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Date : 20150522


Dossier : IMM-1106-14

Référence : 2015 CF 661

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

BERNARD JOSEPH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]          La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR ou la Loi] à l’encontre d’une décision par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur avait présentée depuis le Canada.

[2]          Le demandeur sollicite une ordonnance visant l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de l’affaire à un autre décideur pour nouvel examen.

[3]          Pour les motifs exposés ci‑après, la demande est rejetée.

II.                Contexte

[4]          Le demandeur, M. Bernard Joseph, est un citoyen d’Haïti. En 2004, M. Joseph a fui Haïti parce qu’il craignait d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. L’épouse et les cinq enfants du demandeur sont demeurés en Haïti. Il s’est d’abord rendu aux Bahamas, où il est resté jusqu’en 2009. Il est ensuite allé aux États‑Unis, mais il n’a pas réussi à y obtenir un permis de travail ou à y demander l’asile. Il est entré au Canada le 18 novembre 2010 et il y a demandé l’asile.

[5]          La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur le 31 janvier 2012. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, qu’il n’avait pas de crainte subjective d’être persécuté pour un motif prévu dans la Convention et que son retour en Haïti ne l’exposerait qu’aux risques généralisés auxquels l’ensemble de la population est exposée (p. ex. la détérioration de la situation dans le pays à la suite du tremblement de terre de janvier 2010, l’effondrement ou le quasi‑effondrement de la société civile et de l’état de droit, et les difficultés économiques).

[6]          La SPR a aussi conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve à l’appui de sa demande d’asile ou donné une explication raisonnable de ce manquement. Elle a également conclu que sa conduite à la suite de son départ d’Haïti ne concordait pas avec la conduite d’une personne qui craindrait pour sa vie si elle était forcée de retourner dans son pays d’origine.

[7]          Il n’a pas été renvoyé du Canada après le rejet de sa demande d’asile, car le gouvernement du Canada avait suspendu temporairement les renvois vers Haïti.

[8]          Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire le 28 juin 2012. Dans sa demande, il a déclaré avoir décroché un emploi stable de technicien pour Bell Technical Solutions Inc. [Bell] et utiliser son revenu pour subvenir aux besoins des personnes à sa charge en Haïti. Il joue également un rôle actif au sein de sa collectivité et de son église.

[9]          Le demandeur a allégué qu’il éprouverait des difficultés s’il retournait en Haïti : il lui faudrait renoncer à la vie qu’il avait bâtie au Canada à la faveur de la suspension des renvois, il serait exposé à des risques importants en Haïti parce qu’il reviendrait de l’étranger (p. ex. le risque d’enlèvement) et il aurait de graves difficultés financières en raison de l’extrême pauvreté et du chômage en Haïti.

[10]           Enfin, le demandeur a invoqué l’intérêt supérieur de ses enfants et de son épouse en Haïti, affirmant qu’il aimerait les parrainer pour les faire venir au Canada en raison des difficultés économiques et des conditions de vie éprouvantes en Haïti. Il est leur unique source de soutien financier et il a déclaré qu’ils tomberaient dans la misère s’il retournait en Haïti, car il ne pourrait pas se trouver de travail et que le soutien social y est insuffisant.

[11]           Il a présenté les documents suivants en guise de preuve à l’appui :

       Une lettre de Bell de quatre lignes dans laquelle il est écrit que le demandeur est au service de Bell depuis juin 2011 et qu’il gagne actuellement 15,40 $ l’heure (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 69);

       Un avis de cotisation de 2011 de l’Agence du revenu du Canada [ARC] faisant état d’un revenu de 20 320 $ (DCT, à la page 71);

       Des reçus de transferts d’argent en Haïti de 2011 à 2012 (DCT, aux pages 86 à 199);

       Des notes manuscrites d’une clinique haïtienne faisant état de l’âge, de la taille et de la couleur des yeux des membres de la famille du demandeur (DCT, aux pages 75 à 85);

       Une lettre de l’église, datée du 10 avril 2012, dans laquelle il est écrit [traduction] « [qu’]il est un atout pour le milieu chrétien à Toronto en raison de son désir de servir le Seigneur comme son sauveur personnel […] très courtois, fiable, honnête, ambitieux et travaillant » et il est recommandé de [traduction« tenir compte du fait qu’il est un bon citoyen » (DCT, à la page 60).

III.             Décision contestée

[12]           Dans une lettre datée du 16 décembre 2013, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur, car les facteurs mentionnés dans la demande étaient insuffisants pour que lui soit accordée une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.

[13]           Il était mentionné dans la décision que le demandeur faisait l’objet d’une mesure de renvoi; cependant, du fait de la suspension temporaire des renvois vers Haïti, il pourrait demeurer au Canada aussi longtemps que le sursis demeurerait en vigueur.

A.                Établissement au Canada

[14]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de documents pour montrer qu’il est solidement établi au Canada. Une lettre de l’employeur avait certes été présentée, mais l’agent a estimé qu’elle ne contenait pas assez d’information sur la situation en matière d’emploi du demandeur, car elle ne précisait pas, entre autres, s’il est un employé permanent ou un employé temporaire sous contrat, et qu’elle ne faisait pas état de ses titres de compétence, de la nature de son travail ou de son dossier d’emploi. L’agent a fait observer qu’aucun document supplémentaire n’avait été déposé relativement à son emploi, comme des lettres de gestionnaires ou de collègues. L’agent a reconnu que le fait que le demandeur envoyait régulièrement de l’argent pour soutenir sa famille en Haïti et que presque tout l’argent était destiné à son épouse constituait un élément favorable. Toutefois, l’agent a conclu qu’il n’était pas possible d’évaluer l’autonomie financière du demandeur au Canada ou la provenance des fonds qu’il envoyait en Haïti, car il n’avait soumis qu’un seul avis de cotisation datant de 2011 (aucune information bancaire et aucun document d’impôt pour 2010, 2012 ou 2013).

