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Date : 20150529


Dossier : T‑1553‑13

Référence : 2015 CF 685

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2015

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

CHARBEL EL‑HELOU

demandeur

et

SERVICE ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES, LAURENT FRANCOEUR, FRANCINE CÔTÉ, ÉRIC CLOUTIER, DAVID POWER ET ÉRIC DELAGE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur, M. Charbel El‑Helou, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le commissaire à l’intégrité du secteur public [le commissaire] a rejeté, le 23 août 2013, la plainte en matière de représailles qu’il avait présentée au Commissariat à l’intégrité du secteur public [ISPC], le 3 juillet 2009, à l’encontre du Service administratif des tribunaux judiciaires [SATJ] et de quatre de ses employés [collectivement, les défendeurs]. Un cinquième employé a été ajouté à titre de défendeur au cours de l’enquête.

[2]               M. El‑Helou a allégué avoir été victime de représailles après qu’il eut signalé ce qu’il estimait être des actes répréhensibles commis par certains employés du SATJ.

[3]               Il importe de signaler que la décision visée par le présent contrôle judiciaire est la deuxième qu’a rendue le commissaire relativement à la plainte de M. El‑Helou. Dans sa première décision, datée du 18 avril 2011 [la décision du 18 avril 2011], le commissaire a rejeté deux des allégations de représailles et a renvoyé une troisième allégation [la troisième allégation] au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs [le Tribunal]. M. El‑Helou a demandé le contrôle judiciaire de la décision du 18 avril 2011 rejetant deux des allégations, demande qu’a accueillie madame la juge Anne Mactavish le 21 septembre 2012 (El‑Helou c Canada (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2012 CF 1111 [El‑Helou c SATJ 2012]).

[4]               Ayant constaté des lacunes dans le processus d’enquête, la juge Mactavish a annulé la décision du 18 avril 2011, et elle a ordonné la tenue d’une nouvelle enquête conformément à ses motifs.

[5]               La nouvelle enquête a débouché, comme nous le verrons plus loin, sur une deuxième décision du commissaire, en date du 23 août 2013 [la décision du 23 août 2013]. Le commissaire a confirmé le rejet des allégations, mais il a également traité de la troisième allégation, qui avait pourtant été renvoyée au Tribunal. Le Commissaire conclu à l’absence de motifs raisonnables permettant de croire que cette troisième allégation pouvait être considérée comme un cas de représailles, mais il a précisé qu’il n’avait plus compétence pour rejeter cette allégation au titre de l’article 20.5 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, c 46 [la Loi], étant donné qu’il était dessaisi de cette question. Il a ensuite fait part de ses nouvelles conclusions au Tribunal.

[6]               M. El‑Helou sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du 23 août 2013 rendue par le commissaire. Il soutient que ce dernier n’aurait jamais dû reconsidérer la troisième allégation et que la nouvelle enquête comportait des lacunes, ce qui a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Il soutient en outre que le commissaire a commis une erreur d’interprétation en ce qui concerne la norme des « motifs raisonnables de croire » énoncée au paragraphe 20.4(3) de la Loi, de sorte qu’il a négligé de considérer ce que dissimulaient les explications fournies par les défendeurs et, partant, de chercher à distinguer l’[traduction] « odeur subtile » des représailles.

II.                Le contexte

A.                Généralités

[7]                D’août 2006 jusqu’à février 2010, M. El‑Helou a travaillé pour les Services de technologie de l’information du SATJ. En 2009, lorsque les divulgations d’actes répréhensibles et les représailles en cause en l’espèce ont eu lieu, M. El‑Helou occupait le poste de directeur, Services à la clientèle et Infrastructure.

[8]               Le rôle du SATJ est de fournir des services administratifs à la Cour d’appel fédérale, à la Cour fédérale, à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et à la Cour canadienne de l’impôt. Il fait partie du « secteur public », défini au paragraphe 2(1) de la Loi, de sorte que ses employés sont des « fonctionnaires » au sens de la Loi.

[9]               Pendant toute la période pertinente, les individus défendeurs étaient des employés du SATJ. M. Laurent Francoeur occupait le poste de directeur général et Mme Francine Côté, celui d’administratrice en chef adjointe des Services ministériels. M. Éric Cloutier était directeur de la Gestion de l’information, M. David Power, avocat principal, et M. Éric Delage, directeur général de la Division des services administratifs, de la gestion des installations et de la sécurité.

[10]           M. El‑Helou relevait de M. Francoeur, sauf du 25 mai au 15 juin 2009, période pendant laquelle il a relevé de M. Cloutier en l’absence de M. Francoeur. MM. Francoeur et Cloutier relevaient quant à eux de M. Power.

[11]           De septembre 2008 à septembre 2009, M. Power était également l’agent supérieur du SATJ, et à ce titre il avait la responsabilité de traiter les divulgations d’actes répréhensibles faites par les employés du SATJ. De plus, du 23 février au 29 mai 2009, il a occupé par intérim le poste d’administrateur en chef adjoint des Services ministériels, et Mme Francine Côté a pris la relève le 1er juin 2009.

[12]           Vers la fin de janvier 2009, M. Francoeur a demandé à M. El‑Helou [traduction« de réunir les copies des courriels échangés entre » un membre de la magistrature et un certain individu au cours d’une période précise. Cette demande a été faite par suite d’une enquête policière au sujet de courriels de menaces envoyés au magistrat.

[13]           M. El‑Helou a passé en revue les courriels reçus au cours de la période précisée et a remis à M. Francoeur ceux d’entre eux qu’il estimait pertinents. M. Francoeur lui a mentionné ultérieurement que la recherche devait porter sur l’ensemble des courriels reçus et envoyés par le magistrat au cours de la période en cause.

