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Date : 20150521


Dossiers : IMM-823-14

IMM-824-14

IMM-2633-14

IMM-2636-14

Référence: 2015 CF 658

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2015

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

JOZSEF PUSUMA, AGNES TIMEA DAROCZI ET VIKTORIA LAURA PUSUMA DAROCZI

[REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE

JOZSEF PUSUMA]

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Les demandeurs sont les membres d’une famille de Roms hongrois qu’un membre de la profession juridique a mal servis au Canada. Leur avocat a reconnu qu’en les représentant aux fins de leurs demandes d’asile  devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, il avait fait preuve d’inconduite professionnelle et ne leur avait pas fourni les services attendus d’un avocat compétent. 

[2]               Après que leurs demandes d’asile furent rejetées, les membres de la famille ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi, qui a elle aussi finalement été rejetée. Après avoir retenu les services d’un nouvel avocat, les demandeurs ont sollicité la tenue d’un deuxième ERAR, et ont présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (demande CH). Les deux demandes ont été rejetées. Plus tard, les demandeurs ont sollicité le réexamen de leurs demandes d’asile et de leur demande CH après avoir appris que le Barreau du Haut‑Canada avait engagé une procédure disciplinaire contre leur ancien avocat. Ces demandes ont également été rejetées.

[3]               Je suis saisie de quatre demandes de contrôle judiciaire; une se rapportant à la décision défavorable relative à l’ERAR, une se rapportant à la décision rendue quant à la demande CH (décision CH), et deux se rapportant à la décision de l’agente d’immigration de refuser de réexaminer ces décisions. Pour les motifs que je vais exposer, j’ai conclu qu’il convenait d’accueillir les demandes relatives aux décisions défavorables en lien avec l’ERAR et les considérations humanitaires, et qu’il n’était pas nécessaire de traiter des demandes concernant les deux refus de réexamen.  

II.                Contexte

[4]               Joszef Pusuma soutient qu’entre 2004 et 2009, il a travaillé comme assistant de Viktoria Mohácsi. Mme Mohácsi est une défenseure bien en vue des droits des Roms en Hongrie et elle est également députée au Parlement européen. Agnes Timea Daroczi est l’épouse de M. Pusuma. Mme Daroczi affirme qu’elle est issue d’une famille bien connue de Roms hongrois et qu’elle s’est livrée activement, elle aussi, à la promotion des droits des Roms en Hongrie. Viktoria Laura Pusuma Daroczi est leur petite fille à tous deux.

[5]               M. Pusuma affirme que son emploi auprès de Mme Mohácsi l’a mené à faire du travail sur le terrain, pour examiner la situation des Roms en Hongrie et enquêter sur les plaintes de ségrégation à l’endroit des enfants roms dans les écoles hongroises. M. Pusuma a également fait enquête sur des plaintes de violence et de sévices subis par des Roms, une tâche qui l’a obligé à se rendre sur les lieux d’agressions à caractère raciste. Cela a conduit M. Pusuma à constater de visu la réticence des policiers hongrois à intervenir face aux agressions contre les Roms.

[6]               M. Pusuma soutient que son travail auprès de Mme Mohácsi l’a bien fait connaître comme défenseur des droits des Roms en Hongrie, et qu’il a attiré l’attention des éléments hostiles aux Roms au sein de la société hongroise, notamment des membres de la Garde hongroise. Il en serait résulté des menaces de mort contre M. Pusuma et les membres de sa famille.

[7]               Les demandeurs affirment que, le 20 juillet 2009, quatre hommes qu’ils croient être membres de la Garde hongroise les ont sauvagement agressés. Ce fut là l’incident décisif qui a conduit la famille à fuir la Hongrie. La famille est arrivée au Canada le 16 septembre 2009.

A.                Les demandes d’asile des demandeurs

[8]               À leur arrivée au Canada, les demandeurs se sont fait demander au point d’entrée le motif de leurs demandes d’asile. M. Pusuma a donné des renseignements généraux quant aux craintes de la famille, sans toutefois mentionner expressément l’agression de 2009. M. Pusuma déclare maintenant qu’au point d’entrée, on lui avait demandé de manière générale pourquoi la famille demandait l’asile au Canada, et non de fournir des détails sur ce qu’elle avait vécu en Hongrie.        

[9]               Après avoir quitté l’aéroport, les demandeurs se sont rendus à un centre pour réfugiés de Toronto. Au centre, on les a aiguillés vers un avocat nommé Viktor Hohots. Les demandeurs ont choisi M. Hohots pour les aider à présenter leurs demandes d’asile parce qu’on leur avait dit qu’il avait représenté de nombreux demandeurs d’asile roms et qu’il comptait parmi son personnel un consultant en immigration, nommé Jozsef Sarkozi, qui parlait hongrois.

[10]           Les demandeurs ont communiqué avec le cabinet de M. Hohots, et M. Sarkozi les a aidés à présenter une demande de certificat d’aide juridique. Les demandeurs ont rencontré M. Sarkozi en vue de l’établissement de leurs formulaires de renseignements personnels (FRP); ils ont remis à ce dernier les récits circonstanciés qu’ils avaient rédigés. M. Sarkozi n’a donné aucune indication aux demandeurs quant aux questions à aborder dans leurs FP, se contentant de traduire leurs récits circonstanciés et de les déposer auprès de la Commission à titre de FRP des demandeurs.

[11]           Les FRP déposés au nom des demandeurs ne mentionnaient pas, bien que ceux‑ci en aient donné une explication, leur défaut de communiquer avec la police après l’agression de 2009,  ou encore de faire état de cette agression au point d’entrée. 

