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Date : 20150526


Dossier : T-290-13

Référence : 2015 CF 680

Ottawa (Ontario), le 26 mai 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

DOMAINES PINNACLE INC.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

BEAM SUNTORY INC. ET

BEAM CANADA INC.

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

et

JIM BEAM BRANDS CO.

demanderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Si l’on ose dire, voici un bel exemple où l’application des règles supplétives contenues au Code civil du Québec, RLRQ c C-1991 [CCQ] peut avoir un effet déterminant sur l’issue de procédures commencées au Québec devant la Cour fédérale. Il s’agit aujourd’hui de déterminer si l’acceptation inconditionnelle d’une offre finale de règlement faite en vertu de la Règle 420 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] a mis fin au présent litige devant la Cour fédérale et constitue une transaction liant les offrants qui refusent aujourd’hui de se désister de leur demande reconventionnelle.

[2]               En bref, suite à son acceptation de l’offre écrite de règlement qui lui a été faite le 30 mars 2015 dans le présent dossier, la demanderesse/défenderesse reconventionnelle Domaines Pinnacle Inc. [Pinnacle] s’est désistée le 1er avril 2015 de son action devant la Cour fédérale [l’action fédérale]. Les défenderesses/demanderesses reconventionnelles Beam Suntory Inc., Beam Canada Inc. et Jim Beam Brands Co. [collectivement Beam] refusent toutefois de se désister de leur demande reconventionnelle au motif que Pinnacle ne s’est pas également désistée des procédures intentées par Pinnacle devant la Cour supérieure du Québec (dossier 500-17-075052-129) [l’action provinciale].

[3]               Rappelons en premier lieu que l’instruction au fond dans la présente affaire – d’une durée anticipée de 5 jours – devait débuter devant moi le 13 avril 2015 à Montréal. Entretemps, le 25 mars 2015 vers 17h, M. Charles Crawford, président et fondateur de Pinnacle, et M. Neale Graham, vice-président de Beam Canada Inc., ont eu une conversation téléphonique durant laquelle M. Crawford a offert de régler l’ensemble des litiges entre les parties concernant l’utilisation des marques visées en échange du versement par Beam d’un montant forfaitaire. M. Crawford a alors proposé la somme d’un million de dollars pour l’ensemble du Canada, ou une somme moins élevée pour le Canada à l’exclusion du Québec [l’offre globale de Pinnacle]. À ce moment, M. Graham a indiqué à M. Crawford qu’il devait consulter à l’interne avant de répondre à son offre globale. Selon M. Crawford, M. Graham lui aurait dit qu’il lui répondrait d’ici un jour ou deux, mais selon M. Graham, aucune échéance précise n’avait été établie. Quoi qu’il en soit, M. Graham n’est pas revenu à M. Crawford sur l’offre globale avant le 1er avril 2015 – un fait dont la pertinence est contestée par Pinnacle et sur lequel nous reviendrons plus loin. Entretemps, par l’entremise de ses procureurs, Beam a fait à Pinnacle une offre finale de règlement du litige devant la Cour fédérale en vertu de la Règle 420.

[4]               Ouvrons ici une parenthèse avant d’aller plus loin dans le résumé des faits non contestés. La Règle 420 prévoit :

420. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le demandeur fait au défendeur une offre écrite de règlement, et que le jugement qu’il obtient est aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite, au double de ces dépens mais non au double des débours.

 

420. (1) Unless otherwise ordered by the Court and subject to subsection (3), where a plaintiff makes a written offer to settle and obtains a judgment as favourable or more favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff is entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and costs calculated at double that rate, but not double disbursements, after that date.

(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le défendeur fait au demandeur une offre écrite de règlement, les dépens sont alloués de la façon suivante :

 

(2) Unless otherwise ordered by the Court and subject to subsection (3), where a defendant makes a written offer to settle,

a) si le demandeur obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et le défendeur a droit, par la suite et jusqu’à la date du jugement au double de ces dépens mais non au double des débours;

 

(a) if the plaintiff obtains a judgment less favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff is entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and the defendant shall be entitled to costs calculated at double that rate, but not double disbursements, from that date to the date of judgment; or

 

b) si le demandeur n’a pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie-partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite et jusqu’à la date du jugement, au double de ces dépens mais non au double des débours.

 

(b) if the plaintiff fails to obtain judgment, the defendant is entitled to party-and-party costs to the date of the service of the offer and to costs calculated at double that rate, but not double disbursements, from that date to the date of judgment.

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent qu’à l’offre de règlement qui répond aux conditions suivantes :

 

(3) Subsections (1) and (2) do not apply unless the offer to settle

a) elle est faite au moins 14 jours avant le début de l’audience ou de l’instruction;

 

(a) is made at least 14 days before the commencement of the hearing or trial; and

b) elle n’est pas révoquée et n’expire pas avant le début de l’audience ou de l’instruction.

 

(b) is not withdrawn and does not expire before the commencement of the hearing or trial.

 

[5]               Une offre présentée en vertu de la Règle 420 a non seulement des effets sur l’octroi éventuel de dépens à l’offrant dans une cause, mais elle a également des effets civils immédiats.

[6]               Au niveau des dépens d’abord, l’application de la Règle 420 ne se pose en pratique que lorsqu’une affaire est entendue et décidée au fond par la Cour : c’est-à-dire lorsqu’une offre de règlement – non révoquée – a été faite au moins 14 jours par la partie gagnante avant la tenue du procès et qu’elle n’a pas été acceptée dans le délai imparti par la partie perdante. En pareil cas, lorsque les conditions de la Règle 420 sont remplies, sauf ordonnance contraire de la Cour, la partie gagnante peut obtenir le double des dépens à partir de la date où l’offre finale de règlement a été faite. D’autre part, les offres de règlement que la Cour ne reconnaît pas comme relevant de la Règle 420 devraient néanmoins être examinées dans le cadre de la Règle 400 : Remo Imports Ltd c Jaguar Cars Ltd, 2006 CF 690 au para 14. La Règle 420 est donc là pour inciter fortement les parties à mettre fin à leur litige devant la Cour avant la tenue d’un procès. C’est une règle d’économie des ressources judiciaires propre à la Cour fédérale et qui s’applique indépendamment des règles de procédure d’autres cours (incluant les tribunaux provinciaux).

[7]               Bien évidemment, sur le plan du droit civil, une fois qu’il a communiqué à la partie adverse une offre écrite finale en vertu de la Règle 420, l’offrant est alors présumé avoir l’intention de s’engager. L’offre doit également être faite de bonne foi et dans le but évident de régler le litige à la Cour fédérale. En ce sens, l’offre doit être claire et non équivoque : c’est-à-dire qu’elle ne doit laisser à la partie adverse que l’alternative de l’accepter ou la refuser (Syntex Pharmaceuticals International Ltd c Apotex, 2001 CAF 137 aux paras 8-10). La Règle 420 ne tolère pas les fictions juridiques ni les diminutifs subséquemment invoqués par l’offrant pour se dédire d’une offre finale dûment acceptée par la partie adverse : il y a transaction. Lorsque son offre finale est acceptée inconditionnellement par l’autre partie dans le délai imparti, l’offrant est lié et il doit se conformer à cette dernière : il y a chose jugée. Il n’y aura pas de procès. Point à la ligne.