[14]           Bien qu’il se soit inquiété d’une possible violation des droits du magistrat en matière de protection de la vie privée, M. El‑Helou s’est acquitté de la tâche qu’on lui avait confiée. Toutefois, vers le 9 mars 2009, il a soumis une demande d’assistance technique au nom du magistrat, ce qui a généré une notification par courriel informant le magistrat de la portée de la demande d’information; le magistrat a immédiatement réagi négativement. Le 23 mars 2009, M. El‑Helou a été invité à rencontrer le magistrat et le juge en chef adjoint pour discuter du problème. Ces derniers lui ont alors donné instruction de ne pas mentionner cette rencontre.

[15]           Pour leur part, les supérieurs de M. El‑Helou ont considéré que la divulgation de renseignements au magistrat constituait possiblement un manquement à la sécurité.

B.                 Les divulgations protégées d’actes répréhensibles

[16]           M. El‑Helou a fait deux divulgations protégées d’actes répréhensibles à M. Power.

[17]           Il a fait la première divulgation le 24 mars 2009. Ce jour‑là, M. Power a rencontré M. El‑Helou afin de discuter de l’information qu’il avait divulguée au magistrat, mais M. El‑Helou a refusé d’aborder le sujet conformément aux instructions du juge en chef adjoint. À l’occasion de cette même rencontre, M. El‑Helou a par ailleurs informé M. Power de sa crainte qu’il y ait eu collusion entre certaines sociétés partie à une proposition de marché destinée au SATJ et usage abusif de fonds publics. M. Power a informé M. El‑Helou qu’il ne pouvait pas discuter de ce point, puisqu’il avait déjà fourni un avis juridique au sujet de ce contrat à titre d’avocat principal, mais il lui a donné le nom d’un collègue à qui il pouvait s’adresser. M. Power prétend avoir dit à M. El‑Helou qu’il pouvait divulguer les actes répréhensibles au commissaire, ce que nie M. El‑Helou. La première divulgation d’acte répréhensible se rapporte par conséquent à une allégation d’usage abusif de fonds publics dans le cadre de l’attribution d’un marché.

[18]           La deuxième divulgation a eu lieu le 25 mars 2009. M. El‑Helou a alors de nouveau rencontré M. Power pour l’informer du caractère inacceptable de la demande qui lui avait été faite, à la fin janvier, de réunir des copies de certains des courriels d’un membre de la magistrature et de la violation du droit de ce dernier à la protection de sa vie privée. La deuxième divulgation d’acte répréhensible se rapporte par conséquent à la lecture et à la copie des courriels tirés du compte du magistrat.

[19]           Le 29 avril 2009, M. Francoeur a remis à M. El‑Helou l’évaluation annuelle écrite de son rendement, jugé positif.

[20]           Le 12 mai 2009, M. El‑Helou a appris de Mme Aline Duval, agente de sécurité ministérielle, que sa cote de sécurité serait relevée au niveau « Très secret » pour les besoins de son poste, dès que le formulaire nécessaire serait signé. Toutefois, Mme Duval a par la suite mis le dossier d’habilitation de sécurité de M. El‑Helou en attente conformément aux instructions reçues de M. Delage, qui les tenait lui‑même de M. Guénette. En fait, une enquête plus approfondie au sujet d’une possible infraction à la sécurité liée à la divulgation non autorisée de renseignements au magistrat devait d’abord être effectuée.

[21]           M. El‑Helou allègue qu’entre le 25 mai et le 15 juin 2009, alors qu’il remplaçait M. Francoeur au poste de directeur général des Services de technologie de l’information, et conformément aux instructions reçues de celui‑ci, M. Cloutier a cherché à obtenir des commentaires négatifs à son sujet auprès des employés du SATJ. M. Cloutier affirme au contraire que pendant cette période, sept des employés du SATJ sont venus le voir, de leur propre chef, pour lui faire part de leurs réserves concernant M. El‑Helou.

[22]       Le 5 juin 2009, Mme Francine Côté a informé M. El‑Helou qu’il était temporairement affecté à d’autres fonctions pendant que Quintet, un cabinet externe, menait une enquête sur les lieux de travail par suite d’allégations concernant sa conduite et son style de gestion. M. Francoeur a lui aussi été relevé de ses fonctions jusqu’à la clôture de l’enquête. Celle‑ci visait à déterminer si M. El‑Helou s’était livré à du harcèlement ainsi qu’à examiner l’état des relations entre M. El‑Helou et M. Francoeur.

C.                 La plainte en matière de représailles

[23]           Le 3 juillet 2009, M. El‑Helou a déposé une plainte en matière de représailles devant l’ISPC, qui a ouvert une enquête au sujet des trois allégations de représailles suivantes :

(1)          M. Laurent Francoeur a demandé à M. Éric Cloutier d’obtenir des renseignements sur le style de gestion de M. El‑Helou et de recueillir des commentaires négatifs à son endroit de la part de ses subordonnés pendant que M. Cloutier remplaçait temporairement M. Francoeur;

(2)          Mme Francine Côté a temporairement affecté M. El‑Helou à d’autres fonctions et lui a retiré ses responsabilités de superviseur;

(3)          M. Éric Delage a suspendu l’attribution à M. El‑Helou de la cote de sécurité « Très secret ».

[24]           Le 8 décembre 2009, une réunion a été convoquée par suite de l’annonce de M. El‑Helou de son intention de quitter l’organisation. M. El‑Helou a alors demandé à M. Power de lui fournir des lettres de recommandation, mais M. Power a répondu qu’il préférait lire d’abord le rapport du cabinet Quintet.

[25]           À la suite de la rencontre du 8 décembre 2009, on a remis à M. El‑Helou une entente rédigée par M. Power, que celui‑ci aurait pu modifier. Le document, que M. El‑Helou n’a jamais signé, visait à lui faire reconnaître qu’il avait commis un manquement à la sécurité en informant le magistrat de la tenue d’une enquête visant son compte de messagerie.

