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Date : 20150521


Dossier : IMM-51-14

Référence : 2015 CF 664

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2015

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

NAVANEETHAN NAVARATNAM, KALISTA NAVANEETHAN, THILAKSAN NAVANEETHAN, NITHARSIKA NAVANEETHAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision, datée du 14 novembre 2013, par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La présente demande est présentée conformément à l’article 72 de la LIPR.

Contexte

[2]               Navaneethan Navaratnam (le demandeur principal), son épouse, Kalista Navaneethan, et leurs deux enfants mineurs, Thilaksan et Nitharsika Navaneethan (collectivement les demandeurs) sont Sri-lankais. Ils affirment avoir une crainte fondée d’être persécutés par les autorités sri-lankaises et des groupes paramilitaires sri-lankais en raison de leur race, des opinions politiques qu’on leur prête, de leur nationalité et de leur appartenance à un certain groupe social. Les allégations invoquées à l’appui de leurs demandes d’asile figuraient dans l’exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur principal, (FRP), document commun qui visait toutes les demandes d’asile de la famille.

[3]               Les demandes d’asile ont été instruites en mars 2013 par une commissaire de la SPR qui est tombée malade avant de rendre une décision. On a permis aux demandeurs de choisir entre la tenue d’une nouvelle audience ou la désignation d’un autre commissaire (le commissaire) qui statuerait sur leurs demandes d’asile en se fondant sur la preuve, les observations déjà présentées et une transcription de la procédure. Ils ont choisi la deuxième option.

[4]               Le commissaire a conclu que, dans l’ensemble, la preuve produite par le demandeur principal n’était pas crédible et qu’elle ne suffisait donc pas à étayer sa demande d’asile. Se fondant sur la preuve documentaire, il a aussi estimé que le demandeur principal ne correspondait pas au profil d’une personne qui pouvait être exposée à un risque au Sri Lanka et nécessitait une protection ou qui serait ciblée en tant que demandeur d’asile retournant dans son pays d’origine. En outre, le demandeur principal n’a pas établi un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, en l’occurrence une appartenance à un certain groupe social. Il craignait d’être la cible d’actes criminels et était donc exposé à un risque généralisé, c’est-à-dire à un risque que courait l’ensemble de la population au Sri Lanka. Il n’était donc pas un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96, ni ne pouvait prétendre à une protection en vertu de l’article 97 de la LIPR. Comme les demandes d’asile des autres demandeurs étaient fondées sur celle du demandeur principal, la conclusion du commissaire s’appliquait également à chacune d’elles.

Points litigieux

[5]               Les points soulevés dans la présente affaire peuvent être formulés comme il suit :

        i.            Le commissaire a-t-il manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale et de justice naturelle?

      ii.            La décision du commissaire était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[6]               Les questions d’équité procédurale ou de justice naturelle commandent l’application de la norme de contrôle de la décision correcte (Juste c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Olson c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 458, au paragraphe 27). En vertu de cette norme, la Cour doit se demander si la décision contestée était correcte. Elle n’a pas à faire preuve de déférence à l’égard de cette décision, et elle entreprendra sa propre analyse de la question et tirera sa propre conclusion (arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50 (l’arrêt Dunsmuir)).

[7]               L’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile est toutefois généralement une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. Elle doit donc être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 52 à 62 (l’arrêt Khosa)). Plus précisément, les conclusions portant sur la crédibilité sont pour l’essentiel de pures conclusions de fait qui doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 5, au paragraphe 13; Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26; Rodriguez Ramirez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 261, au paragraphe 32; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 732 (QL) (CA)). Pareillement, la question de savoir si un demandeur d’asile est exposé ou non, aux termes de l’article 97, à un risque généralisé de subir des violences est elle aussi susceptible de contrôle selon cette norme (De Jesus Aleman Aguilar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 809, au paragraphe 20; Portillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 678, au paragraphe 18 (la décision Portillo)), tout comme la question du bien-fondé de la crainte alléguée par un demandeur d’asile (Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1055, aux paragraphes 25 et 26; Gabor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 540, au paragraphe 33).

[8]               Le caractère raisonnable ou non d’une décision tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Appliquant cette norme, la juridiction de contrôle ne s’immiscera dans la décision que si elle n’appartient pas à ces issues possibles et acceptables (arrêt Dunsmuir, aux paragraphes 47 à 49; arrêt Khosa, aux paragraphes 45 et 46, 59).

Question préliminaire

[9]               Les demandeurs n’ont pas déposé leurs propres affidavits au soutien de la présente demande et sont plutôt fondés sur l’affidavit de Mme Bianca Fontenelle, adjointe juridique de leur avocat (l’affidavit souscrit par Mme Fontenelle).

