les requêtes de la défenderesse et de l’intervenant sont accordées;

2.                  L’action des demandeurs est suspendue en application de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales;

3.                  Les frais sont accordés à l’intervenant, Le Procureur Général de Terre-Neuve-et-Labrador, seulement.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-503-13

INTITULÉ :

LES INNUS DE UASHAT MAK MANU-UTENAM ET AL c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 8 ET 9 avril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Me James O'Reilly

Me Patrycja Ochman

Me Mark Phillips

Me Marie-Christine Gagnon

Me Jean-Paul Lacasse

Me François Lévesque

pour leS demandeurS

 

Me Éric Gingras

POUR LA DÉFENDERESSE

Me Maxime Faille

pour l’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean-François Bertrand, Avocats

Québec (Québec)

pour leS demandeurS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

pour l’INTERVENANT

 

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