D.                La première enquête et la première décision du commissaire

[26]           Le 14 avril 2011, Mme Gail Gauvreau, la première enquêtrice, a remis son rapport d’enquête concernant les trois allégations de représailles. Dans son rapport, elle a écarté les deux premières allégations, mais elle a jugé que la troisième, qui concernait la suspension de l’attribution de la cote de sécurité « Très secret » de M. El‑Helou, était susceptible de constituer une mesure de représailles. M. Power a été ajouté à la liste des auteurs présumés de représailles à la suite de déclarations supplémentaires recueillies au cours de l’enquête. Le rapport d’enquête définitif a été finalisé le 14 avril 2011. Il y était recommandé de soumettre la troisième allégation à l’examen du Tribunal et de rejeter les deux autres.

[27]           Le 18 avril 2011, le commissaire a rendu sa décision. Il a conclu qu’il avait [traduction« des motifs raisonnables de croire que l’attribution de la cote de sécurité « Très secret » [de M. El‑Helou] avait été retenue en guise de représailles, une mesure qui avait porté atteinte [à son] emploi ou [à ses] conditions de travail ». Le 16 mai 2011, le commissaire a déposé un avis de demande au greffe du Tribunal relativement à cette allégation. M. Delage et M. Power de même que le SATJ ont été constitués parties, car cette allégation mettait en cause leur conduite.

[28]           Le commissaire a rejeté les deux autres allégations.

E.                 Le contrôle judiciaire de la décision

[29]           Le 19 mai 2011, M. El‑Helou a déposé devant la Cour une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 18 avril 2011.

[30]           Le 20 octobre 2011, le Tribunal a suspendu l’instance en attendant l’issue du contrôle judiciaire.

[31]           Le 21 septembre 2012, la juge Mactavish a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. El‑Helou (El‑Helou c SATJ 2012). Elle a jugé que la procédure suivie par l’ISPC n’avait pas été équitable et elle n’a pas examiné les autres arguments de M. El‑Helou. Selon elle, la procédure suivie était viciée pour les raisons suivantes :

(1)               Les parties n’ont jamais été informées de la substance de la preuve qui avait été recueillie par l’enquêtrice, et on ne leur a pas offert la possibilité de répondre aux conclusions de l’enquêtrice;

(2)               L’enquêtrice a agi de façon injuste en faisant une promesse claire, non ambiguë et absolue quant à la procédure qu’elle entendait suivre dans l’enquête puis en n’y donnant pas suite dans les cas suivants :

a)                  Elle n’a pas remis aux parties le résumé de ses conclusions et ne leur a pas offert la possibilité d’y répondre;

b)                 Elle avait connaissance de l’allégation de M. El‑Helou selon laquelle il risquait de faire l’objet d’une autre enquête relative à un manquement possible à la sécurité de la part de son employeur, et elle a reconnu que cela pouvait constituer une mesure de représailles, mais elle n’a pas fait mention de cette question dans son rapport, de sorte que l’allégation n’a jamais été prise en compte par le commissaire;

c)                   Elle n’a pas interrogé M. Guénette;

(3)               L’enquêtrice a omis d’interroger l’un et l’autre des deux employés du SATJ susceptibles selon M. El‑Helou d’apporter un éclairage sur une question cruciale en ce qui concerne l’une des allégations de représailles.

[32]           La juge Mactavish a annulé la décision du 18 avril 2011 et ordonné le renvoi de l’affaire à l’ISPC pour qu’il effectue une nouvelle enquête conformément à ses motifs.

[33]           Il importe de souligner que la juge Mactavish a précisé que M. El‑Helou demandait le contrôle judiciaire de « la décision qui rejette deux de ses allégations de représailles » (El‑Helou c SATJ 2012, au paragraphe 2), et que, dans le cadre de son examen de la procédure suivie relativement à la troisième allégation, elle a en outre fait le commentaire suivant :

Je remarque que le témoignage de l’administrateur en chef précédent du SATJ [M. Guénette] était pertinent quant à la question de la suspension alléguée de la cote de sécurité « Très secret » de M. El‑Helou. Étant donné que cette question a été renvoyée au Tribunal pour instruction, le préjudice causé à M. El‑Helou était limité en l’espèce, mais n’était pas entièrement éliminé, car M. El‑Helou ne dispose ni de notes ni d’une transcription de l’interrogatoire de l’ancien administrateur en chef relativement à sa comparution devant le Tribunal (El‑Helou c SATJ 2012, au paragraphe 90).

[34]           Le 23 novembre 2012, le Tribunal a ordonné le maintien de la suspension de l’instance jusqu’à la clôture de la nouvelle enquête.

F.                  La nouvelle enquête et la deuxième décision du commissaire

[35]           Conformément à la décision de la juge Mactavish, une nouvelle enquête a été menée au sujet de la plainte de M. El‑Helou. La nouvelle enquêtrice, Mme Jenny‑Lee Harrison, a examiné les cinq allégations de représailles suivantes :

(1)               M. Laurent Francoeur a demandé à M. Éric Cloutier de solliciter auprès des employés des renseignements négatifs au sujet de M. El‑Helou;

(2)               Mme Francine Côté a temporairement affecté M. El‑Helou à d’autres fonctions et lui a retiré ses responsabilités de supervision;

(3)               M. Éric Delage et M. David Power ont suspendu l’attribution de la cote de sécurité « Très secret » de M. El‑Helou à partir de mai 2009 jusqu’à son départ, en février 2010;

(4)               On a obligé M. El‑Helou à reconnaître qu’il avait manqué à ses obligations en matière de sécurité et à son devoir de loyauté envers son employeur pour pouvoir obtenir une lettre de recommandation de M. Power;

(5)               On a obligé M. El‑Helou à reconnaître qu’il avait manqué à ses obligations en matière de sécurité et à son devoir de loyauté envers son employeur s’il voulait s’éviter une autre enquête en matière de sécurité.