[10]           Dans leurs observations écrites, les demandeurs se sont contentés de dire qu’ils se fondaient sur la jurisprudence citée pour justifier leur utilisation de l’affidavit d’un tiers (Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, au paragraphe 10 (la décision Sarmis); Rowat c Canada (Commissaire à l’information) (2000), 189 FTR 166; Bande de Sawridge c Canada, [2000] ACF n° 192; Belgravia Investments Ltd c Canada, [2000] 4 CTC 8; Pluri Vox Media c Canada, 2012 CAF 18), ajoutant que, si on les autorisait à le faire, ils prendraient tous les moyens raisonnables pour que soit déposé un autre affidavit souscrit par le demandeur principal. Je note cependant que, malgré l’autorisation accordée, aucun autre affidavit n’a été déposé.

[11]           Selon le défendeur, l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, (les Règles) exige qu’un affidavit fondé sur la connaissance personnelle du déclarant soit déposé au soutien d’une demande d’autorisation. Mme Fontenelle ne semble pas avoir expliqué comment elle pouvait avoir une connaissance personnelle des cas de persécution dont les demandeurs disent avoir été victimes (article 81 des Règles; Jin c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (6 novembre 1991), Ottawa 91-A-2424 (CAF) (l’arrêt Jin)), et les demandeurs n’expliquent nulle part non plus pourquoi ils n’ont pas déposé un tel affidavit. Le défendeur soutient que l’affidavit souscrit par Mme Fontenelle est irrecevable et que la demande d’autorisation est donc irrégulièrement formée et devrait être rejetée (Ye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (12 janvier 2000), Ottawa IMM-4877-99 (CF 1re inst.); Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (3 septembre 1998), Ottawa IMM-1582-98 (CF 1re inst)).

[12]           Les Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232 (les Règles IPR), qui étaient alors en vigueur, énoncent les conditions à remplir pour la mise en état d’une demande d’autorisation, notamment que le dossier du demandeur doit contenir un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués par lui à l’appui de sa demande (paragraphe 10(2) des Règles IPR; Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, aux paragraphes 8 et 9). Ces affidavits doivent se limiter au témoignage que son auteur pourrait donner s’il comparaissait comme témoin devant la Cour (paragraphe 12(1) des Règles IPR).

[13]           Mme Fontenelle fait des déclarations sur l’identité des demandeurs, leur âge, leur nationalité, la prétendue persécution subie par le demandeur principal, le voyage des demandeurs vers le Canada et d’autres questions, sans expliquer comment elle avait une connaissance personnelle des faits allégués. L’affidavit semble aussi contenir des erreurs de fait, par exemple l’affirmation de Mme Fontenelle selon laquelle M. Blanshay, l’avocat des demandeurs à l’audience que j’ai présidée, avait comparu pour le compte des demandeurs devant la SPR, et l’avait informée qu’il avait alors présenté des observations orales détaillées. Toutefois, l’avocat qui avait comparu à l’audience devant la SPR était en réalité L. Weppler, qui, selon ce qu’a déclaré M. Blanshay à l’audience tenue devant moi, avait été un associé dans son cabinet.

[14]           Cela dit, l’autorisation a déjà été accordée dans la présente affaire. En outre, le précédent invoqué par le défendeur, à savoir l’arrêt Jin, concernait une affaire dans laquelle le demandeur n’avait déposé aucun affidavit, même après que cette omission avait été portée à son attention.

[15]           Il existe aussi un précédent donnant à penser qu’une demande de contrôle judiciaire ne sera pas nécessairement rejetée du seul fait que les demandeurs n’ont pas personnellement déposé d’affidavits (voir Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1152, aux paragraphes 4 à 6; Turcinovica c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 164, aux paragraphes 11 à 13 (la décision Turcinovica); décision Sarmis, aux paragraphes 9 et 10). Dans la décision Sarmis, la Cour a renvoyé à la décision Turcinovica, où elle avait jugé que l’affidavit contesté suffisait à établir l’existence de la demande en cause ainsi que son rejet. La Cour n’était donc pas disposée à rejeter la demande de contrôle judiciaire sur le fondement de l’utilisation de l’affidavit d’un tiers.

[16]           La demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi en l’espèce ne sera donc pas rejetée au motif qu’il n’y a pas eu dépôt d’un affidavit personnel par les demandeurs. Cependant, puisque Mme Fontenelle, qui a rédigé l’affidavit, n’avait pas une connaissance personnelle des faits qui y sont relatés, cet affidavit sert uniquement à rattacher les demandeurs au dossier de la SPR en renvoyant à leurs FRP et en les y annexant. Quoi qu’il en soit, à l’audience que j’ai présidée, l’avocat des demandeurs a déclaré que le seul paragraphe sur lequel se fondaient les demandeurs dans l’affidavit souscrit par Mme Fontenelle était le paragraphe 13, qui sera examiné en détail plus loin.