[8]               D’un autre côté, rien n’empêche les parties de s’entendre d’un commun accord pour mettre de côté toute offre finale présentée en vertu de la Règle 420 et de tenir des discussions globales de règlement visant l’ensemble de leurs litiges, incluant toute cause devant la Cour fédérale et d’autres instances judiciaires ou administratives. Mais encore faut-il que ce soit clairement compris et accepté par les deux parties. Les règles du droit civil s’appliqueront alors supplétivement. C’est à la partie intéressée qui prétend que toutes les parties en cause se sont entendues pour mettre de côté l’offre présentée en vertu de la Règle 420 et ont conclu une transaction différente de celle directement visée par une offre présentée en vertu de la Règle 420, de démontrer, par une preuve admissible et convaincante, que c’est bien le cas. Il en est de même lorsqu’une partie intéressée prétend qu’il y a mauvaise foi ou abus de droit de la part de la partie adverse. Chaque cas est examiné à son mérite (à titre d’illustration voir Aic Limited c Infinity Investment Counsel Ltd, 1998 CanLII 7783 (CF) [Aic]).

[9]               En l’espèce, le 30 mars 2015 à 16h46, les procureurs de Beam ont fait parvenir par courriel aux procureurs de Pinnacle l’offre de règlement suivante, qui expirait le 13 avril 2015, à 17 heures, soit à la fin de la première journée du procès dans cette affaire :

[traduction]

Objet : Domaines Pinnacle Inc. c. Beam Suntory Inc., Beam Canada Inc. et Jim Beam Brands Co.

Dossier de la Cour fédérale no T-290-13

Chère Me Fournier,

Conformément à l’article 420 des Règles des Cours fédérales, les défenderesses/demanderesses reconventionnelles Beam Suntory Inc. et Beam Canada Inc. ainsi que la demanderesse reconventionnelle Jim Beam Brands Co. font, par la présente, l’offre écrite suivante en vue de régler l’affaire susmentionnée :

1.   la demanderesse se désistera de son action;

2.   les demanderesses reconventionnelles se désisteront de leur demande reconventionnelle;

3.   chaque partie assumera ses propres frais.

La présente offre viendra à échéance le 13 avril 2015, à 17 h.

Sincèrement vôtre,

SMART & BIGGAR

Ekaterina Tsimberis

[10]           L’offre écrite de règlement du 30 mars 2015 n’a jamais été retirée ou révoquée par Beam. Le 1er avril 2015, celle-ci a été acceptée inconditionnellement par Pinnacle et les procureurs de Pinnacle ont produit à la Cour le même jour, à 16h03, un avis de désistement sans frais signé par M. Crawford au nom de Pinnacle et par Brouillette & Associés à titre de procureurs au dossier. L’avis de désistement est conforme à la Règle 165. Et, dans la mesure où Pinnacle était tenue de déposer également en vertu de la Règle 166 un avis formel d’acceptation de l’offre finale de règlement, cette dernière condition est également remplie en l’espèce.

[11]           Dans sa lettre du 1er avril 2015 adressée à la Cour et dont copie est transmise aux procureurs de Beam, Me Rachid Benmokrane – qui a reçu instructions de préparer les documents nécessaires de désistement – fait ainsi part de l’acceptation formelle de Pinnacle :

Nous représentons les intérêts de Domaines Pinnacle inc., demanderesse et défenderesse reconventionnelle dans le cadre du dossier mentionné en titre laquelle nous a donné le mandat de vous adresser la présente.

En date du 30 mars 2015, les procureurs soussignés ont reçu une offre de règlement (ci-après « l’Offre de règlement ») des procureurs Beam Suntory Inc., Beam Canada inc. et Jim Beam Brands Co. (ci-après « Beam »).

Dans le cadre de cette Offre de règlement Beam propose de régler le présent dossier par un désistement sans frais de part et d’autre tant pour l’action de la demanderesse que pour la demande reconventionnelle des demanderesses reconventionnelles. Pour votre information, veuillez trouver ci-joint copie de ladite Offre de règlement.

Par la présente, les procureurs soussignés souhaitent formellement aviser la Cour que l’Offre de règlement est acceptée.

Par conséquent, veuillez trouver ci-joint un Avis de désistement sans frais dûment signé par les procureurs soussignés. Nous prenons soin également de joindre un Avis de désistement en ce qui a trait à la demande reconventionnelle des demanderesses reconventionnelles, ce désistement étant également sans frais.

Nous comprenons que les demanderesses reconventionnelles verront à signer ledit Avis de désistement dans les meilleurs délais considérant que l’audition dans ce dossier est prévu pour le 13 avril 2015.

Espérant le tout conforme veuillez agréer l’expression de nos sentiments les meilleurs.

[12]           L’affaire aurait pu se terminer avec le désistement de Pinnacle de l’action fédérale, mais plutôt que de signer et produire à la Cour fédérale un avis de désistement sans frais de la demande reconventionnelle, le 2 avril 2015, les procureurs de Beam écrivent aux procureurs de Pinnacle pour les aviser que ceci ne sera fait que lorsqu’ils auront d’abord reçu de Pinnacle un désistement de l’action provinciale. En soit, c’est un aveu qu’une transaction est bel et bien intervenue entre les parties. Et, Me Ekaterina Tsimberis de préciser dans son courriel :

[traduction]

La présente fait suite à la lettre que vous avez adressée à la Cour fédérale hier après-midi, par laquelle vous avisiez officiellement la Cour de l’acceptation, par la demanderesse Domaines Pinnacle, de l’offre de règlement présentée par les défenderesses/demanderesses reconventionnelles (les parties Beam) et du dépôt de l’avis de désistement de la demanderesse relativement à son action, sans frais.

Nous n’avons toujours pas reçu l’avis de désistement quant à l’instance connexe devant la Cour supérieure. Nous joignons à la présente l’avis de désistement, rédigé et signé pour le compte de la défenderesse, que nous vous demandons de contresigner et de nous renvoyer dès que possible.

Dans votre lettre adressée à la Cour fédérale, vous l’avisiez que les demanderesses reconventionnelles produiraient sans tarder leur avis de désistement, puisque le procès quant à cette affaire a été fixé au 13 avril. Avant que nous puissions signer et produire l’avis, nous devons recevoir l’avis de désistement relatif à l’action devant la Cour supérieure (l’avis est joint à la présente), contresigné par votre cabinet pour le compte de la demanderesse, de manière à ce que nous puissions simultanément produire l’avis à la Cour supérieure du Québec.

Prière de noter que la Cour fédérale nous a demandé de lui répondre dès que possible aujourd’hui et au plus tard d’ici la fin de la journée. Dans les circonstances, nous nous attendons à recevoir l’avis de désistement relatif à l’action devant la Cour supérieure dûment signé (avis ci-joint) bien avant la fin de la présente journée.

[13]           Nenni de la part de Pinnacle : l’offre finale du 30 mars 2015, qui a été acceptée le 1er avril 2015, ne comporte pas l’obligation pour Pinnacle de se désister de l’action provinciale. Bien évidemment, chaque partie est demeurée sur ses positions, accusant la partie adverse d’être de mauvaise foi et de ne pas donner suite à ses engagements. C’est ce qui a déclenché la présentation des deux requêtes dont il est été fait état plus bas (homologation et amendement) et qui ont nécessité trois jours complets d’audition (13, 14 et 15 avril 2015), la Cour ayant décidé de tenir un procès sommaire sur les questions de fait et de droit soulevées par les parties dans leurs procédures respectives. Les faits étaient pourtant simples : l’offre finale du 30 mars 2015 a été suivie d’une acceptation inconditionnelle par Pinnacle le 1er avril 2015. Or, c’est à un véritable procès d’intention que la Cour a assisté lors de l’audition des 13, 14 et 15 avril 2015.