[12]           Les demandeurs n’ont jamais rencontré M. Hohots en vue de l’établissement de leurs FRP, et celui‑ci a admis depuis au Barreau du Haut‑Canada que les demandeurs n’avaient pas obtenu de directives adéquates quant à l’information à fournir à la Commission au soutien de leurs demandes d’asile.

[13]           Les demandeurs ont aussi remis à M. Sarkozi, lors de leur première entrevue, certains documents étayant leurs demandes d’asile, notamment une lettre de Mme Mohácsi attestant que M. Pusuma avait travaillé auprès d’elle, rédigée en hongrois, ainsi que d’autres lettres confirmant divers éléments de leurs demandes.  

[14]           Les demandeurs n’ont rencontré M. Hohots qu’une seule fois, brièvement, dans les mois qui ont précédé l’audience relative à leurs demandes d’asile. Ils ont appris lors de cette rencontre, survenue quelques jours seulement avant l’audience, que M. Hohots n’y serait pas présent et que M. Sarkozi, plutôt, les y représenterait.

[15]           M. Sarkozi s’est bel et bien présenté à l’audience relative aux demandes d’asile des demandeurs. Il n’avait toutefois pas encore fait traduire la lettre de Mme Mohács en anglais et la Commission, par conséquent, ne l’a pas admise en preuve. M. Sarkozi n’a pas non plus demandé l’autorisation de déposer une copie traduite de la lettre devant la Commission après l’audience.

[16]           M. Sarkozi avait aussi omis de faire traduire en anglais les autres éléments de preuve corroborant les prétentions des demandeurs et que ces derniers avaient remis lorsqu’au départ, ils avaient retenu les services du cabinet. Ces éléments non plus, par conséquent, n’ont pas été admis en preuve. La Commission a également refusé d’admettre en preuve de l’information récente sur les conditions dans le pays, concernant la situation des Roms en Hongrie, parce que M. Sarkozi n’avait pas respecté ses délais de dépôt.

[17]           La Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, en tirant une conclusion défavorable du fait qu’ils n’avaient pas déposé la lettre de Mme Mohácsi corroborant l’emploi de M. Pusuma – une question que M. Hohots a maintenant admis être un élément central des demandes d’asile de la famille. La Commission a tiré comme conclusion de fait que M. Pusuma n’avait pas travaillé pour Mme Mohácsi. Elle a aussi tiré une conclusion défavorable du fait que la famille n’avait pas expliqué pourquoi elle n’avait pas fait mention de l’agression de 2009 à l’entrevue au point d’entrée. La Commission a finalement conclu que les demandeurs disposeraient, en Hongrie, d’une protection de l’État adéquate.    

[18]           Les demandeurs ont consulté M. Hohots quant à l’opportunité d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission. M. Hohots ne leur a pas conseillé de solliciter des conseils juridiques indépendants compte tenu des services lacunaires fournis par son cabinet. Le cabinet a plutôt déposé un avis de demande devant la Cour, au nom de M. Pusuma, M. Hohots informant les demandeurs par ailleurs qu’il ne serait pas commis au dossier à moins qu’ils ne lui versent certains honoraires. Les demandeurs n’ont pas versé d’honoraires, et leur demande de contrôle judiciaire a été rejetée faute d’avoir été mise en état.

[19]           Lorsque les demandeurs ont reçu leurs formulaires de demande en vue d’un examen des risques avant renvoi, MM. Hohots et Sarkozi les ont assurés qu’ils s’occuperaient de cette demande. Toutefois, ces derniers ont omis encore une fois de joindre à la demande d’ERAR de la famille les documents – dont l’importance est reconnue – que les demandeurs avaient fournis pour démontrer le rôle politique joué par M. Pusuma; la demande d’ERAR a par conséquent été rejetée.

B.                 Les demandeurs ont retenu les services d’un nouvel avocat

[20]           Après le rejet de leur première demande d’ERAR, les demandeurs ont retenu les services de leur actuel avocat. Ils ont seulement eu connaissance alors du rejet de leur demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, cinq mois plus tôt, parce qu’elle n’avait pas été mise en état.

[21]           En décembre 2011, après en avoir discuté avec leur nouvel avocat, les demandeurs ont porté plainte contre M. Hohots devant le Barreau du Haut‑Canada. Ils ont aussi déposé une plainte contre M. Sarkozi auprès de la Société canadienne de consultants en immigration (maintenant le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada).

[22]           Les demandeurs ont ensuite sollicité le réexamen de leurs demandes d’asile, en faisant valoir que l’incompétence de leur avocat avait porté atteinte à leur droit à l’équité procédurale. La Commission a rejeté cette demande parce que les demandeurs n’avaient pas informé M. Hohots à temps de leurs allégations d’incompétence. La Cour fédérale a confirmé cette décision (Pusuma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1025, 417 F.T.R. 119 (Pusuma #1)).

[23]           Fait important pour nos fins, le juge Russell a toutefois reconnu dans Pusuma #1 « que la lettre exclue de Mme Mohacsi, qui traitait des activités et du profil des demandeurs en Hongrie, était importante aux fins d’analyse de la protection de l’État et que par conséquent, si cette exclusion n’était pas justifiée, les conclusions quant à la protection de l’État ne pourraient être maintenues » [au paragraphe 39; non souligné dans l’original].

[24]           Les demandeurs ont sollicité dans l’intervalle le report de la mesure de renvoi du Canada prise contre eux, en attendant l’étude de leur deuxième demande d’ERAR. La demande de report a été rejetée et la Cour a refusé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.  