POINT No 1 : Le commissaire a-t-il manqué à ses obligations en matière d’équité procédurale et de justice naturelle?

Thèse des demandeurs

[17]           Les demandeurs soutiennent que, par lettre de la SPR datée du 23 août 2013, ils ont été informés de la maladie de la commissaire initiale et qu’on leur a permis de choisir entre la tenue d’une nouvelle audience ou la remise de la transcription de l’audience à un nouveau commissaire, qui statuerait sur la demande d’asile en son cabinet. Ils affirment que leur avocat, M. Blanshay, a alors communiqué avec M. John Badowski, le commissaire coordonnateur de la SPR, pour discuter avec lui de la manière de procéder si l’on retenait la deuxième solution. Plus exactement, ils s’inquiétaient d’un possible problème de crédibilité et de la manière dont il allait devoir être examiné par le nouveau commissaire en son cabinet si surgissaient des questions qui n’avaient pas été soulevées par la commissaire initiale et n’avaient pas été explicitement et directement portées à l’attention des demandeurs pour qu’ils puissent y répondre.

[18]           Les demandeurs soutiennent que leur avocat avait demandé qu’une transcription de l’audience lui soit communiquée avant toute décision du nouveau commissaire, puisque l’avocat aurait présenté des arguments écrits additionnels si jamais la transcription laissait apparaître d’importantes questions non réglées en matière de crédibilité. Ils disent aussi que M. Badowski avait donné son assentiment sur ce point.

[19]           Selon les demandeurs, leur avocat a écrit à la SPR le 6 septembre 2013 pour lui signifier qu’il consentait à ce que le nouveau commissaire statue sur la demande en son cabinet et lui rappeler qu’il souhaitait obtenir communication de la transcription de l’audience avant toute décision du nouveau commissaire. Toutefois, la transcription n’a pas été communiquée comme l’avait demandé l’avocat, et une part importante des motifs du nouveau commissaire porte sur la question de la crédibilité. Les demandeurs affirment qu’il était inéquitable et déraisonnable de procéder de la sorte, et ils y voyaient un manquement à l’équité procédurale, puisque, s’ils avaient opté pour le renvoi de leur dossier devant un nouveau commissaire pour qu’il statue sur leur demande en son cabinet, c’était évidemment à la condition de recevoir, comme ils l’avaient demandé, la transcription de l’audience avant qu’il ne rende sa décision. La façon dont la SPR a procédé portait atteinte au droit absolu des demandeurs à une audition impartiale (Costeniuc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1495; Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206; Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590).

Thèse du défendeur

[20]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SPR de fixer elle-même sa procédure. La lettre du 23 août 2013 offrait aux demandeurs la possibilité de choisir entre la tenue d’une nouvelle audience ou le renvoi du dossier à un nouveau commissaire. La lettre ne mentionnait nulle part la possibilité pour les demandeurs de recevoir la transcription de l’audience ou de présenter des arguments additionnels s’ils optaient pour le renvoi du dossier à un nouveau commissaire, et les demandeurs n’avaient indiqué nulle part dans leur réponse à cette lettre qu’ils souhaitaient présenter des observations additionnelles. D’ailleurs, si la commissaire initiale avait pu rendre sa décision, les demandeurs n’auraient pas pu obtenir communication de la transcription de l’audience avant qu’elle ne rende sa décision. Ils n’avaient donc pas davantage droit à la communication de la transcription avant que le nouveau commissaire ne statue sur leur demande en son cabinet.

[21]           Les demandeurs avaient connaissance des preuves et témoignages produits à l’audience et ils avaient présenté des observations sur ce fondement. Il n’y a donc pas eu manquement à l’équité procédurale.

Analyse

[22]           La SPR a, dans les affaires dont elle est saisie, compétence exclusive pour statuer sur les questions de droit et de fait, y compris en matière de compétence (paragraphe 162(1) de la LIPR). Dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent, elle fonctionne sans formalisme et avec célérité (paragraphe 162(2)). Elle doit notamment tenir une audience au cours de laquelle le demandeur d’asile aura la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations (alinéas 170b) et 170e)). La procédure suivie par la SPR est également régie par les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR), conformément au paragraphe 161(1) de la LIPR.

[23]           Comme l’écrivait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 568 et 569 :

Nous traitons ici des pouvoirs d’un tribunal administratif à l’égard de sa procédure.  En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux.  En l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle.

[24]           Ici, les parties ne font état d’aucune règle de la SPR ni d’aucun autre processus pouvant s’appliquer lorsqu’un commissaire qui avait la conduite d’une audience n’est pas en mesure de rendre une décision. Il était donc loisible à la SPR d’offrir aux demandeurs de choisir entre deux solutions, soit la tenue d’une nouvelle audience, soit le renvoi du dossier à un autre commissaire pour qu’il statue sur leur demande en son cabinet en se fondant sur la transcription de la preuve produite au cours de l’audience.