[15]           Enfin, l’agent a reconnu que si le fait d’avoir un emploi et la participation aux activités de l’église constituent des éléments favorables, ces facteurs ne suffisent pas en eux‑mêmes à montrer que le degré d’établissement est assez élevé pour justifier l’octroi d’une dispense.

B.                 Intérêt supérieur des enfants

[16]           L’agent a conclu que les renseignements fournis au sujet des enfants du demandeur et des conditions dans lesquelles ils vivent n’étaient pas suffisants pour qu’un poids puisse être accordé à ce facteur dans l’évaluation. Les seuls documents présentés étaient des photocopies de leurs actes de naissance et un document d’une clinique d’ophtalmologie confirmant leur âge, leur taille et la couleur de leurs yeux. L’agent a reconnu que le soutien financier offert par le demandeur était un élément favorable, mais il a relevé plusieurs lacunes dans les éléments de preuve qui ne permettaient pas de savoir :

                si les enfants avaient été déplacés à l’intérieur du territoire;

                si les enfants fréquentaient l’école;

                si les enfants avaient accès aux soins de santé;

                quels étaient les besoins des enfants;

                quelles difficultés les enfants avaient éprouvées depuis qu’il avait quitté Haïti;

                dans quelle mesure le demandeur contribue au bien‑être de ses enfants;

                si l’épouse du demandeur a un emploi;

                comment l’épouse du demandeur s’occupe de leurs enfants en l’absence de celui‑ci.

                Risque et conditions défavorables dans le pays

[17]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait déposé aucun document qui le concernait personnellement – les documents fournis étaient de nature générale et portaient principalement sur la crise humanitaire qui avait frappé Haïti à la suite du tremblement de terre de janvier 2010. L’agent a conclu qu’il ne pouvait accorder qu’une [traduction] « importance relative » à ce type d’éléments de preuve parce qu’il [traduction« n’existait pas de lien direct entre ces éléments et une situation vécue par M. Joseph dans laquelle il aurait fait l’objet de ce qui pourrait être considéré comme des actes de discrimination », et parce que les documents ne montraient pas l’existence d’un risque auquel le demandeur serait personnellement exposé.

[18]           L’agent a déclaré que les craintes du demandeur suscitées par la situation actuelle en Haïti (enlèvements, violence, etc.) sont légitimes, mais qu’elles ne démontrent pas qu’il serait personnellement exposé à un risque, car elles découlent d’une réalité commune dans le pays. Les éléments de preuve documentaires consultés montrent que l’ensemble de la diaspora ne peut être considérée comme un « groupe à risque » et que chaque cas doit être examiné individuellement et « dans son contexte ». Bien qu’il ait quitté Haïti il y a neuf ans, le demandeur n’a pas établi que son profil en ferait directement une cible d’enlèvement.

[19]           Enfin, l’agent a souligné que le demandeur n’avait pas fait état des risques liés à son engagement politique qu’il avait invoqués antérieurement devant la SPR. L’agent a estimé qu’il était raisonnable de conclure que cette menace était mineure compte tenu du temps qui avait passé et des nombreux changements politiques survenus dans l’intervalle.

IV.             Questions en litige

[20]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      L’agent a‑t‑il commis une erreur ou un manquement à un principe de justice naturelle ou au devoir d’équité procédurale dans son appréciation de la preuve relative à l’établissement au Canada du demandeur?

2.      L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

3.      L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant une allégation de difficultés fondée sur les conditions en Haïti, car celles‑ci ne démontrent pas que le demandeur serait personnellement exposé à un risque mais représentent une réalité commune dans le pays?

4.      Les éléments de preuve relatifs aux enlèvements sont‑ils pertinents dans le cadre d’une analyse des motifs d’ordre humanitaire?

V.                Norme de contrôle

[21]           La jurisprudence établit qu’on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs qui leur sont conférés en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, du rôle d’exception des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire au sein du régime législatif, du fait que le ministre est le décideur et de la large discrétion qui leur est accordée (Baker c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 62, Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 18, Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 82 à 84 [Kanthasamy], Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, au paragraphe 18).

[22]           Il est de droit constant que les manquements à l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 62, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79).

VI.             Dispositions législatives

[23]           Les dispositions suivantes de la LIPR sont applicables en l’espèce :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

 

(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face.

(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national.

 

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

 

50. A removal order is stayed

 

e) pour la durée prévue par le ministre.

(e) for the duration of a stay imposed by the Minister.

 

53. Les règlements régissent l’application de la présente section et portent notamment sur :

d) les cas de sursis — notamment par le ministre ou non prévus par la présente loi — des mesures de renvoi;

53. The regulations may provide for any matter relating to the application of this Division, and may include provisions respecting

(d) the circumstances in which a removal order may be stayed, including a stay imposed by the Minister and a stay that is not expressly provided for by this Act;

[24]           Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement], sont applicables :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

230. (1) Le ministre peut imposer un sursis aux mesures de renvoi vers un pays ou un lieu donné si la situation dans ce pays ou ce lieu expose l’ensemble de la population civile à un risque généralisé qui découle :

 

230. (1) The Minister may impose a stay on removal orders with respect to a country or a place if the circumstances in that country or place pose a generalized risk to the entire civilian population as a result of

 

a) soit de l’existence d’un conflit armé dans le pays ou le lieu;

 

(a) an armed conflict within the country or place;

 

b) soit d’un désastre environnemental qui entraîne la perturbation importante et momentanée des conditions de vie;

 

(b) an environmental disaster resulting in a substantial temporary disruption of living conditions; or

 

c) soit d’une circonstance temporaire et généralisée.

 

(cany situation that is temporary and generalized.