[25]           Plutôt que de se présenter en vue de leur renvoi, les demandeurs ont cherché refuge dans une église de Toronto; ils y sont restés plus de trois ans, avant d’être renvoyés du Canada le 12 décembre 2014.

C.                 La demande CH et la deuxième demande d’ERAR des demandeurs

[26]           En plus de tenter de faire réexaminer leurs demandes d’asile, les demandeurs ont aussi visé à faire examiner leurs allégations de risque au moyen d’une demande CH et d’une deuxième demande d’ERAR. Le 30 janvier 2014, les demandeurs ont été avisés du rejet de ces deux demandes; ils ont alors présenté des demandes de contrôle judiciaire à l’encontre des deux décisions rendues – dossier de la Cour IMM‑823‑14 dans le cas de la demande CH et dossier IMM‑824‑14 dans le cas de la demande d’ERAR.

[27]           Les demandeurs ont donné suite à leur plainte devant le Barreau du Haut‑Canada à l’encontre de M. Hohots. En février 2014, le barreau a engagé une procédure disciplinaire contre M. Hohots, au motif que ce dernier aurait fait preuve d’inconduite professionnelle ou de conduite indigne d’un avocat lorsqu’il avait représenté un certain nombre de demandeurs d’asile, notamment les demandeurs.   

[28]           Après avoir eu connaissance de cette procédure disciplinaire, les demandeurs ont tenté, sur le fondement de ce nouvel élément de preuve, de faire réexaminer la décision relative à l’ERAR et la décision CH. Par décision datée du 14 mars 2014, l’agente d’immigration principale a refusé de réexaminer l’une ou l’autre demande. La décision de refuser le réexamen de la décision relative à l’ERAR est l’objet du dossier IMM‑2633‑14, et celle de refuser le réexamen de la décision CH est l’objet du dossier IMM‑2636‑14.

D.                Les autres mesures prises par les demandeurs

[29]           Les demandeurs ont fait diverses autres tentatives depuis le rejet de leurs demandes d’asile pour que soient examinées leurs allégations de risque. Ils ont ainsi tenté de faire annuler en mars 2014, en raison de l’inconduite de M. Hohot, la décision leur refusant l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire visant la décision initiale de la SPR. On se rappellera que le motif du rejet de cette demande de contrôle judiciaire était le défaut des demandeurs de l’avoir mise en état.

[30]           En rejetant cette requête des demandeurs, le juge Mosley a conclu que ces derniers n’avaient pas retenu les services de M. Hohots pour les représenter relativement à leur demande de contrôle judiciaire, et que le défaut de mettre cette demande en état était imputable au propre manque de diligence des demandeurs. En concluant qu’il n’était pas contraire à l’intérêt de la justice de rejeter la requête en réexamen des demandeurs, le juge Mosley a tenu compte du fait que la Cour était saisie dans le cadre des demandes en question des allégations de ces derniers relatives à l’incompétence de leur avocat.

[31]           Les demandeurs ont aussi présenté une demande de permis de séjour temporaire, pour pouvoir demeurer au Canada en attendant l’achèvement de la procédure disciplinaire engagée contre M. Hohots. Aucune décision n’a été prise relativement à cette demande avant le renvoi des demandeurs du Canada en décembre 2014, et il semble que la demande soit toujours en traitement.

[32]           En février 2015, M. Hohots a signé un exposé conjoint des faits, dans le cadre de la procédure du Barreau du Haut‑Canada, dans lequel il admettait s’être dérobé à ses responsabilités professionnelles dans sa pratique du droit des réfugiés, s’en déchargeant pour bonne part sur M. Sarkozi et sur un certain nombre de jeunes avocats ayant travaillé de courtes périodes de temps dans son cabinet.

[33]           M. Hohots a aussi admis qu’aux fins de leurs demandes d’asile, il n’avait pas représenté les demandeurs tel que devait le faire un avocat compétent. En particulier, son cabinet ne leur avait pas offert d’indications appropriées quant à leur défaut de mentionner l’agression de 2009 au point d’entrée, et leur défaut de signaler cette agression à la police. De plus, a encore admis M. Hohots, son cabinet avait omis de faire traduire d’importants documents en vue de l’audience relative aux demandes d’asile des demandeurs, et n’avait pas respecté les délais fixés par la Commission pour le dépôt, au soutien de ces demandes, de renseignements sur les conditions dans le pays.

[34]           Le 2 mars 2015, le barreau a conclu, en fonction des faits énoncés dans l’exposé conjoint des faits, que M. Hohots avait fait preuve d’inconduite professionnelle.

[35]           Les demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est actuellement saisie ne visent pas la décision de la Commission concernant les demandes d’asile des demandeurs. En raison toutefois de l’incidence de cette dernière décision sur la décision relative à l’ERAR et sur la décision CH des demandeurs, il nous faudra maintenant nous pencher sur le caractère équitable du processus suivi par la Commission.

[36]            Au vu des faits admis par M. Hohots, il est maintenant manifeste que l’inconduite professionnelle de ce dernier a bel et bien privé les demandeurs de leur droit à une audition équitable. Pour paraphraser le juge Russell dans une autre affaire mettant en cause la représentation inadéquate de demandeurs d’asile roms de Hongrie par M. Hohots, il s’agit de l’un de ces cas exceptionnels où le travail incompétent de M. Hohots s’est révélé déterminant dans l’évaluation des demandes des demandeurs par la SPR. De plus, il est maintenant manifeste que la représentation inadéquate de M. Hohots comme avocat a été suffisamment grave pour compromettre l’équité du processus de la SPR (voir Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 89, 429 FTR 1).