[25]           Les demandeurs affirment que le commissaire a manqué aux exigences en matière d’équité procédurale et de justice naturelle parce qu’il ne leur a pas communiqué, comme ils l’avaient demandé, une copie de la transcription avant de statuer sur leur demande en son cabinet. Le commissaire leur a donc refusé une audition impartiale puisqu’ils n’ont pas eu la possibilité de dissiper les doutes du commissaire sur leur crédibilité.

[26]           La preuve se rapportant à cette question est très restreinte.

[27]           Le paragraphe 13 de l’affidavit souscrit par Mme Fontenelle contient simplement ce qui suit :

[traduction] M. Blanchay m’informe qu’il s’est alors entretenu avec le commissaire coordonnateur John Badowski au sujet de la demande d’asile des demandeurs. Il a indiqué que, puisque la question de la « crédibilité » pourrait poser des difficultés au regard de la demande d’asile, il voulait obtenir une copie de la transcription identique à celle qui serait communiquée à tout nouveau commissaire.

[28]           Dans la lettre adressée le 23 août 2013 à M. Blanshay, la SPR exposait les choix offerts aux demandeurs et évoqués plus haut et demandait à M. Blanshay d’y répondre par écrit. Dans sa réponse en date du 6 septembre 2013, M. Blanshay a écrit que les demandeurs choisiraient le renvoi de leurs demandes d’asile un autre commissaire qui statuerait sur les demandes en son cabinet en se fondant sur la transcription de la preuve produite, et M. Blanshay ajoutait ce qui suit : [traduction] « Veuillez, SVP, nous communiquer également une copie de la transcription avant toute décision du tribunal ». La Fiche de demande – SPR et le Relevé de décision de la SPR mentionnent simplement qu’il s’agissait d’une décision rendue en cabinet par un autre membre.

[29]           M. Badowski n’a pas produit d’affidavit. On ne sait donc pas s’il a accepté ou non cette demande.

[30]           M. Blanshay n’a pas sollicité l’autorisation de la Cour pour pouvoir, en tant qu’avocat, être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit (article 82 des Règles). Par ailleurs, même si, dans leurs observations écrites, les demandeurs affirment que [traduction] « leur avocat aurait présenté des arguments écrits additionnels si la transcription laissait apparaître d’importantes questions non réglées touchant la crédibilité » si la transcription avait été communiquée à leur avocat avant la décision du nouveau commissaire, il ne s’agit pas d’une preuve. De même, lorsqu’il a comparu devant moi, l’avocat a énoncé les raisons pour lesquelles il avait demandé la transcription, mais il ne s’agit pas non plus d’une preuve.

[31]           Devant cette preuve, ou l’absence d’une telle preuve, la question est à mon avis simplement la suivante : les demandeurs ont-ils bénéficié d’une audition équitable même si la transcription demandée n’a pas été communiquée? Je crois que oui. Les demandeurs ont eu l’avantage d’une audition complète devant un commissaire, au cours de laquelle ils étaient représentés par un avocat qui a présenté des arguments en leur nom oralement et par écrit. Dans la mesure où la question de la crédibilité a pu poser problème à ce moment-là, cette question aurait pu être traitée. Le dossier ne montre pas que l’avocat présent à l’audience a demandé de pouvoir présenter après l’audience des arguments sur la crédibilité ou sur d’autres questions. Rien ne prouve non plus que la SPR a consenti, ou aurait consenti, à la présentation de nouveaux arguments fondés sur la transcription. D’ailleurs, les demandeurs n’ont normalement pas le droit de se faire communiquer la transcription de l’audience, de l’examiner et d’y réagir avant que la décision ne soit rendue.

[32]           Enfin, je ferais observer que le commissaire qui a statué sur la demande en son cabinet n’était tenu de tenir compte que de la preuve figurant dans la transcription et dans le dossier. Dans la mesure où il a outrepassé cette limite, les demandeurs pourraient, comme ils l’ont fait en déposant la présente demande de contrôle judiciaire, prétendre que sa décision était déraisonnable.

[33]           Par conséquent, même si les demandeurs n’ont pas obtenu communication de la transcription avant que le nouveau commissaire ne rende sa décision, il n’en a pas résulté à mon avis un manquement à l’équité procédurale.