 

(2) Le ministre peut révoquer le sursis si la situation n’expose plus l’ensemble de la population civile à un risque généralisé.

(2) The Minister may cancel the stay if the circumstances referred to in subsection (1) no longer pose a generalized risk to the entire civilian population.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

VII.          Analyse

A.                L’agent a‑t‑il commis une erreur ou un manquement à un principe de justice naturelle ou au devoir d’équité procédurale dans son appréciation de la preuve relative à l’établissement au Canada du demandeur?

[25]           Le défendeur a fait observer à juste titre que peu d’éléments de preuve avaient été fournis hormis les propres déclarations du demandeur. Étant donné le nombre de cas rejetés en raison de l’insuffisance de la preuve dans le cadre de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, un demandeur devrait bien savoir que l’omission d’éléments de preuve pertinents pour sa demande est « à ses risques et périls » (Owusu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CAF 38, aux paragraphes 5 et 8, [2004] 2 RCF 635; Din c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 356, au paragraphe 11, 430 FTR 208). Il en va de même pour les mises à jour des renseignements auxquelles il serait raisonnable de s’attendre. Comme la SPR avait conclu que le demandeur avait omis de fournir des éléments de preuve étayant sa demande et n’avait pas donné une explication raisonnable à cette omission, il y avait lieu de penser que tout aurait été mis en œuvre pour éviter qu’une telle chose se reproduise.

[26]           Je conviens avec le défendeur que le demandeur a le fardeau de fournir les éléments de preuve au sujet de sa situation financière. L’agent pouvait raisonnablement conclure que le peu de documents informatifs fournis ne permettait pas d’évaluer dans quelle mesure le demandeur était autonome financièrement et intégré à l’économie canadienne, alors que des renseignements plus détaillés étaient déjà disponibles au demandeur.

[27]           Le demandeur allègue que le traitement que l’agent a fait des éléments de preuve relatifs à l’emploi est déraisonnable et que, dans son appréciation de ces éléments de preuve, l’agent a en fait tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité parce qu’il n’y avait aucune raison de ne pas prêter foi aux déclarations du demandeur au sujet de sa situation d’emploi et de sa situation financière au Canada. Pour ce motif, le demandeur avance que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, car il n’a pas fait savoir au demandeur qu’il était préoccupé par l’insuffisance des éléments de preuve.

[28]           Je ne suis pas d’accord. Les agents qui examinent des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne sont pas tenus de donner la possibilité aux demandeurs de suppléer à l’insuffisance des éléments de preuve soumis au préalable. Il incombe au demandeur d’asile de fournir suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il serait confronté à des difficultés tout au long du processus d’évaluation. Ce n’est pas une exigence inéquitable. Il ne s’agit pas d’un processus accusatoire dans le cadre duquel l’agent peut se tourner vers d’autres parties pour que celles‑ci lui fournissent des éléments de preuve complémentaires qui pourraient porter préjudice à la demande du demandeur d’asile. Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve exhaustifs sur une question, même si certains de ces éléments n’appuient pas sa demande d’asile. L’agent doit compter sur le fait que le demandeur produira une preuve exhaustive à l’appui de sa demande, c’est‑à‑dire qu’il fera de son mieux et n’omettra pas d’éléments de preuve qui seraient normalement attendus.

[29]           Le demandeur a aussi tenté de faire valoir que l’agent n’avait accordé aucune valeur aux éléments de preuve présentés. Cette affirmation est inexacte : l’agent a fait référence à chaque élément de preuve fourni et en a souligné les points positifs.

[30]           Le demandeur affirme en outre que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il avait dû demeurer au Canada pendant deux ans pour des raisons indépendantes de sa volonté en raison de la suspension temporaire des renvois vers Haïti, ni du fait que CIC a reconnu qu’un séjour prolongé ou une incapacité de partir peuvent mener à l’établissement (Citoyenneté et Immigration Canada, IP‑5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, 4 avril 2011). Le moratoire n’est pas un facteur qui ajoute au nombre d’années réellement passées au Canada. La prise en compte de l’existence du moratoire vise à éviter que le temps passé au pays ne soit considéré comme découlant d’un choix, ou dans certains cas, comme dérogeant à la loi. L’agent a conclu que, s’agissant d’établissement, deux ou trois ans constituent une période relativement courte. Cette conclusion n’est pas déraisonnable lorsqu’on la compare à des cas d’établissement réussis, où le temps passé au Canada est généralement plus long.

[31]           Quoi qu’il en soit, je ne conclus pas que la décision de l’agent portait sur la question de l’établissement. Selon moi, le demandeur a passé une période relativement courte au Canada et il a fourni moins d’informations que ce qui est soumis normalement dans le cadre des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, une lacune qui aurait pu être compensée par la présentation d’éléments de preuve plus complets concernant l’intérêt supérieur des enfants.

B.                 L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur des enfants?

[32]           L’agent a conclu qu’il n’avait pas pu effectuer une véritable appréciation de l’intérêt supérieur des enfants faute d’éléments de preuve probants suffisants. Comme il a été décrit, les éléments de preuve à l’appui consistaient en une note manuscrite confirmant l’âge, la taille et la couleur des yeux des enfants, et ne donnaient aucune précision sur la situation de la famille en Haïti.

[33]           Je ne peux pas conclure que la conclusion de l’agent était déraisonnable. Aucune information n’a été fournie quant à leurs conditions de vie, leurs études, leur accès aux soins de santé ou les difficultés éprouvées par la famille. Aucun élément de preuve n’a été soumis relativement à son épouse et à l’emploi de celle‑ci, à un autre soutien familial ou à sa capacité à s’occuper des enfants. Aucun élément de preuve n’a été produit sur la relation qu’avait le demandeur avec son épouse ou avec ses enfants depuis son départ d’Haïti en 2004. Apparemment, rien n’empêchait de fournir davantage de renseignements sur ses enfants, par exemple sous la forme d’un affidavit de son épouse décrivant plus en détail la situation de la famille en Haïti. Il aurait été raisonnable de s’y attendre. Comme dans la décision de la SPR, aucune explication n’a été fournie à l’égard de l’absence de ces éléments de preuve.