III.             Décision CH

[37]           Les demandeurs faisaient valoir dans leur demande CH les difficultés auxquelles ils seraient exposés en Hongrie en tant que défenseurs des droits des Roms, et en raison de l’importance de la famille de Mme Daroczi. Ils ont aussi soutenu que, du fait de la situation à laquelle la famille serait exposée en Hongrie, il serait contraire à l’intérêt supérieur de Viktoria d’exiger leur retour dans ce pays pour y présenter leur demande de résidence permanente. La famille a également invoqué son degré d’établissement au Canada comme facteur favorable justifiant l’acceptation de sa demande CH. 

[38]           Les demandeurs ont présenté au soutien de leur demande CH une preuve abondante concernant les difficultés associées aux risques. Parmi les éléments de preuve produits, il y avait un affidavit de Mme Mohácsi, une lettre d’Amnistie Internationale, les affidavits de deux experts traitant de la situation des Roms en Hongrie ainsi que de l’information sur la situation régnant dans ce pays, provenant de diverses sources et témoignat de la mauvaise situation à laquelle la famille serait confrontée.

[39]           Les demandeurs affirment que la décision de rejeter leur demande CH était déraisonnable parce que l’agente d’immigration s’était fondée sur des conclusions tirées par la SPR – quant à leur profil de risque et à l’existence d’une protection de l’État adéquate – à la suite de ce qui avait constitué une audition inéquitable. 

[40]           L’agente se serait aussi trompée, selon les demandeurs, en recourant à une analyse de type ERAR pour l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire, et en exigeant qu’ils démontrent être exposés à un risque personnalisé en Hongrie. Les demandeurs ajoutent que l’agente d’immigration a fait abstraction d’éléments de preuve importants ayant directement trait aux difficultés fondées sur le risque, et que son analyse relative à l’intérêt supérieur de Viktoria était déraisonnable.

[41]           Le défendeur soutient que toute conséquence inéquitable que l’inconduite de l’avocat aurait pu avoir, à l’égard des demandes d’asile des demandeurs, a été corrigée par le processus d’examen de la demande CH. L’agente d’immigration, en effet, a procédé à une évaluation indépendante des facteurs relatifs aux difficultés invoqués par les demandeurs, plutôt que de simplement se fier à la décision de la SPR.

[42]           De plus, soutient le défendeur, l’agente est présumée avoir pris en compte la totalité de la preuve qu’on lui a présentée. Par conséquent, son défaut de mentionner expressément la preuve d’expert produite par les demandeurs ou la lettre d’Amnistie Internationale n’a pas rendu la décision CH déraisonnable.

[43]           Le défendeur soutient également que l’agente d’immigration n’a pas recouru à une analyse de type ERAR pour évaluer la demande CH des demandeurs. L’agente a plutôt examiné, tel qu’il convenait, la question de savoir si les demandeurs seraient personnellement et directement touchés par la situation défavorable en Hongrie, en raison de leur identité rom, et ainsi exigé qu’un lien existe entre la preuve de l’existence des difficultés alléguées par les demandeurs et leur situation personnelle. L’agente n’a pas non plus commis d’erreur en se penchant sur les voies de recours et la protection de l’État offerte aux demandeurs en Hongrie, car l’existence ou non de la protection de l’État dans le pays d’origine était un facteur pertinent à prendre en compte dans l’évaluation des difficultés.

[44]           Quant à l’évaluation de l’intérêt supérieur de Viktoria, le défendeur affirme que l’agente a examiné la preuve relative à la situation des enfants roms en Hongrie, et a conclu de manière raisonnable que cette preuve ne démontrait pas que Viktoria serait personnellement désavantagée sur le plan scolaire. Il était aussi raisonnable pour l’agente de conclure que la preuve ne démontrait pas que, s’il lui fallait retourner en Hongrie, Viktoria y serait exposée à une discrimination systématique.

[45]           Selon le défendeur, l’agente a aussi conclu de manière raisonnable que relevait de la pure hypothèse le souci exprimé que Viktoria se retrouverait seule si quelque chose devait arriver à ses parents; la conclusion selon laquelle, en tout état de cause, d’autres membres de la famille présents en Hongrie prendraient soin de Viktoria dans un tel cas était elle‑même raisonnable.

A.                Analyse

[46]           Comme je l’explique plus loin, je conviens avec les demandeurs que l’analyse par l’agente d’immigration de leur demande CH était entachée de nombreuses erreurs et qu’il n’y a pas lieu de maintenir la décision rendue.  

(1)               L’agente s’est fondée sur la décision de la SPR

[47]           La question de savoir si l’évaluation CH a été viciée par le caractère inéquitable de l’audience relative à la demande d’asile des demandeurs soulève une question d’équité. Il me faut donc décider si le processus suivi par l’agente d’immigration satisfaisait au degré d’équité exigé dans toutes les circonstances (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 RCS 339).

[48]           Tout en semblant admettre que les demandeurs n’ont pas obtenu une audition équitable de leurs demandes d’asile en raison de l’inconduite de leur avocat, le défendeur soutient que le caractère inéquitable de l’audition n’a pas vicié le processus CH puisque l’agente d’immigration a procédé à une évaluation indépendante des facteurs relatifs aux difficultés fondées sur les risques. Cette prétention, toutefois, n’est pas étayée par l’examen de la décision CH. Il ressort clairement de l’examen de la décision CH dans son ensemble que les conclusions de la SPR ont fortement influé sur l’évaluation faite par l’agente des difficultés fondées sur les risques.  