[36]           Le 16 mai 2013, après avoir examiné l’ensemble de la preuve et effectué toutes les vérifications supplémentaires requises, Mme Harrison a rédigé son rapport d’enquête préliminaire. Les parties ont dès lors eu la possibilité d’examiner ses conclusions, son analyse et ses recommandations à l’intention du commissaire et de formuler des commentaires. M. El‑Helou a fourni ses commentaires le 18 juin 2013. Vers le 8 juillet 2013, Mme Harrison a présenté sa réponse aux commentaires de M. El‑Helou au commissaire, mais elle n’en a pas fourni de copie aux parties. Le 29 juillet 2013, Mme Harrison a terminé la rédaction de son rapport d’enquête, puis l’a remis au commissaire.

[37]           Dans son rapport, Mme Harrison conclut, en substance, à l’absence de lien entre les divulgations et les représailles, étant donné que les auteurs présumés des représailles ne savaient rien de ces divulgations.

[38]           Après avoir reçu le rapport d’enquête, le commissaire a rendu une nouvelle décision dont la teneur est exposée en détail dans la section suivante.

III.             La décision contestée

[39]           Le 23 août 2013, le commissaire a rendu une nouvelle décision. Ayant conclu que la preuve ne permettait pas de croire, pour des motifs raisonnables, que des mesures de représailles avaient été prises à l’encontre de M. El‑Helou, il a rejeté toutes les allégations qui n’avaient pas déjà été renvoyées au Tribunal en application de l’article 20.5 de la Loi.

[40]           Le commissaire a jugé que les renseignements que M. El‑Helou avait communiqués à M. Power les 24 et 25 mars 2009 constituaient des divulgations protégées, mais qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence de motifs raisonnables de croire que M. El‑Helou avait fait l’objet de mesures de représailles du fait de ces divulgations. Au contraire, d’après le commissaire, [traduction« les mesures prises par l’employeur et les défendeurs l’ont été en réaction à des événements qui étaient sans rapport avec les divulgations protégées, à savoir, les plaintes formulées par certains des employés de [M. El‑Helou] et son manquement allégué à la sécurité ».

[41]           En ce qui concerne la troisième allégation, dont avait déjà été saisi le Tribunal, le commissaire a conclu, sur le fondement de l’analyse figurant dans le rapport d’enquête, qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que la suspension de l’attribution de la cote de sécurité « Très secret » constituait une mesure de représailles.

[42]           Puisque M. El‑Helou s’était déjà adressé au Tribunal par voie de demande, le commissaire doutait de son pouvoir de rejeter à ce stade cette troisième allégation suivant l’article 20.5 de la Loi. Il a conclu qu’il était functus officio à cet égard, et qu’il était de son devoir d’adopter la position qui servait l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte, et donc d’informer le Tribunal des faits et circonstances qui étaient nouveaux, ce qu’il a fait.

IV.             Les questions en litige

[43]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

(1)               Le commissaire a‑t‑il commis une erreur de droit en réexaminant sa décision de renvoyer la troisième allégation au Tribunal pour décision?

(2)               Le commissaire est‑il arrivé à sa décision au mépris des règles d’équité procédurale?

(3)               Le commissaire a‑t‑il commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant incorrectement la Loi applicable en matière de représailles ou les principes juridiques pertinents?

V.                La norme de contrôle

[44]           M. El‑Helou soutient que la première question appelle l’application de la norme de la décision correcte puisqu’il s’agit d’une question de droit générale revêtant une importance capitale pour le système juridique. Les défendeurs avancent quant à eux que la première question doit être examinée à l’aune de la norme de la décision raisonnable. Ils invoquent à l’appui de leur thèse les décisions Berberi c Canada (Procureur général), 2013 CF 921, et Conseil de bande de la Première nation Elsipogtog c Peters, 2012 CF 398.

[45]           Conformément à ce qu’a décidé récemment la Cour d’appel fédérale, je conclus que la norme de la décision correcte est celle qui s’applique (Canadian Association of Film Distributors and Exporters c Society for Reproduction Rights of Authors, Composers and Publishers in Canada (SODRAC) Inc, 2014 CAF 235 au paragraphe 58) puisqu’il y a lieu d’interpréter le principe du functus officio.

[46]           Je conviens avec les parties que la deuxième question est assujettie à un examen selon la norme de la décision correcte puisqu’elle porte sur des considérations d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au paragraphe 43). Cela dit, les défendeurs signalent qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard des choix effectués par le commissaire sur le plan de la procédure, d’autant plus que la Loi lui confère le pouvoir d’établir sa propre procédure.

[47]           Enfin, je souscris à l’avis des parties selon lequel la troisième question doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable. En effet, comme elle se rapporte à des questions mixtes de fait et de droit, elle incite à la retenue (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47).

VI.             Les observations des parties

[48]           M. El‑Helou soutient que la décision du 18 avril 2011, par laquelle le commissaire a déposé une demande devant le Tribunal concernant la troisième allégation, avait un caractère définitif et que le commissaire n’avait pas le pouvoir de revenir sur cette décision (Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848 au paragraphe 20). M. El‑Helou invoque une décision de notre Cour à l’appui de son argument selon lequel le commissaire était functus officio en ce qui concerne l’examen préalable de la plainte après avoir renvoyé sa troisième allégation au Tribunal (Société du Musée canadien des civilisations c Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396), 2006 CF 703 au paragraphe 60 [Musée canadien]).

[49]           M. El‑Helou soutient que la décision de la juge Mactavish se rapportait à la décision du commissaire de rejeter deux des allégations, à savoir celles dont il n’avait pas saisi le Tribunal, et que cette décision de la juge ne concernait pas la troisième allégation, celle portant sur la suspension de l’attribution de la cote de sécurité « Très secret », qui avait déjà été renvoyée au Tribunal.