[34]           Le demandeur fait valoir qu’il a produit des éléments de preuve faisant état du soutien financier qu’il offre aux enfants et que, compte tenu des conditions de vie déplorables en Haïti, ces éléments étaient suffisants. Je ne suis pas d’accord. L’agent avait le pouvoir discrétionnaire de conclure que les éléments de preuve étaient insuffisants dans les circonstances, ne disposant d’aucune information sur la situation de la famille du demandeur en Haïti.

[35]           Le demandeur fait aussi valoir que l’agent a appliqué le mauvais critère en exigeant qu’il démontre que ses enfants vivaient dans des circonstances exceptionnelles qui justifieraient l’octroi d’une dispense. Cette affirmation laisse croire que l’agent exigeait qu’il soit démontré que les enfants connaîtraient des difficultés, ce qui a été critiqué dans d’autres décisions de la Cour (voir par exemple E. B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 110, au paragraphe 11, 383 FTR 157). L’affirmation ne porte toutefois pas atteinte à la conclusion suivante de l’agent : [traduction« il manque trop d’informations au sujet des enfants et des conditions dans lesquelles ils vivent pour que je puisse accorder de l’importance à cet élément ». Comme il a été mentionné, la Cour ne juge pas que cette conclusion est déraisonnable dans les circonstances.

[36]           J’ajouterai en guise de remarque incidente que je souscris au principe de bon sens selon lequel les difficultés auxquelles les enfants seraient confrontés doivent être démontrées si le demandeur les invoque pour empêcher leur renvoi. Le droit dans ce domaine étant suffisamment complexe, il n’est pas nécessaire d’établir de distinctions supplémentaires. Il faudrait, dans la mesure du possible, appliquer un ensemble de principes cohérent à toutes les personnes touchées par le renvoi du demandeur.

[37]           Il est toutefois bon de se rappeler que l’exposition à des difficultés est plus facile à établir pour les enfants, et ce, même avant de se pencher sur les éléments de preuve particuliers qui les concernent, étant donné leur vulnérabilité intrinsèque et la situation de dépendance qui en découle. Autrement dit, dans l’exercice qui consiste à démontrer l’existence de difficultés, la moitié du chemin est déjà parcourue lorsqu’il s’agit des enfants comparativement aux adultes. J’estime que la vulnérabilité intrinsèque des enfants explique pourquoi il est précisé à l’article 25 qu’il faut tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants. Par conséquent, il est relativement plus facile de démontrer l’existence de difficultés et de circonstances spéciales dans le cas des enfants. Ce facteur, qui semble avoir été négligé, permet d’examiner les difficultés auxquelles sont exposés les enfants d’une manière plus uniforme sans modifier les règles de droit qui s’appliquent à eux.

C.                 L’agent a‑t‑il commis une erreur en rejetant une allégation de difficultés fondée sur les conditions en Haïti, car celles‑ci ne démontrent pas que le demandeur serait personnellement exposé à un risque mais représentent une réalité commune dans le pays?

(1)      Risque et conditions défavorables dans le pays

[38]           Le demandeur allègue que la criminalité s’est répandue en Haïti depuis le tremblement de terre survenu en 2010, ce qui l’exposerait au risque d’enlèvement s’il retournait en Haïti. Il avance qu’il sera vu comme une personne riche parce qu’il a vécu au Canada, ce qui fera de lui une cible pour les criminels et l’exposera à la violence des gangs de façon générale. Autrement, il ne fournit aucun élément de preuve montrant qu’il serait exposé à un risque en raison de sa situation personnelle.

[39]           L’agent a rejeté cette prétention, au motif que les allégations relatives aux difficultés ne sont pas admissibles sur le fondement de l’article 25 lorsque les risques sont généralisés à un segment de la population dans son ensemble. Comme le demandeur n’avait pas un profil faisant de lui une cible d’enlèvement, il ne risquait pas d’éprouver des difficultés sur ce fondement. Les motifs de l’agent concernant cette question sont les suivants :

[traduction]

Les craintes de M. Joseph, quoique légitimes, ne montrent pas l’existence d’un risque auquel il serait personnellement exposé, mais plutôt une réalité commune à toutes les personnes vivant en Haïti. Les actes criminels et les enlèvements soulèvent en effet l’inquiétude dans l’ensemble de la population.

L’enlèvement et la violence que le demandeur dit craindre de subir s’il retournait en Haïti ne peuvent être considérés comme des risques auxquels il serait personnellement exposé. Les éléments de preuve documentaires consultés montrent que la diaspora dans son ensemble ne peut être considérée comme un « groupe à risque » et que chaque cas doit être examiné individuellement et « dans son contexte ». Le demandeur n’a pas montré dans la présente demande que son profil en ferait directement une cible d’enlèvement pour les criminels.

[...] M. Joseph n’a pas mentionné dans sa demande qu’il ne parle pas créole ou qu’il présente des caractéristiques qui le distingueraient des autres citoyens haïtiens et qui feraient de lui une cible pour les criminels.

[40]           Le demandeur affirme que l’agent a importé l’exigence prévue à l’article 97 selon laquelle une personne doit être personnellement ciblée à une analyse en vertu de l’article 25. Il soutient que les conditions défavorables dans le pays peuvent permettre de tirer une inférence raisonnable quant aux difficultés qu’éprouverait la personne, et ce, même si celle‑ci n’a pas été menacée et ciblée personnellement. Il fait valoir que les difficultés évidentes peuvent ainsi être examinées, même si elles ne confèrent pas à la personne la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97.