[49]           Ainsi, après avoir passé en revue dans sa décision les observations des demandeurs sur les difficultés associées aux risques, l’agente d’immigration a cité abondamment la décision de la SPR. L’agente a fait mention, particulièrement, des conclusions défavorables quant à la crédibilité que la Commission a tirées en raison du défaut des demandeurs de produire une traduction de la lettre de Mme Mohácsi confirmant l’emploi de M. Pusuma, et du défaut de ce dernier de faire état au point d’entrée de l’agression de 2009. Or, on se rappellera que le défaut de M. Hohots de représenter les demandeurs de manière compétente a mis directement en question le caractère équitable de l’une et l’autre conclusion.

[50]           L’agente d’immigration a ensuite déclaré : [traduction] « Bien que je ne sois pas liée par la décision initiale de la SPR, je lui accorde beaucoup de poids puisque la SPR est un office compétent et doté d’une solide expérience qui a eu l’occasion d’examiner en détail les prétentions des demandeurs concernant les risques et ainsi d’établir les faits de l’affaire » [non souligné dans l’original].

[51]           Bien que cette conclusion suffise à trancher la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, d’autres éléments de la décision CH méritent d’être commentés, puisque l’affaire devra être renvoyée pour nouvelle décision.

(2)               Le traitement par l’agente de la preuve concernant les difficultés associées aux risques

[52]           Il incombe aux personnes demandant une dispense pour CH de démontrer qu’elles sont touchées personnellement et directement par des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 113, aux paragraphes 48 et 49, [2014] ACF n° 472).

[53]           Relevant les nombreux éléments de preuve faisant état de la discrimination subie par les Roms en Hongrie, l’agente a reconnu ce qui suit : [traduction] « la situation des Roms et la discrimination dont ils font toujours l’objet dans de nombreuses facettes de leur vie continuent de poser des défis et de révéler des lacunes en Hongrie ». Elle a toutefois conclu ensuite que les demandeurs étaient privilégiés par rapport à la majorité des Roms de Hongrie puisqu’ils avaient pu faire des études et acquérir des compétences et de l’expérience professionnelle. L’agente semble avoir donné à entendre que, pour ce motif, les demandeurs n’avaient pas été touchés personnellement et directement par la situation défavorable en Hongrie, et qu’il en serait de même à l’avenir. Elle a toutefois tiré cette conclusion en faisant abstraction de la preuve produite par les demandeurs au soutien de leur demande CH.

 

[54]           Les demandeurs avaient présenté à l’agente des éléments de preuve concernant leur travail de défenseurs des droits des Roms, et l’agente a reconnu que M. Pusuma avait bel et bien travaillé avec Mme Mohácsi à la promotion de ces droits en Hongrie. L’agente a toutefois conclu que la preuve ne démontrait pas que les défenseurs des droits des Roms étaient exposés, à ce titre, à un risque particulier dans ce pays.

[55]           Les demandeurs avaient pourtant joint à leurs observations CH une lettre d’Amnistie Internationale faisant expressément état de la prévalence des crimes haineux qui visaient les défenseurs des droits des Roms. Amnistie Internationale faisait aussi mention dans la lettre : [traduction] « d’inquiétudes sérieuses quant au fait que les personnes s’exprimant en faveur des droits des Roms ne sont pas adéquatement protégées par les autorités étatiques », et du fait qu’il n’était [traduction] « pas inhabituel que les organisateurs communautaires et les porte‑parole des Roms, ainsi que les membres de leur famille, soient pris pour cibles par divers individus et groupes d’autodéfense ». Ce ciblage, selon Amnistie Internationale, prenait la forme [traduction] « d’atteintes à la propriété, d’agressions physiques, de menaces de mort et de harcèlement persistant ». L’agente n’a fait aucune mention de ces éléments de preuve.   

[56]           Il est vrai que l’agente est présumée avoir tenu compte de toute la preuve qu’on lui a présentée, et qu’elle n’a pas à faire référence à chaque élément de preuve au dossier (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. Cela dit, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs d’un agent est importante, et plus une cour de justice sera disposée à en inférer que l’agent a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont il disposait (voir Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 1425, aux paragraphes 14 à 17, 157 FTR 35).

[57]           Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’agente a simplement omis de faire référence à des éléments de preuve contraires à ses conclusions. L’agente a plutôt déclaré bien catégoriquement : [traduction] « la violence à l’endroit des défenseurs des droits de la personne, particulièrement des droits des Roms, n’a pas été mentionnée comme sujet d’inquiétude, ni la qualité de défenseur comme donnant lieu à un profil de personne qui suscite l’intérêt, en termes de ciblage » [non souligné dans l’original]. La lettre d’Amnistie Internationale faisant expressément mention d’agressions à l’endroit des défenseurs des droits des Roms, l’on doit inévitablement en inférer que l’agente a fait abstraction de cet élément de preuve.

[58]           Il est également troublant que l’agente n’ait pas mentionné la preuve d’expert traitant de la situation des Roms en Hongriequi a été produite par les demandeurs. Ceux-ci avaient aussi produit des affidavits d’Aladar Horvath et de Gwendolyn Albert, deux spécialistes bien connus de la question.

[59]           Les deux experts ont donné des renseignements détaillés quant aux réalités sur le terrain pour les Roms de Hongrie. Encore une fois, il s’agissait là d’éléments de preuve convaincants directement contraires à la conclusion tirée par l’agente sur la situation à laquelle seraient confrontés les demandeurs en Hongrie, et on peut ainsi craindre que l’agente en a fait abstraction. La Cour a d’ailleurs fait remarquer dans Vassey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 899, au paragraphe 64, [2013] 1 FCR 522, que l’obligation d’apprécier la preuve croissait en fonction du niveau d’expertise des souscripteurs d’affidavits.

