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Date : 20150526


Dossiers : IMM-1561-14

IMM-7620-14

Référence : 2015 CF 681

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : IMM-1561-14

ENTRE :

GEORGE SIDAMONIDZE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

Dossier : IMM-7620-14

ET ENTRE :

GIGA ODOSASHVILI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les présentes demandes ont été instruites ensemble, parce qu’elles soulèvent une question de droit commune et que les faits importants sont les mêmes pour chaque demandeur. Une copie des présents motifs est versée au dossier de la Cour no IMM-7620-14.

[2]               Chacun des demandeurs, tous deux résidents permanents du Canada, affirme avoir été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été autorisé à contre‑interroger l’agent d’exécution de la loi qui avait préparé un rapport daté du 12 février 2014, rédigé au titre du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Dans ce rapport, l’agent estimait qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 37(1)a) de la Loi (activités de criminalité organisée).

[3]               Le 15 février 2014, l’agent Clare a rédigé une déclaration solennelle concernant les demandeurs et certains autres particuliers sur lesquels enquêtaient l’Agence des services frontaliers du Canada et le service de police régional de York. Cette déclaration a été produite par le ministre dans un certain nombre d’instances. L’agent Clare atteste que [traduction] « ces individus ne représentent qu’une petite fraction de ceux qui composent l’organisation criminelle géorgienne sévissant dans la région du Grand Toronto ». Il conclut ceci : [traduction] « Il y a tout lieu de croire que les individus susmentionnés sont des membres ou des dirigeants de cette organisation criminelle, et je peux conclure avec confiance qu’ils sont à tout le moins associés à l’organisation criminelle et à ses nombreux autres membres. »

[4]               L’affidavit souscrit par l’agent Clare le 15 février 2014 a été examiné par la Cour dans le cadre d’une précédente procédure de contrôle judiciaire engagée par Giga Odosashvili relativement à la décision de maintenir sa détention prise par la Section de l’immigration : Odosashvili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 308. Il a été alors soutenu que le conseil du ministre n’aurait pas dû se fonder sur l’affidavit de l’agent Clare parce que cet affidavit contenait au moins une déclaration erronée.

[...] la pièce DR1 produite par le ministre contenait une déclaration que l’on savait ou que l’on aurait dû savoir erronée. Le 15 février 2014, la déclaration solennelle de l’agent Mark Clare indique que Malkhaz Tsiklauri et Giorgi Tchintcharauli ont été accusés d’entrée par effraction et ont été désignés comme deux des quatre dirigeants du soi‑disant réseau d’entrée par effraction. Cependant, la Couronne a retiré dix mois plus tôt, soit le 24 avril 2013, toutes les accusations portées contre ces deux hommes. Ainsi, les accusations n’existaient plus. Selon un affidavit de leur criminaliste, les accusations ont été retirées sans condition. De plus, le criminaliste affirme qu’aucun des deux hommes n’a été accusé de quelque infraction que ce soit liée au crime organisé.

[5]               D’après le dossier, la déclaration du 15 février 2014 de l’agent Clare a par la suite été radiée ou n’a eu aucun poids lors des contrôles des motifs de détention effectués subséquemment par la Section de l’immigration.

[6]               L’agent Clare, après avoir rédigé les rapports établis au titre du paragraphe 44(1), est parti en congé, et les dossiers ont été repris par l’agent Fieldhouse. Avant de transmettre les rapports au délégué du ministre, l’agent Fieldhouse a offert aux demandeurs la possibilité de présenter des observations écrites. Les demandeurs ont par la suite demandé l’autorisation de contre‑interroger l’agent Clare, demande qui a été rejetée.

[7]               Les demandeurs ont demandé une nouvelle fois la possibilité de contre‑interroger l’agent Clare, et leur demande a encore été rejetée. L’agent Fieldhouse s’est exprimé ainsi :

[traduction] Vous semblez mal comprendre mon rôle dans ce processus. Permettez‑moi de m’expliquer. Je ne suis pas le délégué du ministre. Je recommande simplement au délégué du ministre de déférer ou non l’affaire pour enquête. La décision de déférer l’affaire pour enquête est prise par le délégué du ministre.

Je ne suis pas en mesure de vous indiquer ma recommandation dans cette affaire, car je ne l’ai pas encore formée. Je tiendrai compte des observations de votre client au moment de former ma recommandation. Par conséquent, veuillez me transmettre vos observations d’ici vendredi de cette semaine, selon les indications contenues dans mon fax précédent, à défaut de quoi je formerai ma recommandation en l’absence des observations de votre client.

Comme je l’ai déjà dit, la possibilité de « contre‑interroger » l’agent Clare que vous avez demandée ne sera pas accordée. Je tiendrai compte de vos observations avant de faire ma recommandation au délégué du ministre.