[41]           À l’audience, le demandeur a invoqué de récentes décisions à l’appui du principe selon lequel une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut pas être rejetée sous prétexte que les circonstances que le demandeur devra affronter sont semblables à celles que doit généralement affronter la population dans son pays d’origine, ce qui imposerait pour le demandeur l’exigence d’établir la distinction entre sa situation et celle de la population générale (Diabate c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 129, au paragraphe 36, 427 FTR 87 [Diabate]; Aboubacar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 714, au paragraphe 4, 242 ACWS (3d) 924 [Aboubacar], et Lauyure c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, au paragraphe 30, 250 ACWS (3d) 674 [Lauyure]).

[42]           Je conviens avec le demandeur que l’agent s’est appuyé sur une analyse qui oblige le demandeur à établir une distinction entre sa situation et celle de la population générale. L’agent a fait observer que le demandeur serait exposé à une réalité commune à l’ensemble du peuple haïtien. Il a conclu que le demandeur n’avait pas montré que son profil [traduction« le distinguerait des autres citoyens haïtiens » et [traduction« ferait de lui une cible d’enlèvement pour les criminels ». L’agent a entre autres imposé au demandeur de démontrer qu’il ne parlait pas le créole pour montrer qu’il se distinguait des autres citoyens haïtiens et qu’il constituerait une cible pour les criminels.

[43]           Le raisonnement de l’agent semble donc entrer en contradiction avec les affaires citées par le demandeur. Voir, par exemple, les observations de la juge Gleason au paragraphe 36 de la décision Diabate :

[36] [...] Le rôle de l’agent dans l’analyse CH consiste à se demander si une personne serait exposée à des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » pour le cas où il lui faudrait demander la résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. Il est à la fois fautif et déraisonnable, dans le cadre d’une telle analyse, d’exiger d’un demandeur qu’il prouve que les circonstances qu’il devra affronter ne sont pas généralement celles que doit affronter la population dans son pays d’origine. Le cadre de l’analyse d’une demande CH doit plutôt être celui du demandeur lui-même, ce qui oblige l’agent à se demander si les difficultés entraînées par un départ du Canada et un renvoi dans le pays d’origine seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées.

[Non souligné dans l’original.]

[44]           Je conviens également que cette analyse ressemble à l’analyse fondée sur l’article 97, dont on trouve un exemple dans la décision Guerrero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1210, [2013] 3 RCF 20 [Guerrero]. Dans cette affaire, la grand‑mère du demandeur a été tuée devant ses yeux, et les mêmes agresseurs lui ont fait des menaces. Le juge Zinn a infirmé la décision du tribunal, affirmant au paragraphe 34 que « lorsqu’une personne risque expressément et personnellement d’être tuée par un gang dans des circonstances où d’autres personnes ne sont généralement pas exposées à ce risque, elle a droit à la protection de l’article 97 de la Loi si les autres exigences légales sont remplies » (non souligné dans l’original).

[45]           Le demandeur affirme en outre que les conditions dans le pays peuvent donner lieu à une inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée. Il s’appuie sur le raisonnement du juge Rennie, tel était alors son titre, dans la décision Aboubacar. Se fondant sur la décision Diabate et sur d’autres cas cités dans la décision, il a conclu que les conditions dans le pays applicables à la population générale pouvaient « confor[ter] l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour au [pays d’origine] ». Ces remarques figurent au paragraphe 12 de sa décision, reproduit ci‑après :

[12]      Bien que les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 doivent s’appuyer sur la preuve, il existe des circonstances où les conditions dans le pays d’origine sont telles qu’elles confortent l’inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles un demandeur en particulier serait exposé à son retour au Niger. Il ne s’agit pas d’une hypothèse, mais bien d’une inférence raisonnée, de nature non hypothétique, relativement aux difficultés auxquelles une personne serait exposée, et, de ce fait, cela constitue le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée, conformément à la décision Kathasamy.

[Non souligné dans l’original.]

[46]           Je remarque que, intentionnellement ou non, le raisonnement exposé dans la décision Diabate et dans d’autres cas au libellé semblable pose un casse‑tête à l’agent, auquel il ne semble y avoir aucune solution. Un demandeur est autorisé à se fonder sur la situation générale dans le pays en cause sans avoir à « prouv[er] que les circonstances qu’il devra affronter ne sont pas généralement celles que doit affronter la population dans son pays d’origine ». Étant donné que le risque posé par la situation générale dans le pays vise l’ensemble de la population par définition, il s’ensuit que la situation peut revêtir un caractère personnel et direct pour le demandeur. L’agent n’a donc d’autre choix que d’admettre que le demandeur est exposé à un risque de subir le type de difficultés auxquelles le reste de la population est généralement exposée (en l’occurrence l’enlèvement), et qu’il doit « se demander si les difficultés entraînées par un départ du Canada et un renvoi dans le pays d’origine seraient inhabituelles, injustifiées ou démesurées ».

[47]           Malgré tout le respect que je dois à mes collègues, j’estime que la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kanthasamy, examinée dans son intégralité et compte tenu de la jurisprudence qui y est invoquée, soutient le principe selon lequel un demandeur ne peut pas établir les circonstances qui l’exposeraient à des difficultés en se fondant sur les risques auxquels la population est généralement exposée sans devoir démontrer que les autres personnes n’y sont généralement pas exposées dans son pays d’origine.

[48]            Lorsque la Cour a affirmé, dans la décision Kanthasamy, que « le demandeur doit faire face personnellement et directement à des difficultés », elle visait à éviter une situation où chaque demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par un ressortissant d’un pays donné devrait être évaluée favorablement. Le paragraphe 48 de la décision se lit comme suit :

[48]      La jurisprudence de la Cour fédérale relève que le demandeur doit faire face personnellement et directement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Les demandeurs qui invoquent le paragraphe 25(1) doivent établir un lien entre la preuve des difficultés qu’ils font valoir et leur situation particulière. Il ne suffit pas de faire état de difficultés sans établir un tel lien (voir, p. ex., Lalane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, au paragraphe 1).