Position des parties

[14]           À l’audition, les procureurs de Beam ont invoqué le spectre du vice de consentement qui constitue une cause d’annulation des contrats (art 1398-1401 CCQ). En l’espèce, il n’est pas sans importance de souligner dans ce dossier que ce n’est pas Pinnacle qui plaide l’inexistence d’une transaction, mais Beam dans la mesure où la Cour conclut que son offre finale du 30 mars 2015 n’inclut pas l’action provinciale. Tant s’en faut, Pinnacle – qui a accepté inconditionnellement celle-ci et a produit un désistement sans frais – ne demande pas à cette Cour d’exercer son pouvoir inhérent de lui permettre de retirer, pour cause d’erreur (ou encore de lésion), son avis de désistement. Voir Canada (Procureur général) c Scarola, 2003 CAF 157 au para 8 [Scarola].

[15]           Pinnacle invite plutôt cette Cour à accueillir sa requête en vue d’obtenir une ordonnance visant l’homologation d’une transaction et son exécution forcée suite à son acceptation de l’offre finale du 30 mars 2015 [la requête en jugement de Pinnacle], mais Pinnacle conteste du même coup toute compétence de la Cour fédérale pour se prononcer sur les questions extrinsèques concernant la poursuite ou l’abandon de l’action provinciale, ou touchant le règlement global de tout litige parallèle relatif à l’utilisation par les parties de marques de commerce non enregistrées – « Domaines Pinnacle », « Pinnacle Vodka » ou « Pinnacle » – en liaison avec des produits de cidre ou de vodka – incluant toute procédure d’enregistrement ou d’opposition en cours ou envisagée par les parties.

[16]           À défaut pour la Cour de rendre un jugement déclaratoire homologuant la transaction et ordonnant aux parties de s’y conformer, Pinnacle demande à la Cour de considérer d’autres remèdes alternatifs tels que l’émission d’un sursis permanent des procédures, d’une injonction mandatoire pour forcer Beam à produire un désistement de leur demande reconventionnelle, d’une déclaration tenant lieu de désistement, ou encore d’un avis de règlement (par analogie avec la Règle 389 qui prévoit ce pouvoir de la Cour dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable). Pour Pinnacle, ce qui est important par-dessus tout, c’est que les procédures en Cour fédérale s’arrêtent, peu importe le moyen juridique particulier qui est utilisé par la Cour pour atteindre cette fin.

[17]           Tout en contestant le mérite de la requête de Pinnacle, Beam a présenté une requête visant à amender leur défense et demande reconventionnelle afin d’alléguer que Pinnacle est de mauvaise foi et que la production d’un désistement de l’action fédérale constitue un abus de procédure [la requête en amendement de Beam], soit autant de motifs supplémentaires pour accorder à Beam des honoraires sur une base avocat-client lors du rejet au mérite de l’action fédérale et de l’accueil de la demande reconventionnelle. Toutefois, lors de ses arguments oraux, le procureur de Beam a fait savoir le troisième jour d’audition que Beam se désistait de sa requête en amendement. Après tout, Pinnacle s’est peut-être trompée sur la portée de l’offre écrite de Beam et la Cour devrait, en conséquence, lui permettre de retirer son avis de désistement avant de fixer de nouvelles dates de procès dans cette affaire.

[18]           En effet, les procureurs de Beam ne cachent pas la nette préférence qu’ils ont de plaider les dossiers de propriété intellectuelle devant la Cour fédérale plutôt que devant la Cour supérieure du Québec. D’ailleurs, le but avoué des procureurs de Beam, en recherchant par leur demande reconventionnelle une déclaration générale de non-violation de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, était justement de s’assurer à l’époque que l’utilisation des marques visées à travers le Canada, incluant le Québec, demeure toujours en jeu devant la Cour fédérale. Rappelons que l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce crée un droit d’action de nature civile (common law et art 1457 CCQ). Cette disposition codifie, pour l’essentiel, le délit de commercialisation trompeuse (« passing off »). Des remèdes pour y mettre fin peuvent être aussi bien recherchés dans le droit fédéral que provincial, qu’il s’agisse de marques déposées ou non. Voir Ciba-Geigy Canada Ltd c Apotex Inc, [1992] 3 RCS 120 aux pages 132-33; Kirkbi AG c Gestion Ritvik Inc, 2005 CSC 65 aux paras 23 et 62-68; Kisber & Co Ltd c Ray Kisber & Associates Inc, 1998 CanLII 12807 (QC CA). À défaut de rejeter l’action provinciale pour cause de litispendance, la Cour supérieure a ordonné sa suspension provisoire et cette dernière ordonnance – qui est toujours en vigueur – n’a pas été levée par la Cour supérieure.

[19]           Les parties sont manifestement dans une impasse et il y a lieu de trancher de façon finale, avant la tenue de tout procès au fond dans cette affaire, la question de l’existence ou non d’une transaction mettant fin au litige devant la Cour fédérale. J’ai décidé d’accueillir la requête en jugement de Pinnacle. Ce faisant, j’ai considéré l’ensemble des affidavits et des documents qui ont été produits par les parties dans les deux dossiers de requête (homologation et amendement), incluant les contre-interrogatoires des affiants, et ce, sous réserve de l’objection générale de Pinnacle touchant leur admissibilité et la compétence de la Cour laquelle m’apparaît, après analyse, bien fondée en l’espèce.

Compétence limitée de la Cour fédérale

[20]           Reprenons. Bien que les parties ne s’entendent pas sur l’étendue de la compétence de la Cour fédérale, elles lui accordent le pouvoir de décider, dans le cadre de l’action fédérale, si l’offrant est lié par l’offre de règlement présentée par Beam en vertu de la Règle 420. De fait, ce n’est pas la première fois que cette Cour, avant de tenir un procès, est appelée à décider de ce genre de question dans le cadre d’une action portée devant elle : Aic précité, Audet c Canada, 2002 CAF 130; et Allergan Inc v Apotex Inc, 2015 FC 367.

[21]           On l’a dit plus tôt, toute transaction est un contrat. C’est donc une matière qui relève de la compétence des provinces en vertu de l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, c 3 (R-U). C’est également une évidence. Le droit civil du Québec s’applique de façon supplétive au droit fédéral sous réserve d’« un droit à la différence » lorsque toute harmonisation s’avère impossible (Canada (Procureur général) c St Hilaire, 2001 CAF 63). Les exceptions d’ordre statutaire existent – pensons à la compétence concurrente de la Cour fédérale en matière de litiges survenant à la suite d’ententes impliquant un transporteur maritime et un expéditeur, qui découle de l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [LCF]. Cela dit, la Cour fédérale n’a aucune compétence statutaire pour entendre un litige de nature purement contractuelle entre administrés. À plus forte raison, je ne crois pas que la Cour fédérale ait compétence générale pour annuler une transaction pour cause d’erreur ou pour toute autre cause connue d’annulation des contrats en droit civil ou en common law (e.g. lésion, crainte, etc.). Son rôle m’apparaît plus modeste mais important. Somme toute, dans le cadre des procédures devant la Cour fédérale, il s’agit de vérifier la conclusion ou non de la transaction alléguée par la partie qui s’en réclame.

