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Date : 20150521


Dossier : IMM-2434-14

Référence : 2015 CF 654

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2015

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

HAIM RODRIK

VIVET RODRIK

NATALIE RODRIK

LADYA RODRIK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Haim Rodrik [le demandeur principal], son épouse Vivet Rodrik [la demanderesse] et leurs deux filles, Natalie et Ladya Rodrik, ont demandé le contrôle judiciaire de la décision datée du 13 février 2014 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger [la décision].

[2]               La demande est présentée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur principal est un citoyen d’Israël âgé de 56 ans. Il est né à Istanbul, mais a immigré en Israël en 1972. Il craint d’être persécuté par Meir Benhabib [Meir], un narcotrafiquant international.

[4]               La demanderesse est une citoyenne de la Turquie âgée de 40 ans qui est également titulaire d’un passeport israélien. Elle craint d’être persécutée par Karem Borekcioglu [Karem].

[5]               Le demandeur principal a fait la connaissance de la demanderesse en 1998. Ils ont commencé à se fréquenter l’année suivante, et la demanderesse a donné naissance à Ladya en Turquie, en 2004. La demanderesse a déménagé en Israël et s’est convertie au judaïsme, puis le couple s’est marié en octobre 2010. Natalie est née en Israël.

[6]               Les difficultés du demandeur principal ont commencé en 2007, lorsque Meir est sorti de prison en Turquie et s’est installé en Israël. Meir a demandé au demandeur principal de l’aider à lancer une entreprise légitime; toutefois, Meir s’est rapidement remis au trafic de drogue.

[7]               Meir a alors demandé au demandeur principal de l’aider dans son commerce illégal. Cependant, au lieu d’aider Meir, le demandeur principal l’a dénoncé à la Drug Enforcement Administration [la DEA] des États‑Unis à l’ambassade américaine de Tel Aviv, et a obtenu un visa américain de 10 ans en échange de renseignements sur Meir. Le demandeur principal a reçu un numéro d’informateur et a commencé à communiquer avec un agent de la DEA.

[8]               Après l’arrivée de la demanderesse en Israël en 2010, le demandeur principal s’est mis à craindre Meir de plus en plus. Il a donc éloigné sa famille de la ville et ils se sont installés dans une banlieue voisine. Toutefois, Meir les a retrouvés et a communiqué encore avec le demandeur principal.

[9]               Le demandeur principal n’a pas demandé protection à la police israélienne parce que, d’après sa propre expérience de garde civil, il savait que des fuites se produisaient au sein de la police et qu’aucun programme de protection des témoins n’était en place. Il a plutôt demandé à la DEA de les protéger, lui et sa famille. Il a reçu l’instruction de se rendre à Chypre, où la DEA devait aider son épouse et ses enfants à obtenir des visas américains.

[10]           Les demandeurs se sont rendus à Chypre en janvier 2011, mais n’ont pas pu obtenir les visas en question. Après l’incident impliquant Karem décrit ci‑dessous, ils se sont enfuis au Canada en août 2011 et ont demandé l’asile.

[11]           Les problèmes de la demanderesse ont commencé en 2008 lorsqu’elle a été présentée à Karem à Istanbul. Il a commencé à la poursuivre de ses assiduités, mais ses avances persistantes la rendaient mal à l’aise. Il a suivi la demanderesse et sa fille dans Istanbul, et s’est aussi présenté sans invitation au domicile de la demanderesse.

[12]           La demanderesse allègue que, en mars 2010, Karem a tenté de la violer. Elle affirme que ses cris ont alerté un voisin, qui a appelé la sécurité. Karem s’est alors enfui. C’est à la suite de cet incident qu’elle est allée rejoindre le demandeur principal en Israël.

[13]           Après l’arrivée des demandeurs à Chypre, allègue la demanderesse, Karem les a retrouvés et a conspiré avec ses voisins en vue de kidnapper ses filles. La tentative de Karem a échoué, et il a par la suite été expulsé de Chypre. La demanderesse craint d’être terrorisée par Karem et de ne pas pouvoir obtenir la protection de l’État si elle retourne en Turquie. Toutefois, elle n’a rien à craindre de Karem si elle retourne en Israël. En ce qui concerne Israël, elle partage la crainte de son époux à propos de Meir.

II.                La décision

[14]           La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur principal à l’égard d’Israël pour les motifs suivants :

a)      elle n’a trouvé aucun lien avec un des motifs prévus dans la Convention;

b)      elle a conclu que le demandeur principal manquait de crédibilité;

c)      elle a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque au sens de l’article 97 de la LIPR;

d)     elle a conclu qu’Israël offrait une protection de l’État adéquate.