[49]           La Cour a expressément adopté le raisonnement suivi par le juge Shore dans la décision Lalane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, 338 FTR 224 [Lalane], en faisant référence au paragraphe 1 de la décision, ainsi libellé :

[1] L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et délégué notamment à l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) par le ministre (Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, [2005] A.C.F. no 1153 (QL) au par. 10; également, le chapitre IP 5 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes au Canada intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » qui prévoit expressément que le risque identifié dans une demande CH doit être un risque personnalisé (section 13, p. 34), pièce « B » Affidavit de Dominique Toillon; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, 149 A.C.W.S. (3d) 303).

[Non souligné dans l’original.]

[50]           Dans la décision Lalane, le demandeur haïtien a fait valoir qu’il ne pourrait pas être renvoyé entre autres en raison de la situation générale dans le pays et de sa qualité de déporté. La Cour a confirmé comme suit les motifs de l’agent d’immigration au paragraphe 45 de la décision :

[45]      En l’espèce, l’agent d’immigration a conclu à l’absence d’un risque personnalisé donnant lieu à des difficultés injustifiées, inhabituelles ou excessives pour monsieur Lalane. Voici sa conclusion à cet égard :

Malgré cette situation, je considère que le demandeur n’a pas démontré que sa situation est différente de celle des autres citoyens haïtiens. Ainsi, je considère que les sources ainsi que la preuve déposée ne montrent pas l’existence d’une possibilité qu’il soit personnellement à risque en ce pays.

[Non souligné dans l’original.]

[51]           Selon ma compréhension des motifs du juge Shore, il existe un principe général qui empêche que des populations entières de ressortissants étrangers, ou de grands groupes issus de ces populations, revendiquent le statut de résident permanent au Canada de plein droit. Logiquement, parce que les conditions générales dans le pays s’appliquent par définition à tous les membres (ou sous‑groupes de membres) de la société, il n’est pas suffisant d’invoquer la simple appartenance à cette société, dont tous les membres sont exposés à un risque de subir des difficultés inhabituelles en raison de ces conditions. Si tel était le cas, « chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH » (décision Lalane, au paragraphe 1).

[52]           Par conséquent, un principe a donc été adopté selon lequel le statut de résident permanent ne peut être accordé à une personne qu’en fonction de sa situation personnelle et non uniquement sur la base d’éléments de preuve décrivant des conditions auxquelles l’ensemble de la population est généralement exposée dans son pays d’origine. Si, comme c’est le cas en l’espèce, les éléments de preuve présentés ne portent que sur les conditions générales, la demande sera rejetée faute d’éléments de preuve suffisants établissant que la situation personnelle du demandeur est exceptionnelle au point où ces conditions le touchent directement.

[53]           Un demandeur d’asile peut néanmoins démontrer que sa situation personnelle l’exposerait à des difficultés en raison des conditions dans le pays. Toutefois, il incombe toujours au demandeur d’asile d’établir que l’allégation relative aux conditions dans le pays s’applique à lui en montrant qu’il subirait directement et personnellement des difficultés qui seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives comparativement à ce que vivent les autres membres de la société exposés aux mêmes conditions dans son pays d’origine.

[54]           Je reconnais que cette exigence est analogue à l’exigence prévue à l’article 97 selon laquelle un demandeur qui s’appuie sur la situation générale dans le pays doit démontrer qu’il serait personnellement ciblé (voir aussi : Wan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 124, 243 ACWS (3d) 955; Gomez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1093, 397 FTR 170; Guifarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 182, 198 ACWS (3d) 470; Pineda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 365, 65 Imm LR (3d) 275). Cela dit, je ne vois pas comment une allégation de risque généralisé qui répondrait à l’exigence de toucher personnellement, directement et exceptionnellement le demandeur pourrait être interprétée sans qu’il s’ensuive que « chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH » (décision Lalane, au paragraphe 1).

[55]           En appliquant un raisonnement similaire, je rejette aussi l’argument du demandeur selon lequel les conditions dans le pays pourraient permettre de tirer une inférence raisonnable quant à la situation personnelle. À cet égard, je m’oppose respectueusement aux observations formulées par mon ancien collègue, le juge Rennie, tel était alors son titre, dans la décision Aboubacar susmentionnée.

[56]           Selon moi, le fait de tirer une inférence selon laquelle la situation générale dans le pays pose une difficulté personnelle à un individu a pour effet indirect de généraliser l’inférence à la population entière, sans qu’il y ait à démontrer que les conditions touchent personnellement et directement le demandeur d’asile. Il en découle en outre une situation dans laquelle « chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH » (décision Lalane, au paragraphe 1). Par conséquent, je conclus également que le fait d’inférer l’existence de difficultés personnelles particulières de la situation générale dans un pays irait à l’encontre des principes exposés dans l’arrêt Kanthasamy, en adoptant le raisonnement formulé dans la décision Lalane.

[57]           Je suis aussi d’avis qu’il revient au ministre d’évaluer la situation générale dans le pays d’après l’ensemble des informations dont il dispose, et avec le conseil d’experts qui étudient ces questions au quotidien, et de prendre des mesures en vertu de la LIPR et du Règlement lorsque les conditions se détériorent au point où il devient nécessaire de tirer une inférence généralisée de risque de préjudice, comme l’illustre en l’espèce la suspension des renvois vers Haïti en application de l’alinéa 230(1)c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

D.                Les éléments de preuve relatifs aux enlèvements et aux actes de violence similaires sont‑ils pertinents pour l’analyse d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?