[22]           Au demeurant, les questions de validité et d’exécution forcée d’un contrat sont normalement du ressort des tribunaux de droit commun. Cela est d’autant plus vrai au niveau de l’exécution de la transaction lorsque des actes particuliers échappant au contrôle de la Cour fédérale doivent être posés. Pensons à toutes ces choses que les parties peuvent convenir dans une transaction et qui ne concernent pas directement leur litige devant les tribunaux. Au Québec, les demandes d’homologation sont régies par les dispositions du Code de procédure civile du Québec, RLRQ c C-25 [CPC] et sont entendues par la Cour supérieure, sauf disposition contraire (art 31 et 885 CPC). Et, ce n’est pas parce que la Cour fédérale a ici compétence concurrente sur l’action fédérale et la demande reconventionnelle en vertu de l’article 20 de la LCF (brevets, droit d’auteur, dessins industriels et marques de commerce), qu’elle peut à sa guise statuer sur la validité d’une transaction ou procéder à son homologation aux fins d’exécution forcée (Flexi-Coil Ltd c Smith-Roles Ltd et al, [1981] 1 CF 632, (1980) 50 CPR (2d) 29 (CF) aux pages 33-34; Sabol v Haljan, 1982 ABCA 80 aux paras 7-10).

[23]           En l’occurrence, rien n’empêche la Cour fédérale dans l’exercice accessoire de sa compétence statutaire dans divers domaines, d’interpréter une offre de règlement ou les termes d’une transaction aux fins de déterminer si celle-ci a ou non mis fin à une action ou une procédure engagée devant la Cour fédérale. Naturellement, lorsqu’une offre de règlement présentée en vertu de la Règle 420 a été acceptée par la partie adverse et qu’un désistement a été produit, la Cour fédérale ne devrait pas entendre une affaire au fond. Et, si à la suite d’une transaction, une partie refuse de se désister de ses procédures devant la Cour fédérale, cette dernière a pleine compétence comme « cour supérieure d’archives » (art 4 LCF) – tant en vertu de ses pouvoirs inhérents qu’en vertu de l’article 50 de la LCF – pour ordonner une suspension permanente de procédures afin de prévenir une injustice flagrante et d’empêcher un abus de procédure : MacMillan Bloedel Ltd c Simpson, [1995] 4 RCS 725 aux paras 30-38; Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626 aux paras 35-38; Rémillard c Neuhauser, 2011 QCCA 2136; et Canada (Revenu national) c Compagnie d'assurance vie RBC, 2013 CAF 50 aux paras 33-36.

[24]           Il reste que la Cour fédérale n’a aucune compétence à l’égard de l’action provinciale qui est présentement suspendue. Beam a peut-être des arguments sérieux à faire valoir devant la Cour supérieure du Québec à l’effet que la poursuite de l’action provinciale, dans sa forme actuelle du moins, constitue un abus de procédure et ne devrait pas être poursuivie. Cependant, il ne m’appartient pas d’émettre quelque opinion à ce sujet. Qu’on en juge, mais lors des arguments oraux concernant le mérite de la requête en jugement de Pinnacle, Me Robert Brouillette a indiqué en réplique à la Cour que Pinnacle n’avait pas l’intention de reprendre les procédures en Cour supérieure immédiatement. En effet, il a fait référence à un appel en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce concernant l’enregistrement de la marque de Pinnacle qui n’avait pas encore été entendu par la Cour fédérale mais qui devait l’être prochainement (T-1971-13, Constellation Brands inc. et al. c Domaines Pinnacle). Si la décision de la Cour fédérale dans cette dernière cause devait lui être favorable, Pinnacle comptait amender substantiellement l’action provinciale pour fonder son droit d’action sur une violation par Beam de l’une l’autre des marques de commerce enregistrées.

[25]           Ce n’est pas contesté : le marché le plus important de Pinnacle au Canada est de loin celui du Québec. Voilà pourquoi Pinnacle n’est pas prête à consentir aujourd’hui à ce que l’action provinciale soit rejetée par la Cour supérieure sur consentement ou à accepter une coexistence des marques en cause sans obtenir une compensation financière. Soit. D’un autre côté, le Québec est inclus dans l’action fédérale dont s’est désisté Pinnacle. Sans me prononcer sur la question, Pinnacle devra subir toutes les conséquences, s’il en est, de toute décision abusive de continuer l’action provinciale. Mais encore faut-il que Beam se soit adressé à la Cour supérieure pour demander le rejet sommaire de l’action provinciale et que celle-ci lui ait donné raison. C’est ce que Beam aurait dû faire en l’espèce plutôt que de chercher à continuer les présentes procédures, ce qui est abusif dans les circonstances et justifie l’émission d’un sursis permanent des procédures dans le présent dossier de la Cour fédérale.

L’acceptation inconditionnelle de l’offre finale du 30 mars 2015 lie les parties

[26]           Y a-t-il eu transaction mettant fin au présent litige devant la Cour fédérale?

[27]           En l’espèce, la Cour est satisfaite qu’une transaction a été conclue entre les parties suite à l’acceptation inconditionnelle par Pinnacle le 1er avril 2015 de l’offre finale de Beam du 30 mars 2015. En droit civil, la transaction est le contrat par lequel des parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques. Celle-ci est indivisible quant à son objet (art 2631 CCQ). Elle a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée (art 2633 CCQ). La situation ne semble pas différente dans les provinces de common law (Bryant v Bryant Estate, 2015 ONSC 161 aux paras 96-98; Olivieri v Sherman, 2007 ONCA 491).

[28]           Or, il n’est pas toujours nécessaire qu’une entente de règlement soit signée par les parties pour qu’il y ait transaction. En l’espèce, les conditions de l’offre et de l’acceptation sont réglementées aux articles 1388 et suivants du Code civil du Québec. Une offre de règlement, qui est suivie d’une acceptation, constitue une transaction valable. Au Québec, règle générale, le contrat se forme par le seul échange de consentement entre personnes capables de contracter (art 1385 CCQ). Le silence du destinataire ne vaut généralement pas acceptation (art 1394 CCQ), pas plus qu’une acceptation qui n’est pas substantiellement conforme à l’offre, mais qui peut, cependant, constituer elle-même une nouvelle offre (art 1393 CCQ).

[29]           Les faits ici parlent d’eux-mêmes : offre, acceptation et désistement réciproque en Cour fédérale de l’action et de la demande reconventionnelle, le tout sans frais. Quoi qu’il en soit, Beam prétend qu’il ne faut pas interpréter l’offre finale du 30 mars 2015 de manière littérale, mais qu’il faut rechercher l’intention commune des parties (art 1425 CCQ). Selon Beam, le litige entre les parties doit être compris comme celui défini par les actes de procédure en Cour fédérale, qui démontrent clairement que le litige vise tout le Canada, incluant le Québec. Selon Beam l’objet de la transaction n’est pas ici le dépôt d’avis de désistement, mais bien ce qui est couvert par les désistements, soit la renonciation par les parties aux conclusions recherchées dans leurs procédures respectives, ce qui inclut l’action provinciale qui poursuit la même finalité que l’action fédérale. Le dépôt de l’avis de désistement est simplement le mécanisme pour arriver à l’objet du contrat. Cela est d’ailleurs conforme à ce qui est prévu à l’article 1434 CCQ, selon lequel le contrat valablement formé oblige ceux qui l’ont conclu pour tout ce qui en découle d’après sa nature et suivant les usages, l’équité ou la loi.

[30]           Mais à la vérité, Beam ne respecte leur propre engagement de se désister de leur demande reconventionnelle devant la Cour fédérale, ce qui est manifestement un indice de mauvaise foi. D’un autre côté, il m’est impossible d’interpréter l’offre écrite du 30 mars 2015 comme forçant juridiquement Pinnacle à se désister de l’action provinciale intentée en Cour supérieure. La seule interprétation raisonnable de l’objet et des effets de l’offre finale du 30 mars 2015 est celle que permettent les mots clairs utilisés par les offrants. D’ailleurs, les clauses d’un contrat, même si elles sont énoncées en termes généraux, comprennent seulement ce sur quoi il parait que les parties se sont proposé de contracter : art 1431 CCQ. Or, c’est de l’essence même d’une transaction qu’il y ait des « concessions » ou des « réserves réciproques » : art 2631 CCQ. Si une réserve n’est pas inscrite, ce n’est pas sous le couvert d’interpréter la transaction (l’offre acceptée ici), qu’on peut rétroactivement par voie judiciaire permettre l’inclusion d’une réserve particulière non négociée (ou acceptée) et faire du « reading in ».

