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Date : 20150525


Dossier : IMM-7502-14

Référence : 2015 CF 673

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2015

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

ENTRE :

ALAM GUL WARDAK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], de la décision par laquelle un agent des visas du haut‑commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan, a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur pour lui‑même, son épouse et leurs sept enfants au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et de la catégorie de personnes de pays d’accueil.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, son épouse et leurs sept enfants sont citoyens de l’Afghanistan. Leur demande d’asile remonte à 30 ans; le demandeur avait à l’époque omis de se présenter pour faire son service militaire en Afghanistan à la fin de ses études universitaires. Il est plutôt rentré chez ses parents dans le village de Wardak, où son père a été arrêté par les moudjahidines pour avoir refusé d’envoyer son fils joindre les moudjahidines en tant que jihadiste, comme l’avait demandé le seigneur de guerre local.

[3]               Après l’arrestation de son père, le demandeur craignait que le seigneur de guerre local ne le fasse arrêter lui aussi et s’est donc enfui à Peshawar, au Pakistan, en 1984. Dix ans plus tard, il a découvert que les moudjahidines avaient tué son père. Il croit ne pas pouvoir rentrer à Wardak, étant donné que, dans la culture pachtoune, le risque d’assassinat des membres de la famille persiste jusqu’à ce que le dernier soit mort. Il ne peut pas non plus retourner ailleurs en Afghanistan, car les jihadistes ont des ramifications partout dans le pays. Le demandeur affirme n’être pas retourné en Afghanistan depuis qu’il s’est enfui en 1984.

[4]               Les documents suivants avaient été présentés à l’agent : une copie de la convention de location du demandeur allant de janvier 2014 à décembre 2014, le certificat d’inscription pakistanais du demandeur, attestant que celui‑ci pouvait demeurer au Pakistan jusqu’au 31 décembre 2015, les certificats d’inscription précédents du reste de la famille et les actes de naissance des enfants du demandeur, tous nés à Peshawar. Les documents joints à l’affidavit souscrit par le demandeur à l’appui de la présente demande ne peuvent être acceptés par la Cour, car ils n’avaient pas été présentés à l’agent (Laboratoires Abbott Limitée c Canada (Procureur général), 2008 CAF 354, aux paragraphes 37 et 38; Puida c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 781, aux paragraphes 26 et 40). Je n’en tiendrai donc pas compte pour trancher la présente demande.

[5]               L’agent a interrogé le demandeur, son épouse et un de leurs enfants le 3 septembre 2014.

III.             La décision contestée

[6]               Dans une lettre de décision datée du 5 septembre 2014, l’agent a avisé le demandeur que sa demande de résidence permanente avait été rejetée parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur et sa famille résidaient au Pakistan comme le demandeur l’avait affirmé; l’agent a estimé plus probable que le demandeur et sa famille étaient revenus ou bien résidaient en Afghanistan. L’agent dit avoir donné de multiples occasions au demandeur et à sa famille de fournir des réponses véridiques, mais leur récit n’était pas crédible selon lui.

[7]               Les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] décrivent les entrevues et la décision rendue par l’agent après les entrevues. Ces notes font partie intégrante des motifs de l’agent. En énonçant sa décision, l’agent a fait remarquer que, si le demandeur avait fourni son certificat d’inscription et sa convention de location actuelle, ni lui, ni sa femme, ni sa fille n’avaient pu donner leur adresse à Peshawar avant 2014, si ce n’est que cette adresse se trouvait dans la Phase 2. L’agent a indiqué que le demandeur avait proposé de fournir les conventions de location de ses adresses précédentes.

[8]               Le demandeur a affirmé qu’il ne s’était pas procuré les nouveaux certificats d’inscription de son épouse et de ses enfants parce qu’ils ne pouvaient pas voyager à l’extérieur tous ensemble, par crainte de l’assassin de son père. L’agent a toutefois conclu que le demandeur avait exagéré sa crainte alléguée du commandeur pour justifier son incapacité d’établir concrètement qu’il vivait hors de l’Afghanistan.

[9]               Ainsi, l’agent n’a pas cru que le demandeur et sa famille résidaient hors du pays dont ils avaient la nationalité et a donc conclu qu’ils ne satisfaisaient aux exigences de la Loi pour ni l’une ni l’autre des catégories.

IV.             Questions en litige

[10]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

A.  L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter, après l’entrevue, des éléments de preuve de sa résidence précédente pour dissiper les réserves de l’agent?