[60]           Finalement, l’agent a commis une erreur dans son examen de la question de l’existence de la protection de l’État relativement à la demande CH.

[61]           L’agente a déclaré : [traduction] « la preuve documentaire révèle que des voies de recours sont offertes par l’État et les organisations non gouvernementales ». Elle a toutefois conclu que [traduction] « bien que la situation des Roms pose des défis au système de justice pénale, je conclus au vu de la preuve documentaire dont je dispose que des recours sont ouverts aux Roms de Hongrie par l’entremise de l’État et que ceux‑ci peuvent également obtenir l’aide d’organisations non gouvernementales ». L’agente a aussi tiré la conclusion suivante : [traduction] « les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ne pouvaient pas s’adresser à l’État s’ils devaient un jour être confrontés à des difficultés ou à de la discrimination ».  

[62]           À supposer, aux fins de l’argumentation, que les demandeurs disposeraient de voies de recours après le fait en Hongrie, s’ils devaient y être maltraités en raison de leur identité rom, il ne s’ensuit pas que les mauvais traitements ne pourraient pas constituer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

[63]           Plus fondamentalement, toutefois, l’agente a tiré sa conclusion – les demandeurs pourraient se réclamer de la protection de l’État en Hongrie s’ils devaient y rencontrer des difficultés– sans tenir compte de la lettre d’Amnistie Internationale produite en preuve, où il était fait expressément état [traduction] « d’inquiétudes sérieuses quant au fait que les personnes s’exprimant en faveur des droits des Roms ne sont pas adéquatement protégées par les autorités étatiques ».

(3)               L’évaluation de l’intérêt supérieur de Viktoria

[64]           J’estime également qu’était déraisonnable l’évaluation faite par l’agente de l’intérêt supérieur de Viktoria.

[65]           L’agente a reconnu que, dans le système scolaire hongrois, la discrimination systémique exercée à l’endroit des enfants roms, sous forme notamment de ségrégation de ces enfants, placés dans des écoles réservées aux enfants ayant une déficience mentale, constituait un problème endémique. Elle a néanmoins conclu que la preuve présentée ne suffisait pas à démontrer que Viktoria ne pourrait pas faire des études en Hongrie.

[66]           L’agente a souligné en tirant cette conclusion que M. Pusuma et Mme Daroczi avaient eux‑mêmes pu faire des études en Hongrie. C’est bien vrai, mais tous deux ont fait part, dans leurs observations relatives aux considérations humanitaires, de la discrimination systémique et de l’intimidation dont ils avaient fait l’objet au sein du système scolaire hongrois. L’agente ne semble pas avoir pris ces observations en considération.

[67]           L’agente a également conclu que les demandeurs pourraient demander, au nom de Viktoria, que des mesures visant à corriger la situation soient apportées si elle devait être victime de discrimination dans le système scolaire hongrois. Même si les demandeurs sont plus en mesure que de nombreux autres Roms de faire face à une telle situation de discrimination, cela ne veut pas dire que Viktoria n’en souffrirait pas. L’agente n’a pas pris en considération les répercussions sur Viktoria elle‑même d’une telle discrimination au sein du système scolaire.

[68]           Les demandeurs ont aussi soutenu qu’il serait plus conforme à l’intérêt supérieur de Viktoria qu’elle puisse demeurer au Canada parce qu’ils pourraient être victimes d’incident fâcheux en Hongrie. Je conviens cependant avec le défendeur que cet argument relevait de la pure hypothèse. Cela dit, en laissant entendre qu’en tout état de cause d’autres personnes prendraient soin de Viktoria dans l’éventualité invoquée, l’agente a fait preuve d’une condescendance troublante face aux énormes répercussions qu’aurait la perte de ses parents pour une jeune enfant.

(4)               Conclusion relative à la décision CH

[69]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du rejet de la demande CH des demandeurs est accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision.  

[70]           Comme j’ai conclu qu’il n’y avait pas lieu de maintenir la décision CH initiale, je n’aurai pas à examiner la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente de refuser le réexamen de la décision CH. La demande de contrôle judiciaire du refus de réexamen est par conséquent rejetée.

IV.             La décision relative à l’ERAR

[71]           Les demandeurs sollicitent également le contrôle judiciaire de la décision par laquelle leur deuxième demande d’ERAR a été rejetée, ainsi que du refus de l'agente d’immigration de réexaminer la décision relative à l’ERAR pour que soit prise en compte la preuve actualisée concernant l’inconduite de M. Hohots.

[72]           L’agente qui a examiné la demande d’ERAR des demandeurs est celle qui avait aussi statué sur leur demande CH et, comme je vais l’expliquer, nombre d’erreurs dans la décision CH que j’ai déjà relevées entachaient aussi la décision relative à l’ERAR.

[73]           Toutefois, avant de me pencher sur ces questions, je dois d’abord examiner l’argument du défendeur selon lequel la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée puisqu’elle est devenue théorique à la suite du renvoi des demandeurs du Canada en décembre 2014.

A.                Le caractère théorique de la présente demande

[74]           J’estime, tout comme le défendeur, que les présentes demandes ont bel et bien maintenant un caractère théorique (Solis Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CAF 171, au paragraphe 5, 82 Imm LR (3d) 167). Cela dit, je dispose toujours du pouvoir discrétionnaire d’examiner les demandes même si, en termes techniques, elles sont désormais théoriques (Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 57 DLR (4th) 231).