[50]           M. El‑Helou soutient aussi qu’il y a eu plusieurs manquements aux principes d’équité procédurale en l’espèce. Même s’il a eu la possibilité de présenter des observations concernant le rapport préliminaire, il prétend n’avoir pas eu d’occasion réelle de faire connaître ses commentaires avant que le commissaire ne rende sa décision définitive, puisque l’issue du dossier avait déjà été décidée dans le rapport préliminaire. Il fait également valoir qu’on aurait dû lui donner la possibilité de formuler des commentaires au sujet du rapport définitif.

[51]           Par ailleurs, M. El‑Helou souligne que l’enquêtrice avait rédigé une réponse aux commentaires qu’il avait formulés au sujet du rapport préliminaire, réponse qu’elle a remise au commissaire avec son rapport définitif, mais qu’elle n’a pas communiquée aux parties. M. El‑Helou soutient que le contenu de cette réponse a influencé la décision définitive du commissaire et que le fait qu’il n’ait pas lui‑même pu en prendre connaissance l’avait privé de la possibilité d’y répondre à son tour, ce qui constituait une violation de son droit à l’équité.

[52]           Dans ses observations complémentaires, M. El‑Helou soutient que ses arguments ne sont pas affaiblis par les deux arrêts récents de la Cour d’appel fédérale, Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 30 [Agnaou no 1], et Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 29 [Agnaou no 2]. Selon lui, les faits examinés dans l’arrêt Agnaou no 1 se distinguent de ceux de l’espèce en ce que dans cette affaire la plainte n’avait pas atteint le même stade de la procédure et qu’elle était d’une nature différente, de sorte que cette décision doit être examinée avec circonspection. Il soutient aussi que dans l’arrêt Agnaou no 2, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il existait des similitudes entre les affaires relevant de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6, et celles faisant entrer en jeu la Loi. Il insiste sur le fait qu’en l’espèce l’enquêtrice (qu’il appelle « analyste » dans ses observations complémentaires) a tiré des conclusions de fait et de droit qui ont influencé le commissaire, ce qui a donné à ce dernier l’occasion de faire des commentaires, un problème qui n’est pas abordé dans les arrêts Agnaou.

[53]           M. El‑Helou fait aussi valoir qu’on aurait dû lui remettre les transcriptions de l’interrogatoire des témoins, ou encore des notes ou résumés suffisamment détaillés, pour lui permettre de faire connaître son point de vue concernant ces témoignages.

[54]           Sur la procédure d’enquête même, M. El‑Helou affirme qu’elle était dépourvue de rigueur et de neutralité. En fait, M. El‑Helou soutient que l’enquêtrice n’a pas considéré attentivement les éléments de preuve, qui, pris ensemble, auraient pu permettre d’inférer, au vu des circonstances, qu’il y avait eu représailles. Selon M. El‑Helou, l’enquêtrice a fait preuve de partialité, et elle n’a fait aucun effort véritable pour apprécier la crédibilité des défendeurs, alors qu’elle a examiné sa crédibilité avec le plus grand soin. Enfin, M. El‑Helou soutient que les fausses informations communiquées par l’enquêtrice précédente au sujet de la conduite et de la crédibilité de M. El‑Helou ont eu une incidence sur l’enquête menée par Mme Harrison.

[55]           M. El‑Helou soutient que le commissaire a appliqué le mauvais critère juridique en se fondant uniquement sur les éléments de preuve directe de représailles, alors qu’il aurait dû se demander s’il y avait des « motifs raisonnables » de croire que des mesures de représailles avaient été prises à son endroit. Selon M. El‑Helou, le commissaire doit examiner la preuve de façon à déterminer s’il y a [traduction« un certain fondement » à l’allégation de représailles, ou une preuve permettant de distinguer l’[traduction« odeur subtile » de représailles, et il se doit d’examiner les explications avec minutie afin de s’assurer qu’il ne s’agit pas de prétextes, chose qu’il n’a pas faite en l’espèce.

[56]           Les défendeurs soutiennent que, par sa décision du 21 septembre 2012, la juge Mactavish a annulé en entier la décision du 18 avril 2011 du commissaire, y compris sa décision de renvoyer au Tribunal l’allégation relative à la suspension de l’attribution de la cote de sécurité, et que le Tribunal n’a donc plus compétence pour se prononcer sur cette allégation. À titre subsidiaire, les défendeurs font valoir que si la Cour devait conclure que la juge Mactavish n’avait pas explicitement annulé le renvoi, le commissaire avait le pouvoir de revenir sur ce point et sur sa décision.

[57]           Sur la question de l’équité procédurale, les défendeurs soutiennent que l’enquêtrice s’est acquittée de ses obligations d’équité procédurale au‑delà même de celles qu’elle avait envers M. El‑Helou. Étant donné que la réponse de cette dernière aux commentaires de M. El‑Helou ne venait rien ajouter au dossier factuel, puisqu’il s’agissait plutôt d’« arguments », le fait qu’elle n’ait pas été communiquée à M. El‑Helou ne l’a pas privé de son droit d’être informé des éléments de preuve essentiels au dossier. À l’argument selon lequel il aurait fallu donner à M. El‑Helou la possibilité de commenter le rapport définitif, les défendeurs répondent que cette façon de faire irait à l’encontre de l’objectif énoncé au paragraphe 19.7(2) de la Loi, qui veut que, dans la mesure du possible, les enquêtes soient menées sans formalisme et avec célérité.