[58]           La pertinence des éléments de preuve relatifs aux enlèvements dans le cadre d’une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soulève une autre question préliminaire. Je suis d’avis que l’agent devait évaluer la pertinence des éléments de preuve relatifs aux enlèvements dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avant d’examiner la question de la situation générale dans le pays. La Cour a soulevé la question de la pertinence des éléments de preuve relatifs aux enlèvements et invité les parties à lui soumettre leurs observations. Plus précisément, cette question découle des commentaires de la Cour dans l’arrêt Kanthasamy, au paragraphe 75, où elle reconnaît que les facteurs liés aux articles 96 et 97 ne s’avèrent pas tous pertinents pour l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires :

[75]      Si des éléments comme la crainte fondée de persécution, la menace à la vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités – des facteurs liés aux articles 96 et 97 – ne peuvent être pris en compte dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe 25(1) en vertu du paragraphe 25(1.3), les faits qui sous‑tendent ces facteurs peuvent néanmoins s’avérer pertinents, dans la mesure où ils ont trait à la question de savoir si le demandeur fait face directement et personnellement à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[Non souligné dans l’original.]

[59]           Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour n’a pas affirmé que les éléments de preuve portant sur les risques qui sont pertinents dans le cadre d’un examen fondé sur les articles 96 et 97 seraient toujours pertinents dans le cadre de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais seulement qu’ils pourraient être pertinents. À mon sens, la première tâche de l’agent dans le cadre de l’examen d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire consiste à déterminer si les éléments de preuve produits par le demandeur, qui pourraient se rapporter aux facteurs de risque visés aux articles 96 et 97, sont aussi pertinents pour une analyse des difficultés fondée sur l’article 25 de la LIPR.

[60]           En procédant à cet examen, l’agent devrait savoir que tout régime rationnel fonctionne sur le principe selon lequel une partie ne peut tenter de présenter une demande une deuxième fois, particulièrement lorsque les exigences de cette deuxième fois (les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives visées à l’article 25) ne sont pas aussi élevées que celles de la première (crainte fondée de persécution, menace à la vie, risque de traitements ou peines cruels et inusités au sens des articles 96 et 97).

[61]           En fait, j’estime que ce raisonnement est à l’origine de la modification par adjonction du paragraphe 25(1.3) à la LIPR. Ce principe doit être pris en compte parce que les difficultés incluent les situations qui comportent un risque de préjudice. Plus le risque de préjudice est élevé, plus les difficultés sont grandes. Autrement dit, une preuve de risque de préjudice atteignant le niveau requis pour faire droit à une demande d’asile serait le meilleur exemple de circonstances qui constitueraient des difficultés.

[62]           L’agent doit donc déterminer si les éléments de preuve qui peuvent être pertinents pour l’évaluation du risque le sont également pour l’évaluation des difficultés. Selon moi, pour répondre à cette question, il faut savoir si les éléments de preuve démontrent des risques intrinsèques clairs. Il s’agit d’éléments de preuve que je ne saurais qualifier d’évolutifs, en ce sens qu’ils font état d’une conduite préjudiciable qui ne présente pas différents degrés de gravité, mais donnent plutôt lieu à une conclusion de fait tranchée sur une situation où une possibilité en exclut une autre.

[63]           Les éléments de preuve relatifs à la torture, aux enlèvements, aux agressions violentes, aux menaces d’agressions violentes ou à l’emprisonnement injustifié, par exemple, pourraient être considérés comme des risques intrinsèques clairs qui n’ont de pertinence qu’en application des articles 96 et 97 de la LIPR. Ce n’est pas comme s’il existait une forme plus légère d’enlèvement qui constituerait un risque de préjudice assimilable à une difficulté au sens de l’article 25 et que l’on pourrait distinguer du risque évalué sur le fondement des articles 96 et 97. Il s’agit d’un acte d’une nature bien définie qui ne peut, intrinsèquement, être examiné que sur le fondement des articles 96 et 97. En conséquence, si la SPR conclut pour une raison ou une autre qu’un demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à un risque suffisant dans le cadre d’une demande d’asile où il aurait allégué qu’il risquait l’enlèvement, il serait tout à fait contraire à la logique de considérer ces mêmes éléments de preuve comme pertinents dans le cadre de l’évaluation des difficultés, dont le critère applicable est moins exigeant.

[64]           En revanche, des éléments de preuve faisant état d’actes répétés de discrimination ou de harcèlement non violent pourraient soutenir une conclusion de persécution, individuellement ou pris dans leur ensemble, dans certaines circonstances. Toutefois, de pareils éléments de preuve n’entrent pas dans la catégorie des éléments de preuve faisant état de risques intrinsèques clairs. Ainsi, si la SPR conclut qu’il n’y a pas eu persécution, il conviendrait d’examiner ces éléments de preuve pour démontrer l’existence de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en application de l’article 25.

[65]           Autrement dit, il existe plusieurs degrés de discrimination et celle‑ci sur des éléments de preuve faisant état de risques intrinsèques clairs ou de préjudices moins graves. Les comportements offensants qu’elle englobe vont des actes présentant un risque élevé de préjudice grave au harcèlement et à la nuisance. Seuls les éléments de preuve se rapportant aux deux dernières catégories devraient être pris en compte en application de l’article 25, car ils ne mettent pas clairement en cause un risque de préjudice du genre de celui qui doit être examiné dans le cadre d’une demande d’asile.

[66]           Lorsqu’un demandeur d’asile qui présente une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présente un large éventail d’éléments de preuve sur la situation dans le pays dont certains démontrent un risque intrinsèque clair (p. ex. enlèvement ou actes criminels violents connexes), ainsi que d’autres éléments de preuve qui pourraient être pertinents tant dans une demande d’asile que dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent doit analyser la nature de ces éléments de preuve afin d’en retrancher ceux qui font état de risques intrinsèques clairs. Les éléments de preuve pertinents restants sont ensuite évalués selon le critère des difficultés.