[75]           On a déjà consacré une journée à l’instruction des demandes, et les deux parties ont eu l’occasion de faire pleinement valoir leur point de vue sur les questions qu’elles soulèvent. Par conséquent, peu d’économies judiciaires seraient réalisées si je devais refuser de statuer sur la question. Il ne s’agit pas non plus d’un cas où une décision rendue par la Cour serait considérée être une intrusion dans les fonctions du pouvoir législatif.

[76]           J’estime de plus que, si elles étaient maintenues, les conclusions tirées par l’agente d’immigration dans la décision relative à l’ERAR pourraient avoir des conséquences indirectes pour les demandeurs, tant à l’égard de leur demande en traitement de permis de résidence temporaire que du réexamen de leur demande CH.

[77]           Le juge Rothstein a d’ailleurs fait observer ce qui suit dans Ramoutar c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 3 CF 370, au paragraphe 13 : « L'expulsion d'une personne du Canada – une mesure qui a des conséquences négatives pour la personne en question – n’efface pas tous les droits que peut lui conférer la Loi sur l'immigration ». Le juge a ajouté : « Il ne faudrait pas qu'une décision, prise à la suite de l'application de la mauvaise norme de preuve et sans faire bénéficier le requérant de l'équité procédurale, ait une incidence négative sur ces droits ».

[78]           Considérant ce qui précède, j’en suis venue à la conclusion qu’il s’agit ici d’un cas où il convient que j’exerce le pouvoir discrétionnaire dont je dispose de trancher la question, même si elle est désormais théorique.

B.                 L’agente s’est fondée sur la décision de la SPR

[79]           Le défendeur soutient à nouveau que toute conséquence inéquitable que l’inconduite de l’ancien avocat aurait avoir sur le processus de demande d’asile a été corrigé par le deuxième ERAR des demandeurs, car l’agente d’immigration a procédé à une évaluation nouvelle et indépendante du risque couru par les demandeurs en Hongrie.  

[80]           Toutefois, comme dans le cas de la décision CH, il ressort des motifs invoqués dans la décision relative à l’ERAR que l’évaluation faite dans le cadre de l’ERAR a aussi été compromise par le fait que l’agente s’est fondée sur la décision relative à la demande d’asile des demandeurs.

[81]           Tout d’abord, l’agente a refusé de prendre en compte, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une [traduction] « preuve nouvelle », des éléments de preuve qui ont été présentés par les demandeurs au soutien de leur demande d’ERAR, mais que ceux-ci, en faisant diligence raisonnable, auraient pu produire devant la SPR. L’inconduite de l’avocat des demandeurs dans le cadre du processus de demande d’asile a donc eu des conséquences directes sur l’ERAR.     

[82]           À titre d’exemple, l’agente n’a pas admis les éléments de preuve produits pour démontrer le travail de M. Daroczi comme défenseur des droits des Roms parce que ceux-ci auraient pu être présentés à la SPR. L’agente n’a pas non plus admis à titre de preuve nouvelle des éléments visant à démontrer le travail fait par M. Pusuma auprès de Mme Mohácsi. Un affidavit de Mme Mohácsi a de même été mis de côté, au motif qu’il faisait état de peu de renseignements jugés nouveaux par l’agente, si ce n’est le fait que Mme Mohácsi estimait que les demandeurs étaient plus en danger qu’au moment où ils ont quitté la Hongrie. Puis, bien que Mme Mohácsi ait déclaré dans son affidavit que les demandeurs lui avaient fait part de l’agression de 2009 peu après qu’elle ait eu lieu, l’agente a accordé peu de poids à cette déclaration parce que Mme Mohácsi n’avait pas été témoin direct de l’incident.

[83]           En refusant de retenir le témoignage de Mme Mohácsi, l’agente a fait remarquer que la lettre d’emploi non traduite de Mme Mohácsi avait été présentée à la SPR, et qu’ainsi il ne s’agissait pas d’une preuve nouvelle. Or, rappelons-le, M. Hohots a admis qu’il avait commis une inconduite en ne faisant pas traduire cet important élément de preuve pour permettre à la Commission de l’étudier.

[84]           Rappelons également que dans Pusuma #1, le juge Russell a reconnu ceci : « la lettre exclue de Mme Mohacsi, qui traitait des activités et du profil des demandeurs en Hongrie, était importante aux fins d’analyse de la protection de l’État et que par conséquent, si cette exclusion n’était pas justifiée, les conclusions quant à la protection de l’État ne pourraient être maintenues » [au paragraphe 39; non souligné dans l’original]. Cela est tout aussi vrai cette fois encore.

[85]           L’agente a poursuivi son analyse en soulignant que, même si elle admettait la lettre en preuve (ce qu’elle a dit ne pas faire en termes exprès), celle-ci ne faisait mention d’aucun incident dont les demandeurs auraient été victimes et qui laisserait croire à l’existence d’un risque. Cela me conduit à l’erreur suivante commise par l’agente, soit la façon dont elle a traité la preuve concernant le risque.

C.                 Le traitement par l’agente de la preuve concernant le risque            

[86]           Lorsque l’agente a évalué le risque auquel les demandeurs adultes étaient exposés en tant que défenseurs des droits des Roms en Hongrie, elle a fait abstraction de la déclaration solennelle d’Aladar Horvath parce que ce dernier n’avait pas fait expressément état de sa propre expérience de Rom vivant en Hongrie. Cela, à mon sens, était déraisonnable.   

[87]           Le témoignage du professeur Horvath était un témoignage d’expert, fondé sur des années de travail et d’études dans le domaine, et la teneur et le ton de son rapport sont ceux d’un rapport d’expert indépendant. Le rapport n’était pas ni ne visait à être un récit personnel. On pourrait d’ailleurs soutenir, au contraire, que l’introduction d’anecdotes personnelles dans le rapport lui aurait fait perdre de son poids en tant que document d’évaluation indépendant sur la situation des Roms en Hongrie.