[58]           Les défendeurs soutiennent en outre que M. El‑Helou avait déjà une bonne connaissance des éléments de preuve essentiels au dossier puisqu’il avait reçu le rapport de l’enquêtrice et qu’il avait été invité à le commenter (El‑Helou c SATJ 2012 aux paragraphes 75 et 76). Les défendeurs prétendent que l’impartialité de Mme Harrison n’a pas été compromise par sa conversation avec Mme Gauvreau. Les défendeurs soulignent que Mme Harrison ne s’est pas fiée à une preuve par ouï‑dire venant de l’enquêtrice précédente, qui avait conclu que M. El‑Helou n’était pas crédible; la preuve démontrait, au contraire, que Mme Harrison s’était entretenue directement avec l’enquêtrice concernée qui avait rejeté les allégations en question.

[59]           Dans leurs observations complémentaires au sujet des arrêts Agnaou, les défendeurs soutiennent, pour l’essentiel, que ces décisions confirment leur thèse selon laquelle M. El‑Helou n’avait aucun droit « supplémentaire » de commenter la réponse interne que l’enquêtrice a fournie au commissaire. Selon eux, ces arrêts viennent étayer leur thèse, à savoir qu’aucune promesse n’a été faite à M. El‑Helou à ce sujet – ce qui écarte toute possibilité qu’il ait eu une attente légitime –, que les actions de l’enquêtrice s’inscrivaient dans le cadre de ses responsabilités légitimes et, enfin, que le commissaire peut, à certaines conditions, recevoir de l’aide du personnel du Commissariat.

[60]           Les défendeurs rappellent que la norme de preuve que le commissaire doit appliquer pour décider s’il doit renvoyer une plainte au Tribunal est énoncée au paragraphe 20.4(3) de la Loi : il s’agit de l’existence de « motifs raisonnables de croire ». Par voie de conséquence, le rôle de gardien du commissaire suppose que la norme de preuve ne peut être interprétée comme n’exigeant, pour qu’une plainte soit renvoyée au Tribunal, qu’un « certain fondement » ou la présence d’une « odeur subtile ». En outre, les défendeurs soutiennent que l’argument voulant qu’il s’agisse de prétextes et qu’une autre explication soit possible ne peut entrer en jeu que lorsque l’existence d’un lien est établie entre une divulgation protégée et les représailles alléguées, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Enfin ils soulignent que M. El‑Helou n’a produit aucun élément de preuve tendant à démontrer que les présumés auteurs des représailles étaient au courant des divulgations.

VII.          Analyse

[61]           Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie.

A.                Le réexamen de la troisième allégation par le commissaire

[62]           Lorsque la juge Mactavish a ordonné l’annulation de la décision du commissaire datée du 18 avril 2011 et décidé de renvoyer l’affaire à l’ISPC, elle a précisé que la nouvelle enquête devait être effectuée conformément à ce qui était prévu dans ses motifs. Au paragraphe 2 de sa décision, la juge Mactavish note explicitement que « M. El‑Helou demande le contrôle judiciaire de la décision qui rejette deux de ses allégations de représailles ». Il s’ensuit que le contrôle judiciaire portait uniquement sur la décision du commissaire de rejeter deux des allégations de représailles, et qu’il ne visait aucunement la décision rendue par le commissaire relativement à la troisième allégation. Par conséquent, l’ordonnance de la juge Mactavish annulant la « décision » ne concernait que la « décision de rejeter les deux allégations » et non celle de renvoyer la troisième allégation au Tribunal.

[63]           Il s’ensuit que le commissaire était en effet functus officio à cet égard, et qu’en l’absence d’une ordonnance de la Cour, il n’avait pas le pouvoir de revenir sur cet aspect de la décision [Musée canadien, au paragraphe 60]. Comme la juge Mactavish n’a pas autorisé le réexamen de la décision de renvoyer la troisième allégation au Tribunal, le commissaire était lié par la décision du 18 avril 2011 (voir Shuchuk c Alberta (Worker’s Compensation Board), 2012 ABCA 50 au paragraphe 32 [Shuchuk]).

[64]           Je ne retiens pas l’argument des défendeurs voulant que même si la Cour conclut que la juge Mactavish n’a pas annulé le renvoi du 18 avril 2011, le commissaire avait le pouvoir de réexaminer la question du renvoi et de modifier sa décision d’y procéder. La Loi ne dit nulle part que le Commissariat conserve ses pouvoirs d’examen préalable une fois qu’il a décidé de rejeter une plainte ou de la renvoyer au Tribunal (voir Musée canadien, au paragraphe 64). Comme l’a déclaré la Cour d’appel de l’Alberta au paragraphe 38 de l’arrêt Shuchuk, [traduction« [l]e demandeur ne doit pas être amené à penser que l’obtention d’un contrôle judiciaire compromettra nécessairement les conclusions antérieures qu’il a déjà obtenues et qui n’ont pas été contestées au moment opportun ». Étant donné que lors d’un réexamen, le tribunal administratif a l’obligation de suivre les directives de la cour de révision conformément au principe du stare decisis (Canada (Commissaire de la concurrence) c Supérieur Propane Inc, 2003 CAF 53 au paragraphe 54; Donald J.M. Brown et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Toronto, Ont. : Carswell, 2013, 2014) (feuilles mobiles, no 3), pages 12‑108 et 12‑109), et que le commissaire a omis de le faire, la Cour doit intervenir en ce qui concerne cette partie de sa décision.

B.                 Le manquement allégué à l’équité procédurale

[65]           Les enquêtes que mène le Commissariat doivent être empreintes de neutralité et de rigueur (voir Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 au paragraphe 49, conf. par (1996) 205 NR 383 (CAF); El‑Helou c SATJ 2012 au paragraphe 91). Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux paragraphes 23 à 27 [Baker], la Cour suprême a énuméré les facteurs qui entrent en ligne de compte dans la détermination de l’étendue de l’obligation d’agir avec équité. La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme sont au nombre de ces facteurs.