[67]           En l’espèce, l’agent a omis d’analyser les éléments de preuve produits par le demandeur, déclarant plutôt que ses [traduction« craintes [au sujet de l’enlèvement, entre autres, à son retour], quoique légitimes, ne montrent pas l’existence d’un risque auquel il serait personnellement exposé, mais plutôt une réalité commune à toutes les personnes vivant en Haïti ». Selon moi, l’agent aurait d’abord dû conclure que les éléments de preuve relatifs au risque d’enlèvement et aux autres menaces de violence liés au retour en Haïti faisaient état de risques intrinsèques clairs et que, à ce titre, ils n’étaient pas pertinents dans le cadre d’un examen des difficultés en application de l’article 25 de la LIPR.

[68]           Certes, il ne peut être reproché à l’agent d’avoir omis d’opérer cette distinction, laquelle constitue une interprétation d’une exigence découlant de l’arrêt Kanthasamy qui n’a jamais été présentée auparavant. Le fait que l’agent n’a pas rejeté les éléments de preuve relatifs aux enlèvements en raison de leur pertinence n’a aucune incidence sur sa conclusion, qui n’était pas déraisonnable dans l’ensemble même si l’agent a rejeté les éléments de preuve sur la situation dans le pays présentés par le demandeur.

VIII.       Conclusion

[69]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la demande est rejetée. La décision de l’agent appartient aux issues raisonnables et acceptables et est étayée par des motifs transparents et intelligibles fondés sur les faits et le droit.

IX.             Questions certifiées

[70]           La question du rejet par l’agent de l’argument de la protection de l’État fondé sur la situation généralisée découle de décisions qui n’ont été présentées qu’à l’audience. De même, la question de l’inférence relative aux difficultés sur le fondement de la situation générale dans le pays, exposée dans la décision Aboubacar, a également été soulevée pour la première fois à l’audience.

[71]           Comme la Cour se préoccupait du fait que ces questions n’avaient pas été pleinement examinées par les parties, une directive a été émise pour donner aux parties la possibilité de formuler une réponse plus approfondie à ces questions, notamment à la question de savoir si l’exposition à des crimes violents pourrait constituer une « difficulté » au sens du paragraphe 25(1.3) de la LIPR. De plus, les parties ont eu la possibilité de certifier des questions relatives à ces points.

[72]           Le demandeur fait valoir que si la Cour n’applique pas la jurisprudence qu’il a invoquée et sur laquelle il s’est fondé qui limite la référence à la situation générale dans le pays sans exiger que le demandeur établisse qu’elle ne vise pas les autres personnes dans son pays d’origine, cette question permet alors de trancher l’affaire, car elle peut influer sur le résultat obtenu par l’agent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il soutient en outre qu’une telle question est manifestement de portée générale pour l’interprétation de l’article 25. Par conséquent, la question devrait être certifiée.

[73]           Le demandeur fait également observer que la question relative à la non‑pertinence des éléments de preuve relatifs aux enlèvements dans le cadre d’une analyse des difficultés en vertu de l’article 25 est elle aussi manifestement de portée générale et a une influence déterminante sur le résultat auquel parviendra l’agent dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de sorte qu’elle devrait être certifiée.

[74]           Je conviens que les deux questions pourraient être déterminantes quant au résultat si, pour parvenir à ses conclusions, l’agent a appliqué les décisions invoquées par le demandeur, et qu’elles sont hautement pertinentes pour l’interprétation de l’article 25 de la LIPR. Par conséquent, les questions suivantes sont certifiées en vue d’un appel :

1)      Les éléments de preuve relatifs aux enlèvements et aux comportements criminels violents similaires sont‑ils pertinents dans le cadre d’une analyse des difficultés en vertu de l’article 25 de la LIPR?

2)      Est‑il incorrect ou déraisonnable d’exiger, dans le cadre de l’analyse d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que le demandeur établisse que les difficultés auxquelles il serait exposé en cas de renvoi ne sont pas celles auxquelles est généralement exposée la population dans son pays d’origine?

3)      Si la réponse à la question 2) est négative, la situation dans le pays d’origine peut‑elle conforter une inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles tout demandeur serait exposé à son retour dans son pays d’origine, ce qui constituerait le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée des difficultés auxquelles le demandeur devra faire face personnellement et directement, conformément à l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, 459 NR 367, autorisation d’appel à la CSC accordée, [2014] CSCR no 309?

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et que les questions suivantes sont certifiées aux fins d’un appel relativement à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

1)        Les éléments de preuve relatifs aux enlèvements et aux comportements criminels violents similaires sont‑ils pertinents dans le cadre d’une analyse des difficultés en vertu de l’article 25 de la LIPR?

2)        Est‑il incorrect ou déraisonnable d’exiger, dans le cadre de l’analyse d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, que le demandeur établisse que les difficultés auxquelles il serait exposé en cas de renvoi ne sont pas celles auxquelles est généralement exposée la population dans son pays d’origine?

3)        Si la réponse à la question 2) est négative, la situation dans le pays d’origine peut‑elle conforter une inférence raisonnable relativement aux difficultés auxquelles tout demandeur serait exposé à son retour dans son pays d’origine, ce qui constituerait le fondement probatoire d’une analyse sérieuse et individualisée des difficultés auxquelles le demandeur devra faire face personnellement et directement, conformément à l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, 459 NR 367, autorisation d’appel à la CSC accordée, [2014] CSCR no 309?

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Myra-Belle Béala De Guise


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1106-14

 

INTITULÉ :

BERNARD JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 aVril 2015

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MaI 2015

 

COMPARUTIONS :

Raoul Boulakia

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charles Julian Jubenville

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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