[31]           Est-il besoin d’ajouter que l’offre finale du 30 mars 2015 ne tranche aucun droit et ne contient aucune admission de responsabilité. Il ne peut y avoir chose jugée sur des éléments non mentionnés dans l’offre finale du 30 mars 2015. Il n’y a certainement pas chose jugée sur la question d’un désistement de l’action provinciale. Du reste, le versement d’une somme d’argent n’est pas non plus envisagé dans l’offre finale du 30 mars 2015, mais puisqu’elle est faite dans le présent dossier de la Cour fédérale, il faut comprendre que l’avantage pécuniaire que retirera chaque partie de la transaction projetée réside dans les économies importantes qu’elles feront au niveau des honoraires et des déboursés qui seront autrement encourus à la suite d’un procès devant la Cour fédérale et des procédures d’appel en Cour d’appel fédérale, voire en Cour suprême du Canada, advenant un jugement défavorable de la Cour fédérale ou de la Cour d’appel fédérale.

[32]           Je ne peux retenir les arguments des procureurs de Beam, lesquels reposent sur un savant sophisme : comme les conclusions recherchées sont à peu de chose près les mêmes en Cour fédérale (ensemble du Canada) et en Cour supérieure (territoire du Québec), la province de Québec faisant partie du Canada, l’acceptation de l’offre finale du 30 mars 2015 comprenait nécessairement le désistement de l’action provinciale. Or, ce n’est pas la nature des procédures qui détermine l’objet et l’effet d’une transaction, mais ce que les parties ont stipulé : leurs concessions réciproques. Il n’y a aucune réserve ou concession dans l’offre finale du 30 mars 2015 sur les droits que prétendent avoir les parties dans leurs procédures en Cour supérieure et en Cour fédérale.

[33]           C’est une évidence. En l’absence de toute ambiguïté dans l’offre finale du 30 mars 2015, il n’est pas nécessaire de l’interpréter (Gregory c Château Drummond inc, 2012 QCCA 601 au para 56). Or, l’offre finale du 30 mars 2015 est claire et Beam n’a jamais prétendu devant cette Cour qu’il y avait une erreur dans la rédaction de ses termes. Au contraire, lors de ses représentations orales, Me François Guay, le procureur principal de Beam, a reconnu que l’offre finale du 30 mars 2015 ne faisait pas référence à l’action provinciale parce que la Cour fédérale n’a tout simplement pas compétence sur cet aspect du litige, et ne pourrait donc pas, dans un jugement final, ordonner le rejet de l’action provinciale. Au risque de me répéter, l’offre écrite du 30 mars 2015 a été faite avec préjudice et elle n’accorde aucune discrétion aux parties. L’offre indique clairement ce que doit faire chaque partie et c’est très simple : se désister de part et d’autre de leurs procédures en Cour fédérale. Au demeurant, même s’il y avait une ambiguïté au niveau de la cause ou de l’objet du contrat – ce qui n’a pas été démontré par Beam à mon humble avis – puisque l’offre écrite du 30 mars 2015 a été rédigée par les procureurs de Beam – cette ambiguïté doit aujourd’hui jouer en faveur de Pinnacle : art 1432 CCQ; Messageries de presse Benjamin inc c Publications TVA inc, 2007 QCCA 75 au para 45 [Messageries de presse Benjamin].

[34]           La bonne foi de Pinnacle doit être présumée (art 2805 CCQ). Il n’a pas été démontré en l’espèce par Beam que Pinnacle a agi de mauvaise foi dans le présent dossier de la Cour fédérale. L’acceptation inconditionnelle de l’offre écrite du 30 mars 2015 ne constitue pas un abus de droit. Beam prétend que la mauvaise foi de Pinnacle ressort également du fait que Pinnacle a déjà demandé la permission d’amender l’action fédérale pour exclure spécifiquement le Québec. Or, cette permission lui a été refusée par le protonotaire Morneau dont la décision a été confirmée par le juge Boivin de cette Cour, tel qu’il était alors : Domaines Pinnacle Inc c Beam Inc, 2013 CF 831. Quoi qu’il en soit, le fait que Pinnacle ait antérieurement demandé la permission d’amender son action en Cour fédérale et que sa requête et son appel aient été rejetés par la Cour n’est pas pertinent pour décider aujourd’hui si Pinnacle a eu un comportement répréhensible en se désistant le 1er avril 2015 de l’action fédérale suite à l’offre non équivoque du 30 mars 2015.

[35]           Beam cherche – erronément – à assimiler un désistement en Cour fédérale à un rejet par cette dernière Cour. Or, sauf exceptionnellement – par exemple le paragraphe 16.2(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T-2 – un désistement n’équivaut pas au rejet de la procédure en cause à la date à laquelle la Cour reçoit l’avis de désistement (voir Scarola, précité, aux paras 19- 28; McNichol c Compagnie d’Assurance Générale Co-operators, 2006 NBCA 54 aux paras 27-29). De plus, l’objet de la transaction visée par l’offre écrite du 30 mars 2015 ne porte pas ici sur l’obtention d’un jugement de rejet sur consentement, mais exclusivement sur la production d’un désistement sur consentement. Cela fait une différence énorme, car dans le cas d’un rejet, il y a chose jugée sur le mérite de l’action (Reddy v Oshawa Flying Club, [1992] OJ NO 1337 à la p 5; 351694 Ontario Ltd c Paccar du Canada Ltée, 2004 CF 1442 au para 16; Carr et al v Cheng et al, 2007 BCSC 2042 au para 16; Dhaliwal c Perlini, 2012 QCCS 5413 au para 8; Sicotte c Provencher, 2006 QCCS 395 aux paras 23-27). Dans le cas d’un désistement, le défendeur peut cependant demander à la Cour fédérale la radiation ou le rejet sommaire pour cause d’abus de procédure d’une nouvelle action recherchant les mêmes remèdes. Que faire lorsqu’il s’agit d’une action déjà pendante dans une juridiction provinciale recherchant les mêmes remèdes? Il appartient exclusivement au tribunal provincial de trancher cette dernière question.

Objection générale à la preuve extrinsèque bien fondée

[36]           La Cour accueille également l’objection générale de Pinnacle relativement à la non utilisation de preuves extrinsèques pour contredire ou interpréter l’offre finale du 30 mars 2015.