[66]           La Loi prévoit, à l’alinéa 22d), que le commissaire doit veiller à la protection du droit de toutes les personnes mises en cause par une enquête au respect des principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Par ailleurs, le paragraphe 19.7(2) précise que les enquêtes doivent être menées, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité. En outre, suivant l’alinéa 22f), le commissaire doit établir sa propre procédure de traitement des divulgations puisque la Loi ne prévoit aucune exigence procédurale particulière. Au paragraphe 27 de l’arrêt Baker, la Cour suprême a reconnu que l’organisme en cause était maître de sa procédure, et elle a jugé que les choix de procédure qu’il faisait lui‑même devaient donc être respectés, puisque « la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures ».

[67]           Dans sa décision, la juge Mactavish a relevé des problèmes en matière d’équité procédurale, en particulier l’omission de la première enquêtrice d’honorer plusieurs de ses promesses. Le commissaire a traité de ces questions. En fait, M. El‑Helou a reçu un exemplaire du rapport préliminaire et il a eu la possibilité de le commenter. En outre, Mme Harrison a évalué l’ensemble des allégations présentées par M. El‑Helou et elle a interrogé M. Guénette.

[68]           M. El‑Helou prétend que le fait qu’il n’ait pas eu la possibilité de commenter la réponse de Mme Harrison aux commentaires qu’il avait lui‑même formulés au sujet du rapport d’enquête préliminaire constituait un manquement à l’équité procédurale puisque ce rapport avait influencé la décision du commissaire et que cela lui avait nui ainsi qu’à son avocat. Or, j’ai la conviction que la réponse de Mme Harrison n’a rien ajouté aux faits déjà au dossier et qu’elle ne portait que sur les commentaires de M. El‑Helou. La Cour suprême a déterminé qu’aucun élément de preuve ne peut être présenté aux membres d’une commission en l’absence des parties, et qu’il y a violation de la règle audi alteram partem uniquement dans les cas où l’« on propose une nouvelle politique ou un nouvel argument à une réunion plénière [de l’organisme] et qu’une décision fondée sur cette politique ou cet argument est rendue sans qu’on accorde aux parties la possibilité de répliquer » (Syndicat international des travailleurs du bois d’Amérique, section locale 2‑69 c Consolidated‑Bathurst Packaging Ltd, [1990] 1 RCS 282 aux paragraphes 87, 91 et 94 [SITBA]).

[69]           En l’espèce, la réponse que Mme Harrison a remise au commissaire ne contenait aucun argument ou fait nouveau. Par ailleurs, « le critère de l’indépendance est non pas l’absence d’influence, mais plutôt la liberté de décider selon ses propres consciences et opinions » (SITBA, au paragraphe 84). Le commissaire n’était pas lié par la réponse de Mme Harrison. Il n’y a donc eu, dans cette affaire, aucun manquement à l’équité procédurale, et ni M. El‑Helou ni son avocat n’ont subi de préjudice. Cette conclusion est, comme l’ont fait valoir les défendeurs, étayée par les arrêts Agnaou.

[70]           Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le fait de donner à M. El‑Helou la possibilité de formuler des observations au sujet du rapport préliminaire a suffi à le mettre au courant de la teneur du dossier (Radulesco c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1984] 2 RCS 407; El‑Helou c SATJ 2012 au paragraphe 73).

[71]           M. El‑Helou soutient qu’il avait droit à un résumé complet de la preuve recueillie dans le cadre de l’enquête. Or, il s’agit là d’une norme plus élevée que ce qui est exigé dans la jurisprudence. En fait, la Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 43 de l’arrêt Paul c Société Radio‑Canada, 2001 CAF 93, que les parties sont informées de la substance de la preuve réunie par l’enquêteur dans le cas où le rapport d’enquête leur est communiqué et que la possibilité de formuler des observations en réponse au rapport leur est offerte. C’est exactement ce à quoi M. El‑Helou a eu droit. Je ne souscris pas à son argument selon lequel il aurait été privé d’une possibilité réelle de présenter des observations avant le dépôt du rapport définitif, étant donné que le rapport préliminaire avait toutes les qualités d’un rapport définitif.

[72]           Concernant la neutralité et le caractère exhaustif de la décision du commissaire, je suis d’accord avec les défendeurs : le commissaire n’a commis aucune erreur. Comme l’ont souligné les deux parties, Mme Harrison a parlé directement à l’une des enquêtrices précédentes, Mme Scichilone, laquelle a confirmé que M. El‑Helou n’avait pas modifié sa version des faits. Mme Harrison ne s’est pas donc appuyée sur du ouï‑dire, et il n’y a pas eu désinformation.

[73]           Il faut également souligner que, dans sa décision du 23 août 2013, le commissaire précise qu’il a soigneusement examiné les témoignages et les explications des défendeurs [traduction] « afin d’évaluer si leurs explications étaient de simples prétextes offerts en réponse aux allégations de représailles ». Après avoir examiné le rapport d’enquête, j’estime que Mme Harrison a effectué un examen approfondi de la preuve. Je suis par conséquent d’avis que l’enquête a été menée avec rigueur et neutralité, et qu’elle ne révèle aucun manquement à l’équité procédurale.

C.                 L’application de la Loi par le commissaire

[74]           Pour déterminer s’il convient de s’adresser au Tribunal, le commissaire doit se demander s’il y a « des motifs raisonnables de croire que des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant » (paragraphe 20.4(3) de la Loi). M. El‑Helou soutient que le commissaire a fixé la barre plus haute que ce qui est exigé en cherchant à déterminer s’il [traduction« y a[vait] eu représailles ».

[75]           La Cour est d’avis que le commissaire a appliqué le bon critère. En effet, il a déclaré que sa [traduction« tâche ne consiste pas à déterminer s’il est prouvé qu’il y a eu des représailles, mais plutôt à effectuer un examen préalable de la plainte et à faire enquête à son sujet, ainsi qu’à appliquer les facteurs mentionnés au paragraphe 20.4(3) de la Loi, afin de déterminer s’il est justifié que le Tribunal procède à une instruction ». Le commissaire a estimé que les mesures en cause n’étaient pas des mesures de représailles au sens de la Loi.