[8]               Les demandeurs n’ont pas présenté d’observations à l’agent Fieldhouse. Le 18 mars 2014, l’agent Fieldhouse a transmis le rapport au délégué du ministre. Le même jour, le délégué du ministre a déféré les affaires des demandeurs à la Section de l’immigration pour enquête.

[9]               Les parties conviennent, tout comme la Cour, que la présente demande soulève une question d’équité procédurale, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[10]           Le processus d’admissibilité qui s’applique aux demandeurs au vu des faits comprend les étapes suivantes :

1.                   Aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi, s’il estime que le résident permanent qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié et transmettre le rapport à un délégué du ministre.

2.                  Si le délégué du ministre estime que le rapport établi au titre du paragraphe 44(1) est bien fondé, il peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête.

3.                   À la Section de l’immigration, lorsque l’intéressé qui serait interdit de territoire est un résident permanent, il incombe au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intéressé est interdit de territoire.

[11]           Les demandeurs soutiennent que la question soulevée, à savoir le droit de contre‑interroger l’agent qui a rédigé un rapport établi au titre du paragraphe 44(1), est nouvelle. Il n’existe pas de jurisprudence sur cette question précise; toutefois, la jurisprudence sur l’étendue de l’obligation d’équité procédurale dans le cadre de l’article 44 de la Loi est bien établie et favorise la thèse du défendeur.

[12]           La Cour a déjà statué, comme le défendeur le soutient, que « l’obligation d’équité procédurale est peu contraignante dans le cadre de l’établissement du rapport initial prévu au paragraphe 44.(1) » : Leong c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1126, au paragraphe 13. Dans la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429 [Hernandez], aux paragraphes 70 à 72, les termes utilisés sont « obligation d’équité moins stricte » :

Après examen de tous ces facteurs, j’estime qu’ils indiquent une obligation d’équité moins stricte, analogue à celle qui a été décrite dans l’arrêt Baker. À mon avis, l’obligation d’équité implicitement assumée par CIC en ce qui concerne le rapport prévu au paragraphe 44(1) est adéquate. Bien qu’elles soient de nature administrative (et non quasi‑judiciaire) et que les intéressés disposent de recours pour demeurer au Canada, il s’agit de décisions graves ayant des incidences sur leurs droits. CIC, dont le choix en matière de procédure doit être respecté, a décidé de donner aux intéressés le droit de présenter des observations, oralement ou par écrit, et d’obtenir copie du rapport. L’obtention du rapport permet à l’intéressé de décider s’il demandera le contrôle judiciaire du rapport de l’agent d’immigration. Je conclus que, relativement au rapport de l’agent d’immigration, il s’agit là de l’obligation d’équité que CIC assume envers le demandeur et les autres personnes se trouvant dans sa situation.

Cette obligation comprend nécessairement l’exigence que l’agent d’immigration informe la personne qu’il rencontre de l’objet de l’entrevue de façon qu’elle puisse valablement exercer son droit de présenter des observations. Elle comprend également, selon moi, l’exigence que l’agent d’immigration transmette à l’intéressé tout renseignement dont il dispose que l’intéressé n’a vraisemblablement pas en sa possession. Elle comporterait aussi l’exigence d’offrir à l’intéressé la possibilité d’être assisté d’un conseil lors d’une entrevue ou pour la préparation d’observations écrites. Tous ces éléments font partie de ce que CIC a reconnu comme nécessaire pour que l’intéressé comprenne parfaitement « les allégations faites contre [lui] et la nature et les objectifs du rapport ».

Compte tenu de ma conclusion selon laquelle l’obligation d’équité est « moins stricte », certaines procédures ne sont pas essentielles. Comme la Cour suprême l’a conclu dans l’arrêt Baker, il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une entrevue, du moment que l’intéressé a la possibilité de présenter des observations et de connaître les allégations faites contre lui. Je ne crois pas non plus qu’il faille communiquer le rapport de l’agent d’immigration pour lui donner une autre possibilité de répondre avant le renvoi pour enquête prévu au paragraphe 44(2).

[13]           Étant donné cette obligation d’équité peu contraignante ou moins stricte, il est difficile de comprendre pourquoi la personne visée par un rapport établi au titre du paragraphe 44(1) aurait le droit de contre‑interroger l’agent qui a rédigé le rapport ou qui a fait une déclaration solennelle énonçant sur quoi il s’était fondé pour conclure que la personne était interdite de territoire au Canada. C’est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, il s’agit simplement de la première étape d’un processus qui peut mener à une audience complète devant la Section de l’immigration, où le fardeau de la preuve incombe au ministre.