[37]           En particulier, dans son affidavit du 7 avril 2015, M. Graham indique que le 27 mars 2015, il a été décidé à l’interne et avec le concours des procureurs de Smart & Biggar, de présenter à Pinnacle une contre-offre finale à l’offre globale du 25 mars 2015 de M. Crawford. Il s’est cependant écoulé encore trois jours avant qu’une action concrète soit prise par Beam ou ses procureurs pour donner effet à cette décision. M. Graham explique que le 30 mars 2015, autour de 9h50, Beam a reçu de leurs procureurs un mémorandum intitulé [traduction] « Points à soulever concernant l’offre de règlement définitive de Beam, à discuter avec Charles Crawford » (Talking points of Beam’s final settlement offer for discussion with Charles Crawford) [les Points à soulever]. Le même jour, autour de 16h46, M. Graham affirme dans son affidavit que [traduction] « les parties Beam ont présenté à Domaines Pinnacle Inc. une offre officielle écrite de règlement à Pinnacle, conformément à l’article 420 des Règles, en vue de régler l’ensemble du litige entre les parties au Canada » et il réfère à cet égard à l’offre finale de règlement préparée par Smart & Biggar dont il a été fait mention plus haut. Bien que les Points à soulever n’avait pas été communiqué à M. Crawford, M. Graham affirme dans son affidavit que lors de la conversation téléphonique qu’il a eue avec M. Crawford le 1er avril 2015, à l’heure du midi, il lui a lu mot pour mot les cinq points mentionnés dans les Points à soulever, ce qui est formellement nié par M. Crawford dans son affidavit du 9 avril 2015.

[38]           Les Points à soulever font mention des cinq points de discussion suivants :

[traduction]

Contre-offre de règlement de Beam :

1.   Coexistence des marques de commerce et produits respectifs des parties, et ce, à l’échelle du Canada.

2.   Les deux parties enregistrent leurs marques de commerce respectives en liaison avec leurs produits respectifs.

3.   Domaines Pinnacle rejette avec préjudice ses deux actions présentées contre Beam.

4.   Beam retire sa demande reconventionnelle.

5.   Chaque partie assume ses propres frais juridiques.

Il s’agit de l’offre définitive de Beam; elle ne comprend pas le versement de quelque montant d’argent, par une partie ou l’autre.

[39]           De plus, si cette contre-offre finale est acceptable en principe, toujours selon les Points à soulever, il n’y aura aucune entente ni aucun règlement global tant que les parties ne se seront pas entendues sur les termes exacts du règlement et qu’elles n’auront pas signé une entente formelle de règlement :

[traduction]

S’il y a un intérêt à l’égard d’un règlement fondé sur ce qui précède, les documents relatifs à ce règlement devront être rédigés, et l’entente prendra naissance uniquement lorsque les deux parties auront convenu de toutes les modalités de celle-ci et auront signé le document d’entente de règlement.

S’il n’y pas d’intérêt à l’égard d’un règlement fondé sur ce qui précède, Beam est disposée à se présenter à la Cour le 13 avril pour le procès.

Les avocats de Beam feront une offre inconditionnelle de règlement au titre des Règles des Cours fédérales à l’avocate de Charles; cette offre sera valide jusqu’à la fin de la première journée du procès.

[40]           De façon tendancieuse, Beam suggère à la Cour que les Points à soulever constituent un simple outil d’interprétation mais, à leur face même, les Points à soulever constituent une offre très différente de l’offre originale du 30 mars 2015. Les points 1 et 2 ne font pas partie de l’offre du 30 mars 2015. D’ailleurs, en ce qui a trait au point 2, dans son affidavit du 7 avril 2015, M. Graham précise que le 31 mars 2015 : [traduction] « M. Kent Rose, vice président principal, avocat général, administrateur en chef et secrétaire de la demanderesse reconventionnelle Jim Beam Brands Co., m’a donné la directive d’inclure la consigne « elle peut choisir, à sa propre discrétion » au point no 2 de l’offre définitive de règlement des parties Beam contenue dans les Points à soulever que nos avocats nous ont fournis, mais il était par ailleurs d’accord avec le point. » Quant au point 3, il n’est plus question d’un simple désistement de l’action fédérale, mais que [traduction] « Domaines Pinnacle rejette avec préjudice ses deux actions présentées contre Beam » [non souligné dans l’original]. Force est de conclure que pour parvenir à ce dernier résultat, il faudrait que des requêtes soient formellement présentées à la Cour fédérale et à la Cour supérieure demandant le rejet de consentement des deux actions de Pinnacle – et avec préjudice, faut-il préciser. D’un autre côté, l’offrant reçoit un traitement plus favorable : Beam se désistera tout simplement (sans préjudice) de leur demande reconventionnelle. Donc, si l’on exclut le point 5 voulant que chaque partie paie ses frais – l’objet et l’esprit même des Points à soulever sont très différents de l’offre finale du 30 mars 2015. On comprend mieux le commentaire général des procureurs de Beam selon lequel il n’y aura entente finale liant les parties que lorsqu’un document formel de règlement aura été signé.

[41]           L’objection générale de Pinnacle est bien fondée. La preuve extrinsèque ne peut pas être utilisée pour contredire une offre claire et non ambigüe (Canada c General Motors du Canada Limitée, 2008 CAF 142 au para 32). L’offre écrite du 30 mars 2015 n’est assujettie à aucune condition suspensive particulière, sinon celle de son acceptation ou son rejet par Pinnacle dans le délai imparti. En l’espèce, l’offre du 30 mars 2015 et son acceptation sont des actes juridiques tous deux constatés par écrit. Ceux-ci ne peuvent pas être contredits par témoignage, puisqu’il n’y a aucun commencement de preuve tels un aveu ou un écrit émanant de Pinnacle (arts 2863, 2865 CCQ). De plus, l’offre écrite du 30 mars 2015 n’est pas incomplète et il n’est donc pas possible de la compléter par témoignage (art 2864 CCQ). Les Points à soulever sont donc inadmissibles en preuve et le fait que M. Graham affirme dans son affidavit avoir fait une lecture orale des Points à soulever lors de la conversation téléphonique qu’il a eue avec M. Crawford le 1er avril 2015, au midi, ne suffit pas à rendre cette preuve extrinsèque admissible.

[42]           De l’admission même de M. Graham, Beam a autorisé ses procureurs à faire l’offre finale du 30 mars 2015 et dont le contenu parle par lui-même. Le 30 mars 2015, Beam a donc volontairement choisi de faire, avec préjudice, une offre finale en vertu de la Règle 420, qui ne traite pas des questions de confusion ou de concurrence dans différents marchés, de l’enregistrement des marques de commerce « Domaine Pinnacle », « Pinnacle Vodka » ou « Pinnacle », ni de l’utilisation au Canada ou au Québec des marques de commerce non enregistrées, ni de la position ou de l’absence d’opposition devant la Registraire des marques de commerce. Cette Cour n’a pas à se demander aujourd’hui pour quelle raison stratégique Beam ou ses procureurs n’ont pas, à l’époque, présenté une offre écrite de règlement reprenant mot pour mot les cinq points des Points à soulever. Également, la logique commerciale derrière une offre de règlement n’est pas pertinente (Messageries de presse Benjamin, précité aux paras 12 et 22).

Subsidiairement la preuve extrinsèque n’est pas concluante

[43]           Subsidiairement, j’ajouterais que la preuve extrinsèque jugée inadmissible plus haut n’est pas concluante en l’espèce et que les forts doutes entretenus à ce sujet doivent favoriser Pinnacle plutôt que Beam. L’erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement (art 1400 CCQ) et il n’y a aucune preuve au dossier à l’effet que l’offre du 30 mars 2015 résulte d’un dol de Pinnacle ou de son silence (art 1401 CCQ). La preuve extrinsèque sur laquelle Beam se fonde est soit préconstituée (e.g. les Points à soulever), soit postérieure à l’offre du 30 mars 2015 (e.g. la conversation téléphonique du 30 mars 2015), ce qui leur confèrent très peu de valeur probante dans des circonstances. Sans me prononcer sur la question, Beam n’a pas à faire porter sur Pinnacle le poids de toute erreur que Beam ou ses procureurs ont pu commettre au niveau du libellé l’offre écrite du 30 mars 2015.