[76]           Le commissaire a conclu que la preuve n’établissait pas, d’après le critère des motifs raisonnables, que les mesures de représailles dont s’était plaint M. El‑Helou étaient liées aux divulgations protégées qu’il avait faites à M. Power. De l’avis du commissaire, M. Guénette, Mme Côté, M. Francoeur, M. Cloutier et M. Delage ne savaient pas que M. El‑Helou avait fait de telles divulgations à M. Power, de sorte qu’il n’y avait pas de lien entre ces divulgations et les mesures visées par la plainte, et donc, qu’il n’y avait pas eu de représailles.

[77]           Puisqu’aucun élément de preuve n’établissait l’existence d’un tel lien, et que l’enquête a été effectuée dans les règles, le commissaire n’a fait aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant les allégations 1, 2, 4 et 5.

VIII.       Conclusion

[78]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

2.      La décision du commissaire à l’intégrité du secteur public portant sur l’allégation déjà renvoyée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs est annulée;

3.      Le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs doit se prononcer au sujet de l’allégation que le commissaire à l’intégrité du secteur public lui a renvoyée par avis de demande daté du 16 mai 2011;

4.      L’affaire n’est pas renvoyée au commissaire à l’intégrité du secteur public;

5.      La décision du commissaire à l’intégrité du secteur public de rejeter les autres allégations est confirmée;

6.      Chaque partie assume ses frais.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.


Annexe

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005 c 46

Nomination

19.7 (1) Le commissaire peut charger une personne d’enquêter sur une plainte.

Absence de formalisme

(2) L’enquête est menée, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité.

Demande présentée au Tribunal

20.4 (1) Si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis que l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée, il peut lui demander de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant et, le cas échéant :

a) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant;

b) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant et la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de la personne ou des personnes identifiées dans la demande comme étant celles qui ont exercé les représailles.

[…]

Facteurs à considérer

(3) Dans l’exercice du pouvoir visé au paragraphe (1), le commissaire tient compte des facteurs suivants :

a) il y a des motifs raisonnables de croire que des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant;

b) l’enquête relative à la plainte ne peut être terminée faute de collaboration d’un administrateur général ou de fonctionnaires;

c) la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 19.3(1)a) à d);

d) il est dans l’intérêt public de présenter une demande au Tribunal compte tenu des circonstances relatives à la plainte.

[…]

Rejet de la plainte

20.5 Si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l’instruction de celle-ci par le Tribunal n’est pas justifiée, il rejette la plainte.

Attributions

22. Le commissaire exerce aux termes de la présente loi les attributions suivantes :

[…]

d) veiller à ce que les droits, en matière d’équité procédurale et de justice naturelle, des personnes mises en cause par une enquête soient protégés, notamment ceux du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible;

[…]

f) établir des procédures à suivre pour le traitement des divulgations et assurer la confidentialité des renseignements recueillis relativement aux divulgations et aux enquêtes;

[…]

Public Servants Disclosure Protection Act, SC 2005 c 46

Designation of complaint investigator

19.7 (1) The Commissioner may designate a person as an investigator to investigate a complaint.

Informality

(2) Investigations into complaints are to be conducted as informally and expeditiously as possible.

[…]

Application to Tribunal

20.4 (1) If, after receipt of the report, the Commissioner is of the opinion that an application to the Tribunal in relation to the complaint is warranted, the Commissioner may apply to the Tribunal for a determination of whether or not a reprisal was taken against the complainant and, if the Tribunal determines that a reprisal was taken, for

(a) an order respecting a remedy in favour of the complainant; or

(b) an order respecting a remedy in favour of the complainant and an order respecting disciplinary action against any person or persons identified by the Commissioner in the application as being the person or persons who took the reprisal.

[…]

Factors

(3) In considering whether making an application to the Tribunal is warranted, the Commissioner must take into account whether

(a) there are reasonable grounds for believing that a reprisal was taken against the complainant;

(b) the investigation into the complaint could not be completed because of lack of cooperation on the part of one or more chief executives or public servants;

(c) the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 19.3(1)(a) to (d); and

(d) having regard to all the circumstances relating to the complaint, it is in the public interest to make an application to the Tribunal.

[…]

Dismissal of complaint

20.5 If, after receipt of the report, the Commissioner is of the opinion that an application to the Tribunal is not warranted in the circumstances, he or she must dismiss the complaint.

Duties

22. The duties of the Commissioner under this Act are to

[…]

(d) ensure that the right to procedural fairness and natural justice of all persons involved in investigations is respected, including persons making disclosures, witnesses and persons alleged to be responsible for wrongdoings;

[…]

(f) establish procedures for processing disclosures and ensure the confidentiality of information collected in relation to disclosures and investigations;

[…]

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1553‑13

INTITULÉ :

CHARBEL EL‑HELOU c SERVICE ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES, LAURENT FRANCOEUR, FRANCINE CÔTÉ, ÉRIC CLOUTIER, DAVID POWER ET ÉRIC DELAGE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA juge ST‑LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

le 29 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

David Yazbeck

 

pour le demandeur

 

Ronald F. Caza

Alyssa Tomkins

Stephen Bird

 

POUR LE DÉFENDEUR (SATJ)

Représentant le Service administratif des tribunaux judiciaires

Représentant les autres défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Yazbeck

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Ronald F. Caza

Alyssa Tomkins

Avocats

Ottawa (Ontario)

Stephen Bird

Avocat

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR (SATJ)

Représentant le Service administratif des tribunaux judiciaires

Représentant les autres défendeurs

 

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