[15]           Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur principal conteste uniquement la conclusion de la Commission sur la protection de l’État.

[16]           La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse à l’égard de la Turquie sur le fondement des articles 96 et 97 de la LIPR parce que le récit de la demanderesse manquait de crédibilité.

[17]           La Commission a rejeté la demande d’asile présentée par la demanderesse à l’égard d’Israël parce qu’elle reposait sur la demande d’asile du demandeur principal, laquelle avait déjà été rejetée.

[18]           La Commission a également conclu que la demanderesse pouvait retourner en Israël et devenir citoyenne de ce pays par l’effet de la loi du retour.

[19]           Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste :

a)      les conclusions défavorables sur la crédibilité ayant trait à sa crainte de Karem;

b)      la conclusion selon laquelle elle a droit à la citoyenneté israélienne par l’effet de la loi du retour.

III.             Questions en litige

[20]           Les questions déterminantes sont les suivantes :

                         i.     Les motifs de la Commission sont‑ils suffisants lorsqu’ils décrivent que le droit à la citoyenneté de la demanderesse et de Ladya est fondé sur la loi du retour d’Israël?

                       ii.     Si les motifs sont insuffisants, le dossier contient‑il d’autres éléments de preuve appuyant la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse et Ladya ont droit à la citoyenneté israélienne?

IV.             Discussion

[21]           La Commission a noté que la demanderesse était entrée au Canada avec un passeport de l’État d’Israël (provisoire) qui portait la mention [traduction] « Citoyenneté israélienne » sur la page couverture. La Commission a également noté que ce document créait la présomption réfutable que la demanderesse était citoyenne d’Israël [la présomption de citoyenneté].

[22]           Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP] initial, la demanderesse s’est elle‑même décrite comme étant citoyenne d’Israël. Par la suite, dans son FRP modifié, elle a changé son statut en Israël pour celui de visiteuse. Cependant, comme aucun document n’a été produit pour corroborer ce statut, la présomption de citoyenneté n’a pas été réfutée.

[23]           Lors de l’audience devant la Commission, la demanderesse a témoigné qu’elle avait le droit de retourner en Israël et d’y demeurer indéfiniment.

[24]           La Commission a mentionné les quatre façons d’obtenir la citoyenneté israélienne : la naissance, la résidence, la naturalisation et la loi du retour. Sans en examiner les dispositions, la Commission a simplement conclu que la loi du retour conférait la citoyenneté à la demanderesse et à Ladya.

[25]           À mon avis, ce raisonnement était inadéquat. La loi du retour s’applique aux immigrants juifs en Israël. La demanderesse n’appartient manifestement pas à cette catégorie, parce que la preuve documentaire montre qu’elle est citoyenne d’Israël, et qu’elle a témoigné avoir déjà le droit de retourner et de demeurer indéfiniment dans ce pays.

[26]           Toutefois, le dossier contient de nombreux éléments de preuve appuyant la décision de la Commission, indépendamment de la loi du retour. Premièrement, la présomption de citoyenneté s’applique, de sorte que la demanderesse est actuellement citoyenne d’Israël. Deuxièmement, en leur qualité respective d’épouse juive et d’enfant d’un citoyen israélien ayant le droit de retourner et de demeurer indéfiniment en Israël, la demanderesse et Ladya ont le pouvoir d’obtenir la citoyenneté d’Israël. À cet égard, voir l’arrêt Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), 2005 CAF 126, au paragraphe 22.

[27]           Pour ces motifs, j’ai conclu que, d’après le dossier, la décision de la Commission était raisonnable.

[28]           J’ai également conclu qu’il était inutile d’aborder les autres questions en litige. Étant donné que la demanderesse et Ladya peuvent vivre en sécurité en Israël, je n’ai pas besoin d’examiner le caractère raisonnable de la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible dans sa demande d’asile à l’égard de la Turquie. De même, étant donné qu’il a été conclu que le demandeur principal n’était pas exposé à un risque en Israël, les conclusions de la Commission sur la protection de l’État n’étaient pas nécessaires et n’ont pas besoin d’être examinées.

V.                Certification

[29]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel aux termes de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-2434-14

 

INTITULÉ :

HAIM RODRIK, VIVET RODRIK, NATALIE RODRIK, LADYA RODRIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 mai 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

le 21 mai 2015

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jelena Urosevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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