POINT No 2 : La décision du commissaire était-elle raisonnable?

a)      Crédibilité

Thèse des demandeurs

[34]           Selon les demandeurs, le commissaire accorde beaucoup d’attention à de nombreuses questions de crédibilité, tout en affirmant qu’il s’abstiendra d’en tirer une conclusion défavorable puisqu’ils n’ont pas été invités à y réagir. Cependant, en dépit de cette affirmation du commissaire, ses doutes sur la crédibilité des demandeurs ont entaché de façon inéquitable leur demande d’asile. En outre, les conclusions défavorables sur leur crédibilité, résultant de la comparaison entre les notes prises au point d’entrée et l’exposé circonstancié des FRP ou la preuve recueillie à l’audience, étaient fondées sur un examen microscopique du dossier. Il n’est pas rare que le FRP d’un demandeur d’asile et son témoignage renferment des informations et des allégations beaucoup plus détaillées que les notes prises au point d’entrée. Or, la décision du commissaire n’en tient compte nulle part.

[35]           Par ailleurs, selon les demandeurs, le commissaire n’a pas dit clairement ce sur quoi il s’appuyait pour conclure, à tort, qu’ils auraient pu obtenir l’asile aux États-Unis, mais avaient plutôt choisi de venir au Canada pour y entreprendre de nouvelles démarches risquées afin d’obtenir le statut de réfugié. Cette conclusion d’invraisemblance était injustifiée et ne reposait que sur une supposition.

Thèse du défendeur

[36]           Selon le défendeur, le commissaire a estimé que la crédibilité posait problème, mais il a pris soin de faire en sorte que toute conclusion en la matière repose sur des contradictions et divergences évidentes dans la preuve en s’abstenant d’invoquer des zones d’ombre non portées à la connaissance des demandeurs. En outre, puisque le commissaire avait des doutes sur la crédibilité des demandeurs, il n’était pas déraisonnable de sa part de rechercher des éléments corroborants. Sa conclusion sur la crainte subjective était par conséquent elle aussi raisonnable, et il lui était loisible de conclure à une absence de crédibilité en raison des contradictions entre, d’une part, les notes prises au point d’entrée et, d’autre part, les FRP et les témoignages des demandeurs. Les questions de crédibilité mises en relief par le commissaire étaient pertinentes et évidentes.

Analyse

[37]           L’analyse du commissaire relative à la crédibilité est déficiente et souvent incompréhensible.

[38]           Le commissaire a commencé son analyse en affirmant ce qui suit :

  • Il y avait une contradiction à propos de la somme d’argent exigée par les hommes qui se seraient rendus chez le demandeur principal au Sri Lanka. D’après les notes prises au point d’entrée, le demandeur principal a dit que les hommes avaient exigé de lui au départ la somme de 10 lakhs, puis plus tard 20 lakhs. Cependant, dans l’exposé circonstancié annexé à son FRP, il écrivait qu’ils avaient exigé seulement 10 lakhs.
  • Dans son FRP, le demandeur principal écrivait qu’il avait été giflé, alors qu’à l’audience il a déclaré avoir reçu des coups de poing.
  • Les prétendus événements survenus au Sri Lanka n’étaient attestés par aucun document, aucun rapport de police n’avait été déposé et aucun médecin n’avait été consulté, de sorte que ces événements n’avaient été rapportés dans aucun dossier. Le voyage des demandeurs vers le Canada n’était pas non plus documenté, et aucun élément de preuve documentaire ne démontrait même que le demandeur principal se trouvait au Sri Lanka aux dates pertinentes;
  • Si les prétendus hommes armés avaient été aussi dangereux que l’affirmaient les demandeurs, ils auraient trouvé les demandeurs, car ces derniers se cachaient chez un parent 1,5 kilomètre plus loin. Cela est révélateur à l’égard du bien-fondé de la prétendue crainte et de la vraisemblance du récit.
  • Les demandes d’asile étaient fondées sur une crainte d’extorsion, la durée de ce problème ne dépassant pas deux mois. Les deux visites et l’unique appel téléphonique n’étaient pas documentés. « Ainsi, le tribunal se serait attendu à ce que la preuve soit au moins intrinsèquement cohérente. Toutefois, comme il a été susmentionné, elle ne l’était pas. »

[39]           Ayant dit tout cela, le commissaire a ensuite déclaré que la commissaire initiale n’avait pas questionné les demandeurs sur ces incohérences pour qu’ils puissent lever les doutes soulevés. Tout en reconnaissant que l’examen en cabinet qu’il avait entrepris l’empêchait de faire état des doutes en question, le commissaire écrivait : « Toutefois, cela ne signifie pas que les préoccupations en matière de crédibilité mentionnées ci‑dessus devraient être totalement négligées et que les allégations du demandeur d’asile devraient être réputées totalement véridiques à tout égard. » J’ai du mal à voir ce que le commissaire a bien pu vouloir dire par là.