[44]           Subsidiairement, je vais également traiter de la crédibilité des trois affiants principaux qui ont été contre-interrogés à l’audience, soit Messieurs Crawford et Graham, et Me Benmokrane. Beam a cherché à attaquer la crédibilité générale de M. Crawford et de Me Benmokrane dont le témoignage corrobore les instructions qu’il a reçues de M. Crawford et de Me Brouillette qui avait directement parlé à M. Crawford. Beam n’a pas réussi à me convaincre qu’il fallait rejeter l’ensemble de leurs déclarations et témoignages. Je trouve ces deux témoins crédibles. M. Crawford a longuement été contre-interrogé. Il n’était pas hésitant ni évasif et sa mémoire était excellente. Sa version beaucoup plus nuancée et proche de la réalité de la conversation d’homme d’affaire qu’il a eue avec M. Graham m’apparaît la plus vraisemblable. D’un autre côté, le peu de loquacité dont M. Graham a fait preuve lors de son contre-interrogatoire, la formulation très légaliste de plusieurs paragraphes clés de son affidavit, une moins bonne mémoire et certaines contradictions jouent en défaveur de Beam. Par exemple, selon le paragraphe 12 de son affidavit, M. Graham désirait parler à M. Crawford des [traduction] « détails et des conséquences pour les parties de l’offre de règlement présentée par les parties Beam ». Cette affirmation est directement contredite par le témoignage de M. Crawford et a même été remise en question par M. Graham lui-même qui a confirmé lors de son contre-interrogatoire ne pas avoir parlé de l’offre finale du 30 mars 2015. De plus, je ne crois pas M. Graham, lorsqu’il affirme au paragraphe 15 de son affidavit du 7 avril 2015, que la contre-offre du 1er avril 2015 constituait sa [traduction] « seule offre, et qu’elle était définitive ». Durant son témoignage, M. Graham a reconnu que le [traduction] « suivi » qu’il faisait le 1er avril 2015 était suite à la discussion qu’il avait eue avec M. Crawford le 25 mars, et ce n’était donc pas suite à l’envoi de l’offre finale du 30 mars 2015. Pour ces motifs, j’ai des réserves très sérieuses concernant plusieurs affirmations gratuites et non corroborées de M. Graham dans son affidavit.

[45]           Il est également manifeste que la contre-offre globale de règlement soi-présentée oralement par M. Graham à M. Crawford disant le 1er avril 2015 était très différente de l’offre présentée en vertu de la Règle 420. Aussi bien M. Graham que M. Crawford ont témoigné à l’audience que M. Graham a proposé une contre-offre globale qui prévoyait la coexistence entre les produits et marques de commerce des parties à travers le Canada, incluant le Québec. M. Graham a indiqué avoir passé à travers les cinq items numérotés des Points à soulever fournis par ses procureurs, mais ne pas avoir pu se rendre jusqu’à la fin du document puisque M. Crawford a refusé l’offre avant. Selon M. Crawford, M. Graham n’aurait, en aucun moment, fait référence à un document qu’il devait lire, et n’a pas parlé de l’ensemble des cinq items numérotés; par exemple, M. Graham n’a jamais mentionné l’enregistrement des marques de commerce. M. Crawford a toutefois reconnu que certains des items avaient été mentionnés, notamment la coexistence des produits et marques de commerce respectives des parties à travers le Canada. De plus, M. Crawford a reconnu que M. Graham avait mentionné que dans le cadre de la coexistence des marques de commerce de Pinnacle et Beam à travers le Canada, Pinnacle devrait se désister devant la Cour fédérale et devant la Cour supérieure, mais également ne pas poursuivre toute opposition future à la marque de commerce de Beam. Il s’agit d’éléments extrinsèques à l’offre finale du 30 mars 2015.

[46]           Cela dit, s’agissant de la teneur générale de la conversation téléphonique qu’ont eue le 1er avril 2015, autour de 12h07, Messieurs Crawford et Graham, les versions des deux protagonistes se rejoignent sur certains éléments clés. Premièrement, la conversation téléphonique a été de très courte durée et il n’y a pas eu de véritables discussions. Deuxièmement, M. Graham n’a pas mentionné l’offre écrite faite par ses procureurs le 30 mars 2015 (mais M. Crawford n’a pas non plus mentionné cette offre ou le fait qu’il avait accepté cette dernière et déposerait donc un avis de désistement en Cour fédérale). Troisièmement, lorsque M. Crawford a appris que la contre-offre globale de Beam ne comprenait aucune somme d’argent en réponse à son offre globale de Pinnacle d’un million de dollars, M. Crawford a avisé M. Graham qu’il n’avait pas l’intention d’accepter cette dernière et a raccroché. L’ajout de conditions additionnelles par Beam le 1er avril 2015 à son offre finale du 30 mars 2015 ne peut aujourd’hui servir de prétexte au non-respect de leur engagement à se désister de leur demande reconventionnelle. Il faut conclure que Beam est de mauvaise foi.

[47]           En faisant leur offre finale du 30 mars 2015, Beam et ses procureurs ont pris un risque calculé : régler le litige devant la Cour fédérale au moindre coût possible et sans concession, tout en ne compromettant pas leurs chances d’obtenir à la fin du procès le double des dépens si, d’aventure, Pinnacle refusait leur offre finale. Cela ressort clairement du courriel des procureurs de Beam du 30 mars 2015 qui est adressé aux procureurs de Pinnacle afin qu’ils s’assurent de communiquer non seulement l’offre écrite de règlement, mais d’aviser Pinnacle des conséquences très onéreuses d’un refus éventuel de Pinnacle d’accepter l’offre. D’ailleurs, les procureurs de Beam ont joint, à leur courriel et à l’offre finale du 30 mars 2015, le jugement rendu le 14 janvier 2015 par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Philip Morris Products SA v Malboro Canada Limited, 2015 FCA 9. Il ressort généralement du témoignage de M. Crawford à l’audience que pour une petite entreprise comme Pinnacle, la menace de Beam de continuer à assumer des frais de procès énormes en cas de refus était un risque important à considérer et que cela été une considération majeure pour accepter l’offre finale du 30 mars 2015. Son explication me semble raisonnable en l’espèce.

[48]           Tant s’en faut, il reste un point d’interrogation sur lequel je vais également me prononcer subsidiairement : celui du moment exact dans la journée du 1er avril 2015 où M. Crawford a décidé d’accepter l’offre finale du 30 mars 2015 et de signer le désistement. À en croire M. Crawford qui y a réfléchi la veille, il a donné instruction à ses procureurs, le matin du 1er avril 2015, d’accepter l’offre finale du 30 mars 2015 et de préparer un désistement de l’action fédérale. Mais les procureurs de Beam suggèrent qu’il est plus vraisemblable que ces instructions aient été données dans l’après-midi du 1er avril 2015, soit après que M. Crawford ait parlé avec Me Brouillette suite à la conversation du midi avec M. Graham. Il n’empêche, le témoignage de M. Crawford sur ce point est corroboré par Me Benmokrane, qui a été longuement contre-interrogé au sujet des discussions qu’il a eues le matin du 1er avril 2015 avec M. Crawford et Me Brouillette. Me Benmokrane est un officier de justice et je n’ai aucune raison de croire qu’il a pu mentir à la Cour. Une telle accusation est très grave et doit reposer sur des preuves concrètes et non sur des spéculations ou des extrapolations faites à partir d’un projet de compte d’honoraires du cabinet non révisé par le principal intéressé. Dans son ordonnance du 10 avril 2015, la Cour avait autorisé les parties si certains faits pertinents n’étaient pas à la connaissance personnelle des affiants, mais à celle de leurs procureurs, de contre-interroger ces derniers – sous réserve de toute objection à la preuve (pensons au secret professionnel). Beam a choisi de ne pas contre-interroger Me Magali Fournier et Me Robert Brouillette qui ont également été en communication directe le 1er avril 2015 avec M. Crawford. J’accepte que M. Crawford a retourné l’avis de désistement signé par courriel à Me Benmokrane, probablement entre 13h00 et 14h00, après sa conversation avec M. Graham. Il y a donc lieu de ne pas écarter les témoignages de M. Crawford et Me Benmokrane. Quoi qu’il en soit, toute cette preuve extrinsèque n’apporte aucun éclairage pertinent. Le fait demeure que Pinnacle a accepté l’offre écrite du 30 mars 2015 qui était toujours en vigueur et n’avait pas été retirée par Beam.