[88]           Il est également troublant que l’agente ait dit que les demandeurs n’avaient pas présenté une preuve suffisante provenant de [traduction] « sources générales comme [...] Amnistie Internationale » pour démontrer que les personnes ayant le profil de M. Pusuma seraient exposées à un risque en Hongrie.

[89]           Comme je l’ai mentionné dans la partie précédente des présents motifs, les demandeurs avaient remis à l’agente une lettre d’Amnistie Internationale où il était fait expressément état de la prévalence des crimes haineux contre les défenseurs des droits des Roms tels que M. Pusuma et Mme Daroczi. La lettre faisait également mention de l’incapacité ou du refus des autorités étatiques de protéger les personnes s’exprimant en faveur des droits des Roms en Hongrie. Dans ces conditions, le défaut de l’agente de mentionner expressément cette lettre permet d’inférer qu’elle en a tout simplement fait abstraction.

[90]           J’estime aussi déraisonnable que l’agente ait écarté, en le qualifiant de [traduction] « non fiable », un affichage sur le site Web kuruc.info produit en preuve par les demandeurs; les commentaires de l’agente permettent aussi de constater qu’elle n’a pas saisi l’importance de cet élément de preuve.  

[91]           Les demandeurs n’ont pas présenté l’affichage sur le site Web kuruc.info à titre de source de preuve fiable quant à la véracité des commentaires qui y figuraient à leur sujet. Ils l’ont plutôt fait pour démontrer qu’ils avaient été cible de haine sur un site Web hongrois néo‑nazi.

D.                Conclusion relative à la décision relative à l’ERAR

[92]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire visant le rejet de la demande d’ERAR des demandeurs est accueillie et la décision relative à l’ERAR est annulée. Comme j’ai conclu qu’il n’y avait pas lieu de maintenir la première décision relative à l’ERAR, je n’aurai pas à examiner la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente de refuser le réexamen de la décision relative à l’ERAR. La demande de contrôle judiciaire du refus de réexamen est par conséquent rejetée.

E.                 Convient-il d’accorder une autre mesure quant à la décision relative à l’ERAR?

[93]           Les demandeurs soutiennent que, dans le contexte exceptionnel de la présente affaire, il y aurait lieu que la Cour ordonne au défendeur de les réadmettre au Canada en attendant qu’une nouvelle décision soit rendue à l’égard de leur demande d’ERAR. Ils sollicitent subsidiairement une ordonnance enjoignant au défendeur de ne pas leur refuser d’entrer de nouveau au Canada, s’ils devaient se présenter en vue d’y être admis.

[94]           Tout en reconnaissant le caractère inhabituel d’une telle ordonnance, les demandeurs affirment que la Cour a compétence pour la rendre, et qu’une ordonnance de cette nature est requise pour corriger l’injustice que l’inconduite de leur ancien avocat leur a occasionnée.

[95]           À supposer, sans en décider, que j’aie compétence pour rendre l’ordonnance demandée, je ne suis pas convaincue qu’il convient de rendre une ordonnance de cette nature en l’espèce. 

[96]           Une nouvelle décision à l’égard de la demande CH des demandeurs peut-être rendue sans que ceux‑ci soient admis de nouveau au Canada. 

[97]           En ce qui concerne la demande d’ERAR des demandeurs, rappelons que le motif de ma décision d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’examiner la présente demande de contrôle judiciaire, malgré son caractère théorique, était que, si elle était maintenue, la décision relative à l’ERAR pourrait avoir des conséquences indirectes pour les demandeurs dans d’autres instances. On peut résoudre le problème soulevé en annulant la décision relative à l’ERAR et en enjoignant qu’il ne soit tenu aucun compte, dans toute instance ultérieure, des conclusions tirées par l’agente d’immigration quant à la décision relative à l’ERAR.

V.                Certification

[98]           Les parties conviennent que la présente affaire est largement tributaire des faits, et qu’une question ne pourrait être susceptible de certification en l’espèce que si j’accordais aux demandeurs l’une ou l’autre mesure demandée, à savoir les faire réadmettre au Canada ou empêcher que le défendeur leur refuse la réadmission. 

[99]           N’ayant accordé ni l’une ni l’autre mesure, j’estime comme les parties que l’affaire est par ailleurs tributaire des faits, et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :  

1.                  La demande IMM-823-14 est accueillie. La demande de résidence permanente des demandeurs fondée sur des considérations humanitaires est renvoyée pour nouvelle décision à un autre agent d’immigration, à qui il est ordonné de n’accorder aucun poids à la décision de la Section de la protection des réfugiés relative aux demandes d’asile des demandeurs, ni aux motifs exposés par l’agente d’immigration pour rejeter la deuxième demande d’ERAR des demandeurs.  

2.                  La demande IMM-2636-14 est rejetée.

3.                  La demande IMM-824-14 est accueillie, et la décision relative à l’ERAR des demandeurs est annulée.

4.                  La demande IMM-2633-14 est rejetée.

5.                  Une copie des présents motifs sera versée dans chacun de ces quatre dossiers de la Cour.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-823-14, IMM-824-14, IMM-2633-14, IMM-2636-14

 

INTITULÉ :

JOZSEF PUSMA, AGNES TIMEA DAROCZI, ET VIKTORIA LAURA PUSUMA DAROCZI (REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, JOZSEF PUSUMA) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 AVRIL 2015

 

juGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2015

 

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Martin Anderson

Amy King

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet spécialisé en droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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