[40]           Le commissaire a ensuite déclaré :

[14]      Pour résoudre ce problème concernant la preuve, le tribunal ne tirera pas de conclusions défavorables quant à la crédibilité des points notés ci-dessus. Toutefois, elles ont été constatées, il peut donc être dit que la demande d’asile aurait pu être plus solide si les préoccupations avaient pu être expliquées de manière satisfaisante. Il y avait cependant plusieurs problèmes factuels évidents à la lecture du dossier. La première concerne la question visant à savoir si le demandeur d’asile a reçu une gifle ou un coup de poing. Le demandeur d’asile, par l’entremise d’un interprète, a écrit dans son FRP avoir été giflé. Au début de l’audience et lorsqu’il a signé son FRP, le demandeur d’asile a déclaré que le FRP était véridique et exact. Toutefois, à l’audience, il a dit, à plusieurs reprises, avoir été frappé à coup de poing. Ce sont clairement deux choses différentes. Il est possible toutefois que l’interprétation lors de l’audience ait mené à cette confusion. Le tribunal note cependant que c’est seulement une possibilité et qu’il est probable que le demandeur d’asile a en fait dit avoir été frappé à coup de poing. Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal s’abstiendra d’en tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[41]           Ainsi, alors que le commissaire écrivait, au paragraphe 14 de sa décision, qu’il ne se fonderait pas sur l’ensemble des doutes énumérés pour tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité, il revenait ensuite sur la question des coups de poing et des gifles, pour affirmer à nouveau qu’il s’abstiendrait d’en tirer une conclusion négative quant à la crédibilité.

[42]           Le commissaire est revenu ensuite sur la demande d’extorsion, faisant observer que le deuxième montant, plus important, indiqué dans les notes prises au point d’entrée, avait été omis du FRP et n’avait pas été mentionné à l’audience. Il a estimé qu’il s’agissait d’une omission importante, puisque cette omission triplait la somme exigée. Le commissaire en a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité. Je ferais observer que, bien que le commissaire affirme qu’il est difficile d’imaginer le moindrement quelle explication pouvait être donnée pour justifier l’omission, le demandeur principal n’a pas été informé du problème à l’audience et n’a donc pas eu l’occasion de donner une explication (que le commissaire aurait pu ou non imaginer). En fait, le commissaire a tiré la conclusion défavorable alors même qu’il avait déjà fait observer que les demandeurs n’avaient pas été interrogés sur ces incohérences.

[43]           Le commissaire a aussi déclaré que le demandeur principal avait raconté aux autorités américaines que les hommes armés s’étaient présentés chez lui en février 2011, mais, ailleurs dans son témoignage, il avait dit qu’ils s’étaient présentés chez lui en janvier et février 2011. Le commissaire a trouvé encore une fois difficile d’imaginer une possible explication justifiant la contradiction et a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Toutefois, la transcription montre que la commissaire initiale ne disposait pas des documents des États-Unis (DCT, page 344) à l’audience. Elle n’aurait donc pas pu signaler, et n’a effectivement pas signalé, au demandeur principal à ce moment-là la contradiction relevée par le nouveau commissaire.

[44]           Le commissaire arrive à la conclusion suivante : « Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal conclut que la preuve du demandeur d’asile, dans son ensemble, n’est pas crédible et donc insuffisante pour étayer la demande d’asile. »

[45]           Il est bien établi qu’en raison du rôle de juge des faits, les conclusions sur la crédibilité de la SPR devraient bénéficier d’une retenue appréciable de la part de la juridiction de contrôle (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13). En l’espèce, le commissaire a toutefois conclu que le témoignage des demandeurs n’était pas crédible dans l’ensemble alors qu’en fait, sa conclusion reposait sur seulement deux questions de crédibilité. Le commissaire a reconnu aussi que ces deux questions n’avaient pas été soulevées par la commissaire initiale et n’avaient pas été portées à l’attention des demandeurs pour qu’ils y réagissent. Or, après avoir indiqué qu’il n’allait pas, pour cette raison, tirer de conclusions défavorables sur la crédibilité, c’est ce qu’il a fini par faire. En outre, alors que, selon la transcription, la commissaire initiale avait confirmé que la crédibilité est toujours un enjeu au cours de telles audiences, elle n’avait pas poussé plus loin dans cette voie et ne s’était pas opposée aux observations de l’avocat qui a fait valoir qu’il n’y avait pas de problème de crédibilité (voir Ismailzada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 67, aux paragraphes 20 et 21; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 205, aux paragraphes 24 à 31). À mon avis, puisqu’on n’a pas fait comprendre aux demandeurs à l’audience qu’il y avait des préoccupations concernant leur crédibilité et qu’ils n’avaient plus la possibilité de les dissiper, le cas échéant, il était déraisonnable de la part du commissaire de tirer par la suite, en son cabinet, ces conclusions défavorables en ce qui concerne leur crédibilité.