Conclusion

[49]           Pour tous ces motifs, il y a donc lieu d’accueillir la requête en jugement de Pinnacle et de déclarer que l’offre écrite finale du 30 mars 2015 a été acceptée inconditionnellement le 1er avril 2015 par Pinnacle, ce qui a eu pour effet de mettre fin au présent litige des parties devant la Cour fédérale. De plus, prenant acte du désistement de Pinnacle, et vu le refus abusif de Beam de produire dans la présente instance un avis de désistement de leur demande reconventionnelle, dans l’intérêt de la justice, il y a lieu de rendre une ordonnance d’arrêt permanent des procédures engagées par les parties dans le présent dossier de la Cour fédérale.

[50]           À l’audition, les procureurs des parties étaient d’accord pour que les dépens suivent le sort de la requête en jugement de Pinnacle et qu’un montant global soit accordé à la partie gagnante à titre de dépens liquidés comprenant les honoraires et les déboursés taxables. En l’espèce, Pinnacle a prétendu à l’audience que le comportement répréhensible de Beam justifiait l’octroi de dépens sur une base avocat-client. Pinnacle désire obtenir une somme forfaitaire de 50 000$ correspondant à la somme des honoraires et débours encourus depuis son acceptation de l’offre finale du 30 mars 2015. Pour sa part, si la requête de Pinnacle devait être rejetée par la Cour, Beam demandait une somme forfaitaire de 25 000$ représentant environ 25 à 30% des honoraires et déboursés encourus depuis son offre écrite du 30 mars 2015.

[51]           Pinnacle allègue que Beam l’a forcée à présenter sa requête en jugement et l’a forcé à continuer à se préparer pour le procès au fond, lorsqu’il était clair qu’il y avait une transaction et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas la respecter. Pinnacle allègue qu’il y a eu abus de droit quand Beam a tenté d’induire la Cour en erreur sur le contenu de l’offre de règlement et quand Beam a tenté d’y ajouter des conditions additionnelles, ce qui démontre bien la mauvaise foi de Beam. De plus, Beam a formulé dans ses procédures devant la Cour des accusations gratuites envers Pinnacle, de façon presque calomnieuse, ce qui est également un comportement répréhensible.

[52]           J’accepte substantiellement l’argumentation générale des procureurs de Pinnacle. Je suis également d’accord que des dépens sur une base majorée doivent être accordés à Pinnacle, et ce faisant, j’ai tenu compte de l’importance des frais supplémentaires qui ont dû être engagés par Pinnacle et du comportement répréhensible de Beam qui a eu pour effet de retarder les procédures. Commençons par le plus évident. On retrouve des qualificatifs particulièrement offensants à l’égard de Pinnacle dans les procédures de Beam. Voici un exemple révélateur : « deceitful ploy », c’est-à-dire « stratagème trompeur » en français. De fait, le mot « deceitful » revient à de nombreuses reprises dans les procédures de Beam, qui accuse également Pinnacle d’essayer de fabriquer une transaction (« fabricate a transaction ») et de faire preuve de mépris complet (« complete disregard ») envers des décisions passées de la Cour. Les accusations de Beam sont très graves et elles ne pouvaient pas reposer sur de simples conjectures. Elles n’ont tout simplement pas été prouvées. Or, l’utilisation de tels mots est non seulement très malheureux mais ceci a forcé Pinnacle à se défendre et à répliquer.

[53]           La bonne foi de Pinnacle ressort également de sa conduite dans les semaines ayant précédé la date du procès. De fait, beaucoup de temps, d’énergie et d’argent ont été investis par les parties depuis le début du dossier à la Cour fédérale. Tant Pinnacle que Beam étaient prêtes à procéder, si nécessaire, le 13 avril 2015. Cela ressort clairement des efforts considérables que les parties ont mis dans la constitution et la production conjointe d’un nombre impressionnant de documents, d’admissions de part et d’autre, d’aperçus des témoignages à venir, de cahiers d’autorités, etc., et s’il n’y avait pas eu acceptation inconditionnelle de l’offre finale du 30 mars 2015, il y aurait eu un procès. Pinnacle a agi de manière responsable dans ce dossier en se désistant, promptement, le 1er avril 2015 de son action devant la Cour fédérale. On ne peut pas en dire autant de Beam, qui a refusé jusqu’ici, de se désister de la demande reconventionnelle, et ce, malgré la proposition deux semaines plus tôt d’adresser ses griefs à la Cour supérieure, si tant est que les procureurs de Beam soient convaincus que la production d’un simple désistement en Cour fédérale équivaut à une admission que les allégations de l’action provinciale sont sans fondement aucun – un point très litigieux qui, on peut l’imaginer, sera sans doute vivement contesté par Pinnacle. Beam a plutôt choisi de poursuivre la guérilla judiciaire, en obligeant Pinnacle à présenter sa requête en jugement et en l’obligeant également à répondre à une requête en amendement alléguant abus de procédure et dont Beam s’est désistée à la dernière heure, le 15 avril 2015.

[54]           Dans l’exercice de ma discrétion judiciaire, après avoir considéré et soupesé tous les facteurs pertinents mentionnés aux Règles 400 et suivantes, je suis satisfait que l’allocation d’un montant forfaitaire de 30 000 $ – bien qu’inférieur au montant total des déboursés et des honoraires d’avocat réellement encourus par Pinnacle depuis le 2 avril 2015 – est raisonnable dans les circonstances.


JUGEMENT

LA COUR accueille la requête en jugement de Pinnacle, déclare et ordonne ce qui suit :

1.                  L’offre écrite finale du 30 mars 2015 de Beam a été acceptée inconditionnellement le 1er avril 2015 par Pinnacle, ce qui a eu pour effet de mettre fin au présent litige des parties devant la Cour fédérale;

2.                  Prenant acte du désistement sans frais par Pinnacle de son action et du refus abusif de Beam de se désister de leur demande reconventionnelle, dans l’intérêt de la justice, un arrêt permanent des procédures engagées par les parties dans le présent dossier de la Cour fédérale est décrété;

3.                  Un montant forfaitaire de 30 000 $ à titre d’entiers dépens sur la présente requête et la requête en amendement de Beam dont il y a eu désistement tardif et sans consentement est accordé à Pinnacle.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-290-13

 

INTITULÉ :

DOMAINES PINNACLE INC. c BEAM SUNTORY INC. ET, BEAM CANADA INC. ET JIM BEAM BRANDS CO.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 avril 2015,

LE 14 avril 2015, et

le 15 avril 2015

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Robert Brouillette

Me Magali Fournier

 

Pour la demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

 

Me François Guay

Me Ekaterina Tsimberis

Me Guillaume Lavoie Ste-Marie

 

Pour les défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brouillette & Associé, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

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