[14]           Les demandeurs se fondent sur la décision Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 176 [Nagalingam], dans laquelle la Cour a conclu que la déléguée du ministre avait manqué à l’équité procédurale en ne permettant pas à M. Nagalingam de contre‑interroger un agent avant qu’elle rende une décision sous le régime de l’alinéa 115(2)b) de la Loi. Toutefois, l’alinéa 115(2)b) est nettement différent des paragraphes 44(1) et 44(2), parce que, sous le régime de l’alinéa 115(2)b), l’agent rend une décision sur le renvoi, dans laquelle entrent en jeu les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne prévus dans la Charte : Nagalingam, au paragraphe 165. En revanche, les décisions rendues au titre des paragraphes 44(1) et 44(2) ne sont pas finales, ce qui est en jeu étant la question de savoir si l’affaire sera déférée ou non pour enquête.

[15]           Les demandeurs affirment qu’ils voulaient avoir la possibilité de contre‑interroger l’agent Clare à propos de sa déclaration solennelle parce qu’ils savaient que les énoncés contenus dans cette déclaration solennelle censément crédible étaient trompeurs, et que certains énoncés faits par l’agent Clare étaient faux, comme la Cour l’avait conclu.

[16]           À mon avis, à cette première étape d’un possible processus d’admissibilité, la possibilité de répondre par le truchement d’observations écrites remplit les deux objectifs énoncés par les demandeurs. Le faux énoncé ne peut être contesté par le ministre, car il est contenu dans une décision judiciaire. S’il y a d’autres énoncés de qualité similaire, les demandeurs sont libres de présenter des observations pour les indiquer. Comme l’a noté l’agent Fieldhouse, les demandeurs auront tout le loisir de vérifier les éléments de preuve de la Couronne lors d’une enquête devant la Section de l’immigration.

[17]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs soutiennent également que les motifs sont insuffisants parce qu’ils ne permettent pas de comprendre pourquoi les énoncés trompeurs formulés par l’agent Clare n’ont pas besoin d’être mis à l’épreuve. Cette observation n’est pas fondée. Nulle part dans la décision il n’est dit qu’un énoncé quelconque n’a pas besoin d’être mis à l’épreuve; il est plutôt indiqué dans la décision, avec exactitude, que cette étape‑là du processus est de nature administrative et que les demandeurs auront tout le loisir de vérifier les éléments de preuve lorsque le processus deviendra quasi‑judiciaire devant la Section de l’immigration.

[18]           Les demandeurs ont proposé la question suivante aux fins de certification à titre de question de portée générale qui permettrait de trancher les présentes demandes :

Dans le contexte des poursuites en matière d’immigration engagées en vertu de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, quelle est la portée :

(1) du pouvoir discrétionnaire, sous le régime du paragraphe 44(1) de la LIPR, de l’agent d’exécution de la loi qui doit permettre ou non la tenue d’un contre‑interrogatoire relativement à la déclaration solennelle faite à l’appui d’un rapport établi au titre de l’article 44?

(2) du pouvoir discrétionnaire, sous le régime du paragraphe 44(2) de la LIPR, de l’agent d’immigration (y compris le délégué du ministre) qui doit permettre ou non la tenue d’un contre‑interrogatoire relativement à la déclaration solennelle faite par l’agent d’exécution de la loi à l’appui d’un rapport établi au titre de l’article 44, avant de décider de déférer ou non l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête?

[19]           Le défendeur s’oppose à la certification de ces questions ou de toute question.

[20]           Je conviens avec le défendeur que les questions comme elles sont formulées ne peuvent être certifiées. La première concerne le pouvoir discrétionnaire de l’agent de permettre la tenue d’un contre‑interrogatoire – ce qui n’était pas une question en litige dans les présentes demandes. La deuxième concerne le processus devant le délégué du ministre – ce qui n’était pas non plus une question en litige dans les présentes demandes.

[21]           À mon avis, il est bien établi à la Cour et à la Cour d’appel fédérale que la décision rendue par un agent au titre du paragraphe  44(1) est de nature administrative et se situe à l’extrémité inférieure de l’échelle de la justice procédurale. Il a été noté, dans la décision Hernandez et dans d’autres décisions subséquentes, que le droit à la justice procédurale signifie seulement la possibilité de présenter des observations et de connaître les allégations faites contre celui ou celle qui fait l’objet du rapport. Par conséquent, la question proposée, même si elle était formulée adéquatement, n’est pas de portée générale parce que, selon moi, le droit est bien établi.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que les présentes demandes sont rejetées et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1561-14

 

INTITULÉ :

GEORGE SIDAMONIDZE c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

DOSSIER :

IMM-7620-14

 

INTITULÉ :

GIGA ODOSASHVILI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 MAI 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Nikolay Y. Chsherbinin

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Daniel Engel

Charles J. Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chsherbibin Litigation

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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