[46]           Cette manière de procéder apparaît à nouveau dans le paragraphe suivant de sa décision. Le commissaire y affirme que les États-Unis avaient conclu à une réelle possibilité pour le demandeur principal de se voir accorder l’asile, mais que, comme ce dernier avait quitté les États-Unis pour venir au Canada afin de retrouver sa famille, il était évident qu’il n’avait pas une crainte subjective d’être renvoyé au Sri Lanka. Après avoir dit cela, le commissaire a déclaré que cette incohérence l’aurait amené à tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité. Or, la commissaire initiale avait indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un enjeu, de sorte que l’avocat des demandeurs n’a pas eu la possibilité de présenter des observations à cet égard.

[47]           Dans ces conditions, le processus et l’issue en cause cadrent mal à mon avis avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité (arrêt Khosa, au paragraphe 59), et la conclusion du commissaire sur la crédibilité n’était donc pas raisonnable.

b)      Articles 96 et 97

[48]           Le commissaire a écrit qu’il avait passé en revue les documents de la pièce R/A-1 et qu’il existe un très grand nombre de documents à propos de la situation des droits de l’homme au Sri Lanka. Il a estimé qu’il ressortait clairement des documents que le gouvernement sri-lankais persécute actuellement les personnes qu’il soupçonne d’être associées aux Tigres de libération de l’Élam tamoul (les LTTE) et celles qui s’opposent au gouvernement. Il a ajouté que les demandeurs n’avaient toutefois pas prétendu que le demandeur principal était une telle personne. Il a plutôt indiqué que le demandeur principal était ciblé parce qu’il avait de la famille au Canada et qu’il était donc considéré comme nanti. Le commissaire a renvoyé sur ce point à la transcription de l’audience.

[49]           Le commissaire a estimé aussi que les demandeurs d’asile déboutés qui retournent au Sri Lanka peuvent être exposés à la persécution s’ils sont associés aux LTTE ou s’ils sont des adversaires ou des détracteurs du gouvernement. Comme les demandeurs ne tombaient pas dans cette catégorie, ils seraient soumis, comme tous les rapatriés, à des vérifications de leurs antécédents criminels, ce qui pouvait entraîner une détention de plusieurs jours. Le commissaire a toutefois estimé qu’une détention administrative, le cas échéant, n’équivaudrait pas de la persécution (pièce R/A-1). Les demandeurs ne correspondaient pas non plus au profil de personnes exposées à un risque aux termes des Principes directeurs du 5 juillet 2010 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

[50]           Le commissaire a conclu que le demandeur principal n’avait pas besoin de la protection du Canada parce qu’il est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka ou parce qu’il serait renvoyé en tant que demandeur d’asile débouté.

[51]           Selon les demandeurs, la demande d’asile du demandeur principal était fondée sur la race, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social comme l’indique son FRP, et pas seulement sur le fait qu’il est un Tamoul de sexe masculin originaire du Nord du Sri Lanka. Ils affirment aussi que l’analyse faite par le commissaire à propos de la situation dans ce pays était laconique et reposait sur des principes directeurs du HCR périmés. Ils ajoutent que la réponse à la demande d’information LKA103815.EF (RDI) du Cartable national de documentation citée renferme une preuve contradictoire que le commissaire n’a pas mentionnée, sans fournir d’explication (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 1425).

[52]           L’examen de la transcription montre clairement que le demandeur principal avait indiqué à l’audience, comme fondement de sa crainte, l’extorsion dont il avait été victime aux mains d’hommes armés et masqués non identifiés. Prié de dire qui ils étaient, le demandeur principal avait répondu qu’il ne le savait pas. Il a indiqué qu’il avait peut-être été menacé parce que les demandeurs ont de la famille au Canada et que ses agresseurs lui avaient demandé pourquoi il ne pourrait pas obtenir d’argent de son frère au Canada. Il n’avait pas fait valoir qu’il pourrait être exposé à un risque pour une autre raison. Il avait fait état d’enlèvements et de meurtres rapportés par les médias, mais il ne savait pas qui avait commis ces crimes ni n’avait fait de lien entre ces événements et sa demande d’asile.

[53]           Le commissaire a conclu que le demandeur principal n’avait pas établi qu’il appartenait à un groupe social pour l’application de l’article 96. Selon moi, en l’absence d’une autre preuve démontrant que les gens considérés comme nantis forment un groupe social exposé à des risques au Sri Lanka, la conclusion du commissaire était raisonnable. La Cour a toujours jugé que le fait pour une personne d’être considérée comme nantie n’en fait pas, en l’absence d’autres éléments, une personne appartenant à un groupe social (Étienne c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 64, aux paragraphes 15 à 17; Cius c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1, aux paragraphes 17 à 20 (la décision Cius). Les demandeurs supposaient simplement qu’ils étaient ciblés comme futures victimes d’actes criminels parce que l’on croyait qu’ils pouvaient se procurer de l’argent puisqu’ils avaient de la famille au Canada. Ils ne prétendent pas, et établissent encore moins, que les risques auxquels ils disent être exposés découlent d’autre chose qu’une supposée aisance financière, ce qui ne suffit pas à faire d’eux des personnes appartenant à un groupe social. Par conséquent, le commissaire a jugé, de façon raisonnable, que les demandeurs n’avaient pas démontré l’existence d’une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social.