B.   La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

V.                Norme de contrôle

[11]           La première question concerne l’équité procédurale et est donc susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Qarizada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1310, au paragraphe 18, [Qarizada]; Nassima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 688, au paragraphe 10, [Nassima]).

[12]           La question de savoir si un demandeur fait partie de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières ou de la catégorie de personnes de pays d’accueil est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Qarizada, au paragraphe 15). Les évaluations de la crédibilité et les conclusions de fait sont également susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Qarizada, au paragraphe 17; Nassima, aux paragraphes 8 et 9).

VI.             Analyse

A.                L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur la possibilité de présenter des éléments de preuve pour dissiper ses réserves après l’entrevue?

[13]           La catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières est régie par les articles 144 et 145 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], et la catégorie de personnes de pays d’accueil est régie par les articles 146 et 147. Aux termes de l’article 145, appartient à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada. Selon la définition de « réfugié au sens de la Convention » figurant à l’article 96 de la Loi, la personne doit notamment se trouver hors de tout pays dont elle a la nationalité. Aux termes de l’article 147 du Règlement, appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes : il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle, et une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

[14]           Par conséquent, pour que sa demande soit accueillie au titre de l’une ou l’autre des catégories, le demandeur devait notamment établir qu’il se trouvait hors de l’Afghanistan.

[15]           Le demandeur soutient que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale, car l’agent a rendu sa décision sans lui donner la possibilité de présenter, après l’entrevue, d’autres éléments de preuve établissant sa résidence au Pakistan. Le demandeur ne pouvait raisonnablement pas savoir avant l’entrevue qu’il devrait fournir ses conventions de location précédentes, parce que ni l’article 96 de la Loi ni l’article 147 du Règlement n’exigent la production d’une preuve de résidence antérieure. Par conséquent, dans les circonstances, l’agent avait l’obligation d’informer le demandeur de ses conclusions préliminaires et de donner à celui‑ci la possibilité de les réfuter. Bien que le demandeur ait offert de retrouver ses conventions de location précédentes, l’agent a rendu sa décision défavorable immédiatement après l’entrevue.

[16]           Le défendeur soutient que l’agent n’avait pas l’obligation de chercher à obtenir d’autres renseignements du demandeur, puisqu’il incombait au demandeur d’inclure les renseignements pertinents dans sa demande (Qarizada, au paragraphe 28; Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 785; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, aux paragraphes 42 à 62). Lorsque les réserves découlent directement des exigences de la Loi et du Règlement, l’agent des visas n’a pas l’obligation d’en faire part au demandeur avant de rendre sa décision (Nassima, au paragraphe 18).

[17]           Dans les motifs formulés dans la décision Nassima, je précise que le demandeur a la responsabilité d’établir qu’il se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qu’il appartient à la catégorie au titre de laquelle il présente sa demande d’asile. Ainsi, l’agent n’est pas tenu de faire part au demandeur de ses réserves au sujet de la résidence actuelle, car ces réserves découlent directement des exigences de la Loi et du Règlement.

[18]           Toutefois, en l’espèce, le demandeur a produit des documents établissant son adresse actuelle au Pakistan, et l’agent n’a relevé aucune contradiction entre les témoignages livrés par le demandeur, son épouse et sa fille. L’agent était préoccupé par les adresses précédentes du demandeur, réserve qui ne découle pas directement des exigences de la Loi et du Règlement. Aux termes de l’article 96 de la Loi, le demandeur doit établir qu’il « se trouve hors de tout pays dont [il] a la nationalité », et aux termes de l’article 147 du Règlement, le demandeur doit établir qu’il « se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle ». Ainsi, le demandeur devait établir sa résidence actuelle, et non sa résidence passée.

[19]           Comme la réserve de l’agent au sujet de la résidence passée du demandeur ne découlait pas directement des exigences de la Loi ou du Règlement, l’obligation d’équité procédurale lui imposait de faire part de cette réserve au demandeur et de donner à celui‑ci la possibilité de la dissiper. Le demandeur a proposé de fournir à l’agent ses conventions de location précédentes, mais l’agent n’a pas donné au demandeur la possibilité de les produire avant de rendre sa décision. Dans les circonstances, en ne donnant pas cette possibilité au demandeur, l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale.

[20]           Cette conclusion suffit pour annuler la décision. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision;

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-7502-14

 

INTITULÉ :

ALAM GUL WARDAK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MaI 2015

 

COMPARUTIONS :

M. Mike Bell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Mme Korinda McLaine

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mike Bell

Workable Immigration Solutions

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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