[54]           Comme le commissaire a conclu également que la crainte du demandeur principal était celle d’être victime d’actes criminels, il a également évalué les demandes d’asile au regard de l’article 97 de la LIPR. Il a conclu que toute la population au Sri Lanka est exposée au risque d’être victime d’actes criminels, y compris le demandeur principal, qui affirmait être ciblé parce qu’il a de la famille au Canada :

[...] Toutefois, le tribunal estime que tous les citoyens du Sri Lanka sont exposés au risque d’être victime d’un acte criminel. Par conséquent, le tribunal conclut que le demandeur d’asile soutient être victime d’un risque généralisé de criminalité généralisée. Le demandeur d’asile affirme avoir été pris pour cible parce qu’il a de la famille au Canada et qu’il est donc perçu comme ayant de l’argent. Par conséquent, le tribunal conclut que le risque craint par le demandeur d’asile est un risque généralisé auquel sont exposés tous les citoyens du Sri Lanka.

[55]           Le paragraphe de conclusion de la décision du commissaire renvoie à une décision qui, d’après lui, permet d’affirmer que le fait pour une personne ou un groupe de tomber souvent, ou plus fréquemment que les autres, aux mains de criminels, par exemple à cause d’une supposée aisance financière, ou pour une autre raison, ne fait pas de ce risque une exception à l’exclusion prévue si c’est un risque auquel est exposée la population en général. Il a estimé qu’il s’agissait d’une situation de risque généralisé.

[56]           Selon moi, le commissaire a correctement cerné la nature du risque auquel était exposé le demandeur principal, soit celui d’être victime d’un acte criminel. La preuve ne donnait nullement à penser que le risque d’extorsion auquel il était exposé excédait le risque auquel était exposé le reste de la population au Sri Lanka. Autrement dit, il n’a pas été établi qu’il s’agissait d’un risque personnalisé (décision Portillo, au paragraphe 40). Selon la jurisprudence, un risque de préjudice qui est « la conséquence d’activités criminelles et non pas du ciblage discriminatoire d’un groupe particulier » n’est pas un risque personnalisé, mais un risque généralisé (décision Cius, aux paragraphes 18 et 19; voir aussi Kuruparan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 745, au paragraphe 133; Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, aux paragraphes 18 à 23).

[57]           Les demandeurs soutiennent aussi que le commissaire n’a pas traité de l’information contradictoire figurant dans la RDI et s’est à tort fondé sur cette information pour conclure qu’une détention administrative à leur retour n’équivaudrait pas à de la persécution. Plus précisément, ils disent que la RDI faisait état d’une source selon laquelle les autorités sri-lankaises sont d’avis que tout Tamoul qui a quitté le pays sans autorisation doit être un sympathisant des LTTE.

[58]           Le commissaire est présumé avoir pris en compte l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise (arrêt Flores c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 598 (CAF)). En l’espèce, il s’est référé à la fois à la RDI et aux principes directeurs du HCR. Il a déclaré avoir passé en revue toute la preuve documentaire qu’il avait résumée, et a conclu que les demandeurs n’ont pas besoin de la protection du Canada parce que le demandeur principal est un Tamoul originaire du Nord du Sri Lanka ou parce qu’ils seraient des demandeurs d’asile déboutés qui retournaient dans leur pays. Il est vrai que le commissaire n’a pas mentionné chacune des sources citées dans la RDI. Toutefois, l’ensemble de ce document l’autorisait à conclure que ce sont les personnes soupçonnées de liens avec les LTTE qui sont exposées à un risque de persécution. Eu égard à la preuve, le demandeur principal n’était pas une telle personne, et il ne correspondait pas au profil d’autres personnes pouvant être exposées à un risque, par exemple les journalistes ou autres professionnels. Dans ces conditions, l’omission du commissaire de mentionner cette source particulière ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[59]           En conclusion, même si l’analyse du commissaire relative à la crédibilité était déraisonnable, cela n’a pas dénaturé son analyse des demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97.

[60]           Compte tenu de la preuve documentaire et de la transcription de l’audience, le commissaire a jugé de façon raisonnable que le demandeur principal n’est pas un réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.      Aucune question de portée générale ne se pose.

 « Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-51-14

 

INTITULÉ :

NAVANEETHAN NAVARATNAM, KALISTA NAVANEETHAN, THILAKSAN NAVANEETHAN, NITHARSIKA NAVANEETHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AVril 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

 

POUR LES demandeurs

 

Margherita Braccio

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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